Ce n’est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné, mais un esprit de force …
Je me souviens d’un fait lointain mais toujours présent à mon esprit. J’avais onze ans à peine. Ma mère me tendit un panier de légumes avec cet ordre :
— Tu iras les porter au château.
— Au château ?
Un bloc de granit me serait tombé sur la tête que le choc n’en aurait pas été plus ressenti. A l’époque, ses propriétaires, vrais seigneurs du pays, menaient brillante vie, servis avec courbettes par une escouade de bonnes et de valets tout à leur dévotion.
Naturellement, je commençai par refuser. Je ne me sentais pas de taille à affronter ce beau monde, moi un gamin du village. Je revoyais le châtelain, grave et très digne dans sa splendide Farman, derrière un chauffeur non moins digne portant gants blancs et casquette dorée.
Me rendre au château ? Autant me demander d’aller trouver le président à l’Élysée ! Vous imaginez ? Moi, franchir l’imposante grille, avancer tout seul sur une large allée bordée de massifs fleuris et surtout, gravir marche après marche le grand escalier qui mène au perron pour aller sonner à la grande porte vitrée ! Mon cœur aurait lâché avant qu’on ne vienne m’ouvrir ! Donc, je refusai.
Ma mère, insensible à mes arguments, ne l’entendit pas de cette oreille :
— Pas d’histoire. Va me porter ce panier au château. Tu n’en mourras pas.
— Mais tu me vois me présenter tout seul à la grande porte ?
— Petit sot ! Pas la grande porte mais la petite. Va donc tirer la sonnette à la porte de service. On viendra t’ouvrir et tu donneras les légumes sans explication. Sans plus. Il n’y a pas de quoi en faire un drame. Allez ouste !
Force me fut d’aller au château. Les cinq cents mètres me séparant de ce lieu redoutable. me parurent des kilomètres. Panier au bras, ému jusqu’aux entrailles je partis, certain que ma mère ne céderait pas. Avec elle, il était parfaitement inutile d’insister et je le savais bien.
Une heure plus tard, je revins émerveillé ; je ne me reconnaissais plus. J’avais rempli ma mission comme un grand et me sentais déjà prêt à recommencer. L’exploit que je venais d’accomplir me donnait une nouvelle assurance. J’étais allé, tout seul, au château. En vérité, je n’avais vu qu’une main blanche, sans doute celle de la cuisinière, saisir mon panier par la porte entr’ouverte, sans dire un mot et en un temps record.
Quand je revois la scène je ne puis m’empêcher de sourire, mais je bénis pourtant celle qui m’a résisté assez pour me sortir de ma timidité.
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Certes, l’enfant moderne est plus déluré que timoré, plus effronté que craintif. Pourtant, il y a de nos jours encore des gens paralysés par une timidité tenace qui les rend malheureux et empoisonne leur vie. S’il en est ainsi de l’un des vôtres, ne cédez pas à la pitié mais cherchez plutôt à l’affranchir de ses réticences en l’aidant avec patience et fermeté. Il vous en sera reconnaissant plus tard, même si présentement vous lui donnez l’impression de le « martyriser » ou d’éprouver un certain plaisir à le tracasser.
Pratiquement, comment peut-on aider un timide à surmonter ses craintes et à sortir de son état ?
1. — En l’obligeant à se frotter aux autres, à ceux surtout qui paraissent l’impressionner. Envoyez-le faire les commissions. Ainsi il connaîtra de plus près le boulanger, l’épicier ou le quincailler du coin et constatera qu’après tout ils ne sont pas des gens si redoutables. Chargez-le de se rendre à la poste pour y expédier un paquet ou un mandat, à la Mairie pour obtenir un bulletin de naissance ou une pièce officielle. Inscrivez-le de bonne heure à une colonie de vacances (de préférence évangélique) où il pourra côtoyer durant plusieurs semaines de nouveaux camarades. Résistez-lui s’il refuse d’exécuter le service demandé et vous aurez la joie de le voir revenir heureux et plus fort.
2. — En accueillant le plus souvent possible vos amis à la maison et en exerçant l’hospitalité quand l’occasion s’en présente. Le gosse élevé dans les campagnes reculées, loin de tout contact humain, devient inévitablement craintif, quelque peu sauvage. Il est tenté de fuir la société, non parce qu’il la déteste mais parce qu’elle l’effraie. Pour son bien et sa joie, invitez des membres de l’église à votre table ainsi que des visiteurs de passage. Ainsi, il s’habituera à côtoyer des inconnus, à échanger quelques paroles avec eux, à se pencher sur un album de photos ou à montrer tel travail manuel fait en classe ou à la maison. Ces contacts fréquents sortiront votre enfant de son isolement et l’aideront à se sentir à l’aise en société.
3. — En habituant votre fils (ou votre fille) à aller au-devant des autres, non seulement pour les saluer mais surtout pour les servir et s’intéresser à leurs problèmes. Ce faisant, il échappera plus vite à un sentiment d’infériorité qui l’amènerait à se replier sur lui-même, à tourner autour de sa personne en se jugeant incompris et incapable de quoi que ce soit. Suggérez à votre fille d’aller porter secours à une mère de famille nombreuse débordée. Si vous rendez visite à des personnes âgées ou à des malades, emmenez votre garçon et chargez-le de leur remettre un fruit ou une brochure. Certainement, ces amis ne manqueront pas de converser gentiment avec votre fils. Il est toujours facile d’établir le contact avec des gens auxquels on rend service.
4. — Qui veut être affranchi de sa timidité doit être déterminé à la vaincre. On dit généralement que la timidité est un péché d’orgueil. Oui et non ! En effet, je puis avoir hérité – et en cela je ne suis pas responsable – d’une nature craintive. Et cette tendance à redouter la société a pu être aggravée au cours des ans par une éducation maladroite. Les parents moqueurs et méprisants qui ne craignent nullement d’humilier leur rejeton devant les autres, façonnent des êtres timorés, d’autant plus « sauvages » qu’ils grandissent dans une campagne reculée, loin de tout contact humain. Après tout, il n’y a pas faute d’être timide mais seulement de tolérer sa timidité. S’il veut en sortir, l’enfant doit avouer son travers et s’abandonner à Celui qui veut et peut lui communiquer « un esprit de force et non de timidité » (2 Timothée 1.7). Encouragez-donc votre fils à agir ainsi, lui rappelant la promesse de l’Écriture : « … Il vous perfectionnera Lui-même, il vous affermira et vous rendra inébranlable. A Lui soit la puissance … » (1 Pierre 5.10).
5. — En général, les timides dramatisent leurs petites imperfections, se dénigrent ou se jugent inférieurs et désavantagés à cause d’un défaut de prononciation mineur, d’un tic apparent ou d’un léger handicap. Ces choses insignifiantes les paralysent pour de bon, tant ils redoutent d’être ridiculisés ou rabaissés. Aussi deviennent-ils susceptibles et soupçonneux, décelant l’ironie là où elle n’est pas et se rendent-ils malheureux sans motif sérieux. A cause de cela il s’avère important, dès la tendre enfance, d’encourrager le timide à s’accepter tel qu’il est. Prêchant d’exemple, poussez-le à rire de ses défauts. Et s’il se dénigre, reprenez-le affectueusement, l’amenant à reconnaître qu’il est aux yeux de Dieu, « une créature merveilleuse » (Psaume 139.14).
Quoi qu’il en soit, ne cédez pas à la pitié.
LES PARENTS S’INTERROGENT