On peut se demander d’abord s’il y a utilité à déterminer un principe normatif du bien, à se mettre en quête de ce que l’on appelle d’ordinaire un principe premier de la morale. Cette question préalable a été tranchée négativement par Rothe, qui s’explique sur ce point dans les termes suivants :
« Il fut d’usage de se mettre en quête, en vue de la construction scientifique de l’Ethique, d’un principe moral supérieur. La position même de la question ne peut que tout embrouiller. Tout d’abord, elle est sans but. Car c’est dans la notion même de l’ordre moral que doit résider le principe constructeur de la science, ou il n’y en a pas. Puis cette question est souverainement équivoque et indéterminée. Souvent on a parlé d’un principe premier sans s’être expliqué sur le sens de ce mot. On entendait par ce principe moral supérieur tantôt la raison dernière de tout devoir et de toute obligation morale en général, tantôt le principe absolument général qui sert de norme absolue et absolument suffisante à l’activité morale, ou l’on ne distinguait pas même ces deux significations l’une de l’autre.
« On a entendu aussi par le principe supérieur de la Morale chrétienne le principe biblique. Or nous en trouvons au moins cinq dans le Nouveau Testament qui peuvent prétendre à cette dignité :
- le principe de la ressemblance avec Dieu (Matthieu 5.48) ;
- le principe d’être saint comme Dieu lui-même (1 Pierre 1.16 ; d’après Lévitique 11.44) ;
- le principe de suivre Jésus-Christ (1 Pierre 2.24-25 ; comp. Matthieu 16.24) ;
- le commandement de l’amour parfait de Dieu et des hommes (Matthieu 22.34-40) ;
- le précepte de faire aux autres ce que nous voudrions qui nous fût fait (Matthieu 7.12). »a
a – Etik, tome I, § 90.
L’auteur aurait pu ajouter sous numéro 6 : le principe de la glorification de Dieu par ses créatures.
Quelle que soit la valeur relative des tentatives faites jusqu’ici, pourrions-nous répondre à l’auteur, il ne résulterait pas encore de leur commun insuccès que l’entreprise même fut illicite ; ou de ce que l’on n’a pu s’entendre sur la signification du terme premier principe, il ne semble pas que l’on doive conclure autre chose que la nécessité de s’entendre mieux à l’avenir.
Nous accordons que la recherche d’un premier principe ou principe normatif du bien suppose la foi à la liberté humaine, et n’a pas de signification en l’absence de cette prémisse qui manquait à Rothe.
L’objet le plus pressant, avant de rechercher quel est le principe supérieur de la morale, paraît donc être, après avoir fixé le sens que nous attachons nous-mêmes à ce terme, de montrer la nécessité dans la science morale de la recherche d’un principe supérieur de la morale, quel qu’il soit d’ailleurs, et de rechercher quels sont les critères auxquels il se reconnaît.