Lucile à M. Mercier
J’ai reçu votre lettre, Monsieur ; j’en suis encore tout ébranlée ; qu’y a-t-il donc dans vos lettres qui remue l’âme jusqu’au fond ? Celles de l’Abbé lui-même, si bonnes, si charitables, ne faisaient pas cette impression sur moi.
Il faut que vous connaissiez toute la vérité, le temps des précautions est passé. Ne craignez pas de m’avoir blessée en parlant comme vous l’avez fait des deux Eglises : quoique catholique par position, je suis née protestante. Au reste, comme vous le dites, c’est le salut de mon âme qui doit m’occuper avant tout ; la question d’Église viendra après.
Je n’avais pas bien saisi dans vos premières lettres cette étonnante doctrine du Saint-Esprit. Je la comprends mal encore sans doute, mais il me semble pourtant que je l’entrevois. Que cela est beau ! que cela est beau ! Je crains toujours quelque illusion ; l’exaltation doit être facile dans un sujet si entraînant. Les objections qu’on m’avait suggérées ne sauraient plus me retenir : outre qu’elles paraissent suffisamment résolues par vos explications, elles ne balancent pas, je le vois bien, les difficultés qui se trouvent de l’autre côté, et auxquelles je n’avais jamais réfléchi. Ah ! vous avez bien, raison de dire que la foi véritable me manque encore ! Mais cette foi, Monsieur, en quoi consiste-t-elle donc ? Je l’apprendrai, dites-vous, en lisant l’Écriture sainte ; je devrais la lire, sans doute, et, pourtant, n’allez pas perdre patience avec moi, il est encore dans la lettre de l’Abbé un point auquel vous n’avez pas touché : je veux parler de ce qu’il dit sur le danger de cette lecture. Je ne m’y étais point arrêtée d’abord ; mais je me suis avisée d’aller lire la lettre de Fénelon sur l’Écriture sainte, et j’avoue que j’en ai été tout étourdie. S’il y a réellement dans la Bible tant de choses qui peuvent troubler la foi des simples et leur donner même du scandale, ne vaut-il pas mieux après tout que je me borne à lire des parties choisies des Écritures, ou des ouvrages, dans lesquels on aura exposé la doctrine chrétienne en supprimant ces traits étranges ou contraires à la délicatesse de nos mœurs ?
Je me suis mise à lire quelques livres de ce genre, et, en particulier, l’Imitation de Jésus-Christ. Cette lecture me fait beaucoup de bien : ne pourrais-je pas m’en contenter ? Il y a, dans le fait, bien des personnes pieuses qui ne lisent jamais la Bible ; et à peine était-elle connue dans nos campagnes avant que les colporteurs y fussent venus.