Pour en revenir à ce besoin de réveil que nous saluons avec joie parmi nous, bornons-nous à indiquer ici quelques-unes des conditions qui nous paraissent indispensables pour qu’il aboutisse à un mouvement sérieux et profond. Ces conditions ne sont pas arbitraires ; elles résultent de la nature même de l’œuvre dont il s’agit et de tous les précédents historiques dont il faut bien tenir compte.
Un réveil religieux a pour but de ramener les hommes à Dieu, en un mot de les convertir. S’il se propose un but moins élevé et s’il se contente à moins que cela, il fait fausse route et avortera infailliblement. C’est assurément une belle entreprise que celle de l’apologète chrétien qui veut réfuter les objections que l’on élève aujourd’hui, au nom de la raison et de la science, contre la foi chrétienne, et nul n’applaudit plus que nous aux conférences apologétiques où la foi se mesure avec l’incrédulité. Mais ce n’est pas précisément dans les réunions de réveil que de tels discours sont à leur place. Pour l’immense majorité des personnes qui assistent à de telles réunions, l’obstacle à la conversion n’est pas dans l’intelligence, mais dans le cœur et dans la volonté. Eût-on réussi à réfuter victorieusement certaines objections, tout resterait à faire tant qu’on n’aurait pas remué la conscience. On enregistrerait un succès oratoire de plus, mais le réveil ne serait pas même commencé.
Ramener l’homme à Dieu ! Cette tâche, la plus noble que l’on puisse se proposer ici-bas, et la seule que les anges puissent envier aux hommes, implique avant tout une claire notion de ce qu’est l’homme sans Dieu, c’est-à-dire une notion tragique du péché et de la condamnation qu’il entraîne. Arrière cette idée optimiste de la nature humaine, d’après laquelle l’homme est foncièrement bon et n’a qu’à réveiller en lui l’instinct de la perfection ! C’est à cette méconnaissance de la nature et de la gravité du péché qu’est due la stérilité religieuse de l’ancien libéralisme, et, si quelque chose peut nous réjouir dans le nouveau, c’est qu’il paraît résolu à ne pas se contenter du point de vue superficiel de ses devanciers sur ce point essentiel. Si vous n’êtes pas persuadés, avec saint Paul, que le pécheur « est mort dans ses péchés », et si vous ne travaillez pas à l’en persuader, de quel droit troubleriez-vous un sommeil qui est sans danger et qui a bien ses charmes ?
Mais il ne suffit pas de prendre l’homme tel qu’il est ; il faut le ramener à Dieu tel qu’Il est, c’est-à-dire tel qu’il s’est révélé à nous en Jésus-Christ. Le réveil du pécheur n’est pas simplement une œuvre subjective, un travail de l’homme sur lui-même, un effort énergique de s’amender ; il est une œuvre objective, extérieure à nous, surnaturelle et divine, dont les conditions ont été réglées par Dieu lui-même. Prêcher la conversion sans la rédemption, sans la croix, c’est donc méconnaître la condition essentielle du salut, c’est donner à l’homme l’illusion qu’il peut se sauver par lui-même, c’est le pousser dans une voie sans issue. C’est oublier que Jésus, dans son entretien mémorable avec Nicodème, a rattaché indissolublement ces deux conditions, puisqu’après avoir dit : « Il faut que vous naissiez de nouveau », il a ajouté : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé comme le serpent le fut au désert. »
Tous les réveils, depuis la première Pentecôte jusqu’à ceux de notre siècle, sont nés de cette double affirmation : le péché et la rédemption. Le rationalisme s’est montré impuissant à réveiller les âmes, parce qu’il a supprimé ou affaibli ces deux faits. La jeune génération libérale prétend rompre avec ses devanciers qui « réduisaient le christianisme à une aspiration vers le progrès et l’infini », elle insiste avec raison sur « l’horreur du péché ». Mais, tout en saluant avec sympathie l’ardeur généreuse qui l’anime, il faut lui rappeler que la croix du Golgotha est le seul levier assez puissant pour soulever le fardeau du péché de l’humanité.