Les vues de Wesley sur l’Église ont varié et ont subi l’influence de la situation extraordinaire à laquelle il fut appelé par la Providence divine. On peut dire toutefois que ses principes ecclésiastiques furent ceux d’un conservateur, mais que sa pratique fut celle d’un novateur, je dirais même d’un révolutionnaire.
Il fut d’abord un High-Churchman, un partisan des idées de la Haute-Église. Pendant son séjour à Oxford et pendant sa mission en Géorgie, il fut un ritualiste étroit et militant. Sa piété était ascétique, et sa notion du ministère très sacerdotale. L’influence des Moraves et de leurs sociétés à Londres, et surtout la crise religieuse qu’il traversa en 1738, ouvrirent devant lui des horizons nouveaux. Engagé dans les voies du réveil religieux, et entraîné, par une vocation irrésistible, vers le petit peuple dont nul ne s’occupait et qu’il voulait amener à Dieu, il fut contraint de rompre les liens de la routine ecclésiastique. L’Église anglicane étendait le réseau de ses paroisses sur l’Angleterre et sur l’Irlande ; elle avait à la tête de chaque paroisse un ministre bien renté, mais trop souvent sans piété et sans zèle ; elle avait des évêques richement dotés, mais qui avaient plus le souci de parader à la Chambre des Lords et dans les salons de l’aristocratie que de réformer l’Église et de sauver les âmes. Il n’y avait pas de place, dans l’organisation ecclésiastique, pour ce ministère de missionnaires et d’évangélistes auquel les deux Wesley et leurs amis étaient appelés. Sortir de l’Église, en fonder une nouvelle, ils ne le voulaient pas. L’exemple des Églises dissidentes, qui étaient alors endormies, n’était pas fait pour les encourager dans cette voie, s’ils avaient eu le désir d’y entrer. Ils résolurent donc de travailler à réveiller l’Église d’Angleterre, en demeurant dans son sein, et autant que possible, d’accord avec ses chefs.
Mais les difficultés d’une telle attitude étaient extrêmes. Ils se heurtèrent dès l’abord à la mauvaise volonté des ministres officiels, qui leur fermèrent leurs chaires et les traitèrent en ennemis. Ils se trouvèrent ainsi entraînés dans une voie d’irrégularités ecclésiastiques. La prédication en plein air, l’itinérance, l’organisation de sociétés religieuses, l’emploi de prédicateurs laïques, toutes ces innovations, nées non d’un plan préconçu, mais des nécessités du moment, les placèrent dans une situation délicate vis-à-vis des autorités de l’Église établie. Les évêques les mandèrent devant eux et les tancèrent vivement sur les excès de leur zèle. Appelé à choisir entre l’autorité de l’épiscopat et celle de sa conscience, John Wesley n’hésita pas, et il opposa aux évêques la parole des apôtres devant le Sanhédrin : « il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. »
Dans le première conférence (1744), Wesley posa cette question : Dans quelle mesure devons-nous obéir aux évêques ? Il répondit : « Nous devons leur obéir dans toutes les choses indifférentes, et observer les canons ecclésiastiques, autant que nous pouvons le faire en bonne conscience. — Nous séparons-nous de l’Église ? — Nous ne le pensons pas. Nous demeurons consciencieusement en communion avec elle, en étant assidus à la prédication et aux sacrements. » A ceux qui lui demandaient dès lors si, sans le vouloir, il ne préparait pas un schisme, qui éclaterait après sa mort, Wesley répondait qu’il avait la confiance que les Méthodistes resteraient dans l’Église, à moins qu’on ne les en chassât, et il ajoutait : « il arrivera l’une ou l’autre de ces deux choses : ou bien on les chassera, ou bien ils seront le levain qui pénétrera toute l’Église. »
A la conférence de l’année suivante, on examina cette question : La volonté d’un chef peut-elle avoir force de loi ? Wesley répondit : « Non, dans aucun cas, que ce chef soit temporel ou spirituel. Donc, si un évêque m’interdit de prêcher l’Évangile, je dois passer outre ; il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. » Ses études élargissaient ses vues sur les droits de l’épiscopat. Il écrivait dans son journal, en 1746 : « J’ai lu le livre de Lord King sur l’Église primitive. En dépit des préjugés véhéments de mon éducation, je suis porté a croire que c’est là un exposé fidèle et impartial ; mais si c’est le cas, il en résulte que les évêques et les anciens sont essentiellement de même rang, et qu’à l’origine chaque congrégation chrétienne était une Église indépendante de toutes les autres. »
Ces principes, Wesley les professa ouvertement à la Conférence de l’année suivante (1747). Il y déclara qu’une Église nationale est « une institution purement politique », et que « le droit divin des évêques n’a été inventé que sous le règne d’Elisabeth ». Toutefois, il demeurait opposé à une séparation.
Plusieurs des sociétés réclamaient pour leurs prédicateurs le droit d’administrer les sacrements, ce qui équivalait à une rupture. La Conférence de 1755 décida que « sans se prononcer sur la légitimité d’une séparation, elle jugeait qu’elle n’était pas opportune » (expedient). On discuta beaucoup avant de s’arrêter à cette formule. Il y avait un fort parti en faveur de la dissidence parmi les prédicateurs ; mais Charles Wesley y était très opposé. Son frère John était hésitant et se demandait s’il n’y avait pas lieu d’autoriser l’administration des sacrements. Il céda cependant et amena ses prédicateurs à céder ; mais, dans ses lettres à Charles, après la Conférence, il déclara que les arguments des prédicateurs lui paraissaient irréfutables. Il ajoutait que l’Église établie était une Babel. « Qu’elle subsiste tant qu’elle pourra. Je ne ferai rien pour la faire tomber, mais je ne ferai rien non plus pour l’en empêcher. Travaillons plutôt, vous et moi, à édifier la cité de Dieua. » Dès lors, et jusqu’à sa mort, la conduite ecclésiastique de Wesley fut marquée par de nombreuses fluctuations. En 1758, il publia une brochure intitulée : Raisons contre une séparation d’avec l’Église anglicane. C’était l’abrégé d’un ouvrage plus important qu’il avait rédigé sur ce sujet. Un de ses amis, auquel il le soumit, l’engagea à ne pas le publier, de peur que le lecteur ne tirât des faits allégués par lui des conclusions opposées aux siennes. Ses objections contre une scission portaient moins sur des questions de principes que sur des questions d’opportunité. Se séparer, c’eût été, disait-il, contredire des déclarations solennelles, souvent faites par lui et par son frère ; ce serait scandaliser les faibles ; ce serait éloigner des prédications méthodistes beaucoup de bons chrétiens ; ce serait se fermer tout accès auprès de multitudes d’inconvertis ; ce serait amener un schisme dans les sociétés méthodistes ; ce serait donner lieu à des luttes et à des disputes ; sans compter l’énorme difficulté de construire de toutes pièces une nouvelle Église. D’ailleurs, l’expérience faite par les Églises dissidentes était peu encourageante. Enfin, Wesley estimait qu’en se séparant, il se mettrait en opposition flagrante avec le but pour lequel la Providence semblait avoir suscité le Méthodisme.
a – Tyerman, II, p. 206.
Wesley engageait donc les membres des sociétés à fréquenter le culte anglican et à participer aux sacrements dans les églises paroissiales. Mais l’opposition que la plupart des ministres faisaient au Méthodisme et l’absence de piété chez un grand nombre, inspiraient aux Méthodistes une vive répugnance à suivre de tels conseils. N’avaient-ils pas d’ailleurs, dans les enseignements de leurs prédicateurs, dans les classes et dans les réunions de prière, les éléments essentiels de la vie d’Église, et les moyens d’édification essentiels, à l’exception des sacrements ?
Cette situation demeura à peu près la même jusqu’au moment où Wesley fut amené, par la force des choses, à organiser en Église le Méthodisme américain. La Révolution qui sépara les États-Unis de l’Angleterre, avait, du même coup, dissous l’Église anglicane dans ce pays. Le Méthodisme, qui y avait rapidement grandi, dut donc se constituer en Église. Wesley, mis ainsi en demeure d’agir, n’hésita pas à mettre sa conduite d’accord avec les principes qui avaient lentement mûri dans son esprit. Il consacra par l’imposition des mains trois de ses prédicateurs, qui durent à leur tour consacrer les prédicateurs américains. Au point de vue anglican, il faisait ainsi acte d’évêque et commettait une usurpation. Mais, en réalité, il rompait, par cet acte, avec le système épiscopal et agissait en ministre presbytérien.
Il ne voulut pourtant pas conférer l’ordination à ses prédicateurs en Angleterre. Il ne fit exception que pour un petit nombre, placés dans des circonstances spéciales. Ce ne fut qu’après sa mort que la Conférence reconnut à tous les prédicateurs itinérants le droit d’administrer les sacrements.
Il est évident que la conduite ecclésiastique de Wesley manque d’unité. Il professa toute sa vie un grand attachement pour l’Église anglicane, mais, dans la pratique, il agit à son égard avec une indépendance fort grande. Il condamnait en principe la dissidence, et, en fait, il la pratiquait, tout en désirant que ses collaborateurs demeurassent respectueux de l’Église établie. Il eût voulu que le Méthodisme fût une société auxiliaire de l’Église. Le mauvais vouloir et l’indifférence religieuse des ministres anglicans firent échouer ce plan, qui, toutefois, continua à flotter, à l’état de rêve, devant l’esprit de Wesley. Il persista à ne vouloir fonder qu’une société, alors qu’entraîné par la force des choses, il fondait une Église. Le Méthodisme britannique a eu de la peine à sortir de cette situation illogique, et ce n’est qu’il y a quelques années qu’il a enfin renoncé, au nom de Société pour s’appeler une Église.
Il est temps que, de cet exposé historique, nous passions à l’exposé théorique des vues de Wesley sur l’Église.
Wesley cite avec approbation la définition suivante de l’Église, que donnent les 39 articles de l’Église anglicane : « L’Église visible de Christ est l’assemblée des croyants, dans laquelle la pure parole de Dieu est prêchée et où les sacrements sont dûment (duly) administrés. » Cette définition semble s’appliquer à l’Église universelle plutôt qu’à une Église particulière. Quant à cette dernière, l’Église anglicane, par exemple, Wesley la définit « une association d’hommes résidant en Angleterre, qui ont un seul Esprit, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous. L’Église d’Angleterre, ajoute-t-il, est cela, et cela seulement, d’après la doctrine de l’apôtre. » C’est dire qu’il ne considère pas comme en faisant véritablement partie ceux qui, pasteurs et laïcs, n’ont qu’une foi extérieure et sont sans piété.
Si « la prédication de la pure parole de Dieu » est l’un des signes auxquels l’Église reconnaît ses vrais ministres, que faut-il penser de ceux qui prêchent le salut par les œuvres et par la morale, et dont les croyances et la conduite sont en désaccord avec la Parole de Dieu ? Wesley déclare que « les assemblées où la pure parole de Dieu n’est pas prêchée ne font partie ni de l’Église d’Angleterre, ni de l’Église universelle ». Il se défend toutefois de vouloir exclure de l’Église universelle toute congrégation où l’on prêche quelquefois, et même souvent, certaines doctrines qui ne semblent pas être la pure parole de Dieu, comme aussi celles où les sacrements ne sont pas dûment administrés. Il ne se reconnaît pas le droit de repousser de la communion de l’Église universelle, ou même de l’Église d’Angleterre, un homme simplement parce qu’il a des opinions erronées sur certaines doctrines ou des formes de culte entachées de superstition.
Cette réserve, où se montre le libéralisme des vues de Wesley, ne l’empêche pas de conclure que l’un des caractères de l’Église de Jésus-Christ est d’être sainte, c’est-à-dire que chacun de ses membres doit être saint, quoique sans doute à des degrés divers. « Si donc, dit-il, l’Église a pour essence d’être un corps de croyants, nul ne peut en être membre s’il n’est pas croyant. Si ce corps doit être animé d’un même esprit, avoir la même foi et la même espérance, celui qui n’a pas cet esprit, cette foi, cette espérance, n’est pas membre de ce corps. Il en résulte que, non seulement, les blasphémateurs, les profanateurs du dimanche, les ivrognes, les voleurs, les menteurs, et tous ceux qui vivent ouvertement dans le péché, ne peuvent pas être membres de l’Église ; mais encore les orgueilleux, les mondains et, en un mot, ceux qui vivent sans Dieu. »
Dans son sermon sur l’Église, Wesley s’attache à montrer quel est le sens de ce mot dans le Nouveau Testament. C’est une assemblée de croyants, quelque en soit le nombre. « C’est ainsi que saint Paul parle à Philémon de l’Église qui se réunit dans sa maison, ce qui signifie tout simplement que, même une famille peut être appelée une Église. La première fois que l’apôtre emploie le mot Église, c’est dans le préambule de la première épître aux Corinthiens, où il s’adresse à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, expression qu’il explique ainsi : les sanctifiés en Jésus, appelés et saints, à tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. » Wesley fait remarquer que le mot ecclesia, signifie « appelé du dehors ». Ce terme même implique l’appel des pécheurs au salut par la prédication évangélique, et leur entrée dans une société nouvelle dont Jésus-Christ est le chef. Paul emploie ce mot au pluriel, lorsqu’il parle des « Églises de Galatie », par exemple, pour désigner les diverses assemblées de chrétiens qui s’étaient formées dans cette province. Mais il se sert aussi de ce mot pour désigner l’ensemble des assemblées chrétiennes du monde entier. Ainsi, quand il parle de « l’Église de Dieu, qu’il a rachetée par son propre sang » (Actes 20.28).
A cette question : Qu’est-ce que l’Église ? Wesley répond : « L’Église catholique ou universelle est composée de toutes les personnes dans l’univers que Dieu a appelées hors du monde, pour en faire un seul corps, uni par un seul esprit, ayant une foi, une espérance, un baptême, un Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et parmi tous et en tous. »
Wesley admet que l’on appelle Église nationale la portion de l’Église universelle qui habite une contrée, et qu’on parle de l’Église de France, d’Angleterre ou d’Ecosse. Cet emploi du mot Église ne s’appuie pourtant sur aucun exemple biblique. Le Nouveau Testament ne parle pas de l’Église de Macédoine ou d’Asie, mais des Églises de ces contrées. Le danger de telles appellations, c’est de permettre aux groupements d’Églises qui les prennent de se considérer comme étant la seule Église légitime d’un pays. Une Église qui s’appelle « l’Église d’Angleterre » a beaucoup de peine à ne pas considérer les autres groupements ecclésiastiques comme des assemblées de sectaires, auxquelles on a le droit de refuser la main d’association. Ce préjugé des Églises dites nationales contre les dissidents est si fort qu’il infecte les meilleurs chrétiens, et Wesley lui-même ne l’a jamais complètement secoué, quelque larges que fussent ses vues. C’est ce qui explique sa répugnance marquée pour les non-conformistes et la persistance de son attachement à l’Église anglicane, qui, pourtant, ne fut guère tendre pour ce fils si dévoué.
Dans un sermon sur le Schisme, que Wesley publia dans sa vieillesse, il aborde la question de la légitimité ou de l’illégitimité de se séparer de l’Église à laquelle on appartient par la naissance. Il montre d’abord que, dans la langue de l’Écriture, faire schisme, ce n’est pas rompre avec l’Église, c’est susciter dans son sein des partis et des divisions, comme ce fut le cas à Corinthe. En prenant le mot schisme dans le sens que lui a donné la langue ecclésiastique, il signifie, d’après Wesley, « l’acte de se séparer sans causes d’un corps de chrétiens vivants ». Cela est un mal, parce que c’est une infraction à la loi d’amour. On peut alléguer beaucoup de motifs pour une telle séparation ; mais le vrai, c’est le manque d’amour.
Wesley n’admet qu’un seul cas qui puisse justifier une telle séparation : l’obligation où l’on se trouverait, en restant dans une Église, de violer un commandement de Dieu et d’être infidèle à la conscience. Le catholique romain, par exemple, qui ne peut rester dans son Église sans commettre des actes d’idolâtrie, en rendant un culte à des images, à des saints ou à des anges, a parfaitement le droit d’en sortir. « De même, continue Wesley, si vous ne pouviez demeurer dans l’Église d’Angleterre, sans faire ce que la loi de Dieu défend, ou sans avoir le droit de faire ce qu’elle vous commande positivement, vous devriez vous séparer de cette Église. Mais, ajoute-t-il, il n’en est pas ainsi grâces à Dieu ». Puis, en appelant à son expérience personnelle, il poursuit :
Je suis, et j’ai toujours été, dès mon enfance, membre et, plus tard, ministre de l’Église anglicane, et je n’ai ni le désir, ni le dessein de m’en séparer, avant que mon âme ne se sépare de mon corps. Mais si, pour en demeurer membre, j’étais contraint de ne pas faire ce que Dieu m’ordonne de faire, ce serait pour moi un devoir impérieux de m’en séparer sans délai. Et, pour préciser, je sais que Dieu m’a confié une dispensation de l’Évangile, et je sais que je dois le prêcher et que mon salut en dépend, et malheur à moi si je ne prêchais pas l’Évangile ! Si donc je ne pouvais demeurer dans l’Église établie qu’en cessant de prêcher l’Évangile, je devrais m’en séparer, sous peine de mettre mon âme en péril… Et, dans ce cas, le péché de séparation, avec tous les maux qui en résultent, ne me serait pas imputable, mais le serait à ceux qui m’auraient contraint à me séparer d’eux, en prétendant m’imposer des conditions auxquelles ma conscience m’interdirait de consentir. Supposez, au contraire, que l’Église, ou la société à laquelle je suis uni, n’exige de moi rien de ce que l’Écriture défend et ne m’interdise aucune des choses qu’elle commande, c’est pour moi un devoir absolu de ne pas m’en séparer. Et si je m’en séparais sans une telle nécessité, je serais responsable de tous les maux qui résulteraient de cette séparation. »
Se séparer de l’Église à laquelle on appartient, sans y être obligé, est, aux yeux de Wesley, plus qu’une faute, c’est un péché. Et ce péché, il n’a jamais voulu le commettre. Mais, dans l’état de déchéance religieuse, où son Église était tombée, il a voulu jusqu’au bout travailler à la relever et à la réformer, fallût-il pour cela s’attirer l’opposition et la haine de ses chefs.
On l’accusait de violer « les principes fondamentaux » de l’Église anglicaneb. Non, répondait-il, « ce que je veux changer, ce ne sont pas les fondements de l’édifice ; c’est tout au plus la toiture que je veux réparer en renouvelant les poutres pourries qui s’y trouvent ».
b – « Lettre à un ami », vol. XIII, pp. 236-237.
« Mais, lui écrivait un ami, vous touchez à des parties essentielles de notre édifice ecclésiastique ! — Soit, répliquait-il, je ne dispute pas sur des mots. Les portes aussi forment des parties essentielles de ces maisons qu’on appelle des églises. Ce qui n’empêche pas que si le feu est à l’édifice, il soit permis de les abattre à coups de hache ou de les arracher de leurs gonds. C’est ce que nous faisons. La charpente est pourrie, et nous essayons de mettre cette maîtresse poutre, le salut par la foi, à la place du salut par les œuvres. L’Église, la maison du Dieu vivant brûle ; les flammes de la mondanité, de l’ambition, de la convoitise, du zèle amer, de l’impiété et de l’injustice, menacent de la consumer. Qui veut nous aider à éteindre l’incendie ? Une poignée d’hommes s’y sont employés, au milieu de difficultés et de découragements de toute sorte ; et ils continueront ce travail jusqu’à ce qu’ils aient sauvé l’édifice ou se soient ensevelis sous ses ruines. »
Wesley ne craint pas d’invoquer l’exemple des réformateurs. S’ils s’étaient laissé enchaîner par la crainte de violer les règles, il n’y aurait jamais eu de réformation. Martin Luther eut le courage de suivre le chemin que lui traçaient la Bible et sa conscience, et il eut raison de démolir l’ordre ecclésiastique établi, aussi bien quant à la doctrine que quant à la discipline. Les prédicateurs méthodistes, eux, appuient la doctrine de l’Église établie contre ceux qui l’ont pervertie. Et c’est l’opposition de ceux-ci qui les a contraints à dévier, en quelque mesure, de la stricte observation de la discipline de l’Église, qu’ils observent d’ailleurs dans ses traits essentiels.
En résumé, Wesley s’est toujours défendu de vouloir constituer une Église nouvelle, et il a été parfaitement sincère dans son attachement à l’Église où il était né. C’est l’inintelligence des chefs de l’anglicanisme qui l’a conduit à organiser, à son corps défendant, ce qui n’était dans sa pensée qu’une Société religieuse, mais qui est devenu, par la force des choses, une Église grande et prospère. Il n’avait pas d’objections de principes contre le système d’une Église d’Etat et s’en fût volontiers accommodé, si ce système lui eût reconnu le droit et laissé la liberté de poursuivre son œuvre missionnaire sans entraves. Son idéal eût été l’ecclesiola in ecclesia. Mais son ecclesiola traitée en suspecte et repoussée par l’ecclesia, a dû s’organiser en dehors de l’Église établie et devenir une Église. Comme tous les grands mouvements religieux, le Méthodisme n’est pas né pour réaliser une certaine théorie de l’Église, mais pour sauver les âmes du péché et de la mort. Une fois né, il a dû se créer peu à peu son organisme, et il l’a fait en obéissant aux directions de la Providence.
Wesley publia, en 1756, un Traité sur le Baptême. Cet opuscule était l’œuvre de son père, Samuel Wesley, qu’il se borna à retoucher légèrement. Il semble résulter de cette publication que les vues du père furent celles du fils. Or, ces vues sont très différentes de celles qu’on s’attendrait à trouver sous la plume du fondateur du Méthodisme. Il s’y montre partisan de la régénération baptismale.
La définition même du baptême est satisfaisante, et nous n’y objecterions pas. « C’est, dit-il, le sacrement initiateur qui nous introduit dans l’alliance de Dieu. Christ l’institua comme un signe, un sceau, une attestation et un moyen de grâce, perpétuellement obligatoire pour tous les chrétiens. Il fut institué pour remplacer la circoncisiona, et, comme elle, il est un signe et un sceau de l’alliance de Dieu. »
a – Cette affirmation, que le baptême remplace la circoncision, n’est basée sur aucune parole du Seigneur ou de ses apôtres ; nous n’y souscrivons pas, pour notre part (ThéoTEX)
Quels sont les bienfaits que nous recevons par le baptême ? Wesley répond d’abord : « Le premier, c’est la purification (the washing away) de la coulpe du péché originel, par l’application des mérites de la mort de Christ. » Cette idée s’appuie sur des textes des Pères et sur la liturgie de l’Église anglicane, mais elle ne s’appuie sur aucun texte de l’Écriture, et elle est contredite par l’expérience qui nous montre, chez nos jeunes enfants baptisés, les traces du péché héréditaire.
Nous objectons surtout à cette affirmation : « Par le baptême, nous, qui étions par nature des enfants de colère, nous sommes faits enfants de Dieu… Par l’eau du baptême, nous sommes régénérés, ou nés de nouveau… Ce n’est pas l’eau sans doute, mais la grâce de Dieu qui vient s’y ajouter, qui constitue le sacrement. Par là, un principe de grâce nous est infusé, qui ne nous sera pas totalement enlevé, à moins que nous n’éteignions le Saint-Esprit de Dieu par une perversité longuement continuée. » L’auteur ajoute, il est vrai : « Le baptême nous sauve, si nous vivons de la vie qu’il implique, si nous nous repentons, si nous croyons et si nous obéissons à l’Évangile. »
Le traité essaie de justifier cette idée du baptême par la parole de Jésus : « Si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean 3.5). Mais il n’est pas prouvé que l’eau signifie ici le baptême et qu’elle ne soit pas simplement un symbole du Saint-Esprit, comme le feu l’est dans l’expression : « être baptisé d’Esprit et de feu » (Matthieu 3.11). D’ailleurs, s’il est question là du baptême d’eau, il n’y est nullement dit que les deux baptêmes soient simultanés. L’exemple de Corneille et d’autres montrent qu’en fait ils ne l’étaient pas.
Dans cet écrit, Wesley demeure donc partisan de la notion de la régénération baptismale. Il fut d’accord sur ce point avec l’Église anglicane, qui, dans sa liturgie du baptême, affirme que l’enfant est régénéré par le baptême. Maintint-il toujours ce point de vue ? Son sermon sur la Nouvelle naissance semble indiquer que, sans rompre ouvertement avec cette doctrine, il s’efforça d’en atténuer les conséquences fâcheuses. Il y déclare qu’il y a dans le baptême « deux opérations, l’une extérieure, l’autre intérieure, l’une visible et l’autre invisible, conséquemment tout à fait distinctes l’une de l’autre ; car l’une est un acte de l’homme, acte qui nettoie le corps ; l’autre est un changement accompli par Dieu dans l’âme ». Il conclut donc que « le baptême n’est pas la nouvelle naissance, et que ces deux choses sont distinctes ».
Il fait un pas de plus et affirme qu’« il arrive que la nouvelle naissance n’accompagne pas toujours le baptême, et que ces deux choses ne vont pas invariablement ensemble. Un homme peut naître d’eau sans naître de l’Esprit. Il peut avoir le signe extérieur sans la grâce intérieure ». Ici toutefois, Wesley fait une restriction relative au baptême des petits enfants.
« Je ne parle pas ici des enfants ; car il est certain que notre Église suppose que tous ceux qui sont baptisés en bas âge naissent de nouveau en même temps ; et il est admis que toute la liturgie pour le baptême des enfants est basée sur cette supposition. L’objection qu’on ne saurait comprendre comment cette œuvre peut s’opérer chez des enfants, n’est pas sérieuse. Car on ne peut davantage comprendre comment cette œuvre s’opère chez les personnes d’âge mûr. Mais, quoi qu’il en soit des petits enfants, il est bien certain que tous ceux qui sont baptisés dans un âge plus avancé ne naissent pas de nouveau du même coup. On connaît l’arbre par le fruit. Et il est trop manifeste que plusieurs de ceux qui étaient avant leur baptême des enfants du diable, le sont encore après ; car ils font les œuvres de leur père. Ils demeurent les esclaves du péché, tout à fait étrangers à la sainteté intérieure ou même extérieure. »
Dans ce passage, Wesley ne se rattache qu’avec timidité et hésitation à l’enseignement de l’Église anglicane, relativement à la régénération baptismale des petits enfants. Les expressions : « notre Église suppose », et : « quoi qu’il en soit des petits enfants », impliquent qu’il ne voyait plus dans cet enseignement qu’une hypothèse ecclésiastique. Quant aux adultes, Wesley n’hésite pas à affirmer, au nom de l’expérience, que le baptême d’eau n’implique pas la régénération. Elle peut sans doute l’accompagner, lorsque le néophyte a la foi ; mais elle n’en est pas l’accompagnement nécessaire, et les faits prouvent que la plupart des baptisés ne sont pas des régénérés.
C’est évidemment dans son sermon sur la Nouvelle naissance, plutôt que dans le Traité sur le Baptême (qui, comme nous l’avons dit, était l’œuvre de son père), qu’il faut chercher l’opinion définitive de Wesley sur le baptême. Il le distingue nettement de la régénération, au moins en ce qui concerne les adultes. Quant aux petits enfants, sans exprimer un avis formel, Wesley incline à croire, avec les Anglicans et les Luthériens, que le baptême leur confère une grâce réelle, et que cette grâce est la nouvelle naissance.
Sur ce point, les Méthodistes n’acceptent pas en général les vues de Wesley. Les exagérations quasi-romaines, dans lesquelles sont tombés de nos jours les partisans de la Haute-Église, ont montré aux Méthodistes les dangers de toute concession tendant à identifier le baptême à la régénération, et les ont conduits à considérer le baptême comme un signe plutôt que comme une grâce. Nos meilleurs théologiens sont fort clairs sur ce point. « Le baptême, dit Banks, déclare la nécessité de la purification intérieure, le moyen voulu de Dieu et les conditions de son expérimentation. Il reconnaît que celui qui le reçoit est placé au bénéfice de l’alliance de grâce. Mais cet acte ne peut pas remplacer les conditions morales nécessaires ; au contraire, ces conditions font partie des vérités que ce rite met en lumière. Les adultes, qui se soumettent au rite, indiquent par là qu’ils accomplissent ces conditions morales… Ils font profession du christianisme, et cette profession correspond, si elle est sincère, à une réalité. Dans le cas des petits enfants, la situation est différente. La grâce reçue est en proportion des facultés réceptives de l’enfant, et lui est donnée, pour ainsi dire, par anticipation. La conversion est nécessaire à l’enfant baptisé, mais elle peut être graduelle et imperceptible. C’est souvent le cas, et l’on peut se demander s’il ne devrait pas toujours en être ainsi. Il se peut que, si la conversion ne se produit pas généralement sous cette forme, la faute en soit aux parents qui les présentent au baptême et à l’Église qui le leur administre, sans se rendre compte de la responsabilité et des bienfaits attachés à cet acte. Pour les adultes, le baptême est le sceau d’une conversion accomplie ; pour les enfants, c’est la prophétie d’une conversion à venir. Et cette prophétie doit être accomplie au moyen de l’instruction, de l’exemple et des conseils. »
Wesley et les Églises qui se rattachent à lui sont nettement pédobaptistes. Il est vrai que le baptême des petits enfants n’est pas formellement enjoint dans le Nouveau Testament. Mais on peut répondre à cela que le baptême des adultes était nécessairement le seul pratiqué à l’origine, comme il l’est au commencement d’une mission en terre païenne. La question ne se pose que lorsque des familles chrétiennes sont constituées. L’analogie avec la circoncision dut, de bonne heure, amener les chrétiens à réclamer pour leurs enfants ce rite, comme un signe de leur initiation aux privilèges de la nouvelle alliance.
Quant au mode d’administration du baptême, Wesley pencha d’abord du côté de l’immersion, surtout pendant sa mission en Géorgie ; mais, plus tard, il en vint à reconnaître que la valeur du rite ne peut pas tenir à la quantité d’eau employée, et il baptisa par aspersion, sauf lorsqu’on réclamait l’immersion.
La doctrine de Wesley sur la Cène est conforme à celle des Églises protestantes en général. Il repousse l’interprétation matérialiste que le catholicisme donne à la parole de Jésus : « Ceci est mon corps. » Il dit : « La relation mystique que le pain a avec le corps de Christ par la consécration suffit pour qu’il puisse être appelé son corps. Car c’est l’usage de l’Écriture de donner aux choses de nature sacramentelle le nom des choses qu’elles représentent. Ainsi, la circoncision est appelée l’Alliance (Genèse 17.13). L’immolation de l’agneau pascal est appelée la Pâque. Nous croyons, ajoute-t-il, que Christ doit être adoré dans la Cène ; mais nous nions que les éléments doivent être adorés. Cette adoration est une idolâtrie. » Wesley repousse l’idée que la Cène soit un sacrifice. « L’Écriture, dit-il, lorsqu’elle exalte la perfection et la valeur infinie du sacrifice de Christ, en tire cette conclusion qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit répété. Christ, dit l’Épître aux Hébreux, n’a pas besoin, comme les souverains sacrificateurs, d’offrir tous les jours des sacrifices… Car il a fait cela une seule fois, en s’offrant lui-même » (Hébreux 7.27).
Ces déclarations sont empruntées à une publication de Wesley, réfutant le Cathéchisme romain, et parue en 1773. Il avait modifié ses vues qui, à l’origine, étaient ultra-anglicanes (high church). Dans une lettre à son beau-frère, Westley Hall, écrite en 1745, il affirmait que ceux-là seuls pouvaient administrer la Cène, qui en avaient reçu la charge par un évêque se rattachant à la succession apostolique. Il y appelait la Cène « un sacrifice extérieur ». Cette même année, Wesley publiait un extrait d’un livre du docteur Brevint, où la Cène est désignée comme « une sorte de sacrifice, par lequel nous présentons devant Dieu le Père la précieuse oblation de son Fils offerte une fois ».
Wesley, comme nous l’avons vu, se dégagea de cette terminologie dangereuse et considéra la Cène comme un mémorial, et non comme un sacrifice. Mais il demeura fermement convaincu jusqu’à la fin que les ministres seuls, ayant reçu l’ordination épiscopale, pouvaient dûment administrer les sacrements. Un grand nombre des sociétés méthodistes réclamaient le droit pour leurs prédicateurs de leur donner la Cène. Wesley s’y refusa, bien que, par une heureuse inconséquence, il usurpa, à la fin de sa vie, la charge épiscopale pour conférer l’ordination aux prédicateurs méthodistes des Etats-Unis.
Wesley insistait sur le devoir de la fréquente communion, et il republia, sur ce sujet, en 1788, un sermon écrit par lui, cinquante ans auparavant (1732), pour ses élèves de l’Université d’Oxford. Dans la courte préface qui le précède, il déclare qu’« il n’a pas de raison de modifier ses sentiments sur aucun des points qui s’y trouvent mentionnés ». On s’étonne que l’auteur ait conservé l’expression : « le sacrifice chrétien », à laquelle il semblait avoir renoncé ; mais c’est peut-être par inadvertance qu’il l’a maintenue.
Il y déclare qu’« il n’y a pas de plus sûr moyen, quand nous avons péché contre Dieu, d’obtenir son pardon que d’annoncer ainsi la mort du Seigneur, en le suppliant, pour l’amour des souffrances de son Fils, d’effacer tous nos péchés ». Il ajoute : « La grâce que Dieu nous y donne nous confirme le pardon de nos péchés et nous rend capables de les abandonner. Comme nos corps sont fortifiés par le pain et par le vin, ainsi le sont nos âmes par ces signes du corps et du sang de Christ. » Il dit plus loin que « le but de ce sacrement est de nous rappeler continuellement la mort de Christ, en mangeant du pain et en buvant du vin, qui sont les signes extérieurs de la grâce intérieure, le corps et le sang de Christ ».
Wesley voudrait qu’on en revînt à la pratique journalière de la Cène, telle que la célébraient les premiers chrétiens. Il demande qu’au moins les chrétiens communient toutes les fois qu’ils en ont l’occasion. A ceux qui disent qu’ils ne s’en sentent pas dignes, parce qu’ils sont tombés dans le péché, il dit : « Repentez-vous et communiez. » A ceux qui objectent qu’ils n’ont pas le temps de s’y préparer, il répond : « Toute la préparation requise est que vous vous repentiez de vos péchés et que vous ayez foi en Christ notre Sauveur. » Enfin, à ceux qui se dispensent de communier, parce que, disent-ils, la participation à la Sainte-Cène ne leur fait aucun bien, Wesley répond : « Ce que Dieu vous commande, vous devez le faire, parce qu’il l’a commandé que vous en tiriez quelque profit ou non. Il n’y a pas de doute d’ailleurs que, tôt ou tard, ce profit se montrera, mais peut-être insensiblement. Et au cas où il serait vrai que vous ne vous y faites aucun bien, n’est-ce pas votre faute, parce que vous ne voulez pas obéir à tous les commandements de Dieu et croire à toutes ses promesses. » Wesley a toujours combattu ceux qui considéraient la Cène comme réservée uniquement aux chrétiens avancés. Il reproduisit dans plusieurs de ses écrits la déclaration suivante qu’il fit en 1740 :
- La Sainte-Cène a été instituée par le Seigneur comme un moyen d’apporter aux hommes, selon leurs besoins, soit la grâce prévenante, soit la grâce justifiante, soit la grâce sanctifiante.
- Les personnes pour lesquelles elle a été instituée sont toutes celles qui connaissent et sentent qu’elles ont besoin de la grâce de Dieu, soit pour les empêcher de pécher, soit pour les assurer du pardon de leurs péchés, soit pour renouveler leur âme à l’image de Dieu.
- Attendu que nous venons à la table du Seigneur, non pour lui apporter quelque chose, mais pour recevoir ce qu’il sait être le meilleur pour nous, il n’y a pas d’autre préparation indispensable que le désir de recevoir ce qu’il lui plaira de nous donner.
- Aucune autre aptitude n’est requise au moment de communier, si ce n’est le sentiment de notre état de péché et d’impuissance. Quiconque se reconnaît digne de l’enfer est, par cela même, en état de venir à Christ, soit en s’approchant de la Cène, soit par tout autre des moyens qu’il a établis.
En résumé, la Cène est, pour Wesley, essentiellement un moyen de grâce, ouvert à tous ceux qui veulent « fuir la colère à venir ».