L’époque de l’inspiration cesse, les dons extraordinaires disparaissent, mais l’Esprit demeure dans l’Église. L’inspiration nécessaire à la fondation de l’Église ne l’est point à sa conservation. Le véritable fondement, une fois posé, rend nécessaire le vrai développement. Le contenu de l’inspiration doit être conservé, développé, rendu fécond dans de longues et dures épreuves, par le travail et la liberté. Pour entrer dans la voie de son développement normal et régulier, l’Église doit se faire partie intégrante de l’histoire universelle, qu’elle doit renouveler et régénérer. Appelée à devenir une puissance historique, il faut en effet que l’Église entre en rapport avec les autres puissances qui concourent à la vie de l’humanité, se soumettant aux lois générales de l’histoire, condescendant à tous les degrés possibles de la civilisation, à toutes les diversités de race et d’époque. En sortant de l’état paradisiaque, de l’âge de l’inspiration directe et vivante, l’Église, désormais fait historique et universel, ne peut pas ne pas se trouver en présence de l’humain et du divin, se combattant et se heurtant dans des luttes injustes et passionnées qui la livrent aux influences mauvaises et troublent au dedans et au dehors la régularité de son développement. L’Église cependant n’est jamais abandonnée par l’Esprit de son divin fondateur, car au travers de toutes ces transformations extérieures, elle n’en reste pas moins, à bien considérer, la réalité vraie, toujours semblable à elle-même, et aux heures les plus sombres de l’histoire, sous les menaces qui semblent prophétiser pour elle l’heure des crises suprêmes, on la voit toujours renaître plus pure et plus vraie.
Remarque. — Nous touchons ici au moment qui caractérise le catholicisme dans son opposition au protestantisme. Si, nous transportant par la pensée à l’heure où meurt le dernier apôtre, nous nous demandons : Où est maintenant l’apostolat ? le catholicisme répond : Il est dans les évêques, les conciles et le pape, représentants et continuateurs de l’inspiration apostolique, successeurs toujours vivants des apôtres, seuls gardiens légitimes de la véritable tradition. L’Église évangélique, au contraire, affirme que l’expression complète de l’apostolat, sa parole toujours vivante dans l’Église, ne se trouve que dans les Saintes Écritures. Tandis que le catholicisme admet une inspiration continue, se survivant à travers tous les temps, le protestantisme, lui, ne reconnaît d’autre inspiration que celle qui s’identifie avec la fondation de l’Église. La critique historique n’a que trop surabondamment démontré que cette inspiration prétendue permanente est en réalité le contraire de tout ce qu’elle devrait être au dire de ses défenseurs. En définitive, l’opposition entre le catholicisme et le protestantisme repose sur une conception différente du développement de l’Église. Le protestantisme conçoit l’histoire de l’Église comme la libre poursuite de l’idéal qui doit amener l’union parfaite de l’humain et du divin, l’Église apostolique restant toujours le point de départ et le modèle. « Non que j’aie déjà atteint le but, mais je fais mes efforts pour y parvenira ». Pour le catholicisme, l’histoire de l’Église n’est que la tradition se développant sous une forme continue et en quelque sorte mécanique. Au cours de ce développement, le fait divin retient si réellement la première place, que le fait humain se trouve réduit à n’être plus qu’une apparence. Pour le protestantisme, la véritable signification du développement ecclésiastique consiste dans une libre appropriation, par la lutte et le travail, de tous les dons et de toutes les grâces comprises dans l’inspiration des premiers jours. Le catholicisme, au contraire, ne voit dans tout ce développement qu’une prolongation en quelque sorte matérielle et quantitative du fait qui préside au commencement de l’Église, oubliant que les moments différents qui se trouvent en germe dans la plénitude de ce commencement ne peuvent se différencier et s’affirmer qu’en entrant en rapport et en lutte les uns avec les autres.
a – Philippiens 3.12.
Au milieu des vicissitudes et des transformations incessantes que l’Église est appelée à traverser, un fait demeure essentiel et fondamental : son union avec le Seigneur et son Esprit. Puisqu’elle est l’Église du Saint Esprit et du Christ, la véritable Église doit être à la fois visible et invisible. « Je crois en l’Église chrétienne ». Cette formule évidemment sous-entend que l’Église n’est pas seulement visible, mais qu’elle est invisible, autrement il suffirait de dire : Je vois une Église chrétienne. L’Église est invisible ; elle est la communion des saints. Dans cette communion ne rentrent pas seulement les chrétiens professants, mais tous les vrais croyants dispersés parmi tous les peuples, tous les siècles, tous les états, toutes les fonctions, et qui, quoique séparés par le temps et par l’espace, n’en forment pas moins un corps spirituel et mystique. L’Église est invisible, elle est un royaume de forces et de grâces invisibles, constituant l’organisme de l’Église dont elles préparent et hâtent la parfaite réalisation ; la plénitude est le Christ accomplissant toutes choses en tousb. L’Église est invisible car Christ son chef est invisible. Mais l’Église est aussi visible, son essence invisible se manifestant et s’attestant dans le monde. Elle est visible parce qu’elle n’existe qu’en vertu de la révélation historique du Christ ; visible encore, les effets de la grâce divine se produisant par des moyens de grâce institués par Jésus-Christ et sensibles pour tous, la parole et les sacrements. Aussi, si l’on ne peut pas dire de l’Église : « Elle est ici, ou elle est là », on peut la comparer cependant à la ville située sur une montagne et que tous peuvent voir. Ces deux conceptions se retrouvent dans la Confession d’Augsbourg qui reconnaît à l’Église ces deux attributs, car elle la définit : « La communion des saints, et le lieu où l’Évangile doit être purement prêché et les sacrements fidèlement administrésc. »
b – Éphésiens 1.23.
c – Confession d’Augsbourg VII ; Éphésiens 4.4-6 ; Actes 2.42 ; Jean 15.3.
Remarque. — Aux attributs de la véritable Église, tels que nous venons de les énoncer, la théologie romaine objecte leur insuffisance. Avant de dire, objecte-t-elle, que la prédication du pur Évangile et la fidèle administration des sacrements sont les caractères auxquels on reconnaît la vraie Église, il faudrait déjà connaître quel est le véritable contenu de l’Évangile et l’efficace du sacrement légitime. Pour l’Église évangélique, l’objection n’a pas de sens. Dès les temps les plus anciens, sous la direction du Saint Esprit, et sans le siège romain, l’Église a su définir dans ses symboles la véritable signification de l’Évangile et des sacrements. Pour le catholicisme, le fait chrétien lui-même et le signe extérieur qui le garantit ne sont qu’une seule et même chose. L’Église évangélique reconnaît, au contraire, que la vérité ne peut apparaître qu’à la suite d’une lutte, d’une action et d’une réaction entre le signe extérieur et la réalité intérieure représentée par ce signe, entre l’Église visible et l’Église invisible, en un mot entre l’esprit et la tradition.
Que dans l’Église l’on puisse si différemment, pour ne pas dire si contradictoirement, comprendre la signification des événements, la raison en est au développement par la liberté qui reste la loi de son existence. Aussi longtemps que durera ce développement, on pourra discuter pour savoir où se trouve la véritable Église, sans qu’on puisse de part ou d’autre aboutir aune démonstration définitive. Les signes visibles ne peuvent convaincre que ceux qui croient déjà aux choses invisibles que ces signes représentent.
Aussi certainement qu’il n’y a pas plusieurs mais un seul Seigneur, pas plusieurs mais un seul Esprit, pas plusieurs mais une seule humanité, destinée à se rencontrer avec le Christ, son véritable chef, aussi certainement il n’y a et il ne peut y avoir qu’une seule Église.
Mais la véritable unité se manifeste dans la diversité. Déjà dans l’Église apostolique nous voyons l’unité de l’Esprit s’attester par la diversité de ses dons ; du Christ un, les apôtres nous ont laissé des images différentes. Dans ses rapports incessants avec le monde, aux prises avec les nationalités et les civilisations les plus diverses, l’Église une s’est divisée en confessions et en types ecclésiastiques divers. En principe, les différences confessionnelles doivent être envisagées comme une conséquence du péché ; car, en général, elles résultent d’une vérité relative, et même souvent d’une erreur, s’efforçant de s’imposer pour la vérité absolue, seule capable de sauver les âmes. Mais en elles-mêmes et d’une manière générale, ces diverses confessions de foi peuvent être envisagées comme des tentatives pour individualiser la vérité chrétienne, dont on peut déjà constater les premières origines, les possibilités, dans les temps apostoliques eux-mêmes. Ce n’est qu’au cours de l’histoire que ces possibilités se développant, réalisant leur véritable signification, deviennent tout autant de degrés qui permettent à la pensée chrétienne d’atteindre son expression toujours plus complète. Si l’on relève la part que le péché exerce toujours dans ces divergences religieuses, on ne peut que les ranger au nombra de ces œuvres périssables dont le temps se hâte de faire justice. Mais comme elles ne procèdent pas exclusivement du péché, et qu’elles correspondent aussi aux diversités que comporte nécessairement la nature humaine, il faut leur reconnaître une part de légitimité et les étudier au point de vue des différences qu’autorise le type apostolique lui-même. Il faut donc accepter nos différentes confessions de foi comme ces plusieurs demeures dont parle l’Evangile, que nécessairement doit contenir, même ici-bas, la maison d’un grand seigneur. Distinguer dans les diverses formes religieuses ce qui résulte du péché et ce qui doit être légitimé par les divergences inhérentes à notre nature, est la grande difficulté que l’on rencontre quand on veut résoudre la question de l’union des Églises.
L’Église une est en même temps l’Église universelle. L’universalité ou la catholicité est l’expression historique de l’unité. L’unité de l’Église se manifeste dans l’histoire. S’il n’y avait pas un lien véritable pour unir ensemble les diverses Églises locales, l’unité de l’Église ne serait plus qu’une unité idéale, qu’une pure abstraction.
L’Église idéale et modèle, qui domine toutes les divergences confessionnelles ou nationales, est l’Église aspostolique, c’est-a-dire celle qui s’affirme par la tradition apostolique, qu’elle s’efforce de retenir et de transmettre de génération en génération comme la seule légitime et universelle, en s’unissant toujours plus intimement à l’Église apostolique, mère de toutes les Églises. Cette intime union avec l’âge apostolique, dont le Nouveau Testament peut seul nous garantir la foi, — l’Église vraiment catholique étant toujours l’Église la plus scripturaire, — la conscience chrétienne l’affirme en retenant pour sa confession première et fondamentale le Symbole des apôtres, confessant ainsi leur doctrine comme la seule règle de sa foi. Pour confondre toutes les hérésies, tous les faux individualismes, le Symbole des apôtres est allé se développant et a successivement inspiré le symbole de Nicée et le Symbole d’Athanase. Pendant tout le cours de l’histoire de l’Église, ces symboles œcuméniques se sont toujours maintenus comme la règle de la foi chrétienne, non point à cause seulement de leur autorité traditionnelle, mais surtout du caractère biblique et de l’éternelle vérité de leur contenu. Les différentes confessions prouvent leur catholicité en se rattachant à ces symboles œcuméniques qui datent de l’époque où l’Église, au lieu de connaître une Église grecque ou latine, luthérienne ou réformée, ne connaissait que l’Église universelle.
Remarque. — C’est en affirmant ce fondement œcuménique, que les diverses confessions se distinguent des sectes. Les sectes ne retiennent que les faits individuels, et rejettent tout ce qui est œcuménique et général. Elles veulent bien rester en rapport, il est vrai, avec l’Église apostolique, mais elles rompent d’abord le lien historique, seul possible pour réaliser leur prétention. Les confessions représentent un moment spécial du christianisme, dont elles s’efforcent de faire le christianisme tout entier ; les sectes ne renferment que des lambeaux, que des membres épars du grand tout (membra disjecta). Ce n’est qu’accidentellement, sous une forme sporadique, qu’elles retiennent encore le christianisme. En perdant le sens historique et leur place dans l’histoire du développement organique de la foi chrétienne, elles se confondent avec ces mouvements inconscients qui ne relèvent plus que des lois de l’instinct matériel. Quand même le néo-catholicisme procéderait d’un fond profondément religieux, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas, on ne pourrait cependant le considérer que comme une secte, parce qu’il s’est séparé du catholicisme primitif en rejetant le Symbole apostolique ; le néo-catholicisme n’est pas seulement une séparation d’avec Rome, mais une séparation d’avec l’Église universelle.
[Le néo-catholicisme, quand l’auteur écrivait à son adresse cette sévère appréciation, n’était encore représenté que par les abbés Chatel et Ronge, dont on connaît la vulgaire et humiliante histoire. Quoique depuis lors le néo-catholicisme se soit fait le vieux catholicisme, les Doëllinger, les Reinkens, les Herzog et les Loyson remplaçant les ridicules réformateurs d’autrefois, nous ne croyons pas qu’on puisse le juger et les juger plus favorablement. Il faut, en effet, une rare obstination dans le parti pris et l’optimisme pour tenter d’arracher une Église à sa tradition organique et séculaire, à l’aide de doctrines qu’au passé elle a toujours victorieusement repoussées, comme des éléments inassimilables à son principe premier. La seule circonstance atténuante en faveur de cette incroyable prétention, c’est qu’elle ne peut être le fait que de gens très honnêtes ou d’un très grand poète. — Trad.]
L’Église une et universelle est aussi l’Église sainte. Ce n’est que dans la sainteté que peuvent s’affirmer la véritable unité et la véritable catholicité ; en dehors de la sainteté, il n’y a que la secte, qui divise et qui meurt. La sainte Église se sépare du monde. Son origine comme celle des royaumes de ce monde n’a pas pour cause un développement naturel. Son développement ne se confond pas non plus avec celui de l’esprit humain ; il a pour principe unique Dieu et le Saint Esprit, et pour but immédiat, non la civilisation, mais la rédemption et la sanctification de l’humanité. Néanmoins l’Église n’ayant pas seulement le monde devant elle mais dans son propre sein, l’Esprit de Dieu ne dédaignant pas de s’unir à l’esprit de l’homme pécheur, ses progrès ne peuvent s’accomplir que dans une perfection relative et jamais absolue. Quant à son principe et à son commencement, l’Église est absolument infaillible. Elle l’est également pour le but qu’elle poursuit ; mais entre ces deux points extrêmes, pour le long espace qu’embrasse son libre développement, elle est l’Église faillible. L’histoire de l’Église n’est point, ainsi que l’a rêvé le catholicisme, un champ que constamment illuminent la lumière et le progrès. Il est, au contraire, des temps où, complètement soumise à la violence et aux caprices des événements, on a de la peine à la reconnaître encore pour le dispensateur des mystères de Dieu (ecclesia potest deficere). Mais dans le Saint Esprit, qui ne l’abandonne jamais, l’Église possède l’invisible Réformateur qui sans cesse la protège contre les envahissements de l’esprit de ce monde. Aussi une Église particulière peut se perdre et faire naufrage quant à la foi, mais l’Église elle-même et dans son ensemble ne sera jamais vaincue par le monde. Malgré toutes les défaillances, les moments d’arrêt, les défaites apparentes ou réelles, l’Église va sans cesse se rapprochant du but que lui assigne son divin Fondateur (ecclesia non potest deficere).
L’idéal de sainteté poursuivi par l’Église ne peut se réaliser que dans une commune entente et un réciproque concours de l’individu et de l’ensemble des fidèles. Le progrès de l’individu dans la perfection chrétienne a pour condition première les progrès de l’Église se faisant toujours plus capable d’exercer autour d’elle les influences maternelles de l’esprit chrétien. D’autre part, le progrès de l’Église dépend du progrès de l’individu, réalisant dans une sainte et libre indépendance le sacerdoce universel et chrétien, se faisant par sa piété, par la plénitude de l’Esprit qui est en lui, un levain pour l’Église tout entièred. Ce rapport entre l’Église et l’individu ne s’est pas toujours réalisé dans une mutuelle entente ; bien souvent, au contraire, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, nous l’avons vu se produire sous la forme d’une rivalité jalouse et chagrine, dégénérant en luttes incessantes. L’Église ne peut réaliser son idéal de sainteté qu’en amoindrissant de plus en plus l’opposition, en éloignant les extrêmes qui ne se produisent jamais qu’au détriment de l’extrême opposé, destiné cependant à les contenir dans leur juste signification. On tombe dans une orthodoxie ou dans un catholicisme exclusif, lorsque l’Église se contente d’une sainteté qui n’est que dans l’ensemble du peuple chrétien, dans ses croyances, ses institutions et sa représentation, se désintéressant de la piété individuelle qu’elle confond avec l’opus operatum, la pratique du sacrement, le contact avec les choses saintes produisant par lui-même ses merveilleux effets. On fait au contraire du piétisme, du protestantisme sectaire, lorsque la piété se concentre dans l’individu, au mépris de l’Église de plus en plus dénoncée comme la grande inutilité dont on doit apprendre à se passer et que l’on n’attaque jamais avec assez de dédain ou de haine. Dans ces deux cas, la mondanité, la sécurité, l’orgueil charnels prennent bientôt la place de la sainteté. La Réforme par principe a toujours combattu ces deux extrêmes, car elle veut assurer tout aussi bien la véritable autorité de l’Église, son influence maternelle, que l’indépendance du simple fidèle.
d – 1 Pierre 2.9.
Se trouvant constamment en face du monde et avec le monde, l’Église sainte ne peut être que l’Église militante. Tandis que l’Église romaine, se servant des armes de ce monde, combat contre lui une lutte toute charnelle et cherche à supprimer d’une manière extérieure et brutale, par l’excommunication et le bûcher, les adversaires qui la contredisent, l’Église évangélique, au nom de l’idéal qu’elle poursuit, ne veut vaincre les contradictions et les résistances qui se produisent dans son propre sein, dans la doctrine ou dans la vie réelle, qu’en se servant des armes spirituelles ; aux esprits mauvais, en révolte contre elle, elle ne sait opposer d’autres armes que celles de la parole et de l’Esprit. La véritable Église sait qu’elle n’a pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les puissances et les principautése ; elle est donc la première appelée à confesser son péché et la douloureuse distance qui la sépare de son idéal : « Non point que déjà j’aie compris ou que déjà je sois parvenu à la perfectionf ». La véritable Église ne peut donc exister sans le sentiment et le vif besoin d’une réforme incessante pour elle-même. Il faut qu’elle retienne toujours l’Église primitive comme son saint modèle. Depuis les premiers siècles de l’Église, cet instinct réformateur et critique a toujours survécu, dans son sein même, aux temps les plus sombres du moyen âge ; la vérité n’a jamais manqué de témoins pour dénoncer les abus et la corruption de l’Église. L’Église ne peut pas plus être sans cette ré-préhension (testis veritatis) qu’elle ne peut être sans l’Esprit du Seigneur. Elle reste toujours vraie, et surtout aux époques les plus désolées, la parole qui certifie au prophète Elie les sept mille qui n’ont pas courbé le genou devant Baalg. Dans tous les temps, il y a eu dans l’Église le besoin et le pressentiment d’une réforme, mais cette réforme, toujours combattue et repoussée, dut éclater au seizième siècle comme une redoutable catastrophe ; aussi ce siècle est-il appelé par excellence le siècle de la Réforme.
e – Éphésiens 6.12.
f – Philippiens 3.12.
g – 1 Rois 19.18.
L’Église militante doit être aussi l’Église triomphanteh. La victoire de l’Église n’est pas seulement celle que constatera le dernier jour, elle est aussi et surtout celle qu’elle remporte constamment dans le temps, en souffrant toujours et en ressuscitant toujours à l’exemple de son Maître. « Abattez ce temple, au troisième jour je le relèveraii ». Cette parole du Seigneur s’applique également à l’Église. Constamment dans l’histoire, l’Église chrétienne nous fait assister à son triomphe, car toujours au moment de la défaite, à l’heure des ruines, quand humainement la cause chrétienne paraît anéantie sous la puissance du monde, toujours alors, par la force de l’Esprit qui est en elle, nous la voyons se relever ainsi que fait un mort qui ressuscite. Ce que vit en esprit le prophète Ezéchiel (ch. 37) dans la vallée aux ossements desséchés, lorsque l’Esprit de l’Eternel, soufflant des quatre vents des cieux, de tous ces corps morts fit une multitude vivante, nous pouvons le voir dans l’histoire, où incessamment se renouvellent la résurrection et le triomphe de l’Esprit. L’histoire qui apprend à l’Église qu’elle est immortelle sur la terre, doit donc lui apprendre son immortalité dans le ciel.
h – Matthieu 16.18.
i – Jean 2.19.
L’Église, qui est appelée à s’approprier la grâce de Dieu en Jésus-Christ, réalise cette haute destinée par les effets que directement exerce la grâce et par les moyens de grâce. Par les effets directs de la grâce, il faut entendre l’action du Saint Esprit dans la nature humaine, qu’il affranchit du péché et dont il fait la nouvelle création en Jésus-Christ. Le Saint Esprit étant l’Esprit du Christ, les effets produits par le Saint Esprit doivent être considérés comme des actes du Christ lui-même. Aussi ces effets ne peuvent-ils se produire que parles institutions du Seigneur Jésus lui-même, sa parole et ses sacrements. La preuve irrécusable pour nous de la dépendance indissoluble qui rattache les effets de la grâce aux moyens de grâce, ne consiste pas seulement dans le fait que, toujours historiquement, la grâce procède de Jésus-Christ, mais surtout dans la grâce produite, qui toujours ramène à Jésus-Christ, au chef invisible de la nouvelle création. Toute conception tendant à séparer les effets de la grâce des moyens de grâce, a pour conséquence un faux individualisme, un mysticisme maladif ; mais en même temps, toute conception des moyens de grâce s’exerçant directement, agissant magiquement, indépendamment du contact avec l’âme vivante, produit immanquablement la fausse autorité religieuse, la foi morte (l’opus operatum), ainsi que sous tant de rapports nous pouvons le constater dans le catholicisme. La vérité ecclésiastique vraie consiste à unir ces deux termes, l’âme et les moyens de grâce, dans un rapport intime et vivant, ne les séparant jamais que pour les besoins de la spéculation, et les retenant indissolublement unis dans la réalité et dans la vie.