Histoire de la restauration du protestantisme en France

7. Lettre d’un curé du Poitou à Maurepas (1729)

Décembre 1729.

Monseigneur, je ne dois pas me rebuter à informer votre éminance de l’opiniastreté de plus de deux mille religionnaires mutins à désobéir à l’authorité royalle, qui absolument ne veullent pas enuoyer leurs enfants au catéchisme, crainte qu’on les oblige de se confesser et faire leur première communion. J’ay pris la liberté, dès le 27 du passé, de mettre sous vos yeux l’indépendance de ce peuple hérétique et rebelle, puisque M. Joly de Fleury fera voir à votre éminance les appels que j’ay eu l’honneur de lui envoyer, et que mes parroissiens ont ozé faire pour ne point faire instruire leurs enfants au nombre de près de mille dans la religion catholique apostolique et romaine ; le tout pour perpétuer leur indépendance et se voir en estat un jour de former une sédition contre l’aymable Roy qui nous gouuerne, puisqu’ils font journellement des cabales publiques pour entr’eux faire des assemblées nombreuses toutefois secrettes, pour fouler entièrement aux pieds toutes les loix de l’Église, jusqu’à n’y pas venir escouter la parolle de Dieu annoncée par des missionnaires choisis exprès pour leur conversion. Comme voilà le saint temps de l’Auent passé, où je n’ay laissé écouler aucun jour sans travailler à défricher la vigne du Seigneur, sans produire aucun fruit, craignant qu’il n’en arriue autant ce Garesme, j’ay recours sans retardement à votre éminance, à la supplier d’envoyer de nouveaux ordres au juge subalterne du lieu ou royaux qui sont de Poictiers et d’Angoumois de contraindre ces religionnaires d’envoyer, sous de grosses peines, de conduire au son de la cloche, leurs enfants à l’Église, puisque ces mêmes juges ne veullent plus condamner, voyant leur sentance sans aucun effet et suiuie d’un appel qui n’a point de parties pour soutenir et deffendre les édits de Sa Majesté. J’ose donc demander à votre éminance de faire mettre aux hôpitaux ou ailleurs un certain nombre de filles, enfants, aux dépents du Roy, puisqu’ils ne sont pas tout à fait en estat de payer pension. Je payerais moy-même volontiers quelques pensions, ce qui produirait de grands fruits, mais à peine ay ie de quoi subsister.

Comme ce peuple est si inflexible dans son opiniastreté, ils deffendent de nous appeler dans leurs maladies les plus dangereuses. C’est ainsy qu’ils meurent et se damnent, pendant qu’un grand nombre se sauueraient, si nous les voyons à l’extrémité. Mais ils ne nous appelleront jamais qu’ils n’y soient contraints par leurs propres parants ou domestiques présents. Car, à présent, tout fuit de chez un huguenot malade, lorsque nous l’allons voir, et cela afin de n’estre pas obligé de témoigner.

Encore une fois, Monseigneur, c’est la forte passion que j’ay de gagner des ames à Dieu qui me font prendre la liberté d’avoir recours à votre éminance pour exterminer cette maudite hydre, qui fait tant de ravages dans ce lieu. Au renouvellement de l’année, je prent la sainte hardiesse d’offrir toute sorte d’heureux souhaits à votre éminance, qu’elle soit remplie de bénédictions ; pour preuue de mon obéissance respectueuse, je désire la conseruation de votre éminance jusqu’à la fin de ce siècle, avec le souuenir éternel de votre sainteté au milieu des bienheureux.

J’ai l’honneur d’estre à votre éminance, Monseigneur, le plus humble et le plus obéissant et fidelle de vos serviteurs.

Degennes,

Curé de Villefagnan, diocèse de Poictiers,
généralité d’Angoulesme, route de Bordeaux.

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