Où l’on considère les inclinations les plus générales de l’amour de nous-mêmes, et premièrement le désir du bonheur.
La première inclination de cet amour de nous-mêmes, c’est le désir d’être heureux. Je ne sais même si ces deux expressions ne signifient pas au fond la même chose sous deux idées. Car qu’est-ce que s’aimer soi-même, si ce n’est vouloir être heureux ; et qu’est ce que vouloir être heureux, si ce n’est s’aimer soi-même. En vérité il faudrait bien aimer à subtiliser, et à quintessencier les choses, pour y trouver quelque différence. Comme donc il n’y saurait avoir du trop dans le désir qu’un homme a d’être heureux, et qu’on a toujours fait un crime à l’homme de rechercher une fausse félicité, et non pas d’aimer avec trop d’ardeur le véritable bonheur, il s’ensuit que nous manquons pour nous aimer mal, et non pas pour aimer avec excès.
Les hommes, quoi qu’on dise, s’accordent dans l’idée, dans le désir, et dans le sentiment de la félicité, lorsqu’on considère celle-ci en général.
La diversité des sentiments des philosophes sur la nature du bonheur, n’est pas au fond si grande qu’elle paraît d’abord. Leur opinion se réduit à celle d’Épicure, qui faisait consister essentiellement la félicité dans le plaisir, ce qui vous paraîtra très raisonnable, pourvu que vous sépariez un plaisir, pur, noble, délicat, durable, assuré, de la volupté des sens qui a des caractères tout opposés à cela, et que vous distinguiez entre le bonheur et ses fondements, ce qu’il a plu aux hommes de confondre pour avoir le plaisir de se contredire à la faveur d’un malentendu. Car quand Boèce définit la félicité, l’absence de tous les maux et la possession de tous les biens, il faut remarquer qu’il définit la félicité entière et parfaite, et non un bonheur incomplet et défectueux ; et d’ailleurs que c’est définir la félicité parfaite par ses fondements. L’absence des maux est nécessaire pour nous empêcher d’être misérable ; mais ce n’est pas elle qui nous rend heureux. La possession des biens est le fondement de notre bonheur ; mais ce n’est pas le bonheur même, car que serait-ce, si les ayant en notre puissance, nous n’en avions pas le sentiment ? Ce fou d’Athènes qui croyait que tous les vaisseaux qui arrivaient au Pirée lui appartenaient, goûtait le bonheur des richesses sans les posséder ; et peut-être que ceux à qui ces vaisseaux appartenaient véritablement, les possédaient sans avoir de plaisir, empoisonnés par leur insatiable avidité, ou affligés par les inquiétudes qui accompagnent infailliblement la possession des biens temporels. Ce n’est donc point, à parler généralement, la possession, mais le sentiment des biens qu’on possède, qui fait notre bonheur.
Ainsi lorsqu’Aristote fait consister la félicité dans la connaissance et dans l’amour du souverain bien, il a apparemment entendu définir le bonheur par ses fondements. Autrement il se serait grossièrement trompé, puisque si vous sépariez le plaisir de cette connaissance et de cet amour, vous verriez qu’il vous faut encore quelque chose pour être heureux ; qu’au contraire si par la pensée vous joignez une douleur vive et durable à cette connaissance et à cet amour, vous concevez que nous ne laisserons pas d’être misérables.
Les stoïciens qui ont cru que le bonheur consistait dans la possession de la sagesse, n’ont pas été si insensés que de s’imaginer qu’il fallût séparer de l’idée du bonheur, la satisfaction que cette sagesse leur inspirait. Leur joie venait de l’ivresse de leur âme, qui s’applaudissait d’une fermeté qu’elle n’avait point :
Heureux celui qui a pu connaître le principe qui produit chaque chose, et s’élever au-dessus de toutes les craintes, de la nécessité du destin, et de l’effroi de la mort. (Virgile, Géorgiques, livre 2.)
Tous les hommes en général, conviennent nécessairement de ce principe, et je ne sais pas pourquoi l’école les fait combattre à cet égard. L’avare ne se repaît que de l’espérance de jouir de ses richesses, c’est-à-dire, de sentir le plaisir qu’il y a à les posséder. Il est vrai qu’il n’en use point, mais c’est que son plaisir est de les resserrer, c’est pour lui le sentiment de leur possession. L’ambitieux ne cherche les dignités que par le plaisir d’être élevé au-dessus des autres ; et le vindicatif ne se vengerait point, s’il n’espérait de trouver sa satisfaction dans la vengeance.
Il ne faut point opposer à cette maxime qui est certaine, la morale et la religion de Jésus-Christ. Car Jésus-Christ n’est point venu pour anéantir la nature ; mais pour la perfectionner. Il ne nous fait point renoncer à l’amour du plaisir, mais il nous propose des plaisirs plus purs, plus nobles, plus spirituels, plus assurés, et plus durables, que ceux que le monde nous promettait. Et lorsqu’il définit le bonheur : C’est ici la vie éternelle de te connaître seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ (Jean 17.3), il définit la félicité par ses sources. Car d’ailleurs il sait bien que la félicité consiste essentiellement dans une joie et des plaisirs ineffables. Car c’est un festin, un vin nouveau, un fleuve de délices, des torrents de paix et de joie, etc. expressions qui sous l’emblème des voluptés temporelles, nous font comprendre les voluptés éternelles du paradis.
L’idée que les hommes ont du bonheur, vient assurément du sentiment que les hommes ont du plaisir. Le vicieux cherche les plaisirs de l’intempérance ; ceux de la vaine gloire, ceux de la vengeance, ceux de l’ambition. Un homme vertueux au contraire cherche les plaisirs de la vertu, comme les plaisirs de la modération, ceux de la bienveillance, ceux de la tempérance, ceux de la conscience et de la piété.
Un homme qui prétendrait tellement dessécher la vertu, qu’il ne lui laissât aucun sentiment de joie et de plaisir, ne ferait assurément que rebuter notre cœur ; et la vertu aurait notre estime sans avoir notre attachement.
J’avoue qu’un même plaisir ne plaît point à tous. Les uns sont pour le plaisir grossier, les autres pour le plaisir délicat. Les uns pour le plaisir vif, les autres pour le plaisir durable. Les uns pour le plaisir des sens, et les autres pour le plaisir de l’esprit. Les uns pour le plaisir de sentiment, et les autres pour le plaisir de réflexion ; mais tous sans exception sont pour le plaisir.
Disons de même que les hommes conviennent tous dans le désir général qu’ils ont d’être heureux. Ils peuvent renoncer à toutes leurs affections, mais ils ne renonceront jamais à cette inclination, qui est la source des autres. C’est le bonheur qu’ont en vue les pauvres et les riches, les jeunes et les vieux, les avares et les libéraux, les tempérants et les voluptueux ; et ce bonheur, c’est le plaisir qui est dans leur idée, désir qui diversifié en une infinité de manières, fait aussi la prodigieuse variété de nos passions, et de nos attachements.
Le dérèglement consiste en ce que les hommes veulent sentir le bonheur avant que de l’acquérir. Ils n’attendent point la raison, qui les dirigerait pour être heureux. Ils commencent par vouloir le posséder ; cela veut dire qu’ils ne comptent que le plaisir qu’ils sentent actuellement. Disciples des sens, ils ne manquent point de gens qui les instruisent dans l’art des voluptés et qui leur disent :
Non est, crede mihi, sapentis dicere : Vivam !
Sera nimis vita est crastina : vive hodiec.
c – Un sage, croyez-moi, ne dit point : Je jouirai de la vie ! Jouissez-en dès maintenant aujourd’hui, il est trop tard d’attendre au lendemain. (Martial, Epigrammes)
Il ne faut pas s’étonner que des hommes élevés dans le paganisme n’aient point connu d’autres biens que le bien présent, et qu’ils aient conseillé aux hommes de se hâter de goûter le plaisir qui se présente, de peur de le perdre en le différant. Mais il y a quelque chose d’étonnant que ceux qui connaissent l’éternité, soient capables du même dérèglement.
Le plaisir pour composer notre bonheur doit avoir d’autres caractères. Il doit être premièrement spirituel. Un homme qui goûte le plaisir dans le corps, peut-il être heureux, si son âme est remplie dans ce même moment de remords, de crainte et de tristesse ? En second lieu il doit être durable. Les plaisirs momentanés sont plus propres à nous rendre malheureux, qu’à faire notre félicité, parce que le sentiment en dure peu, et qu’il nous laisse un regret durable.
Et certainement la durée est si essentielle au bonheur de l’homme, que j’oserai dire que la félicité même du paradis serait peu de chose, s’il était possible, qu’elle ne durât qu’un instant, et que la félicité du monde serait quelque chose, s’il était possible qu’elle durât toujours. Car la première, quelque grande qu’elle soit, serait absorbée par l’affreuse pensée que nous allons perdre ce qui nous cause une joie infinie, la seconde serait soutenue par une espérance qui entassant un nombre infini de siècles, nous ferait trouver dans la durée des biens ce que nous ne trouverions point dans leur qualité.
Rien n’est plus beau dans la spéculation, que cette description, qu’un poète latin faisait du bonheur de la vie :
Un bien qui n’est point acquis par le travail, mais qui vienne de succession ; un champ fertile ; une maison solide ; point de procès ; allez rarement en cérémonie ; un esprit tranquille ; des forces raisonnables ; un corps sain ; une simplicité prudente ; de vrais amis ; des convives agréables ; une table servie simplement ; que ce ne soit point l’ivresse, mais la tranquillité de l’esprit qui endorme ; une femme qui joigne la gaieté avec l’honneur ; un sommeil qui fasse trouver les nuits courtes ; souhaiter d’être ce que l’on est, et rien de plus ; ne craindre la mort ni la désirer. (Martial, Épigrammes, livre 10)
Mais quoique cette description de la félicité paraisse si raisonnable, qu’elle semble dictée par la bouche de la sagesse elle-même, cependant il ne faut qu’avoir une connaissance médiocre du cœur de l’homme et de l’état naturel de sa condition, pou voir qu’elle pèche à plusieurs égards.
Premièrement elle est composée de biens qui ne sont pas en notre puissance pour la plupart. Car personne ne peut se donner du bien et faire que ce bien lui vienne de père en fils, ni rendre ses champs fertiles, ni s’empêcher d’avoir quelque différend avec des personnes injustes, et il ne dépend point de nous de bien dormir, ni d’avoir un corps sain et vigoureux ; et cependant il semble que la nature elle-même nous apprenne qu’il dépend en quelque sorte de nous de nous rendre heureux ; car pourquoi aurait-elle gravé dans l’âme de tous les hommes le désir du bonheur, s’ils n’étaient point capables de parvenir à cette fin ? Mais en cela les hommes se trompent pour ne pas entendre un double langage que la nature leur tient à cet égard. Car d’un côté en leur faisant voir qu’ils sont privés de tant de biens qu’ils désirent naturellement, lesquels ne sont pas en leur puissance, elle leur dit bien clairement, que le bonheur n’est point en eux-mêmes, et de l’autre en leur inspirant le désir du bonheur si naturellement, qu’ils ne s’en défont jamais en quelque état qu’ils se trouvent, elle leur apprend qu’ils peuvent néanmoins l’obtenir.
Mais pour revenir à notre poète, j’ajouterai que cette description de la félicité, n’est point composé d’objets assez nobles. Certainement peu s’en faut, qu’elles ne conviennent aux bêtes, desquelles on peut dire sans se tromper que leurs biens sont des biens de succession, non des richesses acquises par un grand travail, que la terre est pour elle très féconde, qu’elles ne manquent point d’habits qui leur sont convenables et faits par la main de la nature, que la force, la santé, et le sommeil ne leur manquent point, que leur simplicité est prudente, et encore qu’elles ne paraissent pas capables de réflexion, on les voit très habiles et très sages dans la sphère des objets qu’elles doivent connaître pour leur intérêt, c’est-à-dire pour leur propagation ou pour leur conservation, que leur vie est douce et tranquille, qu’elles vivent sans chagrin et sans inquiétude, que leurs voluptés ne sont point mêlées de soupçons et de jalousie, que les procès ne les tourmentent guère ; et ce qui est plus considérable, qu’elles sont contentes de leur état, et qu’elles ne désirent, ni ne craignent la mort. Les bêtes jouissent donc à peu près du bonheur le plus parfait de tous. Hé ! quoi donc ? Est-ce pour nous un si grand malheur de naître capables de raison, que la qualité de raisonnable nous empêche de prétendre à celle d’être heureux, que le degré de notre perfection fasse le degré de notre misère, que les bêtes soient heureuses de n’être point hommes, et que les hommes soient misérables de n’être point bêtes ? Certainement il n’y a aucune apparence que cela soit ; la nature est trop sage dans toutes les autres choses pour l’être si peu dans celle-ci ; et à moins que les hommes ne veuillent se dégrader eux-mêmes, et n’entreprennent de flétrir l’excellence de leur nature, il faut qu’ils demeurent d’accord qu’il y a un souverain bien qui se peut trouver, et qui ne trompe point nos désirs, mais qui ne se trouve point dans les objets de cette vie, et qui trompera toujours notre cupidité.
Il faut ajouter encore que les plus beaux traits de cette description, que le poète fait de la félicité des hommes, sont contradictoires. Car si l’on est heureux jusqu’au point d’être satisfait de son état, et de n’en point désirer un meilleur, comment peut-on ne pas craindre la mort, qui est le terme fatal de cette félicité ? Et si ce que l’on quitte par la mort, est si peu de chose qu’on ne désire et qu’on ne craint point de mourir, comment est-ce que l’on peut être aussi satisfait de sa condition ? Cet homme parlait bien à son aise ; il lui semblait ne rien dire dans ces versd :
d – Souhaitez d’être ce que l’on est, et rien de plus ; ne craindre la mort, ni la désirer. (Martial, op. cit.)
Quod fis, esse velis, nihilque malis,
Summum nec metuas diem, nec optes.
C’est la pierre philosophale dans la morale, qu’un homme qui est content de sa condition et qui ne craint point la mort. Outre que ces idées se détruisent, elles anéantissent la nature de l’homme qui s’aime nécessairement, et qui s’aime sans bornes, comme nous l’avons déjà vu. Il n’aime point le bonheur avec médiocrité, et par conséquent il ne saurait être content jusqu’à ce qu’il a obtenu le bien infini. Il craint souverainement la misère, et par conséquent il ne saurait cesser de craindre, jusqu’à ce qu’il soit assuré de son immortalité.
Il est certain encore qu’un des plus grands défauts de la félicité que les hommes recherchent, ou de cette volupté après laquelle ils courent avec tant d’ardeur, c’est qu’elle est incertaine dans ses fondements. Il dépend de mille causes qui ne sont point en votre puissance de vous le procurer, ou de vous l’ôter. Quels fonds pouvez-vous faire sur la santé d’un corps, que tout menace de ruines ? Et quelle tranquillité pouvez-vous nous avoir à cet égard, si sa mort se trouve partout, dans les aliments qui le font vivre, dans l’air qu’il respire, dans le souffle d’un malade qu’il voit, dans un insecte qui le pique, dans une infinité de causes secrètes, que nous ne pouvons ni prévenir ni éviter ? Qui m’assurera la possession de mes richesses ? Qui me répondra de la conservation des personnes qui me sont agréables ? Qui mettra à couvert moi et les choses qui m’appartiennent, des accidents si ordinaires dans la société ?
Le quatrième défaut de cette félicité humaine, c’est que non seulement elle est corruptible, mais encore momentanée, elle ne dure point autant que notre vie, il s’en faut beaucoup. Le sommeil pendant lequel nous sommes sans sentiments, en emporte une bonne partie. Elle ne subsiste point aussi longtemps que cette moitié de notre vie que nous passons dans le réveil et dans la réflexion. Car nous ne sommes pas toujours occupés à goûter le plaisir. Je dirai bien davantage, elle ne dure point autant que la présence des objets qui la faisaient naître. Le plaisir ne dure que dans ce passage qui dure si peu de la privation à la jouissance. On a quelque joie à acquérir mais ce plaisir se perd, dès qu’on a acquis. Les plus grands biens du monde quand on les a possédés deux jours, ne nous touchent guère. Il semble que la félicité à cet égard ne consiste que dans la satisfaction du désir, qui ne vous rend heureux, ni quand il vit, ni quand il est mort ; mais dans l’instant qu’il s’éteint. La nature si sage en toutes choses a voulu nous apprendre que ce bien ne doit pas être négligé, puisqu’elle a attaché de la joie à son acquisition ; mais elle a voulu nous apprendre que ce bien ne doit point faire l’acquiescement de nos âmes, puisque ce plaisir s’évanouit presque aussitôt que nous commençons de le sentir.
Le cinquième défaut de la félicité que les hommes recherchent consiste en ce que leur bonheur est toujours mêlé de misère. Il ne leur arrive point de bien qui ne soit accompagné d’amertumee :
e – Ovide, Eleg. liv. I : Des venins cruels sont cachés sous la douceur du miel.
Impia sub dulci melle venena latent.
Je ne sais même comment il arrive que la proportion des biens, qui sont attachés à une condition, est la proportion des maux qui la suiventf :
f – Ovide, Métamor., liv. 7 : Afin qu’il y ait dans les choses une mesure égale de maux et de plaisirs.
Ut rebus lætis par fit mensura malorum.
Le dernier enfin est que cette félicité ne remplit point notre âme ; elle ne répond point à l’ardeur avec laquelle nous avons désiré les biens temporels ; de sorte que trouvant une extrême disproportion entre le bien que nous avons acquis, et l’ardeur avec laquelle nous l’avons désiré, nous nous trouvons en quelque sorte affamés au milieu même de l’abondance.
Quoique l’amour de nous-mêmes n’aime point à penser à toutes les choses qui peuvent lui faire voir la vanité de ses attachements, il est certain néanmoins qu’il entrevoit tous ces défauts dans la félicité qu’il poursuit. Il sent que le plaisir des sens est plutôt la félicité des que celle de l’homme. Il convient qu’un bonheur pour être solide, devrait être durable. Il ne nie pas qu’un bonheur assuré ne fut préférable à une félicité qui est si incertaine dans ses fondements. Il sent que pour être heureux, il faudrait que l’homme pût fixer ce plaisir passager, qui ne se trouve que dans l’instant de l’acquisition. Il convient que la véritable félicité devrait remplir notre âme.
La droite raison voudrait donc, qu’il cherchât d’autres sources de félicité. Mais le plaisir présent qui l’intéresse et qui séduit l’entendement, en l’attachant à ce qui est agréable plutôt qu’à ce qui est vrai, ne lui permet point de prendre ce parti. Ses propres illusions le servent ici à leur ordinaire. Elles viennent prendre la place des qualités qui manquent à l’objet, ne pouvant se faire dans le monde une félicité qui satisfasse sa raison ; l’homme se fait à cet égard une raison qui satisfait sa volupté. L’esprit préoccupé donne à ces faux biens un caractère qu’ils n’ont point en eux-mêmes ; et c’est ici surtout qu’il faut admirer l’ascendant prodigieux que le cœur a sur l’esprit. Car déguiser des vérités abstraites et spéculatives, ce n’est rien ; mais déguiser des vérités de sentiments et d’expérience, c’est là ce qui montre mieux que tout autre chose la force de notre corruption, et c’est ce que nous allons voir en développant un des plus cachés mystères de l’amour-propre.