La conception précédente ne devait pas tarder à se détruire elle-même. En effet, si le trompeur a été trompé, la transaction n’est plus loyale et, n’étant plus loyale, elle n’est plus légale. Dieu en dernière analyse, se joue de Satan. Dieu ne peut le faire que si, loin d’être un créancier légitime, le Diable n’est qu’un brigand, un usurpateur, auquel au fond nulle rançon légale n’est due. Dès lors à qui le prix du rachat doit-il être payé ? Quel est le maître à satisfaire ? C’est à ce moment, et la conception précédente se ruinant elle-même, que la théologie chrétienne commence à substituer Dieu au Diable comme puissance à satisfaire. L’idée d’une sainte victime offerte au Père ne fut d’ailleurs jamais complètement absente de la théologie des premiers siècles. Origène semble l’admettre concurremment avec la précédente.
Mais c’est Athanase surtout qui la développe par la théorie d’une immolation substitutive, qui marque un point tournant dans l’histoire de ce dogme. D’après l’auteur du De incarnatione Verbi, le pouvoir duquel l’homme a dû être racheté, n’est pas celui du diable mais celui de la mort. Dieu a déclaré que celui qui transgresse la loi doit mourir. Or Dieu est engagé par sa véracité même à effectuer sa menace. C’est pour que la véracité divine ne subisse aucune atteinte que le Fils, créateur de l’humanité, seul restaurateur possible de ce qui est créé à son image, se revêt d’un corps semblable au nôtre afin de le livrer pour nous sur le Calvaire. Christ donne sa propre vie à son Père en affranchissant ainsi les hommes de la mort. Et quoique sa mort ne soit pas définitive (puisqu’elle est suivie de la résurrection), la substitution est valable, vu le caractère absolu de ses souffrances et de son immolation. Ce qui manque dans le sens de la durée, on le compense par la qualité de la victime et par l’intensité de sa passion. « Christ étant le Verbe du Père », explique Athanase, « il a pu souffrir pour tous »11. On le voit, le centre de gravité du problème est désormais déplacé. Tandis qu’auparavant il reposait sur les droits de Satan relativement à l’humanité, il repose maintenant sur la perfection divine. Dieu doit être satisfait dans sa véracité, sinon dans sa justice. Christ s’offre pour acquitter à la place de l’homme la dette contractée par le péché vis-à-vis de la mort. La mort de Jésus est substitutive ; et la raison de cette substitution réside dans la combinaison par laquelle Dieu sauve sans porter atteinte à sa perfection (véracité).
11 – De incarnatione Verbi, chapitre VII.