Coup d’œil sur le méthodisme en Angleterre. — Jean Wesley. — Sa jeunesse. — Sa conversion. — Origines du méthodisme. — Influence des Moraves. — Débuts de l’évangélisation méthodiste. — Prédications en plein air. — Prédications laïques. — Organisation de la Société. — Les classes. — Rupture avec les Moraves. — Rupture avec Whitefield. — La première Conférence. — Refus de Wesley de fonder une Église nouvelle. — Extension du méthodisme. — Le méthodisme américain. — Organisation intérieure de l’Eglise méthodiste. — Les premiers missionnaires méthodistes en France. — Angel. — William Mahy. — Le docteur Coke à Paris. — De Quetteville. — Etablissement du méthodisme dans le Calvados. — Du Pontavice. — De Kerpezdron. — Toase et l’évangélisation des prisonniers de guerre. — Amice Ollivier. — Missionnaires du méthodisme insulaire.
Au moment où des Églises ou des Sociétés genevoises songeaient à envoyer des évangélistes dans notre pays, d’autres chrétiens, les méthodistes anglais, formaient un projet analogue.
A dire vrai, les premiers missionnaires wesleyens ont devancé les évangélistes genevois. Cependant, ce n’est qu’à partir de 1818 que l’évangélisation méthodiste a pris une véritable extension. Or, c’est précisément l’époque à laquelle Pyt, Méjanel et leurs amis viennent en France. On peut donc considérer ces deux actions comme parallèles.
Avant de retracer l’œuvre des premiers missionnaires wesleyens, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur l’histoire du méthodisme en Angleterre et sur son organisation.
[Nous avons résumé la vie de Wesley et le développement du méthodisme en Angleterre d’après les articles Wesley et Méthodisme, de l’Encyclopédie des sciences religieuses, la Vie de Wesley, par Matth. Lelièvre, 2e édition. Paris, 1883. Il a paru, en 1891, une troisième édition de cet ouvrage ; mais ces quelques pages étaient rédigées avant que nous en ayons eu connaissance ; au reste, les modifications contenues dans cette nouvelle édition ne portent que sur des points de détail que nous n’avions pas touchés. Voir aussi dans La Réformation au XIXe siècle, journal, 1847, une série d’articles sur Wesley et le Wesleyanisme.]
Le fondateur du méthodisme, Jean Wesley, naquit, le 17 juin 1703, à Epworth, comté de Lincoln (Angleterre). Son père, Samuel Wesley, recteur anglican de cette paroisse, était fils et petit-fils de puritains. Sa mère, fille du docteur Annesley, théologien non-conformiste, avait également renoncé aux vues ecclésiastiques de sa famille pour adhérer à l’anglicanisme. Wesley puisa donc dans ses traditions de famille à la fois un attachement raisonné à l’Église établie et une indépendance d’esprit qui devait, le cas échéant, lui permettre de s’émanciper de sa tutelle. Il y puisa surtout de fortes convictions chrétiennes et des besoins religieux profonds. Sa mère, que l’un des biographes de Wesley estime avoir été une des femmes les plus saintes et les plus distinguées que l’Église ait eues, exerça sur lui et sur ses autres enfants l’influence la plus heureuse. On a pu dire que la mère de Wesley fut la mère du méthodisme, non qu’elle ait pris une part directe à ce mouvement religieux, mais parce qu’elle a formé l’âme énergique de son fondateur.
Jean Wesley commença ses études dans l’école de Charterhouse, à Londres ; il les termina au Christ Church Collège d’Oxford. Cette éducation littéraire fut poursuivie avec une telle intelligence et une telle conscience qu’à l’âge de vingt-quatre ans Wesley avait obtenu le diplôme de maître es arts et professait dans une chaire de littérature grecque.
Mais ce n’était pas pour lui le terme de ses travaux : au contraire. Il réservait encore le meilleur de son temps à des études personnelles : il consacrait le lundi et le mardi au grec et au latin, le mercredi à la logique et à l’éthique, le jeudi à l’hébreu et à l’arabe, le vendredi à la métaphysique et à la philosophie naturelle, le samedi à l’art oratoire et à la poésie, et le dimanche à la théologie ; il faisait aussi une place à l’étude du français et des mathématiques.
Une telle persévérance devait évidemment porter ses fruits et il n’est pas surprenant que, formé à une semblable école, Wesley n’ait pas été un homme ordinaire.
Au point de vue religieux, le jeune professeur n’était pas encore parvenu à des certitudes personnelles sur le grand fait du salut. Sa foi était plutôt une foi de tradition, d’éducation, que l’assurance intime de sa réconciliation avec Dieu par Jésus-Christ. Cependant, le prix infini de l’âme humaine, la nécessité de l’Évangile pour notre bonheur dans le temps et dans l’éternité ne faisaient pas de doute pour lui. C’est ainsi qu’un jour, en veillant avec un ami de collège auprès d’un mort, il se sentit amené à engager son ami à devenir chrétien. Ses paroles ne furent point perdues, et, quelque temps après, ce jeune homme mourait dans la foi. Ce fut le premier converti de Wesley, et ce fruit de son zèle chrétien, il l’obtint à un moment où lui-même n’était pas arrivé à la claire possession de la foi qui sauve.
C’était l’observation de la loi de Dieu qui était son principal objectif : il confondait la justification et la sanctification, et se livrait à des exercices de piété, qui, tout en étant excellents en eux-mêmes, ne pouvaient lui donner la paix du cœur. Au milieu de beaucoup de luttes intérieures, il reçut les ordres mineurs en 1725, trois ans plus tard l’ordination proprement dite.
Deux années de suffragance auprès de son père faillirent le persuader qu’il avait fait fausse route. Rappelé, en 1729, par le Lincoln’s Collège d’Oxford, dont il était agrégé, il reprit la carrière de l’enseignement avec bonheur. Pendant son absence, son frère Charles, plus jeune que lui de quelques années, était arrivé à Oxford et avait fondé, avec quelques camarades, une sorte de petite association moitié scientifique, moitié religieuse. On appela ces jeunes gens, par dérision, des méthodistes.
Ce nom avait été employé en Angleterre, au dix-septième siècle, comme synonyme de puritain. En France, on appela méthodistes, à la même époque, les polémistes catholiques qui combattirent le protestantisme.
« Ce nom fut donné, dit Wesley, pour la première fois, à trois ou quatre jeunes gens par un étudiant de Christ-Church, soit par allusion à une ancienne secte de médecins ainsi appelée, soit à cause de la régularité de leurs études et de leur conduite, plus méthodique que ne l’était celle des autres étudiants. » Dans un dictionnaire qu’il publia en 1743, Wesley définit ainsi le méthodiste : « Celui qui vit selon la méthode prescrite dans la Biblea. »
a – Cité par Cart, Histoire du mouvement religieux et ecclésiastique dans le canton de Vaud, t. V, p. 264.
Il se joignit à ces jeunes gens et devint bientôt leur véritable directeur. A ses débuts à Oxford, le méthodisme diffère profondément de ce qu’il sera dans la suite ; il est mystique, ritualiste, tourné vers la vie contemplative, et semble plutôt en voie de produire une confrérie d’ascètes qu’une puissante association missionnaire.
Une courte mission en Géorgie, colonie nouvelle, que venait de fonder en Amérique le général Oglethorpe, mit les deux Wesley en relations avec des émigrants moraves qui les initièrent à un christianisme plus intérieur et plus efficace que celui qu’ils connaissaient.
De retour à Londres, ils se rapprochèrent de la petite société morave de Fetterlane, et ce fut dans ce milieu que Jean Wesley parvint à cette assurance de la foi que les entretiens du morave Bæhler lui avaient représentée comme le privilège du chrétienb. Ce fut en entendant lire, le 24 mai 1738, dans la préface de Luther à l’épître aux Romains, la description du changement que la foi opère dans les relations de l’homme avec Dieu, que Wesley trouva la paix intérieure : « Il sentit, dit-il lui-même, que son cœur se réchauffait étrangement et qu’il se confiait en Christ seul pour son salut. »
b – On peut remarquer que l’influence des Moraves est ainsi prépondérante dans tout le mouvement du Réveil.
On a souvent comparé cette conversion de Wesley à la conversion de Luther. Chez l’un comme chez l’autre se retrouve la même lutte intérieure, le même passage des œuvres de la loi à la grâce. « Cette comparaison, dit un historien ecclésiastique anglais, est très instructive. Dans les deux cas, nous trouvons qu’une période prolongée de leur vie est marquée par des confessions qui, pour des personnes qui ne sont pas en parfaite sympathie spirituelle avec de tels hommes, indiquent des modifications et des progrès en apparence incohérents et extrêmement embarrassants. Toutefois il existe une différence fondamentale dans le caractère de ces deux esprits. Luther a l’esprit éminemment intuitif, regardant avec la fixité du regard de l’aigle, la vérité partout où elle se lève devant lui ; Wesley a un esprit éminemment logique, qui arrive à ses conclusions par voie d’argumentation. Il en résulte que la théologie de Luther a jailli de son expérience, de ses besoins profondément sentis et pleinement satisfaits, tandis que l’expérience de Wesley a jailli de sa théologie. D’abord convaincu de certaines vérités, il les appliqua ensuite. Il apprit la doctrine de la justification par la foi avant d’exercer la foi qui le mit dans un état de justificationc. »
c – Stoughton, cité par Lelièvre, Vie de Wesley, p. 83-84.
Charles Wesley s’était converti quelques jours avant son frère ; leur ami, Georges Whitefield, les avait précédés dans cette voie et fait l’expérience du salut, pendant que les deux Wesley étaient en Géorgie. Ainsi se trouvaient préparés providentiellement pour leur œuvre les trois principaux ouvriers du Réveil qui allait ébranler l’Angleterre.
L’Angleterre était alors dans un état religieux fort misérable. Nous avons sur ce point le témoignage de deux Français qui la visitèrent : l’un, Montesquieu, résumait ainsi ses impressions : « Point de religion en Angleterre, » et l’autre, Voltaire, écrivait dans le même sens : « On est si tiède en Angleterre, qu’il n’y a plus guère de fortune à faire pour une religion nouvelle ou renouvelée. »
Il avait raison quant à la tiédeur, et l’étonnement, même le scandale, que provoquèrent les premières prédications de Wesley dans les chaires anglicanes le prouvèrent bien. Il avait tort quant à l’impossibilité de réveiller ce peuple endormi, et l’enthousiasme populaire pour les nouveaux prédicateurs démentit la prophétie pessimiste du philosophe français.
Les églises anglicanes se fermèrent bientôt pour les méthodistes, comme devaient se fermer les temples nationaux de Genève pour les hommes du Réveil.
Alors Wesley et Whitefield annoncèrent l’Évangile dans les maisons particulières, dans les prisons, et enfin en plein air. Ce fut le 17 février 1739 que Whitefield inaugura ce genre de prédication, à Kingswood, près de Bristol, au milieu de mineurs à demi-sauvages, dont aucune Église ne prenait soin ; il en eut deux cents le premier jour, deux mille le lendemain, à sa troisième visite quatre ou cinq mille, et bientôt dix et quinze mille.
Au mois d’avril, Wesley, qui avait eu quelques scrupules d’abord à imiter son ami, prêcha à son tour en plein air, et cette innovation, qui parut très hardie à cette époque, fut amenée par l’impossibilité d’agir autrement. Les méthodistes n’eurent d’ailleurs qu’à s’en féliciter, car, sans cette prédication en plein air, le méthodisme serait devenu une simple communauté piétiste, agissant sur de petits cercles d’adhérents, mais sans influence sur les masses.
Cette innovation en appelait une autre, l’itinérance, c’est-à-dire les missions ici et là, sans la fixation dans aucune Église. Wesley et ses amis voulurent conserver la pleine liberté de leurs mouvements et pouvoir répondre aux appels qui leur venaient de toutes parts. Ce ministère irrégulier et nomade souleva les plus vives protestations de l’épiscopat, qui essaya par tous les moyens de le faire cesser.
Mais là ne se bornèrent pas les nouveautés ecclésiastiques : en 1739, un laïque, John Cennick, commençait à prêcher à Kingswood, et, en 1742, la prédication laïque se produisait avec un certain éclat à Londres même.
Toujours dans cette année 1739, que l’on regarde avec raison comme celle de la naissance du méthodisme, Wesley groupait les convertis en petites sociétés, sur le type morave ; ce fut le germe de ces classes (class-meetings) qui forment l’un des traits essentiels de l’organisation du méthodisme. Des lieux de culte s’ouvraient à Bristol et à Londres, et, à la fin de 1739, la prédication de l’Évangile s’était fait entendre dans tout le pays de Galles : « Une éloquence austère et animée, dit M. de Rémusat dans un article de la Revue des Deux-Mondes, qui ne ménageait aucune des faiblesses de ceux qu’elle voulait gagner, qui ne savait que maudire le péché et effrayer la conscience, troublait d’une émotion profonde des multitudes insensibles jusque-là à tout ce qui n’était pas la vie de la chair. Des pleurs, des sanglots, des cris de douleur couvraient par moments la voix de l’orateur. Des pécheurs, saisis d’épouvante ou ravis d’enthousiasme, tombaient avec des frémissements presque convulsifsd. »
d – Rémusat, Wesley et le Méthodisme, p. 37, cité dans l’article Méthodisme de l’Encyclopédie des sciences religieuses.
Ainsi accueillie, l’œuvre du méthodisme ne pouvait passer inaperçue et se flatter d’échapper à des récriminations, voire à de violentes attaques. On prit prétexte de ces phénomènes physiques, souvent absolument extraordinaires, et l’hostilité au Réveil revêtit toutes les formes, admonitions de la part des évêques, dénonciations du haut de la chaire, articles virulents dans les journaux, pamphlets en prose et en vers. Bientôt, l’heure de la vraie persécution allait sonner ; mais, auparavant, le méthodisme devait traverser une crise intérieure bien plus redoutable.
Wesley et ses amis avaient les plus grandes obligations envers les Moraves, qui les avaient mis en possession de la doctrine centrale de la Réformation, et, pendant quelque temps, ils travaillèrent d’accord. Toutefois, une certaine incompatibilité d’humeur se révélait entre eux à propos du langage mystique, du quiétisme sentimental des Moraves de Londres, toutes choses auxquelles Wesley, avant tout actif et pratique, ne pouvait pas se plier. D’autre part, l’ardeur conquérante du Réveil anglais déroutait un peu la société morave, et ces divergences de vues, provenant de la différence des tempéraments allemand et anglais, ne firent que s’aggraver lors de l’arrivée à Londres d’un Morave Alsacien, Philippe-Henri Molther.
Celui-ci prit la haute direction de la communauté et lui inculqua un enseignement antinomien et quiétiste, qui, aux yeux de Wesley, dénaturait la doctrine du salut. Les partisans de Molther, considérant Wesley comme incapable de s’élever jusqu’à la haute spiritualité à laquelle ils avaient pris goût, lui fermèrent la chaire de Fetterlane, le 16 juillet 1740. Quatre jours plus tard, il rompit lui-même définitivement avec les Moraves, après leur avoir lu une déclaration où il indiquait ses motifs. Le 23 juillet, les membres qui étaient d’accord avec lui se réunirent en société distincte dans la chapelle méthodiste de Londres. Zinzendorf intervint pour faire cesser ce schisme ; il n’y réussit pas.
Une scission, plus grave encore que celle-là, divisa, l’année suivante, le méthodisme en deux branches.
Whitefield, sous l’influence des presbytériens d’Écosse et des indépendants de la Nouvelle-Angleterre, avait adopté les idées calvinistes sur l’élection et la prédestination. Wesley, au contraire, était resté sur ce point fidèle à la tradition arminienne, qui prévalait dans l’Église anglicane. Mais encore une lutte aurait été évitée, si les membres de l’Église méthodiste eux-mêmes ne s’étaient divisés en deux camps et n’avaient poussé les deux amis à entrer dans la lice. Wesley crut devoir défendre son point de vue dans un sermon sur la Libre grâce, publié en 1740. Withefleld, de retour d’Amérique quelques mois plus tard, répondit en livrant à l’impression une lettre qu’il adressait à Wesley et dans laquelle il le prenait à parti personnellement avec une grande vivacité.
La séparation devenait inévitable, et deux écoles se formèrent au sein du méthodisme : l’école calviniste et l’école arminienne. La première, celle de Whitefield, ne créa qu’un nombre restreint de communautés ; son chef était cependant mieux doué que Wesley comme prédicateur, mais il manquait de ce talent d’organisation qui faisait comparer par Macaulay Wesley à Richelieu.
Il est de fait que le méthodisme wesleyen acquit un développement qui laissa bien loin en arrière le méthodisme calviniste. Wesley prenait ses auxiliaires dans toutes les classes de la société : la plupart du temps, ils ne brillaient pas par la culture intellectuelle ; mais, en présence du mauvais vouloir que le clergé régulier témoignait au Réveil, Wesley n’hésitait pas à se servir de ce qu’il avait sous la main. Difficultés de toutes sortes, chapelles saccagées et démolies, assemblées religieuses dispersées par la violence, prédicateurs assaillis de projectiles et, plus d’une fois, mourant des mauvais traitements qu’ils avaient subis, rien ne découragea le zèle des évangélistes méthodistes. En 1744, ils étaient déjà une cinquantaine, et les membres des Sociétés se comptaient par milliers. Wesley songea alors à coordonner tous ces travaux et à unir par un lien fraternel tous ces ouvriers. La première Conférence eut lieu à Londres en 1744, et, dès lors, ces assemblées devinrent annuelles.
Dès la première, on se prononça nettement contre l’accusation de dissidence ; on déclara qu’on ne se séparait pas, qu’on ne voulait pas se séparer de l’Église établie.
Mais, au bout de quelques années, Wesley vit bien que la dissidence naîtrait, non pas de son fait, mais du fait même de l’Église anglicane. Ses tentatives de rapprochement étaient repoussées avec dédain. En vain envoyait-il ses convertis participer au culte et communier dans l’Église établie ; en vain refusait-il toujours de fonder une Église distincte, l’anglicanisme ne voulait pas se réchauffer à son ardeur missionnaire.
Mais il faut reconnaître que ce désintéressement ecclésiastique servit admirablement la cause supérieure de l’avancement du règne de Dieu. Wesley ne voulant pas se mettre en peine de constituer une église, de chercher les bases d’une nouvelle société, put, d’une part, travailler à vivifier à la fois l’anglicanisme et la dissidence d’alors, le non-conformisme, et, de l’autre, se vouer exclusivement à l’évangélisation. Il parcourait à cheval l’Angleterre, de l’extrémité des Cornouailles jusqu’aux frontières de l’Écosse ; ses amis apportaient le réveil en Irlande ; dans l’armée anglaise, des méthodistes annonçaient l’Évangile à leurs camarades. En 1775, le méthodisme atteignait Terre-Neuve ; en 1765, un négociant de l’île de Jersey, Pierre Le Sueur, converti pendant un voyage à Terre-Neuve, introduisait les doctrines nouvelles dans les Îles de la Manche.
En 1760, quelques émigrants méthodistes débarquèrent à New-York ; ce petit noyau grandit peu à peu au point de former, en 1784, une véritable Église, l’Église méthodiste d’Amérique, sur laquelle Wesley établit le Dr Coke comme premier évêque. Celui-ci reçut bientôt pour collègue dans l’épiscopat Francis Asbury, qui fut le vrai fondateur de l’Église méthodiste épiscopale.
Mais, en Angleterre, où la situation ecclésiastique était différente, Wesley se refusait toujours à fonder une Église et à autoriser, sauf de très rares exceptions, ses prédicateurs à administrer les sacrements. Il reconnaissait cependant que ce modus vivendi devrait forcément subir des transformations, et, dans tous les cas, pour garantir après lui la continuation de son œuvre, il fit enregistrer, à la chancellerie du royaume, un document dit Deed of Declaration, qui assurait une sorte de reconnaissance légale au méthodisme et constituait, pour veiller à ses Intérêts, une Conférence annuelle de cent prédicateurs désignés nominativement et se renouvelant eux-mêmes par voie d’élection.
A vrai dire, la vie de Wesley est inséparable de son œuvre, et on l’a racontée en racontant l’histoire du méthodisme. En dehors de cette activité extérieure, son existence offre peu d’incidents. Il commit la folie d’épouser, âgé de près de cinquante ans, une veuve acariâtre et jalouse, qui, pendant vingt ans, le persécuta par d’intolérables vexations. Lors-qu’enfin elle se sépara de lui en 1771, il écrivit sur son journal : « Je ne l’ai pas délaissée ; je ne l’ai pas renvoyée ; je ne la rappellerai pas : Non eam reliqui, non dimisi, non revocabo. »
Au milieu de ses travaux missionnaires, il trouva le temps de publier environ deux cents volumes, composés, traduits ou abrégés par lui, et traitant de théologie, d’histoire, de biographie, de philosophie, de poésie, de linguistique, de médecine, etc., le tout à un point de vue populaire.
Il mourut à Londres, le 2 mars 1791, à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Il laissait derrière lui 540 prédicateurs itinérants, dont 313 en Angleterre et 227 en Amérique ; 134 599 membres, dont 76 968 en Angleterre et 57 631 en Amérique.
Après sa mort, le méthodisme traversa diverses crises, et subit plusieurs schismes, provoqués soit par la question des sacrements, soit par celle des meetings en plein air, soit par celle de la fondation d’une Faculté de théologie, soit enfin par celle de l’organisation de la Conférence.
Mais, malgré ces difficultés intérieures, le méthodisme a continué son œuvre, et son influence sur la civilisation et la moralisation de la Grande-Bretagne n’est contestée par personne. M. Scherer a appelé le méthodisme « un mouvement religieux qui a changé la face de l’Angleterre. »
Les missions wesleyennes méritent une mention spéciale. Aux Antilles, dans la Guyanne britannique, dans l’Amérique du Sud, à Ceylan, aux Indes, à Sierra-Leone, au Cap, dans les îles de l’Océanie, la Nouvelle Galles du Sud, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, les îles Fidji, l’Australie, les wesleyens ont porté courageusement la bonne nouvelle du salut, et souvent avec un succès qui dépassa les espérances les plus optimistes. Pour avoir une idée de l’extension de la Société des missions wesleyennes, il n’y a qu’à remarquer qu’en 1880 ses recettes se sont élevées à près de cinq millions de francs.
Le méthodisme américain, organisé en Église distincte par Wesley, a eu une fortune encore plus rapide que le méthodisme anglais. En 1880, il comptait 1 700 000 membres, et en comprenant les diverses branches détachées successivement du tronc primitif, 3 437 000. Les schismes ne lui ont pas été plus épargnés ; le plus considérable fut provoqué par la question de l’abolition de l’esclavage.
La Société des missions méthodistes américaines a des stations en Afrique, au Mexique, dans l’Amérique du Sud, en Chine, dans l’Inde, au Japon, en Bulgarie, dans la Scandinavie, en Allemagne et en Italie, avec un budget de 1 397 580 francs, auxquels il faut ajouter environ deux millions pour la mission intérieure parmi les populations de diverses races qui se partagent les Etats-Unis. En 1866 a été célébré le centenaire du méthodisme américain et on a créé, à cette occasion, pour l’extension de ses œuvres générales, un fonds spécial qui s’est élevé à plus de 43 500 000 francs.
L’organisation des Églises méthodistes a pour trait caractéristique l’établissement des classes, réunions hebdomadaires d’édification mutuelle, présidées par un conducteur ordinairement laïque. Toute personne, qui désire devenir membre de l’Église, doit s’affilier à une classe, mais sans avoir à adhérer à un formulaire dogmatique. Wesley ne demandait pas autre chose « que le désir de fuir la colère à venir et d’être sauvé de ses péchés. »
L’assemblée des conducteurs des classes forme, sous la présidence du pasteur, le conseil de l’Église ; chaque conducteur y verse entre les mains de l’économe le produit des cotisations des membres de sa classe. L’assemblée trimestrielle groupe les conducteurs des diverses sociétés d’un circuit ou circonscription avec les trésoriers des divers fonds et les prédicateurs locaux, laïques qui consacrent leurs dimanches à l’évangélisation. Au-dessus est l’assemblée de district qui réunit les pasteurs et les délégués laïques d’une circonscription assez étendue, et correspond aux synodes régionaux des Églises presbytériennes. Enfin au-dessus se trouve la Conférence annuelle, dans laquelle depuis 1878, en Angleterre, on a introduit l’élément laïque. C’est le corps suprême de l’Église.
La consécration, qui n’est accordée qu’après quatre années de noviciat et par la Conférence, a une forme purement presbytérienne. L’itinérance a continué à être observée, et un pasteur ne peut demeurer à la tête d’une Église plus de trois années consécutives.
Telles sont, très rapidement esquissées, l’histoire et l’organisation du méthodisme. Ces détails préliminaires étaient nécessaires pour permettre de discerner le véritable caractère de l’œuvre méthodiste en France, en faire apprécier équitablement certains traits et en expliquer quelques lacunes.
Ce fut des Îles de la Manche que partirent les premières tentatives d’évangélisation de notre payse. Dans l’été de 1791, un méthodiste de Guernesey, Jean Angel, débarqua, pour les affaires de son commerce, à Courseulles-sur-Mer, petit port de pêche à peu de distance de Caen. La pauvreté des cultes auxquels il assista (l’Église n’avait que deux ou trois fois par an la visite d’un pasteur, et l’on se contentait, dans les intervalles, de la lecture d’un sermon faite par un ancien) lui donna l’idée d’offrir à ce groupe de protestants un prédicateur qui résiderait au milieu d’eux. On leur envoya en effet un jeune prédicateur local, William Mahy, qui fut bientôt rejoint par un autre prédicateur, de Quetteville. Tous deux prêchèrent à Courseulles, Cresserons, Périers, Beuville, Fresnes-Camilly et Saint-Martin, villages situés dans les environs de Caen et dans lesquels de petits noyaux protestants avaient réussi à se conserver malgré les persécutions. De Quetteville retourna au bout d’un mois dans les Îles, et Mahy resta seul à l’œuvre. Du reste, il gagna rapidement l’affection des protestants de la contrée, et ceux de Cresserons résolurent de lui fournir un cheval et de lui donner quatre cents francs par an pour aider à son entretien.
e – Voir Matth. Lelièvre, Histoire du méthodisme dans les Îles de la Manche. Paris Londres, 1885.
En juillet de cette même année, la France figurait déjà sur la liste des stations méthodistes, et l’évangélisation commencée d’une manière tellement fortuite était désormais officiellement reconnue.
Le docteur Coke, qui avait été nommé par Wesley évêque de l’Église d’Amérique, avait abandonné cette situation dès qu’il avait vu le méthodisme américain en bonne voie de développement, et il s’était donné pour tâche la direction des œuvres missionnaires. Il résolut alors de faire un voyage en France pour se rendre compte de l’effort qu’il convenait de tenter en faveur de ce pays.
Le 22 septembre 1791, il débarquait à Jersey, accompagné de l’un de ses amis. Ils s’adjoignirent de Quetteville, après lui avoir conféré l’ordination de diacre et d’ancien, et tous trois gagnèrent la France. A Courseulles, ils visitèrent William Mahy ; Coke le consacra, afin qu’il pût remplir toutes les fonctions pastorales, puis il reprit avec ses deux compagnons la route de Paris qui était le but de son voyage. Arrivés à destination, ils se mirent à la recherche de deux Anglais, qui avaient écrit, quelques années auparavant, à une dame anglaise, zélée protectrice du méthodisme, lady Huntingdon, pour l’engager à envoyer un pasteur à Paris. Cette demande était restée sans réponse. Mais Coke, qui la connaissait, pensa que ses deux compatriotes lui fourniraient un point d’attache pour l’œuvre qu’il voulait commencer.
Ces Anglais étaient deux professeurs, dont la Révolution avait tari les sources de revenus, en leur enlevant leurs élèves ; dans ces temps troublés, on ne songeait guère à aller prendre des leçons. Espérèrent-ils relever leurs affaires par la fondation d’une Église ? toujours est-il qu’ils encouragèrent vivement Coke à ouvrir un lieu de culte, lui promettant le plus grand succès. Celui-ci loua sur-le-champ une salle dans une rue très fréquentée non loin de la Seine, et annonça, par la voie des journaux, l’ouverture prochaine de prédications évangéliques. D’autre part, comme on allait procéder à la vente des biens du clergé, Coke, toujours sur le conseil des deux professeurs, voulut profiter d’une occasion exceptionnelle pour se procurer un lieu de culte permanent, et acheta pour trois mille francs une Église pouvant contenir deux mille personnes.
Mais, hélas, tous ces plans devaient avoir le plus pitoyable des résultats. Lorsque, dans la salle de culte provisoire, Jean de Quetteville donna sa première prédication, il avait pour auditeurs trente-six personnes, y compris les deux professeurs anglais et leurs familles. Pensant que c’était l’obscurité de son nom qui lui avait valu un si mince succès, de Quetteville annonça que, le lendemain, le révérend docteur Coke, de l’Université d’Oxford, lirait un discours français de sa composition. Les titres du prédicateur ne réussirent pas à éveiller la curiosité du public, et, à l’heure fixée, six personnes seulement se présentèrent pour entendre le sermon que le docteur avait pris tant de peine à préparer dans une langue qui ne lui était pas familière.
Coke, découragé, renonça à cette entreprise et retourna en Angleterre, « bien convaincu, dit l’un de ses biographes, que les Français étaient trop engoués de leur révolution et trop éblouis par leur nouvelle philosophie pour accorder la moindre attention aux vérités du christianisme ou au salut de leurs âmes. »
Ajoutons qu’il avait pu résilier le marché conclu pour l’achat de l’église et se défaire, grâce à la complaisance des agents du gouvernement, de cet édifice désormais inutilef.
f – Voir, sur ce voyage de Coke à Paris, L’Evangéliste, journal, 1861, p. 154.
De Quetteville partit aussi de Paris, en secouant la poussière de ses pieds contre cette Babylone, « la mère des abominations, écrivait-il, qui abonde en toutes sortes d’iniquités. » Il passa un mois avec Maby dans les environs de Caen, organisa en société les personnes réveillées, puis s’éloigna quelque temps. Il revint dans ce champ de travail en 1792, et essaya alors de fonder un culte à Caen, mais ne put y parvenir. Quant aux sociétés déjà formées, de Quetteville et Mahy réglèrent la question de l’admission à la sainte Cène, qu’on décida de donner seulement à ceux qui, dans une conversation particulière avec les pasteurs, auraient fourni la preuve de leurs dispositions sérieuses.
Pendant les guerres entre la France et l’Angleterre toute communication, même écrite, fut suspendue entre les méthodistes des îles de la Manche et la mission de Normandie. Mahy y était courageusement resté, en butte à toutes sortes de difficultés. Le pasteur de Caen faisait une opposition violente à son ministère, représentant, dans une circulaire aux anciens des Églises, les méthodistes comme des fanatiques ignorants et les comparant aux moines de l’Église romaine.
Ces calomnies, et bien d’autres encore, entravèrent l’œuvre de Mahy ; plusieurs de ses auditeurs ne se montrèrent plus aux réunions. A Beuville, on voulut expulser le prédicateur méthodiste qui ne dut le maintien du culte qu’à la fermeté du propriétaire de la maison où les services avaient lieu. A Cresserons, le missionnaire dut céder et se retirer. Puis vint l’orage de la Terreur, avec toutes les tristesses et les apostasies qui signalèrent cette lamentable période. Le pasteur de Condé cessa ses cultes, en déclarant à ses paroissiens qu’il ne croyait pas un mot de tout ce qu’il leur avait prêché depuis vingt ans. Celui de Caen, qui persécutait avec tant d’acharnement les méthodistes, joua à la loterie, fit faillite et fut conduit enchaîné à Paris.
L’œuvre de Dieu devenait bien difficile dans des temps pareils ; pourtant Mahy la poursuivait avec fidélité. Il visita la ville de Condé, puis la contrée voisine, le Bocage, où son ministère fut particulièrement béni ; enfin, il put obtenir quelques résultats à Caen, et y réunit pendant quelque temps des assemblées assez nombreuses.
Après une quinzaine d’années de travaux fidèles, mêlés de cruelles souffrances, Mahy tomba dans un état de profonde mélancolie qui affecta sa raison, et ses amis, après de longues démarches, obtinrent pour lui la permission de rentrer, malgré la guerre, dans son pays natal. Il mourut dans une maison de santé, près de Manchester, en 1812. Ses dernières paroles furent : « Ma seule espérance est dans la miséricorde de Dieu. »
Les guerres, qui avaient si tristement interrompu les relations entre les Îles de la Manche et la Normandie, devaient cependant avoir un heureux résultat précisément pour la mission wesleyenne en France. Deux jeunes Français, de race noble, Pierre du Pontavice et Armand de Kerpezdron, se convertirent pendant un séjour à Jersey et devinrent de zélés évangélistes.
Pierre du Pontavice était né à Fougères, en 1770, d’une famille noble et catholique. Obligé de s’expatrier par suite des événements de la Révolution, il finit, après avoir visité plusieurs contrées, par se fixer à Jersey où il espérait prendre du service dans un petit corps d’armée, composé de nobles bretons.
Il entra en relations avec le pasteur méthodiste Richard Reece, auquel il demanda des leçons d’anglais et à qui il donna en échange des leçons de français. Ces rapports amenèrent du Pontavice à mieux connaître les idées de son professeur occasionnel, et bientôt il partageait sa foi évangélique. Quand le détachement breton quitta Jersey pour aller retrouver l’expédition de Quiberon, un retard empêcha le vaisseau de rejoindre à temps les autres navires, et du Pontavice et ses amis échappèrent ainsi au désastre qui enveloppa les émigrés dans la presqu’île.
Du Pontavice, réfugié en Angleterre, parvint à une connaissance définitive et complète des vérités du salut ; il se joignit au Dr Coke dans plusieurs voyages en Angleterre et en Amérique, et se mit à prêcher l’Évangile. Envoyé par la Conférence dans les Îles de la Manche en 1800, 1801 et 1802, il se distingua par sa piété profonde, sa touchante humilité et son amour pour les âmes.
La paix d’Amiens (1802) lui rouvrit les portes de la France : il y avait douze ans qu’il s’en était éloigné. Après des essais d’évangélisation dans sa ville natale et quelque temps de travail commun avec Mahy, il résolut, sur les conseils du pasteur de Luneray, Laurent Cadoret, de faire régulariser sa situation et d’entrer dans l’Église officielle. Après avoir été examiné par les pasteurs de Normandie et par ceux de Paris, il fut consacré le 15 décembre 1805. On lui demanda d’accepter le poste de second pasteur à Bolbec, afin de desservir les Églises du pays de Caux, qui avaient été longtemps privées de secours pastoraux. Il accepta, quoiqu’il eût peut-être préféré un ministère plus itinérant.
Installé le 13 avril 1806, du Pontavice exerça, pendant quatre ans, un véritable apostolat évangélique dans les cinq églises qui formaient sa paroisse. En butte à beaucoup de préjugés, provoqués par sa conversion au méthodisme, il sut désarmer ses adversaires par la profondeur en même temps que par la douceur de sa piété. Ses collègues nationaux lui rendaient le plus touchant des témoignages : « Ses prédications, disait son collègue à Bolbec, Alègre, étaient simples, pleines d’onction et souvent accompagnées de beaucoup de succès. Elles étaient surtout remarquables en ce qu’elles étaient pleines de la Parole de Dieu, que ce digne pasteur possédait au point de pouvoir citer, selon l’usage de ses maîtres, les chapitres et les versets. Il ne faut pas en être surpris. Cette lecture faisait ses délices, sa plus douce occupation, et il y employait tous ses loisirs… Je ne sais si j’ai jamais entendu quelqu’un prier avec une onction plus entraînante, un plus profond recueillement, une plus humble confiance. Il semblait y répandre son cœur tout entier devant Dieug. »
g – Archives du Christianisme, 1818, p. 365-366.
Malgré tous ces dons, du Pontavice ne recueillait pas de résultats visibles de son ministère : il était de ceux qui sèment dans les larmes, en attendant que d’autres entrent dans leur travail pour récolter avec chants de triomphe. Les conversions étaient rares parmi ses auditeurs ; la langueur spirituelle ne se dissipait pas, et cette épreuve, toujours grande assurément pour tout serviteur de Dieu jaloux de la gloire de son Maître, fut au-dessus des forces du pieux pasteur de Bolbec. La douleur qu’elle lui causa contribua sans nul doute à l’altération de sa santé et au dépérissement qui devait l’emporter. Il prêcha aussi longtemps qu’il le put ; puis, quand il sentit que son œuvre et sa vie touchaient à leur terme, il alla auprès de ses amis méthodistes de Beuville, pour s’endormir au milieu d’eux (1810). Du reste, il n’avait jamais cessé de se considérer comme un missionnaire wesleyen et avait conservé ses relations avec les méthodistes des environs de Caen et avec la Conférence britanniqueh.
h – Voir Archives du Christianisme, 1818, p. 361. Notice sur M. le pasteur du Pontavice de Vaugarny, par M. le pasteur Alègre.
L’année même de la mort de du Pontavice, un autre méthodiste, William Toase, avait commencé une œuvre intéressante auprès des Français prisonniers de guerre sur les pontons de la Medway. Les visites qu’il leur fit furent tellement appréciées qu’ils écrivirent à son insu à la Conférence de 1811 pour demander qu’il fût officiellement attaché à cette œuvre. On fit droit à cette requête sur les instances du docteur Coke, et celui-ci demanda en même temps à de Quetteville deux prédicateurs des Îles pour aider Toase.
On lui envoya Armand de Kerpezdron, ami de du Pontavice, dont la destinée avait suivi à peu près les mêmes péripéties. Emigré en 1789, engagé dans l’armée du prince de Condé, dont il se sépara bientôt, il vint à Jersey en 1792 et y vécut en donnant des leçons. En 1795, il épousa miss Elisabeth Moore de Saint-Ouen. Du Pontavice l’amena à lire la Bible et à rompre avec les doctrines et les pratiques du catholicisme. Ses relations avec un pasteur méthodiste, M. Knowles, à qui il donnait des leçons de français, achevèrent l’œuvre. En 1806, il se joignait à la Société, puis devenait prédicateur local. Educateur remarquable, il s’occupa beaucoup de l’instruction populaire et rendit à Saint-Hélier de véritables services.
Ce fut alors que le docteur Coke pensa à lui pour l’adjoindre à Toase : il accepta avec joie, quitta Jersey avec sa famille et fut installé par Coke lui-même dans ses nouvelles fonctions. Admis dans les rangs du ministère, en 1812, par la Conférence, il fut béni dans son œuvre auprès des prisonniers, et celle-ci prit une telle extension que deux nouveaux auxiliaires furent appelés, Pierre Le Sueur et Amice Ollivier, des Îles de la Manche.
Cette mission, qui, naturellement, cessa au bout de trois années par la fin de la guerre et le rapatriement des prisonniers, fut l’occasion de précieux encouragements pour ceux qui s’y consacrèrent ; plusieurs de leurs malheureux paroissiens leur manifestèrent un véritable attachement, et, en se séparant d’eux, leur exprimèrent l’espoir de les revoir en France.
La paix, qui ramenait les prisonniers dans leur patrie, rouvrait en même temps les portes de la France aux missionnaires méthodistes.
En 1814, Pierre Le Sueur fit une courte mission à Dunkerque, où il eut peu de succès. De Kerpezdron alla à Beuville et à Périers, où il reprit l’œuvre interrompue par le départ de Mahy, cinq ans auparavant. Remplacé en 1815 par Amice Ollivier, de Kerpezdron alla faire des tournées d’évangélisation dans le Bocage. Partout, il trouvait les populations profondément endormies : « S’il s’opère quelque révolution favorable au méthodisme, écrivait-il de Condé-sur-Noireau, ce ne sera que l’ouvrage du temps, de la patience et de la persévérance. Que les protestants de France sont encore éloignés de l’esprit de l’Évangile ! »
La crise des Cent-Jours força les méthodistes à revenir dans les Îles ; mais, après la chute de Napoléon, l’œuvre put reprendre sa marche. Elle était alors confiée à Toase, placé par la Conférence de 1815 à la présidence du district des Îles de la Manche, avec la direction de l’entreprise missionnaire en France.
Après une vaine tentative d’évangélisation en Bretagne, à Roscoff, en février 1816, la Conférence de 1816 replaça officiellement, pour la première fois depuis 1791, la France au nombre de ses stations, sous la forme suivante : Beuville et Périers en France, à pourvoir par les prédicateurs français du district de Guernesey. Nos frères à la retraite sont priés d’aider dans cette œuvre.
De Quetteville et Amice Ollivier visitèrent alors les petites communautés de la Normandie, et Ollivier eut la joie d’amener à la véritable foi chrétienne un jeune catholique romain, dont le nom, porté par plusieurs pasteurs, est un des plus connus et des plus aimés du méthodisme français, Jean Lelièvre. Né en 1793, au village d’Estry, en Basse-Normandie, il avait été élevé dans les observances de la piété romaine et avait manifesté de bonne heure une grande délicatesse de conscience. Après les guerres de l’Empire, auxquelles il avait pris part, il était rentré dans ses foyers, et avait occupé un emploi dans une ferme de Beuville. Un jour, sur les instances de la maîtresse de la maison qui était protestante, il assista au culte présidé par Amice Ollivier, et cette seule prédication évangélique suffit pour l’amener à la foi qui sauve. Il ne tarda pas à se joindre aux méthodistes. En 1822, il alla à Guernesey où il resta six ans comme employé de magasin ; il y annonça l’Évangile, en 1826 devint prédicateur local, puis entra dans le ministère régulier de l’Église méthodiste françaisei.
i – Voir L’Evangéliste, 1861, p. 161.
Dans l’année 1817, une station fut créée à Cherbourg, et placée sous la direction d’Amice Ollivierj. L’hostilité du clergé catholique entrava quelque temps cette œuvre, mais Ollivier vit encore là un résultat manifeste de son travail : un jeune étudiant en droit, Achille Le Fourdrey, catholique, se convertit, et, après avoir achevé ses études, tout en s’associant à l’œuvre de l’évangélisation méthodiste et organisant même une société de prières parmi les étudiants, il exerça quelques années les fonctions d’avocat ; puis, désirant se consacrer entièrement au service de Dieu, il abandonna le barreau pour la chaire, et en 1832 alla fonder l’Église de Brest (qu’il desservit jusqu’à sa mort, en 1855) et cinq autres Églises également prospères.
j – Voir L’Evangéliste, 1860, p. 22. Notice sur Amice Ollivier.
Ajoutons que l’Église de Cherbourg fut remise par les méthodistes eux-mêmes au consistoire de Caen, et devint un poste officiel de l’Église réformée.
Toase ayant visité en 1818 les environs d’Orléans et l’Église de Mer où étaient quinze cents protestants sans pasteur, la Conférence y envoya de Kerpezdron ; celui-ci en devint, en 1820, le pasteur officiel et y exerça son ministère jusqu’à sa mort en 1854.
[Voir Archives du Méthodisme, 185 p. 7. Notice nécrologique sur de Kerpezdron.
A ces missionnaires venus des Îles de la Manche, il faut ajouter Henri de Jersey qui, de 1819 à 1857, annonça l’Évangile dans la Normandie, dans le Midi, à Paris, à Roubaix, dans la Drôme et en Suisse ; — Philippe Tourgis, qui resta huit ans sur le continent (1821-1829), aux environs de Caen, dans le Bocage, à Cherbourg, et à Paris où, à force de persévérance, il put former une congrégation.
De 1820 à 1830, les Îles n’envoient aucun missionnaire en France ; mais, de 1830 à 1840, nous en comptons onze : Jean Renier qui, après quelques séjours en Normandie, à Paris et dans le Midi, fut admis par la Conférence en 1830, et envoyé dans le Midi, puis à Calais et à Paris ; — Philippe Le Bas, placé à Bar-le-Duc, où il mourut en 1848 ; — James Hocart, Matthieu Gallienne, Pierre Lucas, Pierre Roy, Handcock, Barbenson, Leale, Philippe Guiton, Philippe Neel, enfin, en 1844, William Ogier.
Nous ne poursuivrons pas plus loin cette énumération, car nous entrons ensuite dans l’histoire tout à fait contemporaine. Au reste, il manque quelques noms à cette liste, car tous les missionnaires méthodistes ne sont pas venus des Îles de la Manche ; cependant, c’est au méthodisme insulaire qu’appartenaient la plupart des évangélistes wesleyens qui ont exercé leur ministère dans notre pays.]
En 1820 eut lieu à Périers la première assemblée de district du méthodisme français, composée de Toase, Charles Cook, Amice Ollivier, Henri de Jersey et Hawtrey, qui était depuis peu à Paris.
Tels furent les débuts du méthodisme en France. L’impression que nous retirons de ce coup d’œil jeté sur leur histoire, est celle d’une évangélisation paisible, sans excitation, sans fracas. Il n’en sera pas toujours ainsi ; les Wesleyens prendront une attitude plus militante, se laisseront aller à des préoccupations plus ecclésiastiques ; raison de plus pour que nous admirions sans réserve l’œuvre débonnaire et bénie d’un William Mahy, ou de ces deux amis dont la vie est un vrai roman, Pierre du Pontavice et Armand de Kerpezdron. Il en est de ce mouvement comme de tous les réveils : l’heure la plus belle, c’est la première ; c’est le printemps spirituel qui ignore et les ardeurs desséchantes de l’été et les tristes et froides journées de l’hiver.