§ I. La guerre. — Nous nous trouvons ici en présence d’une importante question : les chrétiens des deux premiers siècles ont-ils servi dans les armées impériales ? Justin-Martyr, citant la prophétie de Michée 4.3 sur les fruits de l’Évangile, et notamment le passage, « de leurs glaives ils forgeront des hoyaux, et de leurs lances des serpes », semble indiquer que chez les chrétiens de son temps elle était déjà accomplie. « Nous qui étions autrefois, dit-il, remplis de pensées de guerre, de meurtre et de méchanceté, nous avons, dans le monde entier, transformé nos glaives en hoyaux, nos lances en instruments agricoles, et nous cultivons maintenant la piété, la justice, la charité, la foi et l’espérance, que nous avons reçues du Père céleste lui-même par Celui qui a été crucifiéi. »
i – Dialogue avec Tryphon, 109, 110 ; Ire Apologie, ch. 14.
Ces paroles ne doivent pas être entendues d’une façon par trop littérale. Elles sont bien plutôt l’expression de la pensée des chrétiens les plus réfléchis. En effet, il est certain que beaucoup de chrétiens étaient enrôlés dans les armées. Les paroles déjà citées de Tertullien, même en y faisant la part de l’exagération, le prouvent surabondamment.
On a souvent cité, comme tranchant la question, l’histoire de la Légion Fulminante. Mais cette histoire ne résiste pas à la critique. On raconte qu’en l’an 174, pendant la guerre contre les Germains et les Sarmates, Marc-Aurèle et son armée se trouvèrent en un péril extrême. Les soldats, torturés par une soif intolérable, voyaient les ennemis prêts à fondre sur eux. Aussitôt, la XIIe légion, tout entière chrétienne, se jette à genoux et sa prière est suivie d’une pluie torrentielle, qui apaise la soif des Romains, en même temps que l’orage terrifie les barbares. Les Romains remportent la victoire, et l’empereur, pour perpétuer le souvenir de cet événement, donne à la XIIe légion le titre de Fulminante, et montre sa gratitude pour cette miraculeuse délivrance en ordonnant de cesser toute persécution contre les chrétiensj.
j – Eusèbe, H. E., liv. V, ch. 5. — Tertullien, A Scapula, iv ; Apologie, v.
Ce récit est manifestement erroné. La persécution de Lyon n’eut lieu, en effet, que trois ans plus tard, et la XIIe légion avait reçu le nom de Fulminante dès le temps de l’empereur Auguste. Ce qui est certain, c’est la délivrance de l’armée romaine d’un péril imminent. Les auteurs païens y reconnaissent, il est vrai, une intervention céleste, qu’ils attribuent à Jupiter. Mais tantôt c’est en réponse aux prières de l’empereur, tantôt à celles de toute l’armée, tantôt, enfin, aux incantations d’un magicien égyptien.
[Un des récits de cet événement attribue à l’empereur, élevant les mains vers Jupiter, les paroles suivante : « J’élève vers loi cette main qui n’ont jamais versé le sang. » Il y avait des peintures qui le représentaient dans l’altitude de la prière, tandis que les soldats recevaient la pluie dans leurs casques. Il existe encore une médaille sur laquelle on voit Jupiter lançant la foudre sur les barbares renversés a terre. Néander, I, 499-162. Les expressions de Tertullien dans l’un des passages cités dans le texte, peuvent laisser quelque doute sur la question de savoir s’ils étaient ou non chrétiens : christianorum forte militum precationibus. Apol, ch. 5.]
Quelle qu’ait pu être, du reste, l’infidélité de certains membres de l’Église, l’Église elle-même a donné, par la voix de ses docteurs les plus autorisés, une réponse parfaitement nette à la question qui nous occupe. Même Tertullien trouve la vocation militaire incompatible avec là foi chrétienne. Et, de fait, le service dans les armées impériales ne pouvait pas, pour deux raisons principales, s’allier avec la profession fidèle du christianisme. La première était la prestation du serment militaire et l’obligation qui en résultait d’assister, ou même de participer à des actes d’idolâtrie ; la seconde, que le service militaire est en contradiction directe arec les commandements précis de Christ et l’esprit de l’Évangile tout entier. Sur ces deux objections, Tertullien est explicite : « Vous me demandez, écrit-il, si un croyant peut devenir soldat, ou si un simple soldat ou un officier subalterne, qui ne sont pas tenus de prendre part aux sacrifices et aux exécutions capitales, peuvent être admis à la profession de la foi. Je réponds qu’il ne peut y avoir d’union entre le service des hommes et le service de Dieu, entre l’étendard de Christ et l’étendard du Diable, entre le camp de lumière et le camp des ténèbres… Comment un soldat combattra-t-il sans glaive ? Or, le Seigneur le lui a enlevé. En désarmant Pierre, il a désarmé tous les soldatsk. »
k – Matthieu 26.52 ; Jean 18.36 ; 2 Corinthiens 10.4 ; De l’idolâtrie, ch. 19.
Il revient sur ce sujet dans son traité de la Couronne. « Cherchons, dit-il, si le service militaire est licite pour un chrétien. Mais à quoi bon discuter les cas particuliers, quand le fondement même est illicite ? Peut-on mettre un service humain quelconque au-dessus du service qu’on doit à Dieu ? Peut-on avoir un autre maître que Christ ? peut-on renoncer à son père, à sa mère, à ses plus proches, que la Loi nous commande d’honorer et d’aimer le plus après Dieu lui-même ? Peut-il être licite d’être un homme d’épée, après que le Seigneur a déclaré que celui qui prend l’épée périra par elle ? Celui auquel la paix est recommandée au point de ne pas recourir aux tribunaux, pourrait-il prendre part à une bataille ?… Mais si, lorsque la foi entre dans le cœur d’un homme, il est déjà soldat, la situation est différente… Et pourtant, si un tel homme est devenu un croyant, s’il a fait une profession publique de sa foi, il se verra obligé, ou bien, comme l’ont été beaucoup, d’abandonner de suite l’armée, ou bien de recourir à une quantité de sophismes pour éviter d’offenser Dieu ; ou enfin de se résoudre à accepter pour Christ le même sort que les chrétiens non soldats sont prêts à accepter. »
[Ch. xi. Tertullien, lorsqu’il écrirait ce traité, était déjà montaniste. Or, plus que personne dans l’Église, les montanistes étaient stricts observateurs des préceptes de l’Évangile sur ce point. Dans son Apologie, écrit antérieur à son accession au montanisme, il dit : Nous prions pour le salut des empereurs… pour la valeur de leurs troupes (ch. 30). Mais, dans son traité de la Patience, écrit également, à ce qu’on croit, avant qu’il ne fût montaniste, Tertullien dit (ch. 7) que c’est l’affaire des païens de prendre du service dans les camps.]
Dans ce même traité il raconte l’histoire d’un chrétien qui avait refusé, non pas d’entrer dans l’armée, mais de porter la couronne de laurier donnée aux vainqueurs. On faisait, au nom de l’empereurl, des largesses aux soldats. Chacun d’eux devait s’avancer couronné de laurier. Parmi les soldats chrétiens (et il y en avait un certain nombre), un seul, plus ferme que les autres et ne comprenant pas, comme ils paraissaient le faire, qu’on pût servir deux maîtres, s’avance noblement la tête découverte et la couronne de laurier à la main. « Aussitôt, on le remarque ; de loin, on se moque ; de près on grince des dents contre lui. Entendant le bruit, le tribun s’informe, tandis que le soldat quitte déjà les rangs. Il l’arrête : « Pourquoi cette différence ? lui demande-t-il. — Je ne puis être comme les autres. — Et pourquoi ? — Je suis chrétien… » La cause examinée et les votes recueillis, on le déclare coupable. Il sera déféré aux préfets. Aussitôt le soldat dépose son lourd vêtement, ôte ses chaussures de soldat, donne son épée et laisse échapper de ses mains la couronne de laurier… Conduit en prison, il y attend maintenant la blanche couronne du martyre… On condamne sa conduite. On lui reproche son opiniâtreté, son manque de réflexion ; on l’accuse d’être impatient de mourir, car, dit-on, en refusant de céder sur un simple détail de vêtement, il va compromettre ceux qui portent le nom de chrétiens. Et pourtant, au milieu de tant d’autres soldats chrétiens comme lui, lui seul s’est montré brave, lui seul s’est montré chrétien. Mais on murmure, parce que cette paix si douce et dont on jouit depuis si longtemps est mise en danger ! »
l – Sévère et l’un de ses fils, sinon les deux. Il s’associa Caracalla en 190, et Géta en 208.
Il ressort du témoignage de Celse, qui, comme nous l’avons dit, écrivait au temps de Marc-Aurèle, que le nombre des soldats chrétiens était peu important à cette époque. Celse reproche en effet aux chrétiens de n’être utiles à l’État, ni comme citoyens, ni comme soldats, à ce point que si tout le monde suivait leur exemple, le souverain se trouverait isolé et le monde dominé par les barbares. Et Origène lui répond noblement, en vrai fidèle : « Voici la question : Qu’arriverait-il si tous les Romains adoptaient les principes du christianisme et renonçaient, pour adorer le Très-Haut seul, au service qu’ils rendent aux dieux et aux magistrats ? Je réponds : Nous avons cette conviction que si deux ou trois d’entre nous s’accordent pour demander une chose à Dieu, le Père des Justes, qui est au ciel, Il ne la leur refusera pas (Matthieu 18.19). Et alors, que ne pourrions-nous pas en attendre, si non plus seulement quelques hommes, mais l’empire romain tout entier s’adressait à Dieu ? Ils prieraient le Verbe, qui dit autrefois aux Hébreux, poursuivis par les Égyptiens : L’Éternel combattra pour vous, et vous, vous resterez tranquilles (Exode 1.14). Et si tous les Romains étaient unis de la sorte, dans une prière unanime, ils renverseraient des ennemis bien plus nombreux encore que ceux qu’ont vaincus Moïse et ceux qui priaient avec lui… Si tous les Romains embrassaient la foi chrétienne, ils vaincraient tous leurs ennemis par la prière. Ou plutôt, ils n’iraient plus à la guerre, gardés qu’ils seraient par la puissance divine, qui avait promis de garder des cités entières pour épargner cinquante justes. »
Dans ce qui suit, Origène semble abandonner ce terrain solide et seul vraiment sûr pour un chrétien. « Nous aidons, dit-il, les rois de la terre ; nous leur donnons une aide divine, si l’on peut s’exprimer ainsi, en nous revêtant de toutes les armes de Dieu… Les prêtres des temples des idoles doivent conserver leurs mains pures de sang humain ; aussi, même en temps de guerre, ne sont-ils pas enrôlés dans les armées. Et nous, prêtres et ministres de Dieum, ne devons-nous pas encore bien davantage conserver nos mains pures de ce même sang, et lutter par nos prières avec ceux qui luttent pour une juste cause et pour le roi qui règne justement, afin que tout ce qui leur est opposé puisse être détruit ? Et comme, par nos prières, nous mettons en fuite les démons, qui excitent les guerres, provoquent la violation des serments et troublent ainsi la paix des nations, nous aidons les rois bien mieux que ceux qui entrent en campagne. Personne ne combat avec plus de fruit que nous. Sans doute, nous ne combattons pas sous les ordres du prince, et, nous le demandât-il, nous ne pourrions le faire. Mais nous combattons pour lui ; nous formons une armée d’un genre spécial, une armée de croyants, qui offrent leurs prières à Dieun. »
m – C’est de tous les chrétiens qu’il parle, ainsi qu’il vient de le dire.
n – Contre Celse, liv. VIII, ch. 68-70, 73.
Dans ce passage, Origène suppose licite aux chrétiens de prier pour le succès des armes charnelles. Mais l’emploi même de ces armes est interdit aux chrétiens : il en résulte qu’ils ne sauraient prier légitimement pour leur succès. Et si les chrétiens priaient pour que partout dans le monde les hommes obéissent aux ordres de Christ ; pour que partout, suivant l’expression d’Origène, ils s’en rapportassent pour leur protection « à cette divine Puissance qui a promis de sauver des cités entières par égard pour cinquante justes » ; si tous les chrétiens faisaient cela, le but de leurs prières serait atteint beaucoup plus tôt et beaucoup plus sûrement.
Nous reviendrons sur ce sujet dans la seconde partie de notre ouvrage.
§ II. L’esclavage. — Nous avons dit ailleurs que les esclaves formaient la moitié de la population de l’ancienne Rome. Telle est au moins l’opinion de Gibbono. On l’a taxée d’exagération. Mais si l’on réfléchit que les travaux de tout genre dans les champs, dans les affaires, dans les maisons, étaient presque absolument faits par les seuls esclaves, peut-être pensera-t-on que Gibbon n’est pas loin de la vérité. Pline nous parle d’un riche Romain qui mourut sous le règne d’Auguste, en laissant plus de quatre mille esclaves. Athénée, au iiie siècle, connaissait beaucoup de citoyens, qui en possédaient dix et même vingt mille, plus, il est vrai, par ostentation que par nécessité.
o – Decline and Fall, I, 56.
On ne saurait trouver de couleurs assez sombres pour dépeindre la triste situation de cette classe d’hommes, et les traitements auxquels ils étaient en butte. On les considérait comme de simples objets mobiliers. On les inventoriait à l’instar des bêtes des champs ou des instruments agricoles. Ils n’avaient aucune existence politique ; on leur refusait les droits du père ou du mari ; ils ne pouvaient professer la même religion que leurs maîtres. On les vendait, battait, torturait, crucifiait ; leur serment n’était pas reçu, et lorsque leur pouvoir grandissant paraissait compromettre ou compromettait la sécurité de l’État, on les massacrait en masse. Même les hommes les plus éclairés et les plus humains partageaient les préjugés populaires à leur égard. Aristote et Cicéron voyaient dans l’esclavage une institution divine ; il y avait, d’après eux, des races inférieures destinées à servir des races supérieures, et Cicéron croit devoir excuser Atticus attristé par la mort de l’un de ses esclavesp. Caton conseillait de faire travailler les esclaves à force, jusqu’à ce qu’ils en mourussent, afin qu’ils ne devinssent pas vieux, c’est-à-dire inutiles. Pour lui, les esclaves n’étaient que des bêtes de somme. C’est aussi lui qui engageait les maîtres à semer la division entre eux, pour les empêcher de conspirer ensemble. Et Columelle déclare, que plus ils sont intelligents, plus il devient nécessaire de les mettre aux fersq.
p – Voy. cependant la lettre de Cicéron à Tiron, et Church, Roman Life in the days of Cicero, 261-265.
q – E. G. Clarke, Early Christianity and Class Influence dans la Contemp. Review, déc. 1882 ; Dict. Christ. Antiq., p. 1902 ; Wordsworth, Church Hist., p. 333.
Le christianisme, en annonçant la bonne nouvelle que le Christ était mort pour tous les hommes, et qu’en Lui il n’y avait ni esclave, ni libre, mit la cognée à la racine de l’arbre pourri de l’esclavage. Cependant il fallut du temps à l’Église pour employer cette cognée, et même pour comprendre que son devoir était de le faire. Peut-être, du reste, n’était-il pas possible, dans le monde romain d’alors, de faire autre chose que d’alléger le joug de la servitude, et de recevoir comme un frère l’esclave devenu chrétien. L’apôtre Paul appelle l’esclave fugitif Onésime « un frère bien-aimé dans le Seigneur » (Philémon 1.16) ; et Clément d’Alexandrie montre les fruits, parmi les chrétiens, de l’enseignement contenu dans ces paroles. « Nous devons, dit-il, traiter les esclaves comme nous voudrions qu’on nous traitât. Ils sont des hommes comme nous, et le Dieu de l’esclave est le même que celui de l’homme libre. Nous ne devons donc pas les punir, mais leur faire des reproches, quand ils manquent à leurs devoirs. » On pense que les épitaphes des catacombes, par leur silence même, montrent la tendance de l’Église à ne pas faire de distinction entre l’esclave et l’homme libre. En effet, tandis que les tombes païennes portent fréquemment des indications sur la condition du décédé, on n’a trouvé, sur les tombes chrétiennes, aucune distinction de ce genre.
§ III. Le serment. — Le serment est expressément défendu dans le Nouveau Testament. Rien de plus positif à cet égard que les paroles de notre Seigneur dans le Sermon sur la montagne. L’apôtre Jacques n’est pas moins énergique (Matthieu 5.34-37 ; Jacques 5.12). Il n’est pas douteux que notre Seigneur ait eu en vue les serments solennels permis par la loi de Moïse. On a imaginé, il est vrai, que Jésus-Christ voulait parler des serments profanes. Mais cette supposition ne tient pas lorsqu’on lit : « Mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras déclaré par serment, » et cette conclusion est encore confirmée par ces mots : « Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin. »
[Un contemporain, homme d’État éminent, a dit à ce sujet : Il n’y a probablement rien dans le Nouveau Testament, qui soit plus positivement condamné et interdit que le serment. L’usage de prêter serment pour maintenir la vérité d’une affirmation fait de la vérité et de la véracité deux choses distinctes. Si le serment a quelque valeur, dans la mesure même ou il confirme la vérité, il diminue celle de toute autre affirmation et la probabilité de sa vérité. J’estime que demander ou prêter le serment a plus contribué que tout autre chose à compromettre et a détruire le respect de la vérité. John Bright, Lettre au Daily News. — W. R. W. Stephens exprime la même idée à peu près dans les mêmes termes, dans une lettre à la Pall Mall Gazette. Pour prouver combien est immorale cette idée qu’il peut y avoir deux sortes de vérité, il invoque le moyen âge. « Personne, dit-il, ne peut lire l’histoire du moyen âge sans être frappé de l’extraordinaire et honteux mépris de la véracité qui y régnait. Et pourtant, on rencontre en même temps les idées les plus élevées sur la sainteté du serment. Non certes que violer son serment fût alors le moins du monde rare. Mais cette contradiction avait pour source, non pas une trop faible idée du péché commis par celui qui prêtait un faux serment, mais plutôt l’habileté excessive avec laquelle le système religieux du moyen âge avait imaginé soit des moyens casuistiques de se dérober à l’obéissance exacte au serment, soit des atténuations en faveur de celui qui y manquait. » Cette lettre a été réimprimée dans son Memoir of Lord Hatherley, II, 17, note.]
Les anciens écrivains ecclésiastiques condamnent non seulement le serment militaire, mais encore toute espèce de serment. Nous avons déjà indiqué l’opinion de Clément. Il la développe dans un autre endroit. « Celui qui possède, dit-il, la connaissance de la vérité, ne veut pas jurer ; il affirme par un oui, ou nie par un non. Et pour ceux qui paraîtraient, malgré cela, ne pas être absolument convaincus de ce qu’il avance, il ajoute : je le dis en vérité. » Faisant ensuite allusion aux chrétiens qui se permettaient de prêter serment dans certains cas, il dit : « Il me semble que la vie d’un chrétien devrait être telle qu’elle inspirât la confiance à tous ceux du dehors, au point de rendre nos serments inutiles. D’ailleurs, pourquoi un serment ? Pour affirmer qu’on dit la vérité… Mais n’est-ce pas justement lorsqu’on dit la vérité, que le serment n’est plus nécessaire ? … Jésus-Christ a donné le résumé de ce qui est juste en disant : que votre oui soit oui ; que votre non soit nonr. » Justin-Martyr n’est pas moins positif : « En ce qui concerne la défense de jurer et l’obligation de dire toujours la vérité, voici l’ordre de Christ : « Ne jurez point du tout ; que votre oui soit oui ; que votre non soit non. Tout ce que l’on dit de plus vient du malin. » Et Tertullien dit quelque part : « Je ne parle point du parjure, puisque tout serment nous est interdit. »
r – Strom., liv. VII, ch. 8, 11.
On raconte le fait suivant relatif à un certain Basilides, catéchumène d’Origène, et officier dans l’armée de Septime Sévère en l’an 202. Chargé de conduire au supplice une jeune fille nommée Potamiæna, il fut touché à la vue de ses souffrances, reçut l’Évangile et se déclara prêt à obéir aux préceptes de Christ, même en ce qui concernait le serment militaire. Peu après, l’occasion de prêter le serment s’étant présentée, il déclara que, comme chrétien, il ne lui était point licite de le faire. Mis en prison, il n’en persista pas moins dans son refus et périt décapités.
s – Eusèbe, H. E., liv. VI, ch. 5.
Quelques-uns des écrivains des siècles suivants, Lactance, Athanase, Chrysostome, Épiphane, Jérôme, Ambroise et autres, condamnent le serment en termes énergiques. Grégoire de Nazianze fait vœu à son baptême, de ne jamais prêter sermentt. Chrysostome revient souvent sur ce point. Voici ce qu’il dit, par exemple, au sujet de Matthieu 5.33-34 : « Évitez toute espèce de serment. Il n’est permis de jurer ni dans une cause bonne, ni dans une mauvaise. Les lèvres d’un chrétien doivent rester pures de tout serment… Le serment est un piège de Satan… Lorsque Jésus-Christ a dit : tout ce qu’on dit de plus vient du malin, il n’a pas voulu dire que la loi ancienne procédait du diable, mais qu’il voulait, lui, Christ, arracher d’une manière plus puissante les hommes à l’ancien état de corruption. » Épiphane dit de son côté : « Il n’est pas bon de jurer par le Seigneur ou d’employer n’importe quelle autre formule, car on jure toujours par le diable. » Et Jérôme : « Ne jurez point du tout. Si les Juifs ont été autorisés à jurer par le nom de Dieu, ce n’est pas parce qu’il était juste en soi de le faire, mais parce qu’il valait mieux qu’ils jurassent par son nom que par celui des démons. L’Évangile n’admet aucune espèce de serment. Chaque parole d’un chrétien doit le lier autant qu’un serment le ferait. »
t – Ullmann, Life of Greg. Naz., trad. par Cox, p. 49, note.
Il est bien difficile de voir comment un homme non prévenu pourrait, le Nouveau Testament à la main, arriver à d’autres conclusions. Cependant la coutume l’a parfois emporté sur la vérité. Tertullien, dont nous venons de citer une affirmation positive, n’en dit pas moins ailleurs : « Si nous ne jurons point par le génie des empereurs, nous jurons par leur vie, plus auguste que tous les génies qui ne sont que des démons. » De même, Origène : « Nous ne voulons point jurer par la fortune de César, ou par quoi que ce soit d’autre, qui puisse être considéré comme équivalent à Dieu. » Enfin, Athanase, cité devant Constantin, demande que le serment soit requis de ses accusateursu.
u – Tertullien, Apol., 32 ; Origène, Contre Celse, liv. VIII, ch. 45 ; Dict. Christ. Antiq., art. Oaths.
Insensiblement ce côté de la religion chrétienne fut perdu de vue, et l’usage du serment s’introduisit dans l’Église.