Machinations de Wolsey pour parvenir à la papauté – Il gagne Charles-Quint – Alliance entre le roi d’Angleterre et l’Empereur – Wolsey brigue la place de général en chef – Traité de Bruges – Henri se croit roi de France – Victoires de François Ier – Mort de Léon X
Pour arrêter plus sûrement les progrès de l’Évangile, il ne manquait plus que l’avènement de Wolsey au pouvoir pontifical. Brûlant du désir de parvenir « au faîte de l’unité sacerdotale, » dit Sandersa, il forma pour atteindre ce but l’un des projets les plus perfides que l’ambition ait enfantés. « La fin, pensait-il comme d’autres, justifie les moyens. »
a – Unitatis sacerdotalis fastigium conscendere. (Sanders, De Schism. Ang. 8.)
Le cardinal ne pouvait tenir la papauté que de l’Empereur ou du roi de France ; car alors comme maintenant, c’étaient les puissances du siècle qui faisaient élire le chef de la catholicité. Ayant soigneusement pesé l’influence de ces deux princes, Wolsey reconnut que la balance penchait du côté de Charles, et son parti fut pris. D’anciens et intimes rapports l’unissaient à François Ier ; n’importe, il fallait le trahir pour gagner son rival.
L’affaire n’était pas facile. Henri était mécontent de Charles-Quintb. Wolsey fut donc obligé de mettre dans ses manœuvres tous les raffinements imaginables. Il envoya d’abord sir Richard Wingfeld à l’Empereur ; puis il écrivit au nom de Henri une lettre flatteuse à la gouvernante des Pays-Bas. La difficulté était de la faire signer au roi. « Veuillez y mettre votre nom, lui dit Wolsey, dût-il en coûter quelque chose à Votre Altesse !… Vous le savez… les femmes aiment que l’on se donne de la peine pour leur plairec. » Cet argument entraîna le roi qui avait encore l’esprit galant. Enfin, Wolsey s’étant fait nommer médiateur entre Charles et François, résolut de se rendre à Calais, en apparence pour entendre les plaintes de ces deux princes, mais en réalité, pour trahir l’un d’eux. Wolsey se plaisait à de tels exercices, comme François à livrer une bataille.
b – Hys owne affayris doith not succede with the Emperour. (State Papers, vol. 1 p. 10.)
c – Ye knowe well enough that women must be pleased. » (State papers, I, p. l2.)
Le roi de France repoussa cette médiation ; il avait l’œil perçant, et sa mère plus encore. « Votre maître ne m’aime pas, dit-il à l’ambassadeur de Charles-Quint, je ne l’aime pas davantage, et je suis décidé à être son ennemid. » On ne pouvait parler plus ouvertement. Loin d’imiter cette rude franchise, le politique Charles s’efforçait de gagner Wolsey, et Wolsey, fort empressé à se vendre, insinuait habilement à quel prix on pouvait l’obtenir. Charles le comprit. « Si le roi d’Angleterre s’unit à moi, fit il dire au cardinal, vous serez élu pape à la mort de Léon Xe. » François, trahi par Wolsey, abandonné par le pape, menacé par l’Empereur, se décida enfin à accepter la médiation de Henri.
d – He was utterly determined to be his enemy. (Cotton MSS. Galba, B. 7, 35.)
e – Ut Wolseus mortuo Leone decimo fieret summus pontifex.
Mais Charles pensait maintenant à tout autre chose. Au lieu d’une médiation, il fit demander au roi d’Angleterre quatre mille de ses fameux archers. Henri sourit en lisant la dépêche, et regardant Pace, son secrétaire, et Marney, capitaine de ses gardes : Beati qui audiunt et non intelligunt ! » dit-il ; leur défendant ainsi de comprendre et surtout d’ébruiter cette étrange requête. On convint de porter le nombre des archers à six mille ; puis le cardinal, ayant toujours la tiare devant les yeux, partit pour jouer à Calais l’odieuse comédie d’une hypocrite médiation. Retenu à Douvres par les vents contraires, le médiateur profita de ce délai pour dresser la liste des six mille archers et de leurs capitaines, n’oubliant pas d’y mettre certains cerfs obstinés, auxquels, avait dit Henri, il fallait absolument donner la chassef. C’étaient des seigneurs dont le roi avait envie de se débarrasser.
f – Sayying that certayne hartes were so toggidde for hym, that he must deadys hunte them. (State Papers, 1 p. 26.)
Tandis que les ambassadeurs du roi de France étaient reçus à Calais le 4 août, avec de grands honneurs, par le lord chambellan d’Angleterre, le cardinal convenait avec les ministres de Charles, que Henri VIII retirerait au dauphin la main de la princesse Marie, et la donnerait à l’Empereur. En même temps, il ordonnait de détruire la marine française, et d’envahir la Franceg. Enfin il obtenait que pour dédommager l’Angleterre des 16 000 livres par an qu’elle avait jusque-là reçues de la cour de Saint-Germain, l’Empereur lui payerait dorénavant 40 000 marcs. Sans espèces sonnantes, le marché n’eût pas été bon.
g – To invade France… and to provide for the destruction of the Frenche kynges navye… » (Ibid., I, p. 23.)
Ce ne fut pas tout. Wolsey, en attendant d’être pape, conçut l’idée de se faire général. Il fallait un commandant en chef aux six mille archers que Henri envoyait contre le roi de France ; et pourquoi ne serait-ce pas le cardinal lui-même ? Aussitôt il s’ingénia pour écarter les seigneurs proposés comme généraux en chefs. — « Shrewsbury, dit-il au roi, vous est nécessaire pour l’Ecosse. — Worcester est digne par son expérience que… vous le gardiez près de vous. Quant à Dorset, … il sera bien cher ! » Puis le prêtre ajouta : « Sire, si durant mon séjour de l’autre côté de la mer, vous avez de bons motifs pour y envoyer vos archers… je m’empresse de vous faire savoir que, quand l’Empereur se mettra à la tête de ses soldats, je suis prêt, quoique ecclésiastiqueh, à me mettre moi-même à la tête des vôtres ! » Quel dévouement ! Wolsey ferait porter devant lui, disait-il, sa croix de cardinal à latere ; et ni François Ier, ni Bayard ne pourraient lui résister. Commander à la fois l’État, l’Église et l’armée, en attendant la tiare, ceindre sa tête de lauriers, telle était l’ambition de cet homme. Malheureusement pour lui, on n’était pas de cet avis à la cour. Le roi nomma le comte d’Essex général en chef.
h – Though I be a spiritual man. (State Papers 1 p. 31.)
Wolsey, ne pouvant être général, se tourna vers la diplomatie. Il courut à Bruges ; et au moment où il y entrait à côté de l’Empereur, une voix s’élevant de la foule s’écria : Salve Rex regis tui atque regni suii ! — parole fort agréable à ses oreilles. On s’étonnait fort, à Bruges, de l’intimité qui existait entre le cardinal et l’Empereur. « Il y a là-dessous un mystère, » disait-onj. Wolsey voulait poser la couronne de France sur la tête du roi d’Angleterre, et la tiare sur la sienne. Tel était le mystère qui méritait bien quelques caresses au puissant Charles-Quint. L’alliance fut conclue, et l’on convint « de tirer vengeance des injures faites au siège de Jésus-Christ, » ce qui voulait dire à la papauté.
i – Salut, roi de ton roi et de son royaume. (Tynd., W., I, p. 459.)
j – There was a certain secret whereof all men knew not. (Ibid. 315.)
Wolsey, pour entraîner Henri dans les intrigues qui devaient lui procurer la tiare, lui avait rappelé qu’il était roi de France, et Tudor avait saisi vivement cette pensée. Le 7 août, à minuit, le roi, enfermé avec son secrétaire, dictait dans une lettre adressée à Wolsey, cette étrange phrase : Si ibitis parare regi locum inregno ejus hæreditario, Majestas ejus quum tempus erit opportunum, sequeturk. Le théologien qui avait corrigé le fameux écrit latin du roi contre Luther, n’avait certes pas revu cette épître. La France était, selon Henri, son royaume héréditaire, et Wolsey allait lui préparer ce trône…
k – Si vous allez préparer au roi la place dans son royaume héréditaire, Sa Majesté vous suivra en temps opportun.
A cette pensée le roi ne pouvait contenir sa joie, et s’imaginait déjà surpasser Édouard III et le Prince Noir. « Je vais, s’écriait-il, parvenir à une gloire supérieure à celle que mes ancêtres ont conquise partant de guerres et de bataillesl. » Wolsey lui traçait le chemin pour arriver à son palais des bords de la Seine. « Mézières va être pris, lui insinuait-il ; après, il n’y a que Reims, qui n’est pas une ville forte ; ainsi Votre Grâce atteindra facilement Parism. » Henri suivait du doigt sur la carte la route qu’il allait parcourir. « Les affaires vont bien, écrivait le cardinal, le Seigneur en soit béni. » Ce langage chrétien n’était pour lui qu’un vêtement officiel.
l – Majora assequi quam omnes ipsius progenitores tot bellis et præliis. (Ibid. 45.)
m – Your grace shall have but a leyve way to Parys. (State Papers 1, p. 46.)
Wolsey se trompait, les affaires allaient mal. Le 20 octobre, François Ier, que tant de perfidie n’avait pu abuser, François, ambitieux, turbulent, mais honnête dans cette affaire, se confiant en la puissance de ses armes, s’était tout à coup présenté entre Cambrai et Valenciennes. L’Empereur, effrayé, s’était enfui dans les Flandres, et Wolsey, au lieu de se mettre à la tête de l’armée, s’était enveloppé de son manteau de médiateur. Puis, écrivant à Henri, qui, quinze jours auparavant, avait, par son conseil, excité Charles-Quint à attaquer la France : « Je m’assure lui dit-il, que votre vertueuse médiation augmentera fort dans toute la chrétienté votre réputation et votre honneurn !… » François Ier refusa les offres de Wolsey ; mais le but de celui-ci fut atteint. Les négociations avaient fait gagner du temps à Charles, et la mauvaise saison arrêta bientôt l’armée française. Wolsey retourna satisfait à Londres vers le milieu de décembre. L’entrée de Henri dans Paris devenait, il est vrai, très difficile ; mais la faveur de l’Empereur était assurée au cardinal, et avec elle, pensait-il, la tiare ; Wolsey avait donc ce qu’il voulait. A peine était-il arrivé en Angleterre qu’une nouvelle vint le mettre au comble du bonheur : Léon X était mort. Son allégresse surpassa celle que Henri avait ressentie à la pensée de son royaume héréditaire. Protégé par le puissant Charles-Quint, auquel il avait tout sacrifié, le cardinal anglais allait enfin recevoir cette couronne pontificale qui lui permettrait d’écraser l’hérésie, et qui était à ses yeux la juste récompense de tant d’infâmes transactions.
n – Your virtuous and charitable mediation. » (MSC. Cal. D, 8, p. 83.)