« Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront. »
C’est toujours avec émotion que j’aborde cette semaine qui est comme le sanctuaire de l’année, et que l’Église universelle a consacrée au souvenir des souffrances, de la mort et de la résurrection de son Sauveur. Il me semble entendre une voix qui me dit, comme jadis à Moïse auprès du buisson ardent : « Tu es ici sur une terre sainte, ôte les souliers de tes piedsa » Il me semble que Jésus-Christ, qui a promis de se trouver partout où deux ou trois de ses disciples seraient réunis en son nom, doit être présent d’une manière plus sensible et plus efficace au milieu des siens dans ces jours où tant de genoux se ploient devant lui, où tant de voix chantent ses louanges, invoquent sa grâce, proclament son salut. Il me semble qu’il est comme moralement impossible que de si saints souvenirs soient évoqués, que de si fréquents et de si pressants appels soient adressés à de si grandes multitudes, sans que la piété de plusieurs soit affermie ou retrempée, sans que de nouvelles conversions viennent attester l’immortelle vertu de la rédemption accomplie à Jérusalem il y a dix-huit à dix-neuf siècles. Aussi vos pasteurs sentent-ils tout particulièrement à ce moment de l’année tout ensemble la beauté de leur tâche et le poids de leur responsabilité. Priez pour eux, mes frères, comme ils prient pour vous ; prions, afin que Dieu prenne en pitié notre faiblesse et notre misère communes ; et comme il est venu à nous autrefois par son Fils, qu’il daigne venir aujourd’hui par son Esprit, pour l’amour de Celui qui, dans des jours pareils à ceux-ci, est descendu pour nous jusqu’au fond d’un abîme de douleurs que nos regards essayent vainement de sonder !
a – Exode 3.5.
La parole que j’ai choisie pour texte est avant tout un témoignage éclatant rendu par Jésus lui-même à son caractère de Messie et de Fils de Dieu. Les circonstances sont présentes à votre esprit. Pour la dernière fois, Jésus vient célébrer la fête de Pâque à Jérusalem, où l’a précédé le bruit de ses miracles. Sachant qu’il va mourir, il ne se dérobe plus aux hommages de la multitude : son entrée est un triomphe, pacifique sans doute, mais royal pourtant ; tandis qu’il s’avance assis sur son humble monture, une foule qui va grossissant de moment en moment l’environne et le salue de ses acclamations enthousiastes. Les uns portent devant lui des rameaux ravis aux palmiers de la route ; d’autres étendent leurs vêtements sur son chemin. Des cris joyeux éclatent de toutes parts : « Hosanna au fils de David ! Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très hauts ! » Surpris et déconcertés, les pharisiens n’osent pas s’opposer directement à l’enthousiasme populaire ; la plupart se bornent à échanger entre eux des regards inquiets et des propos tels que ceux-ci : « Tout va mal ; nos efforts sont inutiles ; le monde entier va après luib ! » Quelques-uns cependant, plus hardis, vont droit à Jésus et lui disent avec une modération hypocrite : « Maître, reprends tes disciples. » Comme s’ils disaient : « Cette populace en délire ne peut rien entendre. C’est à toi que nous nous adressons. Nous faisons appel à ton humilité, à ta piété, à ta prudence. Ton humilité doit souffrir d’hommages pareils. Ta piété ne saurait te permettre d’approuver ce tumulte qui trouble les solennités de la fête et leur fait en quelque sorte concurrence. Ta prudence doit te faire comprendre qu’il y a là un péril, que d’un moment à l’autre un soulèvement populaire peut éclater. Reprends tes disciples ; d’un mot tu peux leur imposer silence. » Que répond Jésus à des discours en apparence si religieux et si raisonnables ? Ah ! mes frères, s’il n’eût été et n’eût voulu être lui-même que le Christ raisonnable d’une certaine théologie, un simple prophète, par où l’on entend un génie religieux qui aurait su lire plus distinctement que d’autres le nom de Dieu écrit au fond de toute conscience humaine, Jésus aurait suivi le conseil des pharisiens, ou plutôt il ne l’aurait pas attendu, il n’aurait ni provoqué ni supporté les honneurs qu’on lui rendait, il aurait écarté de sa personne des hommages qui n’appartenaient qu’à Dieu même et à la vérité, il n’aurait pas été moins humble que ne le furent ses disciples Paul et Barnabas quand, dans une ville païenne, ils crièrent à la foule qui voulait leur offrir des sacrifices : « Arrêtez ! que faites-vous ? Nous ne sommes que des hommesc. » Au lieu de cela, Jésus répond : « Je vous le dis, si ces gens-là se taisent, les pierres crieront. » Ainsi Jésus prend la défense de ceux qui crient hosanna et réserve tout son blâme pour ceux qui les censurent. Il proclame que c’est l’éternelle vérité qui parle par la bouche de ceux qui l’acclament et qu’il est vraiment tout ce qu’ils disent, le Christ, le fils de David, le Roi béni qui vient au nom du Seigneur. Il fait même entendre que ces hommages restent encore bien en deçà de ce qui lui est dû. Il ajoute qu’ils sont l’expression d’une véritable nécessité morale, religieuse et historique : il faut, il faut absolument que le Fils de Dieu soit reconnu pour ce qu’il est, qu’il reçoive au moins une fois sur la terre l’honneur qui lui est dû. Si les hommes étaient tous d’accord pour le lui refuser, si les pharisiens réussissaient à glacer tous les cœurs et à fermer toutes les bouches, eh bien ! la nature protesterait contre ce silence du genre humain ! les pierres crieraient ! – Que pensez-vous, mes frères, de ce témoignage que Jésus lui-même rend à Jésus ? N’est-il pas évident qu’en face d’une telle parole, il faut, ou bien se résoudre à l’accuser d’exaltation et d’orgueil (quoique toute sa vie proteste contre une imputation de ce genre), ou bien s’incliner devant la ferme et assurée conscience qu’il avait de sa grandeur surhumaine et de sa divinité ?
b – Jean 12.19.
c – Actes 14.15.
La majesté qui nous frappe dans cette parole de Jésus, nous la retrouvons dans toute la suite de sa Passion, et nous ne devons jamais la perdre de vue, si nous voulons envisager cette histoire sous son véritable jour. Si nous ne voyons en Jésus qu’un juste qui souffre avec patience et qui paye de sa vie sa fidélité à ses convictions, ses souffrances et sa mort nous paraîtront ressembler à celles de beaucoup d’autres martyrs et le récit évangélique qui nous les retrace, à force d’avoir été souvent lu et entendu, nous laissera indifférents, nous fatiguera peut-être. Il nous saisira toujours de nouveau et jusqu’au fond de l’âme, si nous nous souvenons, si nous concevons par la pensée et par la foi, que c’est le Fils de Dieu qui meurt. Le contraste que le lecteur attentif et croyant aperçoit partout entre l’excès de douleur et d’abaissement où le Christ s’est volontairement réduit et la grandeur divine qui chez lui perce pourtant à travers l’infirmité humaine, est ce qui fait le caractère unique de sa Passion. – En entrant à Jérusalem, il pleure ; et pourtant c’est en roi et en juge qu’il parle, quand il annonce à la cité rebelle le prochain et redoutable châtiment de son incrédulité. Les jours suivants, il se montre plein du douloureux pressentiment de sa mort ; mais ce ne sont pas des plaintes mélancoliques qui sortent de sa bouche ; la pensée principale qui remplit ses discours est celle de ce grand jour qui le verra revenir pour juger les vivants et les morts et établir définitivement son règne. Comme un Israélite ordinaire, il célèbre la Pâque ; mais, en la célébrant, il la transfigure, il la rapporte à sa personne, à son sacrifice, à son sang qui va être répandu pour les péchés de tous les hommes et cimenter une nouvelle alliance entre la terre et le ciel. A Gethsémané, il se prosterne contre terre, livide, en proie à une affreuse angoisse, rappelant ces mots du psalmiste : « Pour moi, je suis un ver et non point un hommed » ; mais quand il s’est levé de sa prière, un mot de sa bouche fait tomber à ses pieds ceux qui venaient le surprendre. Devant Caïphe, devant Pilate, il est debout, chargé de chaînes, la plupart du temps silencieux ; mais quelle majesté dans son silence ! et quand il parle, quelle majesté dans ses paroles ! « Je vous dis en vérité que vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite de Dieu et venant sur les nuées du ciel… Je suis roi, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque est pour la vérité entend ma voixe. » Sur la croix, sa souffrance est à son comble ; la terre le repousse et le maudit ; le ciel même lui est un moment comme voilé ; et pourtant il ouvre d’un mot à un pécheur repentant les portes du paradis, et sa bouche mourante profère la plus grande parole que la terre ait jamais entendue : « Tout est accomplif. »
d – Psaumes 22.7.
e – Jean 18.4-6.
f – Matthieu 26.64 ; Jean 18.37.
Quand nous considérons ces traits dans leur ensemble, nous ne pouvons plus nous flatter de nous acquitter de notre dette envers le crucifié du Calvaire avec quelques paroles d’admiration, ou même avec quelques larmes de sympathie. Nous sommes émus d’un saint tremblement au bord de cet abîme de douleur et d’amour ; nous sommes effrayés de l’énormité du péché, de notre péché, qui a rendu nécessaire ce qui semblait impossible, le sacrifice du Fils de Dieu ; nous prenons en quelque sorte la mesure de cet amour qui du haut des cieux est descendu pour nous jusqu’aux portes de l’enfer, ou plutôt nous confessons qu’il dépasse toute mesure ; nous nous approchons de Jésus enfin, non pas seulement comme d’un Maître et d’un modèle, mais comme d’un Sauveur, car nous comprenons que ce sacrifice, absolument unique et incompréhensible, n’a pu avoir qu’un but et un effet infinis comme lui-même, la rédemption du genre humain.
En même temps que Jésus se déclare digne des hommages qu’il reçoit, il affirme que ces hommages, qui lui étaient dus, ne pouvaient pas lui manquer, et par conséquent qu’ils ne lui manqueront jamais entièrement, qu’ils dureront toujours. Il exprime une profonde et tranquille sécurité quant à l’avenir de son nom, et par conséquent aussi de son œuvre et de son Église. Dieu, qui a donné son Fils au monde, peut permettre qu’il souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les hommes, c’est-à-dire par la masse des hommes, d’abord dans sa personne, puis dans celle de ses disciples et dans son immortel Évangile ; il ne peut pas permettre que son travail reste sans fruit et sa parole sans écho, que le foyer de lumière et de vie qu’il a allumé s’éteigne pour toujours. Le Fils de Dieu ne manquera jamais d’adorateurs, la vérité ne manquera jamais de confesseurs. S’il n’y avait plus de bouches humaines pour la proclamer, les pierres la crieraient.
L’histoire a vérifié cette prophétie. Le jour des Rameaux, les pharisiens, les chefs d’Israël, qui semblaient appelés à marcher en tête du cortège messianique, se taisent ou plutôt maudissent tout bas le Christ. Dieu tire sa louange de la bouche des enfants, par où j’entends tout ensemble ces petits enfants qui crient hosanna ! dans le temple et ces simples de cœur, ces gens du peuple dont les pharisiens ne parlent qu’avec un si superbe mépris. Il est vrai que cet enthousiasme populaire se dissipe bien vite ; en peu de jours, les pharisiens ont repris leur ascendant ; bientôt ce n’est plus le cri de hosanna ! qui retentit, c’est celui de : crucifie ! Les ennemis de Jésus se flattent que ce nom détesté ne les importunera plus. Mais s’ils ont pu faire mourir Jésus, ils ne peuvent pas l’empêcher de ressusciter. Les voix qui célébraient ses louanges ne sont pas toutes ni pour toujours étouffées ; pendant quelques jours, j’entends comme un faible murmure qui s’élève à sa gloire, de la chambre haute où prient les cent vingt disciples ; puis tout à coup, au jour de la Pentecôte, l’hosanna du jour des Rameaux, renaissant, transfiguré, éclate de nouveau sur leurs lèvres en langues nouvelles et magnifiques et trouve un écho dans trois mille cœurs. Quand les progrès de la nouvelle Église, un temps si rapides, se ralentissent à Jérusalem et en Judée ; quand le peuple juif, pris en masse, a de nouveau rejeté le Christ, voilà des Églises qui surgissent de toute part du sol païen à la voix de l’apôtre Paul, voilà des milliers d’idolâtres qui se changent en confesseurs de Jésus, accomplissant ainsi une parole de Jean-Baptiste qui offre une analogie remarquable avec notre texte : « Dieu peut faire avec ces pierres des enfants d’Abrahamg. » Quand l’Église chrétienne, agrandie, mais dégénérée, interceptait en quelque sorte avec son clergé et ses saints les hommages rendus au Christ, Dieu suscita les réformateurs, qui rendirent à sa parole et à sa grâce l’honneur qui leur appartenait et ranimèrent le feu sacré de l’adoration en esprit. Quand, dans notre France, la persécution se vantait d’avoir extirpé « la religion prétendue réformée » et qu’il semblait qu’il n’y eût plus ni Églises ni pasteurs protestants dans notre patrie, des bergers, des femmes illettrées, de petits enfants même firent retentir les échos des Cévennes de leurs accents inspirés et sauvèrent du désespoir ou de l’apostasie les restes du peuple huguenot. Vers la fin du xviiie siècle, l’incrédulité croyait avoir gagné le monde ; un beau réveil de la foi marqua le commencement du xixe Ainsi la prière de Jésus : « Père, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifieh », a été exaucée jusqu’à ce jour ; la fidélité de Dieu nous garantit qu’elle le sera jusqu’à la fin. Si toutes les grandes Églises de la chrétienté devenaient infidèles, Dieu susciterait de petites communautés où vivrait encore la sève évangélique. Si notre vieille Europe venait à renier la foi qui l’a faite ce qu’elle est, cette foi trouverait un refuge et un sanctuaire au delà des mers ; les peuples que nous appelons sauvages, et à qui nous envoyons aujourd’hui des missionnaires, nous évangéliseraient à leur tour. Malgré les mépris ou les anathèmes des docteurs, malgré les éclats de rire des moqueurs, malgré les violences des persécuteurs, la louange du Christ ne se taira point.
g – Matthieu 3.9.
h – Jean 17.1.
Mais notre texte va plus loin. Il ne dit pas seulement que Jésus-Christ ne manquera jamais de confesseurs dans l’humanité, et même, pris à la lettre, il n’affirme pas explicitement cela. Ce qu’il déclare, c’est que si l’humanité pouvait pousser l’ingratitude et l’endurcissement jusqu’à refuser ses hommages au Christ, la nature inanimée (qu’y a-t-il de plus inanimé que les pierres ?) le confesserait à sa place. Il en appelle du silence possible des hommes au témoignage des choses. Il y a là, ce me semble, quelque chose de plus qu’une simple figure de langage. « Les cieux racontent la gloire de Dieu », dit le Psalmistei ; pour l’oreille attentive, pour le cœur intelligent, ils proclament aussi la gloire de son Fils. La nature bien comprise n’est pas déiste, elle est chrétienne. Vous vous souvenez que, d’après saint Paul, ses destinées sont unies d’une manière mystérieuse à celles du genre humain ; elle est soumise à cause de l’homme à la servitude de la corruption, elle soupire après le jour où elle participera à la liberté glorieuse des enfants de Dieuj. On appelle poètes ceux qui entendent plus distinctement que d’autres ce soupir de la création ; ils discernent dans toutes les régions du monde visible, dans l’animal qui se lasse et qui souffre, dans la fleur qui se flétrit à peine éclose, dans le bruit monotone du flot qui fatigue le rivage, dans la douce clarté des nuits sereines, je ne sais quelle mélancolie qu’ils traduisent en paroles humaines et qui prête à leur poésie son charme le plus pénétrant. La nature attendait donc aussi le Libérateur. Quand il parut pour la première fois sur la terre, elle s’illumina d’une clarté merveilleuse et souleva un coin du voile qui cache le ciel. Durant le ministère de Jésus, elle se montra docile à ses ordres ; à sa voix, les vents et les flots se calmaient, le sépulcre rendait ses morts. Tandis qu’il agonisait sur la croix, la nature se voila de ténèbres, comme pour ne pas voir son supplice. Quand il eut rendu l’esprit, la terre trembla, des rochers se fendirent, des sépulcres s’ouvrirent. N’y a-t-il pas là quelque chose comme ce cri des pierres dont parle notre texte ? Visitons par la pensée, quarante ans environ après la mort de Jésus, ce lieu, le plus célèbre de toute la terre, où fut Jérusalem : est-ce que ces ruines fumantes, est-ce que cette désolation sans égale, ne proclament pas tout ensemble la vérité de la prophétie de Jésus et la grandeur du crime de ses meurtriers ? Est-ce que ces pierres dispersées, noircies, ne crient pas à leur manière : « Hosanna au Fils de David ? »
i – Psaumes 19.2.
j – Romains 8.19-21.
Aujourd’hui encore, dans ce monde où nous vivons, nous sommes entourés de témoins muets et pourtant éloquents de la gloire du Christ. Pourquoi notre civilisation moderne, comparée aux civilisations antiques, présente-t-elle une solidité, une vitalité tellement supérieures ? Parce que Jésus-Christ en est le fondement. Pourquoi cette civilisation est-elle pourtant menacée ? Pourquoi entend-on en divers endroits de ce vaste édifice comme de sourds craquements ? Parce que ce fondement est aujourd’hui ébranlé. Un peuple sans Christ serait bientôt un peuple sans Dieu, et ce que devient un peuple sans Dieu, pouvons-nous l’ignorer après de récentes et cruelles leçons ?
Que serait-ce si, consultant ce que j’ai appelé le témoignage des choses dans ses manifestations les plus hautes et les plus spirituelles, nous interrogions, au sujet de Jésus-Christ, le culte, les sacrements, les constitutions des diverses Églises chrétiennes, de nos Églises réformées de France en particulier ? Dans des jours comme ceux-ci, ce témoignage des choses est si fort et si distinct que le nôtre nous paraît bien faible en comparaison. Certainement si, ce qu’à Dieu ne plaise, la parole évangélique pouvait disparaître de nos chaires, si la prédication de la simple morale y prenait la place de celle du Christ mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification, et si parmi notre peuple oublieux de sa foi aucune voix ne protestait contre ce fatal obscurcissement de la vérité, alors cette vieille Bible de nos pères, ces prières qu’ils nous ont laissées, ces fêtes solennelles qui nous retracent les grands faits sur lesquels repose notre foi, cette table sainte qui a si souvent porté les symboles de la chair et du sang du Rédempteur, protesteraient à notre place et à la vôtre et l’on peut dire que les pierres de nos temples crieraient…. Mes frères, quelles que soient les tristesses du temps présent, ayons donc une foi pleine et inébranlable en Dieu, en Jésus-Christ, et par conséquent dans l’avenir du Christianisme. Une âme, une nation, une Église peut devenir infidèle à la vérité et par là, comme Jérusalem, décider sa propre ruine,… la vérité ne peut pas périr. Quoi qu’il en soit, Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui, éternellementk. Quoi qu’il en soit, il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses piedsl Quoi qu’il en soit, l’hosanna du jour des Rameaux se prolongera d’échos en échos, croissant en sublimité et en étendue, jusqu’à ce qu’il se perde, comme un fleuve dans l’Océan, dans ce magnifique alléluia de toutes les créatures qu’à entendu le voyant de l’Apocalypse : « A celui qui est assis sur le trône, et à l’Agneau, soient louange, honneur, gloire et force au siècle des sièclesm »
k – Hébreux 13.6.
l – 1 Corinthiens 15.25.
m – Apocalypse 5.13.
Si Jésus-Christ, assuré que l’honneur qui lui est dû ne lui manquera jamais, peut se passer de nos hommages, nous ne pouvons, nous, nous passer de les lui rendre ; il importe infiniment que nous soyons du nombre de ceux qui chantent hosanna et non pas de ceux qui se taisent. Notre texte, c’est le dernier point de vue sous lequel nous le considérons, renferme comme une apologie victorieuse de l’enthousiasme religieux, surtout de celui dont Jésus est l’objet, et une juste condamnation de cette froideur et de cette sécheresse spirituelle qui accompagnent l’incrédulité ou la foi morte. Le reproche que Jésus adresse aux pharisiens, pour être indirect, n’en est pas moins énergique. En effet, si l’enthousiasme des disciples est si légitime, s’il est, comme nous le disions, l’expression d’une nécessité morale, que faut-il penser de ceux qui non seulement refusent de s’y joindre, mais qui n’y trouvent qu’un sujet d’indignation hypocrite et d’envieux chagrin ? Pour célébrer la gloire de ce Roi divin qui, les yeux en pleurs, entre dans la ville sainte, les pierres crieraient au besoin ; mais il y a quelque chose de plus insensible que les pierres, de plus froid et de plus muet que la tombe, c’est le cœur du pharisien, ce cœur que l’orgueil et la convoitise ensemble ferment à la foi et qui s’irrite contre son Sauveur au lieu de l’accueillir, bien décidé qu’il est à n’abandonner ni la fausse justice dont il se pare, ni le péché qu’il chérit en secret. Mais, mes frères, les pharisiens sont-ils les seuls qu’atteigne le blâme de Jésus ? Si leur incrédulité et leur ingratitude étaient si répréhensibles, que penser de celles des chrétiens ? S’ils étaient coupables de répondre par la froideur et par la haine aux paroles de vérité que Jésus avait dites, aux œuvres de miséricorde et de puissance qu’il avait faites, que faut-il penser de ceux qui, après Gethsémané, après Golgotha, après dix-huit siècles et demi tout pleins de bienfaits de Jésus-Christ et de la splendeur de la religion qu’il a fondée, n’éprouvent aucun mouvement d’amour et d’enthousiasme pour celui qu’ils appellent pourtant leur Sauveur ? Que faut-il penser de ceux qui, comme les pharisiens, se scandalisent de l’enthousiasme d’autrui ; qui, aussitôt que des larmes coulent, que des chants de joie retentissent, que des âmes se donnent à Dieu, que le mot de réveil est prononcé, que quelque chose se produit enfin qui sort de la froide régularité des services religieux ordinaires, crient à l’exagération et même à l’hypocrisie ?« Anathème, disait saint, Paul, anathème à qui n’aime pas le Seigneur Jésus-Christn ! » Malheur à l’Église qui, comme autrefois celle d’Ephèse, a abandonné sa première charitéo ! Malheur à nous si, même dans cette semaine sainte, nous n’avons ni élans de reconnaissance ni chants d’allégresse pour accueillir Celui qui nous a rachetés au prix, de son sang, et qui nous apporte aujourd’hui, si nos cœurs s’ouvrent pour le recevoir, le salut et la paix !
n – 1 Corinthiens 16.22.
o – Apocalypse 2.4.
Il est vrai que Jésus n’est pas visiblement présent au milieu de nous et que la scène que renouvelle chaque fête de Pâques, malgré sa grandeur, n’a pas ce quelque chose de saisissant et d’extraordinaire qui marqua l’entrée de Jésus à Jérusalem. Mais vous savez ce que disait le Maître : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont crup ! » et par conséquent aussi : Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont aimé ! Suppléons autant que possible à la vue par le souvenir, par la méditation, par la prière ; relisons à genoux, avec plus d’attention et de recueillement que jamais, cette admirable histoire de la Passion ; contemplons ce Roi couronné d’épines jusqu’à ce que son regard arrêté sur nous, ce regard à la fois majestueux et tendre, ait fondu la dureté de nos cœurs. Comprenons bien que c’est de nous qu’il s’agit ; que c’est pour délivrer nos âmes du joug odieux et des épouvantables conséquences du péché, que le Saint de Dieu a goûté la mort et qu’il l’a vaincue. Si nous ne savons pas encore entonner à son honneur des cantiques de louanges, versons à ses pieds les larmes d’une sainte contrition ; si nous ne savons pas lui offrir des sacrifices d’actions de grâces, offrons-lui ce sacrifice d’un cœur froissé et brisé qu’il ne méprise point ; si nous ne savons pas l’aimer comme nous le voudrions, que la honte et la douleur de l’aimer si peu nous ramènent par la repentance à la foi et par la foi à l’amour. Ainsi, si nos hommages sont moins éclatants que ne le furent ceux des Juifs, nous pouvons espérer qu’ils seront plus profonds et plus durables, et tel qui aura commencé cette semaine sainte en gémissant sur sa tiédeur et sa langueur spirituelles, la terminera en s’écriant avec la joie inexprimable d’une âme affranchie et pardonnée : « Hosanna ! béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ! »
p – Jean 20.9 ; comparez 1 Pierre 1.8.
Amen.
Nîmes, 29 mars 1874 (dimanche des Rameaux).