Élie le Tishbite

19.
Le recours au dieu d’Ekron

Israël, ne m’oublie pas ! Ainsi parle l’Eternel à son peuple. (Ésaïe 44.21) Avez-vous jamais entendu un langage plus saisissant et plus tendre ? C’est la prière d’un ami délaissé ; c’est la prière que le Dieu d’amour, le Sauveur des pauvres pécheurs, adresse à ses ingrates créatures, et qu’il n’a, hélas ! que trop de raisons de leur adresser. Car, s’il y a sur la terre quelqu’un d’oublié et de méconnu, c’est à coup sûr le Rédempteur des hommes. Tout semble conspirer à effacer son souvenir de nos cœurs ; le monde le rejette en l’accusant de troubler ses joies ; la science daigne à peine s’enquérir sérieusement de lui ; l’art voue à d’autres divinités ses couleurs et ses sons, et la plupart des livres qui parcourent le monde ne semblent-ils pas s’écrier, sans que le chant du coq les trouble : Je ne connais point cet homme là ? L’Eglise même, l’Eglise appelée de son nom, le renie ouvertement en beaucoup de contrées ; un grand nombre le renient par leur conduite, et nous, mes frères, ne le renions nous peut-être pas, par notre incrédulité ou par notre tiédeur ? Et que nous a-t-il fait, cet Ami céleste, pour que nous l’oubliions ainsi ? Voyez mes frères, il se tient devant vous, l’homme de douleur qui n’a point eu son pareil, le sang coule de sa tête couronnée d’épines, et tous ses membres ne sont qu’une plaie. Vous savez pourquoi tout ce sang et toutes ces douleurs. Il n’a pas toujours été ainsi, souffrant et méprisé. Il fut grand et riche, puissant et glorieux comme Dieu, et il se suffisait pleinement à lui-même. Mais, ô miracle de charité ! la flamme du sacrifice s’est allumée dans son cœur, l’amour pour un monde perdu l’a embrasé et l’a fait renoncer en quelque sorte à son indépendance, pour ne plus être qu’une partie d’un tout, que la tête de l’Eglise qui est son corps et qui l’accomplit ! Il s’est fait notre frère, à nous, misérables créatures ; pour nous rendre participants de sa magnificence, il a participé lui-même à nos misères ; pour nous unir à lui dans sa gloire, il s’est lui-même uni à nous dans notre mort ; il s’est fait imputer nos péchés afin de nous imputer ses vertus ; il s’est fait briser sous le poids de la malédiction qui nous était réservée, afin de nous introduire dans la jouissance de ses privilèges. Voyez, c’est là ce qu’il a fait pour nous. Que vous en semble ? Est-ce trop à lui que de vous demander de ne le point oublier ? Et il vous le demande, c’est une prière qu’il vous adresse ! Oh ! si à tant d’amour, nos cœurs ne sont pas touchés, quand et comment le seront-ils ?

Ne m’oublie pas ! C’est à chacun de nous que s’adresse cet appel. Puisse-t-il trouver des oreilles et des cœurs ouverts ! Vous L’avez connu, mon frère, mais vous vous êtes détourné de lui, et avez échangé le pain du ciel que vous receviez de ses mains, contre la misérable nourriture de ce monde ; et aujourd’hui il se présente à vous, et son regard vous dit : M’as-tu donc oublié ? — Vous, mon frère, qu’il a si fidèlement gardé dès votre jeunesse, vous ne vous souvenez plus de toutes ses délivrances ; mais sa mémoire est plus fidèle que la vôtre ; il vous aime toujours et vous dit aujourd’hui : M’as-tu donc oublié ? — Vous tous, qui que vous soyez, entendez la voix de votre Dieu qui vient à votre rencontre, et qui vous prie et vous dit : Ne m’oubliez pas.

Puisse la méditation d’aujourd’hui vous dévoiler le sens de cette prière de Dieu, et la graver surtout en traits ineffaçables dans vos cœurs !

2 Rois 1.2-4

2 Achazia tomba par le treillis de sa chambre haute, à Samarie, et il en fut malade, et il envoya des députés, auxquels il dit : « Allez consulter Bahal Zebud, dieu d’Ekron, si je relèverai de cette maladie. » 3 Mais l’Ange de l’Eternel parla à Élie Tishbite, et lui dit : « Lève-toi, monte au devant des députés du roi de Samarie, et dis-leur : N’y a-t-il point de Dieu en Israël que vous alliez consulter Bahal Zebud, dieu d’Ekron ? 4 C’est pourquoi ainsi a dit l’Eternel : Tu ne descendras point du lit sur lequel tu es monté, mais tu mourras certainement. » Et Élie s’en alla.

Le recours à Ekron, la jalousie de l’Eternel, Jésus seul, tels sont les titres que nous pouvons donner aux trois parties de notre discours. Veuille le Seigneur l’accompagner de sa bénédiction !

I

Israël a changé de roi. Achab est tombé sous la main du Très-Haut, et Achazia son fils lui a succédé sur le trône ; homme méchant, qui, ainsi que nous l’apprend l’Ecriture, fit ce qui déplaît au Seigneur, et qui comme son père servit Bahal et irrita l’Eternel. Le Tout-Puissant ne pouvait donc déposer le glaive de la vengeance. Le premier coup qui frappa Achazia, fut la défection des Moabites, qui, dès longtemps tributaires des rois d’Israël, reconquirent leur indépendance par une révolte. Une autre épreuve fut celle qui est racontée dans les paroles de notre texte. Un jour qu’il était sur un balcon du palais, la balustrade sur laquelle il s’appuyait se brisa tout à coup ; il tomba et fut grièvement blessé. Le terme de « chambre haute » ou plutôt de « salle » dont se sert l’historien sacré, nous permet de supposer que cet accident eut lieu pendant quelque grande fête. Et n’est-ce pas souvent au milieu de leurs égarements et de leurs joies, que Dieu visite les hommes légers ? N’avez-vous pas quelquefois entendu parler d’hommes frappés de mort ou de maladies graves, ou de quelqu’autre malheur, au milieu des danses, au théâtre, la coupe de l’ivresse à la main, ou le blasphème sur les lèvres ? L’intention de Dieu acquiert alors une saisissante évidence, la légèreté de l’homme met en saillie le sérieux du Souverain Juge, et l’indignation du Seigneur contre les vanités du monde frappe nos oreilles comme d’un cri pénétrant et solennel.

Achazia est donc là frappé de Dieu. Mais hélas, son lit de douleur, semblable en cela à beaucoup d’autres, bien loin de nous offrir quelque sujet de joie, ne fait que nous donner une nouvelle preuve que les souffrances les plus aiguës du corps ou de l’âme ne sont point assez acérées pour pénétrer jusques au cœur de pierre de l’homme pécheur, et que la puissance qui convertit se trouve uniquement dans la miséricorde de Dieu et dans l’efficace victorieuse de sa grâce. Achazia avait vu et entendu au temps de son père, bien des choses qui étaient faites, humainement parlant, pour le conduire à la repentance et lui enseigner quelle est la justice et la colère du Tout-Puissant. Mais à voir sa conduite toute païenne, on dirait que les miracles d’Élie, que la mort même de son père, ont passé devant lui comme les visions d’un vain songe. Il ne s’humilie point devant le Dieu vivant, son cœur est aux idoles et il envoie consulter Bahal Zebud à Ekron.

Il y avait un oracle dans cette ville des Philistins ; le faux dieu qu’on y adorait était Bahal Zebud, c’est-à-dire le Dieu des mouches, nom tiré probablement des mouches qui dévastaient ces contrées, et dont on attribuait la présence ou l’éloignement à la colère ou à la faveur de cette idole. Les prêtres de ce Dieu prétendaient révéler l’avenir à ceux qui venaient le consulter, et la confiance dont ils jouissaient attirait à Ekron de nombreux pèlerins. Ces prédictions et ces prodiges étaient certainement autre chose que de trompeuses apparences, ou que le résultat de la fraude des prêtres ; il y avait là quelque chose de réel, de diabolique, certains effets de cette puissance du démon, sans laquelle le paganisme tout entier n’aurait pu subsister un demi-siècle. Aux derniers temps, lorsque l’Antéchrist aura perdu cette bataille décisive que lui annonce la parole de Dieu, on verra bien que c’était lui qui avait créé et qui soutenait le culte des idoles, et que c’était dans ce pouvoir de faire des prodiges que cet édifice de ténèbres avait son principal appui. Dès que le paganisme sera dépouillé de cette magie satanique, les fils du désert sentiront comme des écailles tomber de leurs yeux ; ils s’étonneront d’avoir pu s’attacher pendant des milliers d’années à ce qui n’est que néant, et de l’Orient et de l’Occident, ils viendront adorer avec nous en Sion. — Ce fut donc vers Bahal Zebud et son oracle que se dirigea la première pensée d’Achazia. Il rassemble ses serviteurs autour de son lit, pour commettre par eux un des plus grands crimes qui se pût commettre en Israël. « Allez moi, » leur dit-il sans rougir, « et interrogez pour moi Bahal Zebud, le Dieu d’Ekron, pour savoir si je guérirai ou non de cette maladie, »

La conduite d’Achazia ne peut guère, sous sa forme matérielle, se renouveler de nos jours. Il n’y a plus au milieu de nous d’idoles de bois ou de pierre, et pour consulter le diable, il faudrait y croire, ce dont est bien gardé un siècle aussi éclairé que le nôtre. Et cependant, considéré de près, ce siècle éminemment philosophique est encore tout rempli de ce levain du paganisme, qui seulement a pris une forme un peu moins grossière, et l’expérience nous apprend que l’incrédulité à la parole prophétique ne fait que jeter les hommes dans les bras de la superstition. Car le pressentiment d’un monde invisible et le besoin d’y pénétrer sont gravés en traits ineffaçables dans tout cœur d’homme. Mais si l’on regarde comme au dessous de soi de soumettre ce pressentiment aux déclarations de l’Ecriture, et de rechercher dans la révélation divine la satisfaction de ce besoin, on est inévitablement entraîné vers le règne des ténèbres et du mensonge. Ainsi, au lieu des oracles d’Ekron et d’Endor, nous avons aujourd’hui des somnambules ; au lieu du trépied de Delphes et du murmure de feuilles des Dodone, nous avons, si ce n’est des tireuses de cartes et des diseurs de bonne aventure, dont le nombre est plus grand parmi le peuple qu’on ne l’imagine, tout au moins des avertissements, des signes, des rêves auxquels on se confie comme aux oracles des fausses divinités païennes, et dont on fait bien souvent, hélas ! dépendre le repos de toute sa vie. Les anciens mystères du paganisme sont remplacés par une foule de vaines associations secrètes où des milliers de personnes cherchent les lumières qu’elles ne veulent pas recevoir de la main du Dieu vivant ; et pendant qu’on sourit de pitié sur les enchanteurs de l’antiquité et sur leurs artifices, on ne dédaigne pas de recourir à toutes sortes d’amulettes auxquelles la foi populaire attribue des vertus mystérieuses, à des prières dénuées de sens, pour ne rien dire de plus, et par là même blasphématoires, à de prétendues cures sympathiques. Ou bien, voyez cette mère dont l’enfant est malade et qui s’irrite contre son médecin qui, craignant que la maladie ne soit mortelle, lui répond : » Il faudrait un miracle pour le sauver. » « Un miracle ! dit-elle ; c’est de votre science que j’attends sa guérison. » Elle met en l’homme seul sa confiance, et n’est-ce pas là ce que fit Achazia ? N’est-ce pas là courir à Ekron ? Et combien hélas ! au milieu de nous, de ces adultères spirituels ! Combien de personnes qui ne peuvent pas se persuader qu’il y ait réellement quelque délivrance à attendre du Dieu de Jacob, et qui ne connaissent dans leurs besoins et leurs afflictions d’autre aide que la chétive créature humaine qui n’est que poudre et terre. Mais malheur à l’homme qui met sa confiance en l’homme et qui de la chair fait son bras ! Malheur à ceux qui rendent aux idoles l’honneur dû à Dieu seul ! Nous verrons, par la suite de notre histoire, que Celui qui juge les pensées et les intentions du cœur, ne saurait le voir avec indifférence.

II

Achazia avait envoyé à Ekron interroger Bahal Zébud ; mais ce n’est point l’idole qui lui répond. Les messagers étaient déjà en chemin, lorsque l’ange de Jehovah vint à Élie le Tishbite, et lui dit : « Lève-toi et vas au devant des messagers du roi de Samarie, et dis-leur : N’y a-t-il donc point de Dieu en Israël, que vous alliez consulter Bahal Zebud, le Dieu d’Ekron ? C’est pourquoi ainsi a dit le Seigneur : Tu ne descendras pas du lit sur lequel tu es monté, mais tu mourras très certainement. » — Quel est cet ange de Jehovah qui vint à Élie ? c’est Christ. Oui, mes frères, c’est Emmanuel ; car c’était lui qui avait le plus de raisons de se plaindre d’Achazia ; lui qui voulait être le Dieu de l’humanité et vivre tout entier pour les hommes et parmi les hommes ; lui qui avait tout fait pour gagner le cœur de ses créatures pécheresses, et pour les contraindre à l’aimer. Il avait dès les premiers temps comblé son Israël des témoignages de son amour ; il avait prouvé déjà aux patriarches par des faits, combien « son plaisir était avec les enfants des hommes, » et son peuple savait qu’il était prêt à l’aider de ses conseils, non seulement par le pectoral du grand prêtre, mais aussi d’une manière immédiate, en tout lieu et en toute circonstance. Et néanmoins, ils ne veulent pas venir à lui et préfèrent courir à Ekron vers les idoles ! N’était-ce pas une révoltante ingratitude, et n’y avait-il pas là de quoi émouvoir, irriter Emmanuel ? Aussi parut-il en personne pour s’en plaindre, et il fit dire aux messagers d’Achazia : « N’y a-t-il donc point de Dieu en Israël que vous alliez consulter Bahal Zebud, le Dieu d’Ekron ? »

Plusieurs d’entre vous auront quelque peine à se persuader, que cet ange de Dieu qui parle à Élie comme les enfants des hommes ont coutume de parler, soit réellement l’Eternel. Et pour dire vrai, on ne peut le croire que lorsqu’on a appris à connaître Jehovah sous sa forme de serviteur et dans son état de complet anéantissement, dans la crèche et sur la croix, et que l’on a compris de quel amour il a dû nous aimer pour devenir le dernier des hommes, le méprisé et le rejeté du peuple, l’Agneau immolé de Dieu, afin de nous racheter et de nous glorifier. Qui a suivi Emmanuel dans ces abîmes d’humiliation, ne s’étonnera plus de le voir, sous l’ancienne alliance, apparaître aux hommes sous la forme d’un ange et leur parler en homme.

Que personne non plus ne se scandalise de voir le grand Dieu s’irriter comme le ferait l’homme, de ce qu’Achazia a couru à Ekron. Il est un Dieu humain, grâces en soient rendues à son ineffable miséricorde. Oui, mes frères, ce n’est pas dans les cieux et sur son trône qu’il est le plus grand à nos yeux. Sa plus grande gloire et son plus haut triomphe, c’est de s’être revêtu de notre chair mortelle. Amour immense, qui fait qu’il ne peut voir avec indifférence les sentiments dont nous sommes animés à son égard ! Il veut être aimé des siens, et c’est avec une sainte jalousie qu’il veille sur nos affections, car il veut les posséder sans partage. Oh ! donnez lui votre cœur tout entier ; il ne souffre pas de rivaux, et dût-il paraître dur envers vous, qu’il aime comme la prunelle de son œil, il viendra avec la verge et vous châtiera : « Ephraïm, qu’ai-je plus affaire avec les idoles ! » ou bien, il vous ôtera violemment les objets qui remplissent votre cœur, car il veut le posséder tout entier, et quelles joies n’y a-t-il pas à n’aimer que lui, lui qui est le seul digne de tout notre amour !

III

Le Dieu qui nous demande un amour sans partage, et ne veut pas non plus que notre paix, notre confiance et notre force reposent ailleurs qu’en lui, Emmanuel veut nous être tout en tout. Que signifie cela ? me demanderez-vous. Je profiterai avec joie de cette occasion pour vous entretenir avec quelque détail de cette grande vérité. — Vous connaissez la bénédiction que Moïse mourant prononça sur Lévi : « Que ta lumière (Urim) et ta justice (Tumim) soient et demeurent à ton saint homme » (Deutéronome 33.8). Dans ces paroles, se trouve comme cachée la réponse à votre question. L’œil éclairé du prophète voit en Lévi la race élue de tous les rachetés ; sous cette dénomination : ton saint homme, il entend moins Aaron lui-même que Christ, le véritable souverain sacrificateur, dont Aaron n’était que le type, et enfin par ces mots : tes urims et tummims, il a moins devant les yeux cet ornement du grand prêtre, que les choses elles-mêmes, relatives à Christ, que figurait ce symbole. « Que ton Urim et ton Tummim demeurent à ton saint homme, » c’était, dans la pensée prophétique de Moïse, dire : « Tout ce que cet ornement sacré préfigure, ne peut se trouver que chez le Saint par excellence et ne doit être cherché qu’auprès de lui, auprès du Christ ?

Le souverain sacrificateur portait sur la poitrine, et d’après l’ordre de l’Eternel (Exode 28.6-12), lorsqu’il entrait dans le temple pour y remplir son office, une pièce d’étoffe brodée, de forme carrée, et sur laquelle brillaient, enchassées dans de l’or, douze pierres précieuses (Urim et Tummim, lumières et perfection), où se trouvaient gravés les noms des douze enfants d’Israël. Ce pectoral formait une partie essentielle des ornements du grand prêtre, et constituait la marque distinctive de sa dignité pontificale. Quand donc Moïse disait : « Que tes Urim et Tummim demeurent à ton Saint, » le premier sens était : « N’enlève pas au Saint la souveraine sacrificature, laisse la reposer sur lui ? » Non pas sans doute que Christ puisse cesser de représenter tel ou tel de ses enfants devant Dieu, et lui retirer son intercession sacerdotale. Mais nous pouvons perdre le sentiment, la conscience de sa médiation ; nous pouvons, dans un certain sens, dépouiller Christ de la souveraine sacrificature pour la prendre sur nous, et c’est contre cela que Moïse nous met en garde. Or, voici comment cela peut arriver. Je m’adresse à ceux de vous qui sont attirés à Dieu par son Esprit. Trop souvent, vous vous êtes laissé vaincre par la faiblesse de la chair, et entraîner contre votre volonté à de nouvelles chutes. Vous vous en êtes attristés, et malheur à celui que n’affligerait pas profondément la pensée d’avoir été à l’encontre de la volonté sainte d’un Dieu mort pour lui ! Mais peut-être vos larmes ont été moins celles d’un enfant bien aimé que d’un serviteur tremblant de crainte. Vous vous êtes laissé dépouiller de votre paix intérieure ; votre réconciliation avec Dieu vous semble troublée, détruite même ; votre crainte servile vous fait voir sur le front du Très-Haut les nuages d’un sombre courroux, et vous redoutez sinon une réprobation éternelle, tout au moins un mécontentement plus ou moins long de la part de ce Dieu que vous avez offensé. Dès lors, vous ne vous sentez plus en sûreté près de lui, vous vous attendez à voir éclater sur vous à chaque instant quelque sévère châtiment. Vous cherchez à vous justifier ; vous assurez au Seigneur que vous n’avez pas péché volontairement, et vous dites vrai ; vous formez toutes sortes de vœux, vous multipliez les promesses, et vous n’osez point espérer de rentrer en grâce auprès de Dieu avant que d’avoir manifesté par des œuvres la sincérité de votre repentance. N’est-ce pas là, mes chers frères, ce que vous avez éprouvé plus d’une fois ? Il y a sans contredit dans ces sentiments quelque chose de bon et de louable, mais aussi quelque chose de tout-à-fait faux et mauvais. Car c’est là enlever à Jésus-Christ la souveraine sacrificature, pour vouloir être nos propres sacrificateurs et faire nous-mêmes l’expiation de nos péchés. — Non, non, mon cher frère, « que ta lumière et ta justice demeurent à ton saint homme. » Si tu viens à broncher, regarde en haut, à travers les larmes qui mouillent ta paupière. C’est là qu’est ton grand prêtre. Ne crois pas que cette faute involontaire ait changé les rapports que Christ a établis entre Dieu et toi ; non, car c’est pour cette faute aussi qu’Emmanuel a versé son sang c’est pour cette faute aussi qu’il élève vers son Père ses mains percées. Dieu ne pense point à t’imputer ton infidélité ; elle ne l’a point irrité contre un enfant chéri qu’il ne contemple qu’en Christ et en sa parfaite obéissance. Que cette pensée donc soit la première qui se présente à ton âme et qui en dissipe l’angoisse, toutes les fois qu’il t’arrivera de pécher contre ta volonté ; alors aux larmes d’une juste douleur, se mêleront celles de la reconnaissance la plus vive, de l’amour le plus tendre pour Celui qui a tant aimé, et ces larmes, comme une douce et bienfaisante rosée, feront renaître en toi la paix et la joie, tu apprendras en même temps à détester le péché, à chérir la volonté de ton Dieu. — Ainsi donc, tu l’entends, s’il est accordé à l’ennemi de te faire commettre quelqu’infidélité, laisse reposer le pectoral sur la poitrine de Jésus. C’est là qu’il doit être et non sur la tienne. « Que tes Urim et Tummim demeurent à ton saint homme. »

Nulles plaintes ne sont plus fréquentes parmi les croyants que celles qui ont pour objet la pauvreté de leurs prières et de leurs actions de grâces ; et ce sentiment de leurs misères spirituelles leur fait craindre de n’être pas exaucés. Insensés qu’ils sont, d’avoir ainsi envie de prendre sur leur propre poitrine les Urim et Tummim du grand prêtre ! Vous voulez donc offrir vous-mêmes à Dieu l’encens des parfums, et acquérir sa faveur par l’onction de vos prières ! Mais ne connaissez-vous pas le grand Intercesseur, qui se tient jour et nuit devant Dieu pour recevoir les prières faibles et imparfaites qui montent à lui depuis la terre, et pour les présenter à son Père, rendues parfaites par son intercession ! Et ne savez-vous pas que le sang de Christ, que ses souffrances et sa mort, que son obéissance et sa justice, que la somme entière de ses mérites prient avec vous ! O souviens t’en donc, racheté du Sauveur, lorsque tu ne peux que balbutier quelques paroles devant Dieu, et que bégayer au pied de son trône. L’homme qui bégaye et balbutie ainsi, lui est aussi cher que son Fils unique ; ta voix, toute faible qu’elle soit, lui est encore plus douce que celle du nourrisson aux oreilles de la plus tendre mère ; il prévient même tes prières. Ne te mets pas à genoux sans te dire que le sacrificateur prie avec toi et pour toi, et que tu pries dans l’ornement de sa justice. Ce sentiment répandra sur tes supplications une abondante onction et t’apprendra la prière à laquelle est promis l’exaucement. Que Jésus donc soit aussi ta prière ; « que ta lumière et ta justice demeurent à ton saint homme. »

Sur le pectoral brillaient douze pierres précieuses, placées les unes à côté des autres sur trois rangs, et portant comme type de l’Israël selon l’esprit, les noms des douze fils de Jacob, des douze chefs des tribus juives. Ces noms, tout illuminés par l’éclat des pierres précieuses sur lesquelles ils étaient gravés, nageaient dans une mer de lumière qui éblouissait les regards, et qui était le symbole de la gloire et de la beauté que les enfants de Dieu doivent posséder en Celui qui est leur véritable et éternel souverain sacrificateur. C’est donc en Jésus-Christ seul que nous devons chercher notre beauté, notre sainteté, et c’était encore ce que Moïse voulait dire par ces paroles qu’il adressait à Lévi : « Ne détachez pas votre sainteté du Saint par excellence, laissez la reposer sur lui. » Hélas, de combien de manières ne viole-t-on pas parmi les chrétiens cet important précepte ! Que l’orgueilleux fils de la terre prétende à acquérir une sainteté qui lui soit propre ! nous ne nous en étonnerons pas ; mais devrait-il en être ainsi de Lévi ? Qu’il est triste de voir une foule de chrétiens courir après les vertus comme le chasseur après le gibier, et s’imaginer pouvoir les atteindre toutes les unes après les autres ! Les uns défendent de se marier, ne veulent pas prendre la cène avec les incrédules, disent : « ne touche pas à ceci, ne goûte pas cela, » et s’efforcent de grimper sur je ne sais quel échafaudage de mérites. D’autres prient à certaines heures et en certains endroits, ce sont des saints d’église et de dimanche, des dévots à l’horloge, qui s’endorment avec délices, lorsque le soir, jetant les yeux sur l’ordonnance de leur journée, ils peuvent se dire : tout a été ponctuellement observé. Là, enfin, des rêveurs, après avoir laissé tomber de leurs mains la parole de Dieu, cherchent leur gloire dans des choses tout extérieures, dans la retraite, dans le silence, dans certaines privations ; et ils ne demanderaient pas mieux que d’être tenus dès aujourd’hui pour des saints parfaits et sans taches. Tous ces gens-là recherchent une justice propre ; tous ils s’égarent dans des sentiers de perdition. Tous ont les yeux bandés, et ne connaissent ni la profondeur de leur misère ni la sainteté de Dieu.– « Toute prétention, a dit un auteur, à se sanctifier par soi-même, n’est en réalité que l’étincelle d’une révolte diabolique contre Dieu. » « Si je trouvais, a dit un autre écrivain, que mon âme reposât en quelqu’autre justice qu’en la justice gratuite dont m’a fait don Jésus-Christ, mon sacrificateur, je serais le premier à la condamner. » Sans doute, nous devons désirer ardemment de devenir sans péché ; mais que ce soit uniquement par la grâce et pour la gloire de Dieu, et non par nous et pour nous. Le sentiment de notre misère doit être permanent dans notre âme et s’accroître ; la blessure de notre cœur ne doit jamais se fermer, et ce n’est que dans la justice de Christ que nous devons relever notre front prosterné dans la poudre. La sainteté parfaite de notre répondant, qui par pure grâce est la nôtre : tel est, tel doit être à jamais le fondement de notre espérance. De ce sentiment découlera, comme de sa source, toute véritable vertu, dont le germe est l’humilité, dont l’âme est l’amour, et dont le but est la gloire de Dieu. Que personne donc ne veuille être quelque chose en soi,par soi et pour soi. Disons plutôt avec un de nos chantres chrétiens, : « Si j’avais la sainteté des anges, je déposerais ce beau vêtement, pour ne me revêtir que de Christ ; « et souvenons-nous des paroles de Moïse : « Que ta lumière et ta justice demeurent à ton saint homme. »

Voulait-on en Israël connaître la volonté de Dieu, l’on s’adressait au souverain sacrificateur, qui répondait de la part de l’Eternel au moyen de l’Urim et Tummim. Cette circonstance nous présente la bénédiction de Moïse encore sous un nouveau jour. D’abord, nous devons laisser à notre Sauveur le soin de nous diriger, et ne pas vouloir devenir nous-mêmes nos conseillers. Vous qui dites avec l’âme pleine de soucis : « que mangerons-nous, que boirons-nous, ou de quoi serons-nous vêtus ? » que faites-vous ? Votre sacrificateur est-il mort que vous deviez prendre sur vous le pectoral ? A Dieu ne plaise ! Rejetez sur lui vos soucis et tenez-vous en repos. Il y pourvoira bien. — Ensuite, ne cherchez qu’en Lui seul la « lumière » qui doit éclairer à vos yeux l’avenir. Que les événements présents ne vous trompent ni ne vous inquiètent ; tout arrivera comme il l’a annoncé. Placez-vous sur le faîte sublime de ses prophéties pour voir au loin dans le temps, et vous aurez ainsi un point d’appui inébranlable dans la confusion de l’histoire contemporaine. Vous saurez sur tous les événements du jour tout ce qu’il vous importe de savoir ; vous comprenez le livre des destinées du monde et vous en connaissez la continuation et la fin glorieuse. Perçant à travers l’obscurité du présent, vos regards atteignent à des lointains dorés, à des temps de joie, dont la splendeur teint déjà de ses rayons les nuages qui couvrent maintenant notre horizon. — Enfin, que toute notre sagesse « demeure » en Christ. Tenons-nous fermes à la parole assurée des prophètes, et faisons-le avec d’autant plus de courage et de fidélité, que le père du mensonge redouble ses efforts pour nous chasser de cette forteresse, et nous enlever cet arsenal divin. Loin de nous la philosophie et la fausse science ! loin de nous les rêveurs qui se vantent de nouvelles révélations ! loin de nous les orgueilleux inspirés qui crient : l’Esprit, l’Esprit, tandis qu’il n’y a en eux que tromperie et que chair, et qu’ils osent porter une main profane sur la Parole de Dieu ! « Petits enfants, s’écrient les apôtres, demeurez en Celui que vous avec entendu dès le commencement. O Timothée, garde avec soin ce qui t’a été confié, et fuis les discours profanes et vains. » Oui, Lévi, « que ta lumière et ta justice, que ton conseil, ta science, ta sagesse, demeurent en ton saint homme. »

Nous avons déjà dit que les noms des enfants d’Israël étaient gravés sur les pierres précieuses du pectoral ; c’est ainsi que Christ porte sur lui les noms de ses enfants et met son nom sur eux. Christ est dans un certain sens moi, et moi je suis Lui ; ce n’est pas Christ seul qui est mort, ressuscité, monté au ciel, couronné par Dieu de gloire et d’honneur, mais je le suis en Lui et avec Lui. Mystère sublime et bienheureux, que tous les apôtres ont connu, dont ils se sont tous nourris, et dont tous nous rendent un témoignage assuré ! Voyez saint Paul regardant en haut des yeux de la foi, et contemplant par l’esprit la gloire du Seigneur. C’est Christ qu’il voit, mais Christ portant sur lui le nom de Paul, Christ représentant Paul devant Dieu. Paul, pensait-il donc, Paul ne meurt plus, car il est déjà mort ; Paul est déjà assis dans le ciel, quoiqu’il soit encore sur la terre ; Paul a triomphé de tous ses ennemis, il est déjà élevé dans les demeures éternelles, il brille déjà d’une gloire incorruptible, car la gloire de Christ lui est acquise ; Paul est plein de grâce devant le Tout-Puissant, Paul est en possession de l’amour infini de l’Eternel ; le ciel et la terre sont à lui, tout est à Paul. Ainsi se voyait-il lui-même en Christ glorifié, comme si Christ ne se fût pas appelé Christ mais Paul, et que Paul ne se fût pas appelé Paul, mais Christ ; et c’était ce regard de foi qui lui faisait entonner ce chant de triomphe : « O mort où est ton aiguillon ? ô sépulcre où est ta victoire ? Qui accusera les élus de Dieu ? Qui les condamnera ? » Que si au contraire, nous parlons de mort et de sépulcre, et demandons avec angoisse si nous subsisterons en jugement ; si nous voulons nous préparer nous-mêmes à la mort et au jugement, au lieu de croire que nous avons dès longtemps, dès dix-huit siècles, passé par le jugement ; que faisons-nous d’autre que d’ôter nos noms du pectoral de Christ, pour les replacer sur nous, que d’isoler notre personne de la sienne ? Qu’il n’en soit point ainsi parmi nous, mes frères ! Nous sommes, par une imputation divine, unis à Christ, mis en Christ, et nous devons donc ne nous voir qu’en Christ. C’est pourquoi, ô Lévi de Dieu, prends garde à la parole du prophète : » que ton Urim et ton Tummim demeurent à ton saint homme. »

C’était sur la poitrine, vous le savez, que le souverain sacrificateur portait le resplendissant pectoral avec ses douze noms. Faites-y attention, Lévites de la nouvelle alliance ! C’est sur son cœur que Jésus porte votre nom, sur son cœur transpercé. Ecoutez de sa bouche ce que cela veut dire : « Comme mon Père m’aime, ainsi je vous aime. » Réjouissons-nous donc, mes frères ; s’il veut nous aimer d’un tel amour, pourquoi l’en empêcherions-nous ? Ne nous ôtons pas nous-mêmes de son cœur. Sans doute, il ne nous laissera pas nous dégager de ses bras qui nous pressent contre son cœur, et notre place dans son amour nous est assurée pour l’éternité. Mais nous pouvons perdre le sentiment de cet amour, et combien cela nous arrive facilement et souvent ! Une infidélité involontaire, une sécheresse spirituelle, une prière en apparence non exaucée, un événement contraire à nos désirs, et il n’en faut pas davantage pour que, ingrats que nous sommes, nous répétions avec incrédulité : « le Seigneur m’a abandonné, le Seigneur m’a oublié. » Mais c’est agir en opposition directe au conseil de Moïse. Retenons dans toutes les circonstances, retenons ferme la pensée que Jésus nous aime, et nous conserverons ainsi un cœur paisible, joyeux, exempt de soucis. Accoutumons-nous à nous regarder toujours comme unis par Dieu au grand Médiateur, et remettons à Celui qui porte ainsi nos noms sur son cœur, tout le souci de notre sûreté, de notre sainteté et de notre conservation. Il a reçu du Père la charge de ne perdre aucun de ceux que le Père lui a donnés. Ne nous chargeons donc pas de fardeaux que nous ne sommes point en état de porter. Remettons tout ce qui nous concerne à Celui qui est notre divin berger, notre caution et notre représentant, et appuyés sur lui seul, poursuivons gaiement notre route. C’est ce qu’il attend et exige de nous, et ainsi s’accomplit la bénédiction du prophète : « que ta lumière et ta justice demeurent à ton saint homme. »

Mes frères, s’il est vrai que Jésus-Christ a été fait pour nous, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption, un simple regard jeté vers un autre que lui, est une honteuse ingratitude, et la plus légère prétention à être hors de lui saint ou sage, juste ou fort, un outrage à l’Eternel. — Maudits soient donc les recours à Endor et à Ekron ! que les pieds manquent et chancellent à ceux qui se trouveront sur cette voie ! Il y a un Dieu en Israël, qui est là, offrant aux pécheurs, aux derniers des pécheurs, des trésors infinis de justice, de délivrances et de joies. A quel autre que lui donnerons-nous notre cœur, notre amour, notre confiance ? à quel autre nous donnerons-nous tout entiers ? O Lévi, fonds en larmes de joie devant le roi, et écris en lettres de feu sur ta bannière : « que ton Urim et ton Tummim demeurent — oui demeurent à ton saint homme ! » Amen.

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