Nous avons une preuve évidente de la fidélité de Dieu en ce que, pour ceux qui se confient en Lui, Il a toujours un « chemin de salut » et qu'aucune épreuve ne dépasse le poids qu'ils peuvent supporter. Quelle ferme consolation pour l'âme troublée ! Hudson Taylor, dans sa détresse, allait en avoir une nouvelle démonstration.
Il était réduit à la dernière extrémité, après l'envoi de sa lettre. Il ne savait où aller ni que faire, et les Parker approchaient chaque jour. Sans une autorisation du Comité ou des instructions de M. Parker lui-même, comment pouvait-il songer à se charger de la dépense de la maison de M. Burdon ? Et pourtant elle était exactement ce qu'il fallait, et l'occasion pouvait être perdue si l'on tardait. Hudson Taylor n'avait pas de fonds. Mais, à fin octobre, regardant au Seigneur pour avoir secours et directions, il obtint que la maison lui fût réservée par préférence.
Entre temps, la situation de la ville indigène devenait désespérée. De son logement, près de la Porte du Nord, Hudson Taylor assistait quotidiennement à des scènes d'une cruauté diabolique. Le séjour devenait intolérable. Le feu fut mis à la maison voisine pour obliger l'étranger à partir, et ce fut précisément à ce moment qu'une nouvelle offre lui fut faite de reprendre l'habitation des Burdon. Un message lui fut envoyé pour lui dire que s'il voulait l'acquérir, il fallait le faire tout de suite.
Et alors, providentiellement, on lui demanda d'en sous-louer la moitié. Un autre missionnaire en détresse, ne sachant où se mettre en sécurité avec sa femme et ses enfants, était heureux de cet arrangement. La maison était bien petite pour deux familles, mais c'était un soulagement d'avoir une charge financière moins lourde et un réconfort d'aider quelqu'un.
Le 25 novembre, le jeune missionnaire quitta avec regret sa demeure indigène, les enfants et les voisins dont il s'était occupé, et vint s'établir dans l'enceinte de la Mission de Londres. Deux jours plus tard, comme il retournait à la Porte du Nord pour terminer son déménagement, il reçut un mot du Dr Lockhart le priant de passer chez lui. Il s'y rendit en hâte, et trouva le docteur à sa table avec un étranger d'un abord agréable qui n'était autre que le Dr Parker, le collègue longtemps attendu. Il était là, enfin, alors que les préparatifs venaient d'être terminés !
Dans la première joie de leur arrivée et les opérations de débarquement, Hudson Taylor n'eut pas le temps de se rendre compte à quel point l'exiguïté du logement devait frapper ses nouveaux amis. Mais lorsqu'ils y furent installés, y compris le dernier venu, né pendant la traversée, les trois chambres paraissaient plus remplies encore qu'il ne se l'était figuré. Les Parker, qui étaient des Écossais robustes et pleins de bon sens, étaient prêts à supporter tous les ennuis et à s'adapter à la situation de leur mieux. Mais il était pénible à Hudson Taylor de constater la pauvreté de ses préparatifs. Si les chambres avaient pu être convenablement meublées, c'eût été différent. Mais tout le mobilier paraissait se réduire à son lit chinois, deux ou trois tables et une demi-douzaine de chaises. Il avait emménagé deux jours auparavant et n'avait pas eu le temps de tout installer ; l'arrivée subite d'une famille avec tous ses effets augmentait encore l'embarras. La consternation d'une maîtresse de maison soigneuse, qui avait la charge de trois petits enfants, peut plus facilement être imaginée que dépeinte.
Oh ! les journées éprouvantes, difficiles, qui suivirent ! Pour comble de malheur, les membres de la communauté missionnaire de Shanghaï vinrent bientôt voir les nouveaux arrivés, et ceux qu'Hudson Taylor connaissait ne ménagèrent pas leurs critiques sur ce qui leur semblait être de la négligence de sa part. Ils lui demandèrent pourquoi il n'avait pas préparé les chambres et ne s'était pas procuré des armoires, des fourneaux, des tapis, des rideaux, pourquoi il n'avait pas averti les Parker qu'il leur fallait des vêtements chauds et de la literie puisqu'ils arrivaient en novembre. Toutes ces remarques étaient justes, sans doute. Cependant le jeune missionnaire pouvait-il révéler qu'il avait fortement dépassé les limites fixées à ses dépenses en se chargeant de la maison, qu'il l'avait louée sous sa responsabilité personnelle et qu'après avoir payé le premier terme de loyer il ne lui restait plus que deux ou trois dollars, insuffisants pour les dépenses d'une semaine ?
Il comptait que le Dr Parker apporterait avec lui tout le nécessaire et aurait des instructions de la Société, au sujet de l'installation de la Mission à Shanghaï ou ailleurs, ainsi que des arrangements plus satisfaisants pour les questions financières. Mais il n'en était rien. Le Dr Parker n'avait sur lui que quelques dollars pour les besoins immédiats. Il pensait trouver à Shanghaï, à son arrivée, une lettre de crédit qui, croyait-il, avait été expédiée d'Angleterre avant son départ. Pour ce qui concernait l'équipement, les Parker avaient tous les vêtements nécessaires aux tropiques, mais rien pour la saison froide, de sorte que les enfants avaient un urgent besoin de vêtements d'hiver. Ils n'avaient pas été renseignés quant au travail qu'ils auraient à accomplir à Shanghaï. Ils ignoraient de quelle manière leur salaire leur parviendrait. Et, de leur côté, ils croyaient que, pour toutes ces choses, Hudson Taylor possédait des instructions.
Mais ils ne se montraient pas inquiets. Un volumineux courrier les attendait et, parmi les lettres, il y en aurait certainement une qui contiendrait le document si important. Les secrétaires avaient affirmé au Dr Parker, alors qu'il était encore à Londres, que sa lettre de crédit, si elle n'était déjà en route pour Shanghaï, serait là-bas longtemps avant eux. Mais en parcourant son courrier, le Dr Parker ne trouva aucune lettre de crédit...
Heureusement, un nouveau courrier allait arriver un ou deux jours plus tard et cela mettrait sans doute les affaires au point. Il arriva et contenait, en effet, des lettres des secrétaires de la Mission, datées du 15 septembre, plus de trois mois après le départ des Parker. Elles ne contenaient pas de lettre de crédit, et ne mentionnaient même pas qu'elle eût été adressée directement aux agents de Shanghaï. Il n'y avait pas la moindre allusion à ce document. Qu'est-ce que cela pouvait donc signifier ? Cela lui semblait inexplicable. Mais Hudson Taylor, qui avait plus d'expérience, n'était pas surpris et n'avait pas beaucoup d'espoir. Il acquiesça à la seule proposition qui pût être faite, celle d'aller tout de suite aux renseignements chez les agents. Ils se rendirent donc chez MM. Gibb, Livingston & Co, où ils reçurent une réponse négative. Ils n'avaient pas reçu de nouvelles de la Société.
Cette situation, douloureuse en elle-même, était rendue plus épineuse encore par le fait que les deux missionnaires furent obligés de l'exposer à un inconnu dont ils dépendaient maintenant. Si celui-ci n'avait pas jugé à propos de leur avancer des fonds, ils auraient été excessivement gênés. Mais la bonté de cet homme, à ce moment-là et plus tard encore, fut le moyen que Dieu employa pour répondre à leurs prières et pour les aider en l'absence de cette lettre de crédit qui ne devait arriver qu'après de longs mois.
Le Dr Parker parla peu de tout cela, mais il dut en souffrir, et il en vint probablement à sentir d'autant plus les perspectives alléchantes qui s'offraient à lui comme médecin en Chine. S'il s'était décidé à quitter l'œuvre missionnaire, combien il aurait pu facilement procurer à sa famille tout le confort nécessaire ! Mais malgré la pauvreté et des privations qui se prolongèrent tout l'hiver, et jusqu'à l'été suivant, lui et Mme Parker tinrent ferme avec une abnégation inébranlable.
Dès le premier dimanche suivant son arrivée, il alla régulièrement avec Hudson Taylor évangéliser dans la ville ou les villages environnants et fit fréquemment de plus longues tournées, distribuant des traités ou soignant des cas simples, tandis que les autres, plus familiers avec la langue, parlaient aux indigènes. Dans la maison où l'on s'entassait, il s'adonnait avec assiduité à l'étude. Pour qui n'a pas étudié le chinois dans des conditions pareilles, il est bien difficile de se faire une idée de la tâche.
La première lettre qu'Hudson Taylor écrivit après l'arrivée du Dr Parker et de sa famille parle, entre autres choses, de ses propres embarras.
Le Dr Parker est arrivé lundi dernier, plein de reconnaissance envers Dieu qui les a délivrés de bien des dangers. Il a naturellement trouvé la moitié de la maison que nous habitons à peu près vide, ce que je possède n'avant guère suffi à la meubler. Lorsque les missionnaires se sont aperçus de ce manque de préparatifs, ils m'ont beaucoup blâmé. Pouvais-je leur dire qu'après avoir payé plus de vingt livres pour le loyer, il ne me restait que trois dollars, — somme qui ne suffit pas à se procurer les provisions nécessaires pour une semaine, au taux actuel des denrées ?
Heureusement le Dr Parker avait quelques dollars ; mais nous avons perdu 20 à 30 % en les changeant. Il fut fort surpris de voir que la correspondance de M. Bird ne contenait pas de lettre de crédit pour lui. Et lorsque j'appris qu'il n'en était pas muni, je fus d'autant plus étonné qu'elle ne se fût pas trouvée dans votre dernière lettre puisque vous pensiez qu'il serait ici au moment où elle arriverait.
Le jour suivant, nous eûmes la joie de recevoir une autre lettre de vous, datée du 15 septembre, mais l'espoir qu'elle contiendrait ce document important entre tous fut bientôt changé en consternation quand nous vîmes que nous n'avions pour vivre que notre espérance déçue. Vous ne pouvez faire autrement, j'en suis sûr, que de vous rendre compte de quelle grave négligence cela témoigne. Nous le faisons, en tout cas. Nous avons l'un et l'autre les sentiments les plus chauds et les plus affectueux pour bien des membres du Comité, et en particulier pour les secrétaires, mais il nous est impossible de ne pas sentir que la Société a agi d'une manière indigne.
Nous avons été chez MM. Gibb, Livingston & CI, car M. Parker était sûr que vous leur aviez écrit, comme M. Bird le lui avait promis (s'il ne l'avait pas déjà fait) lorsqu'il lui avait demandé sa lettre de crédit. Mais ils ne savaient rien et nous n'avons pas pu avoir l'argent. Je leur demandai si ma lettre de crédit avait été modifiée depuis que la Société a augmenté mon allocation trimestrielle, mais ils n'en avaient pas entendu parler. Pour nous tirer de notre pénible embarras, M. N. nous offrit, sous sa propre responsabilité, de me payer une traite supplémentaire de vingt livres, si je lui adressais une demande écrite, avec copie de votre autorisation et la signature de deux commerçants. C'est ce que j'ai fait. Il nous promit aussi, si nous lui montrions des lettres ou des journaux de la Société parlant du Dr Parker, de lui payer une traite que j'endosserais à condition que je lui certifie qu'il avait raison d'agir ainsi. Mais lorsque nous sommes revenus avec les papiers voulus, nous avons trouvé ces messieurs si occupés qu'ils ne pouvaient rien faire pour nous avant mardi (demain).
Le temps est maintenant extrêmement froid. Ne s'y attendant pas, les Parker ont dû se pourvoir aussitôt de vêtements chauds. Il a fallu aussi des lits et d'autres meubles, ainsi que des vivres et du combustible : le tout a coûté une somme considérable. Quoiqu'il n'ait pas dit grand'chose, je suis sûr que le Dr Parker a été très affecté. J'ai confiance que vous éviterez à l'avenir de pareilles négligences, pour épargner à vos missionnaires des souffrances inutiles.
Malgré les difficultés, ils se mirent à la tâche bravement et, entre les longs dimanches remplis d'activité parmi le peuple, ils se vouaient de leur mieux à l'étude. Mais il n'était pas aisé de se concentrer à cette époque-là, car la situation demeurait si troublante. Des centaines de gens mouraient de froid et de faim, et il ne semblait y avoir aucun espoir d'amélioration tant que l'un des partis en présence ne remporterait pas une victoire décisive. Malgré le danger, le Dr Medhurst et ses collègues ne cessèrent de faire des tournées dans l'intérieur et d'évangéliser d'une manière constante les environs de Shanghaï. De leur côté, le Dr Parker et Hudson Taylor visitèrent bien des villes et des villages dans un rayon de quinze à vingt kilomètres. Ils remontèrent la rivière Hwangpu, cherchant partout des personnes sérieuses et intelligentes à qui donner des Bibles et des traités. Pendant le seul mois de décembre, ils distribuèrent plusieurs centaines de Nouveaux Testaments et d'Évangiles, et un nombre plus considérable encore de brochures expliquant le chemin de la Vie.
Mais, avant la fin de l'année, une occasion d'efforts plus directs se présenta. M. Edkins allait faire sa tournée à Kashing, voyage remis depuis longtemps, et il invita son jeune ami à l'accompagner. Celui-ci accepta et, malgré l'état des choses à Shanghaï, ils décidèrent de partir à tout prix pour voir ce qui pouvait être entrepris.