Une connaissance exacte des synonymes nous permettra de rejeter sans hésiter comme insoutenable telle interprétation de l’Écriture, qui, sans cela, pourrait prétendre à un certain droit de cité. Ainsi, plusieurs interprètes ont expliqué Hébreux 12.18, de cette manière : « Vous n’êtes pas venus à la montagne qui se puisse toucher à la main » (ψηλαφωμένῳ ὄρει), en s’appuyant sur le Psaume 104.32 : « Il touche les montagnes et elles fument » ; et ils en appellent au fait, qu’alors que Dieu donna la Loi. Il descendit sur la montagne du Sinaï, qui « était toute en fumée, parce que l’Éternel y était descendu » (Exode 19.18). Mais contre une telle interprétation s’élève décidément le fait que ψηλαφάω n’exprime jamais l’action de manier un objet au point d’exercer sur lui une influence qui le façonne et le modifie, mais il indique tout au plus l’action de sentir la surface d’une chose (Luc 24.39 ; 1 Jean 1.1) ; peut-être avec l’intention d’en connaître la composition (Genèse 27.12, 21-22). Assez souvent, du reste, le mot signifie simplement sentir comme avec des tentacules (tentare), sans qu’en aucune manière on se mette réellement en contact avec l’objet. Il exprime continuellement un tâtonnement dans les ténèbres (Job 5.14) ; celui d’un aveugle (Ésaïe 59.10 ; Genèse 27.12 ; Deutéronome 28.29 ; Juges 16.26) ; ou figurément (Actes 17.27) ; comparez Platon (Phæd. 99 b), ψηλαφῶντες ὥσπερ ἐν σκότει ; et Philon, Quis Rer. Div. Hær. 51. Le ψηλαφώμενον ὄρος, d’Hébreux 12.18, est, sans aucun doute, « mons palpabilis », et la Vulgate, qui traduit par « tractabilis », ne veut rien dire de plusa : « Vous n’êtes venus, voudrait dire l’apôtre, à aucune montagne matérielle, comme est le Sinaï, qu’on puisse comme telle toucher de la main, qu’on puisse sentir, mais à la Jérusalem céleste, à un νοητόν, non à un αἰσθητόν ὄρος ». Ainsi Knapp (Script. Var. Argum., p. 264) : « Videlicet τὸ ψηλαφώμενον idem est, quod αἰσθητόν, vel quidquid sensu percipitur aut investigatur quovis modo ; plane ut Tacitus (Ann. iii, 12) oculis contrectare dixit, nec dissimili ratione Cicero (Tusc. 3.15) mente contrectare. Et Sina quidem mons ideo αἰσθητός appellatur, quia Sioni opponitur, quo in monte, quai sub sensus cadunt, non spectantur ; sed ea tantum, quæ mente atque animo percipi possunt, νοητά, πνευματικά, ἠθικά. Apposite ad h. 1. Chrysostomus (Hom. 32 in Ep. ad Heb.) : πάντα τοίνυν τότε αἰσθητά, καὶ ὄψεις καὶ φωναὶ πάντα νοητὰ καὶ ἀόρατα νῦν. »
a – Sans doute que tel est aussi le sens de « feu tangible » (Albert Rilliet) et de « montagne sensible et terrestre » (Sacy) chez ces traducteurs.
Manipuler un objet quelconque de manière à exercer sur lui une influence qui le modifie, le manier, non le toucher simplement, le « betasten », comme on dit en allemand, non le « berühren », cette idée se rendrait ou par ἅπτεσθαιb ou par θιγγάνειν. Ces deux termes peuvent quelquefois s’échanger, comme dans Exod.19.12 ; mais le premier est plus fort que le second ; ἅπτεσθαι (« contrectare ») est plus que θιγγάνειν (Psaumes 104.15 ; 1 Jean 5.18), comme cela se voit clairement dans un passage de Xénophon (Cyr. i, 3, 5), où l’enfant Cyrus, blâmant les goûts délicats de son grand’père, dit : ὅτι σε ὁρῶ ὅταν μὲν τοῦ ἄρτου ἅψῃ εἰς οὐδὲν τὴν χεῖρα ἀποψώμενον ὅταν δὲ τούτων τινὸς θίγῃς εὐθὺς ἀποκαθαιρῃ τὴν χεῖρα εἰς τὰ χειρόμακτρα ὡς τάνυ ἀχθόμενος. Voir aussi la gradation suivie dans Colossiens 2.21 : μὴ ἅψῃ μηδέ γεύσῃ μηδὲ θίγῃς. Les docteurs superstitieux de Colosse ne défendaient pas seulement de manier, mais de goûter et même de toucher ces choses dont le contact, selon eux, pouvait souiller. « Verbum θιγεῖν a verbo ἅπτεσθαι sic est distinguendum, ut decrescente semper oratione intelligatur crescere superstitio », dit excellemment Théodore de Bèze.
b – Dans le passage auquel on a déjà fait allusion, Psaumes 104.32, les Septante traduisent : ὁ ἁπτόμενος τῶν ὀρέων καὶ καπνίζονται.