Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 4. Visite de Paul à Jérusalem et aux églises de Judée (1.18-24)

Cette visite n’est pas moins favorable à sa cause que son absence, d’abord à cause de son but et de sa brièveté (1.18-20) ; ensuite en raison de l’ignorance des églises de Judée à l’égard de sa personne, ignorance qui rehausse le prix de leurs louanges et la sanction qu’elles imprimaient à la vérité de sa foi (1.21-24).

1.18

18 Puis, trois ans après, je montai à Jérusalem pour faire connaissance avec Pierre et je demeurai quinze jours auprès de lui ;

L’apôtre continue l’exposition de sa preuve historique. Avec Pearson, Semler, Haselaar, Eichhorn, Flatt, Winer, Schott, etc., nous prenons pour point de calcul fixe l’événement qui fait époque dans sa vie, et nous comptons ces trois ans depuis son départ de Jérusalem, ce qui s’accorde très bien avec l’ensemble des autres dates pour la chronologie biographique (Voyez Introd. §11). — ἱστορεῖν employé une seule fois. Connaître quelqu’un de face (Jos. Guerr. Juiv. vi, 1, 18). Ce verbe exprime mieux que ἰδεῖν le désir de voir un homme célèbre, ainsi : Pour voir avec plus de soin Pierre qui était une colonne (2.9). Il ne resta avec lui que quinze jours à cause des embûches des Hellènes (Actes 9.26).

1.19

19 mais je ne vis nul autre des apôtres, si ce n’est Jacques le frère du Seigneur ;

Nous voici en présence d’une difficulté fort débattue. De quel Jacques est-il ici question ?

  1. Il y avait Jacques le Majeur, fils de Zébédée et frère de l’évangéliste Jean, apôtre de Jésus (Matthieu 4.21 ; 10.2 ; 17.1 ; Marc 1.19, 29 ; 3.17 ; 5.37 ; 10.35 ; 13.3 ; Luc 5.10 ; 6.14 ; 8.51 ; 9.54 ; Actes 1.13). Il fut décapité à Jérusalem par ordre du roi Hérode Agrippa, l’an 44 de J. C, (Actes 12.1-2).
  2. Jacques le Mineur (Marc 15.40), fils d’Alphée et de Marie (Matthieu 27.56 ; Marc 15.40) apôtre de Christ (Matthieu 10.3 ; Marc 3.18 ; Luc 6.15 ; Actes 1.13).
  3. En outre, et c’est l’opinion de Richard Simon, de Herder, de Niemeyer, de Michaëlis, de Storr, de Schott et autres, il est parlé d’un Jacques d’entre les frères de Jésus (Matthieu 13.55 ; Marc 6.3), et dans notre verset, Paul cite un Jacques, frère du Seigneur, auquel se rapporte incontestablement le récit que nous fait Josephe sur le grand-prêtre Ananus qui, entre le départ de Festus et l’arrivée du procurateur Albinus, l’an 62 ou 63, fit lapider un Jacques, frère de Jésus appelé Christ (Josephe, Antiq. xx, 9, 1. comp. Eusèbe, Hist. eccl. ii, Jérôme, Homm. illust. 2). Le Jacques (sans épithète) qui (Actes 15.13 ; 21.18 ; Galates 2.12) apparaît plein d’influence et comme le supérieur de l’église de Jérusalem (et qui, selon Hégésippe, dans Eusèbe, portait le nom de Juste), est la même personne (Eusèb., Hist. eccl. ii, 1. Jerome, ci-dessus. Epiphan., Hérés. 78, 13).

Du quel de ces trois est-il donc question ? Les uns déclarent identiques, Jacques fils d’Alphée, et Jacques frère du Seigneur ; ce sont Natal, Alexander, Baronius, Lardner, Pearson, Buddée, Baumgarten, Semler, Gabier, Eichhorn, Pott, Hug, Bertholdt, Guericke, et dès lors c’est là le Jacques dont parle Paul ; car, dit-on, aucune nécessité ne nous oblige à interpréter ἀδελφός par frère pur ; le mot autre exige qu’il soit question d’un apôtre du nom de Jacques, et ce ne peut être le Majeur, qui n’était ni frère, ni cousin, selon le second sens de frère ; or, comme il n’y a que deux Jacques apôtres, on conclut qu’il est question du Mineur. Chrysost., Jérôme, Théodor., Théophyl., approuvent ce sentiment. Objections :

  1. Jacques d’Alphée était parent, il est vrai, de Jésus, mais il n’était pas son frère. Il ne pouvait pas mieux être appelé frère dans le sens de parent, sans entraîner confusion, puisque Jésus avait un frère consanguin de ce nom.
  2. Dans les plus anciens historiens ecclésiastiques qui le mentionnent, ce Jacques est désigné comme non apôtre et nettement nommé fils de Joseph (Eusèbe, Hist. eccl. 2, 1. comp. 1, 12. Asseman. Biblioth. orient, iii, 1, 319. Constitut. Apostol. 6, 4-7, 46. Epiphan. Hérés. 78, 13).
  3. Jean assure (Jean 7.5) que les frères de Christ n’avaient pas voulu croire en lui comme Messie, dans un temps ou Jacques d’Alphée était compté parmi les apôtres (Jean 2.12). L’expression apôtre aurait été trop large, serait allée trop loin, si ce Jacques d’Alphée avait été du nombre des frères de Jésus.
  4. (Actes 1.13-14) outre les apôtres, sont cités les frères de Jésus ; Jacques le Mineur ne figure pas parmi eux, non seulement parce que mis au nombre des apôtres il est absolument opposé aux frères, mais encore à cause de l’épithète « d’Alphée », qui n’en fait évidemment qu’un parent de Jésus.

Ces arguments nous paraissent très forts pour nécessiter une distinction de personne entre Jacques le Mineur et un Jacques frère de Jésus. Il est probable que bientôt après le départ du Christ, ses frères crurent en lui, et l’on conçoit fort bien que l’un d’eux se distinguant par une grande sévérité morale et par une forte vie religieuse, pût arriver à jouir de beaucoup de considération dans la première église chrétienne. L’argument tiré de ce que le Jacques de notre verset devant être apôtre, il ne peut être question que d’Alphée, n’est pas sans réponse. Paul, dit Néander, n’avait primitivement dans l’esprit que ce thème négatif : Je n’ai vu à Jérusalem aucun autre apôtre que Pierre ; mais il se souvient qu’il a vu aussi Jacques frère du Seigneur, qui, quoique non apôtre, jouissait cependant parmi les judaïstes d’une considération apostolique, et il ajoute la restriction relative à Jacques. Il faut donc rapporter εἰ μὴ, si ce n’est, à une idée rapprochée de celle d’apôtre. Paul se serait-il exprimé de la sorte s’il eût compté Jacques parmi les apôtres, dans le sens restreint de ce mot ? Aurait-il exprimé sa pensée négative d’une manière si générale, pour ajouter cette restriction, s’il avait eu primitivement l’idée de dire que hormis deux apôtres, il n’en avait vu aucun autre ? On pourrait traduire, disent Fritzsche et Winer : « Je ne vis aucun autre apôtre, si ce n’est que je vis Jacques, » en répétant seulement le verbe voir. (Voyez le pour et le contre dans le Dictionnaire de Winer, art. Jacques.) Notre opinion serait donc qu’il y a trois Jacques ; qu’il n’est pas question d’un apôtre ; que c’est du troisième qu’il s’agit. Il est probable que ce frère du Seigneur, comme Paul l’égal des apôtres, succéda dans la direction de l’église de Jérusalem, à Jacques fils de Zébédée, tué par Hérode.

1.20-21

20 et dans ce que je vous écris, voici, devant la face de Dieu, je ne mens point ! 21 Je vins ensuite dans les contrées de la Syrie et de la Cilicie,

« Ce que j’écris. » Il faut rapporter ces mots à tout le récit depuis le v. 12. — ἐνώπιον τοῦ θεοῦ formule hébraïque de serment, analogue à « Dieu m’est témoin » (Romains 1.9 ; 9.1 ; 1 Timothée 2.7 ; 2 Corinthiens 11.31 ; 1.23 ; 2.10 ; 1 Samuel 12.7 ; 23.18). C’est un témoignage de sincérité et de vérité (1.17). — κλίμα, inclinaison de la terre de l’équateur aux pôles, d’où naissent les diverses températures. De là, ce mot s’applique aux zones de la terre, aux régions qui sont caractérisées par ces températures ; quartiers (Romains 15.23). — Syrie, vaste région de l’Asie mineure, qui se terminait à l’orient par l’Euphrate et l’Arabie, au midi par les monts Liban, au couchant par la Méditerranée, et au nord par la Cilicie et l’Arménie mineure. — Cilicie, province de l’empire romain, embrassant, outre la Syrie et la Phénicie, plus tard aussi la Palestine, et administrée par des procurateurs (Matthieu 4.25 ; Marc 1.26 ; Luc 2.2 ; Josephe, Guerr. juiv. V, 1, 1). D’après Actes 9.30, l’apôtre fut conduit à Césarée, et de là à Tarse en Cilicie. Il y avait deux Césarées : l’une en Palestine, appelée simplement Césarée ou Césarée de Palestine, entre Jopé et Dora, en grande partie habitée par des païens, mais aussi par plusieurs milliers de Juifs ; l’autre, située au pied du Liban, non loin des sources du Jourdain, au sud-ouest de Damas ; le tétrarque Philippe qui l’agrandit, lui ajouta son nom ; elle s’appelait proprement Paneas (Matthieu 16.31 ; Marc 8.27). Dans Luc il y a Césarée sans l’addition « de Philippe ; » il faut donc expliquer par Césarée de Palestine, sur les bords de la Méditerranée, d’où l’on passait en Phénicie. Paul, dont le séjour dans ces contrées ne saurait être déterminé, y enseigna (Actes 15.41). La lettre de la conférence apostolique fut adressée aux églises pagano-chrétiennes de Syrie et de Cilicie, observe Néander, parce que ces églises avaient vu naître le combat, et qu’elles étaient regardées comme la mère-église parmi les païens ; à elles s’attachèrent les communautés asiatiques disséminées, qui furent créées plus tard ; voilà pourquoi Paul, pour indiquer en général son cercle d’action apostolique, dit : Le pays de Syrie et de Cilicie. — La préposition εἰς dans, se rapportant à l’idée de lieu, se rend aussi par : vers (Marc 3.7 ; Matthieu 21.1 ; Luc 6.20 ; Jean 11.38 ; Apocalypse 10.5). On peut donc traduire : Puis j’allai vers le pays de Syrie et de Cilicie ; c’est une indication générale ; on conçoit alors comment il peut ensuite parler de la Judée qu’il traversait en se dirigeant sur la Syrie et sur sa patrie.

1.22-24

22 et j’étais inconnu de visage aux églises de la Judée qui étaient en Christ ; 23 elles avaient seulement ouï dire : Celui qui nous persécutait autrefois prêche maintenant la foi qu’il tourmentait auparavant. 24 Et je leur étais un sujet de glorifier Dieu.

τῆς Ἰουδαάς, etc. (1 Thessaloniciens 2.14). Il était inconnu de face aux églises qui se trouvaient hors de Jérusalem, dans les contrées de la Palestine qu’il parcourut en se rendant à Césarée. Cette façon de s’exprimer ne doit pas surprendre ; les églises de Judée sont ici distinguées de Jérusalem, comme la Syrie l’est d’Antioche sa capitale (Actes 15.23). Paul était très connu à Jérusalem (Actes 9.28) ; s’il eût été converti par les apôtres et chargé par eux des fonctions évangélisantes, il est clair que dès lors, envoyé çà et là dans les églises de la Palestine comme disciple ou compagnon, il n’aurait pas pu rester inconnu de face pendant trois ans aux églises de la Judée ; ce qui est une nouvelle démonstration de sa thèse. — ἐν χριστῷ ; ἑν joint à un nom de personne se rapporte toujours à l’intérieur, au spirituel, et exprime aussi le fondement sur lequel un objet s’appuie et se repose « qui étaient en Christ, qui vivaient en communion spirituelle avec Christ, leur source, leur base et pierre angulaire. » Même quand il s’agit de choses, dit Winer, ἐν désigne des manières d’être et des forces spirituelles ; on a tort de confondre quelquefois le sens de cette particule avec celui de διὰ (1 Pierre 1.5, 22) ou de propter, pour l’amour de. (Voyez être en Christ Éphésiens 1.7 ; Philippiens 4.2 ; 1 Corinthiens 15.18.) — v. 23. πορθεῖν persécuter, dévaster une foi, ceux qui la professent. (Voyez, pour de semblables hardiesses de style, Matthieu 10.12, saluer la maison ; Hébreux 6.18-19, l’espérance entre dans le temple céleste, etc.) — v. 24. ἐν ἐμοὶ, dans moi, en moi, c’est-à-dire, célébraient Dieu trouvant en moi matière à célébration. Lorsque cette préposition est employée pour indiquer des rapports non sensibles, c’est-à-dire, ni locaux, ni temporels, et qu’elle passe du matériel au spirituel, on reconnaît en elle une plus grande latitude de sens et un coloris hébraïque, dit Winer ; ainsi ἐν désigne non seulement ce en quoi une autre chose consiste et est contenue spirituellement, comme 1 Pierre 3.4 ; Éphésiens 4.3 ; mais encore, l’objet en qui une force spirituelle est agissante ; 1 Corinthiens 4.6 : apprenez ἐν ἡμῖν, nous et non pas dans nous, comme dans cette phrase : le vois en lui un homme, etc., et non pas dans lui (Jean 12.35) ; en ceci tous connaîtront (1 Jean 2.35 ; 3.19 ; 1 Thessaloniciens 5.12) ; de là aussi θαυμάζειν (Luc 1.21), s’étonner de sur quelque chose, etc. — δοξάζειν estimer beaucoup (Romains 11.13), louer. Dans le Nouveau Testament, ce mot est particulièrement employé lorsqu’il s’agit de célébrer Dieu ou Christ (Romains 1.21 ; 15.9 ; 1 Corinthiens 6.20 ; 2 Corinthiens 9.13) : « Et elles glorifiaient Dieu en moi, je leur étais une occasion de louanges. » Depuis le v. 18 jusqu’à 24, Paul a continué le déroulement des circonstances de sa vie, qui démontrent le cachet divin de sa prédication. Son retour à Jérusalem après une absence de trois ans, avec le but simple, non de s’instruire de l’Évangile mais de voir Pierre par bienséance ; son rapide séjour dans l’intention, disent les Pères, de lui faire honneur et non pour apprendre la religion chrétienne qu’il prêchait depuis plusieurs années ; ses relations avec les apôtres, peu nombreuses pendant ce temps, puisqu’il n’en voit qu’un ; son prompt départ pour sa patrie à travers des églises où il était inconnu auparavant et où il n’avait par conséquent pas appris la doctrine qu’il enseignait ; l’approbation que ces églises de Judée donnaient à sa prédication, puisqu’elles rendaient gloire à Dieu de sa conversion et de son apostolat, et, par-dessus tout, la sanction d’une conscience pure qui place ses déclarations sous la majesté de la face de Dieu, du Dieu de vérité et de sainteté, tous ces arguments irrésistibles devaient rasseoir les convictions les plus ébranlées ; en effet, ces détails biographiques étaient susceptibles de vérification ; Paul en appelait, pour confondre ses adversaires, à ceux mêmes sur lesquels ses adversaires s’appuyaient probablement, quoiqu’à tort, à Pierre, à Jacques et aux églises de Judée ; quoi de plus facile que de le confondre s’il ne parlait pas selon la vérité !

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