L’avertissement touchant Hérode. — Le Seigneur se met en route pour Jérusalem. — Bartimée. — Zachée. — La similitude des marcs d’argent. — Jésus oint à Béthanie. — L’entrée à Jérusalem. — Les similitudes par lesquelles Jésus se défend. — Les questions captieuses des pharisiens et des sadducéens. — La question du Seigneur touchant le fils de David. — Le discours contre les pharisiens. — La pite de la veuve. — L’annonce du jugement à venir. — La malédiction prononcée sur le figuier stérile.
C’est de la Pérée que le Seigneur était venu à Béthanie pour ressusciter Lazare ; c’est probablement en Pérée que les pharisiens, par une amitié feinte, avaient averti Jésus des desseins homicides d’Hérode Antipas. Il n’est pas probable qu’ils aient été initiés dans les projets du tétrarque. Ou bien ils s’appuyaient sur un bruit, ou bien ils avaient forgé une cabale avec les gens d’Hérode, ainsi qu’ils l’avaient déjà fait en d’autres circonstances (Marc 3.6) ; ou bien enfin cela pouvait être une invention de leur malice, par le moyen de laquelle ils voulaient effrayer Jésus et le faire paraître lâche. Mais lui leur répond : Dites à ce renard, au Hérode réel ou au Hérode supposé, à ce ravageur de la vigne, dont vous êtes les alliés en secret bien plus que vous n’êtes en réalité ses amis, dites-lui que pendant deux jours encore j’achève de guérir et de faire du bien, et personne ne m’empêchera de remplir ma tâche ; le troisième jour je finis ma vie. Au surplus, je suis déjà en chemin pour Jérusalem, car il ne se peut qu’il y ait encore une exception pour un prophète comme elle vient d’avoir lieu pour Jean ; Jérusalem restera la ville qui tue les prophètes. Il faut que je fasse mon œuvre encore ce peu de temps ; mais soyez tranquilles : Hérode ne me délivrera pas de vos mains ; vous aurez encore la satisfaction de me mettre à mort.
De Béthanie il ne se rendit pas encore à Jérusalem, et ne retourna pas non plus en Pérée, mais pendant le court espace de temps qui devait s’écouler jusqu’à Pâques, il se cacha dans la ville d’Ephraïm, près de Béthel, non loin de la frontière de la Samarie, et dans cette retraite silencieuse il se consacra exclusivement à ses disciples. En attendant, le parti des sacrificateurs, se conformant à l’avis de Caïphe, donna ordre d’arrêter Jésus partout où on le trouverait ; la foule devait s’habituer à regarder l’issue de la lutte avec une curiosité indifférente. A cause de cet ordre menaçant, les pèlerins arrivés avant Pâques pour offrir d’abord leurs sacrifices de purification, étaient d’autant plus désireux de savoir si cette perspective menaçante empêcherait Jésus de venir à la fête. Tout le monde était tendu, soit pour, soit contre lui.
Le temps de tourner sa face vers Jérusalem était enfin venu. Les disciples, remplis de crainte et d’effroi, le suivaient (Marc 10.32). Le chemin de la croix est un chemin pénible, et les disciples n’en comprenaient point la pleine signification. Bien que le Seigneur leur annonçât encore une fois en termes clairs sa mort et sa résurrection, ils le comprirent si peu qu’à ce moment même les fils de Zébédée firent parvenir au roi, par leur mère Salomé, la demande de leur accorder les premières places à côté de son trône. Il les reprend avec tristesse, et il apaise le mécontentement des autres disciples en parlant de la prérogative qu’on acquiert dans son royaume en s’humiliant et en servant, de même que le Fils de l’homme est venu pour servir et pour donner sa vie en rançon pour plusieurs. Ce ne sont pas les disciples seuls qui sont aveugles et fermés à la parole de la croix. Pour la comprendre, il ne suffit pas d’avoir des oreilles et de l’intelligence ; mais il faut avant tout la véritable connaissance de soi-même. La croix de Christ est une croix opposée à nôtre nature, soit qu’elle nous convie à la repentance, soit qu’elle nous offre la grâce imméritée, soit enfin qu’elle nous impose le devoir de suivre Jésus dans les tribulations. Celui-là seul qui ouvrit les yeux de Bartimée peut aussi guérir l’aveuglement des cœurs.
Un voile de tristesse recouvre ce cortège de fête, qui n’en est pas moins la marche triomphale d’un roi qu’aucune défense des ennemis ne peut arrêter. Mais au lieu d’aboutir à l’inauguration pompeuse du règne, c’est à une autre gloire, à celle qui entoure la mort du Rédempteur, qu’elle aboutit. Ces deux côtés, dont l’un est inséparable de l’autre, nous les rencontrons à chaque pas.
Selon Jean, ce serait de la ville d’Ephraïm que le Seigneur descendit dans la vallée du Jourdain, et c’est probablement à Jérico qu’il se joignit à la caravane des pèlerins, à moins qu’il ne faille admettre que d’Ephraïm il se rendit par la Samarie en Galilée, pour s’y réunir à la troupe de ses disciples.
A Jérico, un mendiant aveugle se trouve au bord du chemin, et cet aveugle, d’après Marc, portait le nom de Bartimée, c’est-à-dire le fils de Timée. Matthieu parle de deux aveugles, en réunissant date son récit deux guérisons, dont l’une, est prédominante. Suivant Matthieu et Marc, c’est en sortant de Jérico que le Seigneur opéra cette guérison, tandis que selon Luc elle eut lieu, avant que Jésus n’entrât dans cette, ville. Il est difficile d’admettre qu’il y ait eu une guérison avant et une autre dans des circonstances identiques après le passage par Jérico, cas après que le Seigneur eut exaucé la prière d’un mendiant aveugle, on comprendrait avec peine que le peuple ait osé imposée silence au second. Peut-être la difficulté se trouverait-elle levée si nous connaissions mieux la localité. Il se peut aussi qu’il y ait dans, le récit de Luc la mention anticipée, de cet acte de puissance, dont en tout cas le contenu spirituel ne reçoit aucune atteinte par cette question. La légère divergence des indications du lieu et du moment ne fait que mieux ressentir l’indépendance de ce triple témoignage. Le caractère de l’aveugle et la manière dont le Seigneur le traite, tout cela est digne de toute notre attention.
Le bruit a éveillé l’attention de l’aveugle. Sans doute ceux qui se bornent à accompagner le Seigneur sans lui appartenir, ne peuvent pas venir au secours du misérable, mais au moins ils excitent son attention, et il apprend par eux que le secours est proche. Si le nombreux cortège ne lui est d’aucune utilité, le Seigneur se trouve au milieu de ce cortège, et c’est lui, c’est le Fils de David que ce misérable implore. Mais il faut que sa foi subisse une épreuve, car la troupe qui accompagne Jésus, loin de venir à son aide, essaye de l’intimider. On ne veut pas que ce mendiant élève une prétention ; il ne doit pas déranger ce roi dans sa marche triomphale ; on n’entend pas qu’il y ait une soif plus intense plus intense du salut que le plus grand nombre. Mais la foi véritable, loin de se laisser arrêter par ces reproches, se fortifie en raison de la résistance qu’elle rencontre. Sans se soucier des hommes, elle invoque avec plus de force les compassions du Seigneur, et finalement les hommes l’approuvent, après avoir vu que le Seigneur est un Sauveur bien plus puissant que tous les hommes. Le Seigneur, tout en marchant vers Jérusalem, et sans perdre son but de vue, ne trouve pas que c’est trop peu de chose que de se laisser arrêter par un seul malheureux. Que voulez-vous, leur dit-il, que je vous fasse ? Il faut qu’ils lui répondent et que leur prière demande, non pas les richesses terrestres, mais le bienfait de la vue, bien qu’il doive être suivi pour eux de laborieux efforts auxquels ils n’étaient point habitués. C’est que la piété n’est pas un métier, et en recouvrant la vue ils verront aussi qu’en toutes choses le Seigneur est leur bouclier et leur appui. Il ne leur défend plus de le proclamer devant tout le peuple comme fils de David, ni d’annoncer les louanges de Dieu publiquement. ’est que le temps est venu où sa dignité messianique doit être manifestée.
Ce qui constitue l’âme de l’œuvre de ce Messie, c’est ce dont Zachée fait la bienheureuse expérience. A Jérico, grand centre commercial, qui, outre sa production de baume et de dattes, jouit des avantages d’un transit important, Zachée est le chef de la douane principale. C’est un homme considéré, sans que pour cela il échappe à la défaveur qui enveloppe sa profession. Mais de même que le mendiant aveugle, le riche péager traverse tous les obstacles. Son désir de voir Jésus est encouragé au moment propice par la nouvelle que le Sauveur va arriver. Zachée, aussi se trouve empêché par les hommes, par l’effet de sa petite taille : mais il ne se laisse pas arrêter par des considérations humaines. S’il tient tant à voir Jésus, ce n’est pas seulement par curiosité, et, en effet, cet employé considérable ne craint point les moqueries. Que lui importe qu’on le voie assis, comme un jeune garçon, sur les branches d’un arbre, pourvu qu’il voie le Seigneur Jésus ?
C’est à cela que le Seigneur reconnaît son cœur, et il lui accorde au delà de ce qu’il a pu demander et comprendre. Zachée, hâte-toi de descendre, car il faut que je loge aujourd’hui dans ta maison. Il lui demande ainsi ce que Zachée n’aurait pas osé offrir, et par cette demande il comble de joie le chef des péagers. Que les orgueilleux pharisiens murmurent tant qu’ils voudront, le fruit délicieux d’un amendement radical a promptement mûri au soleil de la grâce. Sans commandement extérieur et uniquement par l’impulsion de l’Esprit de Dieu, Zachée promet de donner aux pauvres la moitié de ses biens, et de rendre le quadruple à ceux à qui il a fait tort. C’était plus que n’en demandait la loi, qui ne punissait de la sorte que celui qui dérobait un agneau pour le tuer ou le vendre (Exode 22.1), mais qui, quand le coupable confessait son péché, ainsi que le fit Zachée, ne lui imposait que la restitution de la somme détournée augmentée d’un cinquième (Nombres 5.6-7). Zachée repentant veut largement satisfaire sa conscience et la loi de Dieu. Alors le Seigneur prononce cette parole de bénédiction : Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, et par l’influence bénie de son chef, il s’étend à toute la famille. Ce fils d’Abraham repentant et reçu en grâce ne doit pas être méprisé par l’orgueil pharisaïque, car ceux qui murmurent se privent du salut, consistant en ce que Jésus est venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu. Pour donner un salutaire avertissement à cet esprit charnel qui avait traité avec orgueil ce péager, et avec mépris le mendiant aveugle, le Seigneur ajoute une similitude par laquelle il oppose sa propre pensée concernant sa venue royale à l’attente charnelle de ceux qui l’entourent.
Parce qu’ils croyaient que le règne de Dieu allait paraître bientôt, il leur enseigne qu’en effet cela arrivera, mais tout autrement qu’ils se l’imaginent. Il faut que ce fils de roi se rende dans un pays éloigné pour prendre possession d’un royaume et pour ne revenir qu’après un long intervalle. Pendant ce temps, les gens du pays, qui lui sont hostiles enverront une ambassade après lui pour dire : Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous. Ses auditeurs étaient en mesure de comprendre cette parole, car c’est ainsi que les prétendants de la famille d’Hérode étaient obligés de quitter le pays pour obtenir à Rome l’investiture de leur royauté ; mais quand ce prétendant était un homme cruel, comme Archélaüs, il se pouvait que les Juifs protestassent par une ambassade contre son élévation sur le trône.
Quelle humilité et en même temps quelle comparaison hardie que celle par laquelle le Seigneur rapproche son ascension du voyage à Rome d’un fils d’Hérode ! Moi aussi, veut-il dire, je devrai d’abord prendre possession au loin du royaume qui m’appartient, non pas auprès du dominateur du monde romain, mais auprès du Créateur et du Souverain du monde entier. Contre moi aussi, bien que je ne ressemble en rien à un Archélaüs, ces malheureux élèveront une protestation solennelle. Quant à vous, mes disciples, attendez-vous avant tout à une carrière d’humble abaissement. Ce ne sont pas des armes que le fils du roi donne à ses fidèles serviteurs ; il n’a pas encore commencé à régner ; par conséquent les siens ne peuvent pas encore régner avec lui, mais ils doivent en attendant se borner à travailler en silence pour leur Maître. Aussi n’est-ce pas une puissance séculière, mais un trésor spirituel qui est confié aux disciples. Aussi longtemps que le Seigneur ne détruit pas les rebelles, le ministère de ses serviteurs n’a aucun éclat extérieur. Quand il viendra pour établir son règne, alors il récompensera avec une royale munificence leur habileté et leur fidélité, et il fera d’eux les gouverneurs de ses villes, tandis qu’il fera mettre à mort les rebelles. Pour vous, ayez à cœur d’être de son royaume en réalité, et non pas seulement dans votre imagination ; car sans cela vous serez expulsés comme des serviteurs méchants et paresseux. Jusqu’à ce que le règne paraisse, vous n’avez d’autre tâche que d’administrer à la manière de Zachée le marc qui vous est confié. Mon règne sera certainement établi, mais un temps long s’écoulera jusqu’à ce qu’on voie sa gloire extérieure. Il faut auparavant que je m’éloigne et que je revienne.
Rempli de ces pensées de royauté et de mort, le Seigneur se met en chemin vers Jérusalem. Les trois premiers évangélistes nomment d’abord le but principal du voyage, et ils ajoutent que c’est en partant des bourgades de Bethpbagé et de Béthanie que le Seigneur fit son entrée solennelle. Ils passent sous silence ce jour que, d’après Jean, Jésus passa à Béthanie pour s’y reposer. C’est le sixième jour avant Pâques qu’il y était arrivé. Ce jour se calcule différemment, selon qu’on admet le jeudi ou le vendredi pour ce jour de Pâques. Si cette fête tombe sur le jeudi, c’est le vendredi précédent que le Seigneur a dû arriver à Béthanie, où il célébra un sabbat tranquille, au milieu de ceux qui l’aimaient. Un repas, pris le jour du sabbat, n’était pas contraire à la loi, car même les pharisiens se le permettaient, pourvu que les préparatifs en eussent été faits la veille.
Non seulement Jean, mais aussi Matthieu et Marc parlent de ce festin et de la manière dont le Seigneur y fut oint. Par contre, un fait analogue, rapporté par Luc, remonte à une date antérieure. Il est vrai que par deux fois le Seigneur fut oint dans la maison d’un certain Simon, mais il y avait plus d’un Simon en Israël, et rien ne nous oblige à voir un même personnage dans Simon le lépreux et Simon le pharisien. Les femmes aussi qui oignirent le Seigneur, d’un côté la pécheresse qui lui rend grâces du pardon obtenu, et de l’autre côté Marie de Béthanie qui exprime par ce moyen l’hommage de son cœur, en retour de la résurrection de son frère, sont des personnes tout aussi différentes que le sont les discours qui se rattachent à ces deux onctions. La pécheresse dont parle Luc n’est pas non plus Marie Madeleine que le Seigneur délivra des démons qui la possédaient.
Mais il semble aussi exister une notable divergence entre Jean et les deux premiers évangélistes, surtout en ce qui concerne le jour de cette onction. Au lieu du samedi avant la semaine sainte, les deux autres parlent du second jour avant Pâques. Et cependant il est inadmissible que dans cette même bourgade de Béthanie il y ait eu cinq jours avant Pâques et de nouveau trois jours plus tard un festin et une onction, et que la première fois ce fut Judas Iscariot et la seconde fois ce furent les autres apôtres qui blâmèrent la femme qui oignit le Seigneur. Il faut que ce soit là une même histoire que Jean raconte dans l’ordre de la succession des faits, tandis que Matthieu et Marc la reproduisent après coup, ainsi que, par exemple, ils l’ont fait pour la décapitation de Jean-Baptiste. Ce qui est dit des deux jours avant Pâques ne concerne dès lors que la prophétie par laquelle le Seigneur annonce pour la dernière fois sa mort et le projet homicide du Sanhédrin. A côté du conseil de Dieu et de celui des ennemis du Seigneur se place ensuite l’acte d’amour de Marie qui a également trait à la mort de Jésus, en même temps qu’il explique comment les sacrificateurs peuvent trouver un traître parmi les douze apôtres. Voilà comment Jésus annonce sa mort ; voilà comment les sacrificateurs en décident ; voilà ce que Marie consacre à son Seigneur ; et c’est pour une si faible somme qu’un apôtre apostat le trahit. C’est là la pensée d’ensemble de Matthieu, tandis qu’au point de vue de l’ordre chronologique, le festin de Béthanie a lieu trois jours plus tôt. Matthieu et Marc disent que ce souper eut lieu dans la maison de Simon le lépreux, qui probablement avait été guéri par Jésus. Par contre, Jean rapporte que Marthe servait à table. Nous ne pouvons qu’émettre des conjectures sur les liens de parenté ou d’affection qui unissaient ces personnes : il se peut que Simon fut le père, défunt ou vivant, de Lazare et de ses sœurs, ou le mari de Marthe, ou simplement un ami de cette famille. Quoi qu’il en soit, Marthe montre une fois de plus son fervent amour en ce qu’elle ne se laissa empêcher par rien de servir le Seigneur, tandis que Lazare, par le seul fait de sa présence, publiait les louanges de Jésus, et que Marie lui offrait un sacrifice d’action de grâces qui exprimait le mieux son humilité et l’ardeur de son amour.
Elle apporta une livre d’une huile de senteur de nard pur, qui était de grand prix, elle le répandit sur la tête et sur les pieds du Seigneur. Elle brisa le vase d’albâtre qui renfermait ce parfum, non seulement pour pouvoir en répandre abondamment le contenu, mais aussi pour le rendre désormais impropre à tout autre usage. Matthieu parle de l’onction de la tête, et nous montre cette femme humble et croyante, oignant le roi rejeté par son peuple. Jean par contre relève le trait le plus propre à nous montrer le cœur de Marie ; elle oint ses pieds et les essuie, parce qu’elle se sent indigne du moindre service, et peut-être aussi parce que son adoration est mélangée du repentir, de ce qu’au sépulcre de son frère elle a affligé le Seigneur par la faiblesse de sa foi, et contribué ainsi à son saint frémissement. La maison est remplie de l’odeur de ce parfum ; les pensées de son cœur ne devraient-elles pas être aussi une odeur exquise, non seulement pour Dieu, mais aussi pour les hommes ? Ceux-ci au contraire blâment cette perte : Est-il juste de priver les pauvres de trois cents deniers qu’on aurait pu obtenir pour ce parfum ? Cela semble fort acceptable, et si nous nous souvenons en outre, que l’usage d’une huile odoriférante, était considéré comme une signe de mollesse, nous comprenons d’autant mieux que les disciples blâmèrent cette action de Marie, parce qu’ils ne reconnaissaient pas son esprit humble et brisé, aux yeux duquel le monde entier avait disparu.
Malgré tout cela, ces reproches offensants émanaient d’une source impure. Si l’on pouvait dévoiler l’origine de chaque mouvement de zèle, quelles lamentables découvertes ne ferait-on pas ! Jean sait que le larron, qui administrait la caisse, ne prétextait les pauvres que parce qu’un profit lui échappait. Quant aux autres, tout en ayant des sentiments honnêtes, mais de bas étage, ils se laissèrent entraînera une adhésion irréfléchie. Cela ne fut-il pas une goutte de fiel dans la joie du Seigneur ? N’était-il donc pas digne de cet honneur ? Mais il renonce à soi-même et garde là-dessus le silence pour ne s’occuper que de la défense de Marie. Elle pouvait à bon droit s’étonner et se demander avec tristesse : Ai-je mal fait ? C’est pourquoi le Seigneur s’empresse de la rassurer par cette douce parole : Laissez-la en paix ! Pourquoi affligez-vous cette femme ? car elle a fait une bonne action,-ou pour traduire exactement, une belle action à mon égard ?
Ces belles actions aussi ont leur temps et ne doivent pas être empêchées par une parcimonieuse utilité, qui n’a en vue que la nourriture des pauvres. Une belle œuvre, accomplie dans l’amour du Seigneur et pour sa gloire, n’est pas une œuvre de vanité où d’exaltation. Dans les rares circonstances de notre vie, où le Seigneur s’approche de nous d’une manière toute spéciale, nous nous sentons pressés de le glorifier par une riche offrande, qui n’a pas en vue les besoins corporels, mais où, par un art mis au service de Dieu, nous dépensons pour sa gloire nos forces, notre temps et nos biens. Il y a quelque chose de bas à ne vouloir payer le Seigneur que d’aumônes. Il est vrai que celles-ci ont leur valeur : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, » dit le Seigneur ; cet ordre de Dieu ne sera aboli par aucune mesure et par aucune tentative humaine. Si vous voulez les assister de vos biens, tandis qu’un Judas prétend y consacrer le bien d’autrui, vous pouvez toujours les soulager. Seulement, si vous voulez véritablement faire du bien aux pauvres, il ne faut pas vous borner à leur jeter de l’argent, comme si cela suffisait pour apaiser leur besoins. Mais moi, dit le Seigneur, vous ne m’aurez pas toujours. En effet, le moment de m’embaumer est venu, et c’est pour cela qu’elle a réservé ce parfum. En le répandant sur moi, elle a anticipé sur ma sépulture.
Cet acte de foi et d’amour de Marie, dont s’était indigné Judas, la perte d’une somme qu’il avait eu l’espoir de s’approprier, le blâme doublement sensible par la douceur qui l’inspira et enfin le sentiment amer d’avoir été dévoilé, tout cela amena à maturité l’affreux projet de ce disciple et ouvrit son cœur au diable. Quant à Marie, le Seigneur l’a justifiée en même temps qu’il a expliqué la signification complète de cet acte d’adoration. Dans cet hommage adressé au roi, le Seigneur découvre aussi la célébration de sa sépulture. C’est pour cette sépulture que Marie a fait tout ce qu’elle pouvait ; ses biens, son intelligence, son cœur qui brûle d’honorer Jésus, ont fait leur possible. Nous ne sommes pas à même de décider si Marie comprenait le rapport entre cette onction et la mort du Seigneur, ou si celui-ci a donné à cet acte une signification dont Marie elle-même ne se rendait pas compte.
Il termine son discours par cette grande parole : Je vous dis en vérité que dans tous les endroits du monde où cet Evangile sera prêché, ce que cette femme a fait sera aussi raconté en mémoire d’elle. Quelle ferme assurance du Fils de l’homme dans son abaissement, que cet Evangile remplira le monde entier ! quelle majestueuse promesse d’un souvenir impérissable, qu’aucun monarque n’a le pouvoir de s’assurer. Si simples que soient ces paroles, on sent qu’elles sont prononcées par le souverain du monde entier. Et à quoi le Seigneur fait-il cette magnifique promesse ? C’est à un acte méconnu par les disciples, à une foi qui oublie le monde entier pour tout déposer aux pieds du Seigneur, à l’humble et complet dévouement de l’amour. Celui qui honore Jésus, sera honoré à son tour et récompensé publiquement. Matthieu et Marc racontent cette action sans nommer la personne. Taisent-ils son nom parce qu’en général souvent ils ne nomment pas des personnes secondaires ? Ou agit-on de la sorte dans le premier temps du message évangélique, parce qu’on voulait épargner à l’humble Marie de vaines et importunes louanges, et ne pas l’exposer à la haine des sacrificateurs, qui cherchaient à tuer Lazare (Jean 12.10) ? Quant à Jean qui n’écrit qu’à la fin du premier siècle, il n’a plus besoin d’observer cette réserve.
L’évangéliste Jean, après avoir indiqué le lien entre la résurrection de Lazare et l’onction de Jésus à Béthanie, nous montre aussi comment ce grand miracle contribua à rendre l’entrée du Seigneur à Jérusalem plus glorieuse. Ici encore, nous n’avons aucune raison d’admettre deux entrées successives, car ce qui avait pour la première fois une grande importance, aurait été pour la seconde fois pâle et sans but. Les rapports des évangélistes se complètent réciproquement en nous parlant de ce jour, qui est le lendemain de ce repas sabbatique.
Jésus voulut faire une entrée solennelle, ainsi que nous pouvons le reconnaître par la commission qu’il donna à ses disciples de lui procurer une monture. Evidemment il n’y a pas eu de pourparlers avec ses propriétaires ; mais c’est le regard prophétique du Seigneur, qui lui fait voir cet animal, de même que dans la suite ce même regard aperçut la chambre haute où il fit préparer la Pâque. Il y a là une manifestation de sa gloire, en ce que par une simple parole, ce Sauveur abaissé se procure ce dont il a besoin, non seulement le statère trouvé dans la bouche du poisson, mais aussi l’ânon dont les maîtres se retirent devant le véritable Maître. Si Matthieu parle de deux animaux, c’est peut-être le fait de la traduction grecque de l’évangile hébraïque. Il se peut aussi qu’on ait amené l’ânesse avec son ânon, afin que celui-ci fût plus facile à conduire. Si la loi exigeait pour un emploi particulièrement saint des animaux qui n’avaient encore servi pour aucun emploi terrestre, un poulain non encore employé convenait bien pour cette entrée triomphale. Justin voit dans l’ânesse l’image des Juifs, mis sous la loi, et dans l’ânon celle des païens sans loi.
Jean n’est pas en désaccord avec le récit de Matthieu et de Marc, car s’il dit que Jésus trouva un ânon, cela ne veut pas dire que ce fut par hasard, mais cela peut fort bien signifier qu’il trouva ce qu’il avait cherché (ainsi qu’il avait trouvé le paralytique guéri dans le temple et l’aveugle-né dans un lieu retiré, Jean 5.14 ; 9.35), ou bien qu’il trouva ce que le Père lui avait préparé. Ce que Jean rapporte seul, c’est qu’à cause de Lazare une grande multitude vint à Béthanie. Probablement ils y vinrent le même soir, après que le sabbat eut pris fin. Le lendemain, des foules encore plus nombreuses se portèrent à la rencontre du Seigneur, et ceux qui venaient de Jérusalem, comme ceux qui le suivaient depuis Béthanie, mêlèrent leurs voix en criant : Hosanna ! A cela s’ajoutent les vêtements étendus dans le chemin et les rameaux qu’on y répand, ainsi qu’on le fait pour les princes de cette terre. C’est ainsi que, par ces moyens si simples et nullement préparés à l’avance, le Seigneur fut mieux glorifié que ne le sont les rois de ce monde par ces fêtes froidement bruyantes où le cœur n’est pour rien. La foule crie Hosanna au Fils de David, et exalte les miracles de Jésus (Luc 19.37), et particulièrement la résurrection de Lazare (Jean 12.17). Hosanna signifie : « Sauve-nous ! » C’était le cri de joie qu’on poussait à la fête des tabernacles, à laquelle on portait aussi des rameaux de palmier. En les portant au-devant du Prince de la paix et du vainqueur, leurs cœurs débordant les faisait crier : Hosanna ! alors surtout que du haut de la montagne des Oliviers ils aperçurent la ville du grand roi. Ne semblait-il pas que les tabernacles éternels allaient être dressés ? Et cependant c’étaient d’autres pensées qui remplissaient le cœur de Jésus !
Nous avons déjà dit dans quel esprit le Seigneur non seulement consentit à recevoir ces hommages, mais alla cette fois jusqu’à les provoquer. Ce qu’à la fête des tabernacles il avait soigneusement évité, il voulait cette fois le faire en faisant une entrée publique et solennelle comme Messie. Maintenant il pouvait montrer au peuple qu’il avait droit au royaume. Il ne courait plus le danger d’exciter l’irrésistible explosion d’un zèle fanatique, comme cela aurait pu arriver à l’époque où le tentateur lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire. Maintenant la séparation était faite entre les pharisiens charnels qui le haïssaient et le peuple qui lui était favorable. Sans doute, ces adhérents étaient bien mélangés, et même les meilleurs étaient faibles dans la connaissance, mais au moins le Seigneur n’avait-il pas à craindre que cette foule n’entreprît quelque chose sans son appel ou contre sa volonté. C’est là ce qui explique ce merveilleux spectacle de Jésus, excitant la joie du peuple et ses espérances les plus ardentes, sans que les sacrificateurs puissent y opposer autre chose qu’une rage impuissante, sans que les Romains s’en émeuvent ou qu’une plainte quelconque ne s’élève à l’occasion de cette entrée triomphale. Sans doute, il est roi, mais son règne n’est pas de ce monde.
C’est là ce qu’il leur fait connaître par le signe prophétique qu’il accomplit sous leurs yeux. La fille de Sion, c’est-à-dire la population de Jérusalem, ne doit rien craindre ; elle doit, au contraire, se réjouir de la venue de son roi annoncé par Zacharie. Mais il est monté sur un animal débonnaire, faisant connaître son caractère d’humble prince de la paix. Des pensées bien différentes de celles qu’ils lui supposent remplissent son âme, car il sait que ce n’est qu’en passant par Golgotha qu’il arrivera au trône ; il sait qu’il ne s’offre à eux que pour servir de témoignage ; il sait qu’après l’avoir rejeté ils seront rejetés à leur tour, et il pleure sur la ville qui méconnaît cette dernière visitation, sans réfléchir à ce qui contribue à sa paix.
Il nous fait lire ainsi dans les entrailles de la miséricorde divine, en nous montrant le juge éternel pleurant sur ceux qui sont perdus, et celui qui punit sympathisant avec les souffrances de ceux qui sont frappés. Il consomme sur la croix cet amour compatissant, et il ne juge personne, excepté ceux qui attirent sur eux le jugement en repoussant cet amour. Ceux-là changent eux-mêmes le remède en poison, car le Fils de Dieu pleure sur les pécheurs endurcis, mais il n’exerce aucune contrainte pour les convertir. Il pleure sur Jérusalem, et il dit : « Oh ! si tu avais reconnu, au moins en ce jour qui t’est donné les choses qui regardent ta paix ! mais maintenant elles sont cachées à tes yeux. » Ce n’est point là une excuse, car il y a un aveuglement que l’homme s’attire à soi-même, quand, à force de repousser les appels de la grâce, il se met dans l’impossibilité de les entendre. Chaque résistance est un pas vers l’endurcissement. Il en était de même chez plusieurs des principaux, dont Jean dit qu’ils croyaient secrètement en Jésus, mais sans le confesser, parce qu’ils préféraient l’honneur qui vient des hommes à la gloire qui vient de Dieu. C’est ainsi qu’ils rendent inutile le dessein de l’amour divin qui les concerne ; leur incrédulité ne prouve nullement que Jésus n’est pas le Christ ; elle lui rend au contraire témoignage à sa manière, car cette incrédulité aussi a été prédite par Jésus. Il n’en reste pas moins vrai que le roi miséricordieux pleure sur la ville rebelle.
Le peuple, au contraire, est dans la jubilation. Qu’ils sont loin de pressentir qu’en peu de jours ils seront pour la plupart redevenus tièdes, et que plusieurs crieront : « Crucifie-le ! après avoir crié : Hosanna ! » C’est ce Hosanna qui, à certains égards, disposa le peuple à demander à grands cris la crucifixion, car ces cœurs impurs, se voyant déçus dans l’espoir auquel ils s’étaient livrés, s’irritèrent. Les disciples aussi n’évitèrent pas le coup terrible qui brisait leurs espérances, mais, ils n’en restèrent pas moins attachés à leur maître, et pénétrèrent avec lui par la mort à la vie. C’est qu’il y avait en eux un germe que le Seigneur pouvait vivifier de nouveau ; il y avait dans leurs cœur une étincelle de foi qui pouvait sembler un moment étouffée, mais qui, rallumée, brillait d’us plus vif éclat. Il pouvait leur arriver ce que dit Jean : Au moment où la joie tumultueuse du peuple les environnait, ils ne comprenaient pas ce qu’ils avaient fait à Jésus ; ce n’est que plus tard qu’ils comprirent la prédiction du prophète et son accomplissement.
Quant aux ennemis, ils ne peuvent rien faire en ce jour contre ce Messie détesté, et leur rage est réduite à l’impuissance. L’ordre d’arrêter Jésus n’y pouvait rien, et les plus passionnés étaient en droit de dire : Vous voyez qu’on n’arrive à rien par des demi-mesures ; voilà que tous nous ont abandonnés pour courir après lui. Ils osent dire à Jésus. « Maître, reprends tes disciples ! » comme s’il était hors de doute que ceux-ci commettaient une mauvaise action, des suites de laquelle les pharisiens voulaient rendre Jésus responsable. Mais le Seigneur répond : « Si ceux-ci se taisent, les pierres même crieront ! » Il faut que ma gloire soit publiée ; si les vivants sont durs et muets comme des pierres, il faut que les pierres deviennent vivantes. Elles, crieront, comme Habacuc (Habakuk 2.11), l’a prophétisé contre Babylone ; il faut que Jérusalem devienne une autre Babylone, dont les pierres, en se brisant, rendent témoignage contre vous, qui avez, rejeté votre roi. Elle crieront et publieront qu’il y a une sainte justice.
Après son entrée dans la villa, Jésus purifie le temple. Marc (Marc 11.11, 15) précise mieux le jour, et rapporte que ce fut le lendemain, c’est-à-dire le lundi. Le Seigneur ne se borne pas à éloigner les profanateurs du sanctuaire, il y accomplit aussi de saintes œuvres de Dieu. Il y guérit des aveugles et des paralytiques, montrant par là que par lui notre connaissance et notre volonté peuvent trouvée la guérison. Quand les enfants répètent avec une joie enfantines ce Hosanna, qui leur a tant plu la veille, les ennemis indignés osent de nouveau demander au Seigneurs s’il peut entendre cela sans le défendre. Mais lui, loin de les faire taire, s’en réjouit, car il y voit l’accomplissement, à la gloire du Fils, de cette prophétie d’un psaume : « Tu as tiré une parfaite louange de la bouche des petite enfants et de ceux qui tètent. » C’est là la loi fondamentale de son royaume : par le moyen des faibles, il fonde une puissance qui anéantit les forts. Après les paroles citées par le Seigneur, le Psalmiste poursuit en ces termes : « A cause de tes adversaires, afin que tu poursuives l’ennemi et celui qui veut se venger. » Il abandonna aux sacrificateurs le soin de prendre à cœur cet avertissement. Les œuvres que le Seigneur accomplit dans le temple purifié nous apparaissent doublement glorieuses, quand nous nous souvenons que son cœur était rempli de la certitude qu’un jugement de destruction allait fondre prochainement sur le peuple et sur le sanctuaire. Il Voit cela en esprit, mais cela ne le décourage en rien ; il ne néglige rien de ce qu’il lui est possible de faire pour sauver encore une âme ici et là comme un tison arraché du feu.
Jean ajoute encore un trait important que quelques commentateurs remettent au mardi, parce que le récit se termine par cette mention : Jésus dit ces choses, puis il s’en alla et se cacha d’eux. Toutefois il se peut que cette mention ne concerne pas nécessairement le dernier discours adressé au peuple. L’évangéliste rapporte que quelques Grecs, de ceux qui étaient montés pour adorer pendant la fête, s’adressèrent aux disciples pour voir Jésus. C’est là pour le Seigneur à la fois une grande joie et une puissante émotion. Il y voit un signe donné par le Père qu’enfin son heure est venue, de laquelle il a été dit si souvent qu’elle n’était pas encore là. Il comprit que ces étrangers étaient venus au moment où il allait être glorifié par sa mort. Rendus attentifs par les cris de : Hosanna ! ces prémices des gentils d’Occident lui rendent hommage au moment où il va prendre possession du règne, de même que les mages d’Orient l’avaient fait lors de la naissance de l’enfant. Quand même les yeux des hommes aux affections terrestres ne s’aperçurent de rien, le regard spirituel de Jésus discernait là une grande coïncidence : tandis que le peuple l’honorait en apparence, mais se disposait à le rejeter en réalité, les gentils, prémices de ce troupeau, qui n’est pas du bercail d’Israël, commençaient à le chercher. Il comprend que l’heure est venue où le grain de froment doit être jeté dans la terre, et son âme est troublée, car elle pressent Gethsémané. Mais que doit-il demander au Père ? N’est-ce pas pour cette heure même qu’il est venu, afin qu’en mourant il porte beaucoup de fruit et qu’ainsi le Père soit glorifié ? C’est pourquoi il n’a que cette seule prière : Mon Père, glorifie ton nom par ma mort et par les fruits de ma mort. En réponse à cette demande, le Père fait retentir une voix céleste dans laquelle les auditeurs non accessibles voient un phénomène de la nature, tandis que des cœurs mieux disposés sentent quelque chose de surnaturel, et que les disciples dont l’oreille spirituelle est ouverte comprennent le langage de l’esprit.
Matthieu rapporte avec plus de détails que Jean les derniers discours échangés entre le Seigneur et les Juifs. Le mardi (V. Marc 11.11-12, 29), les sacrificateurs se présentèrent, ainsi qu’ils l’avaient déjà fait à l’égard de Jésus et aussi de Jean, et ils commencèrent leur attaque en demandant par quelle autorité Jésus faisait ces choses. Les hommes qui posent cette question au moment où le Seigneur venait de guérir des aveugles et des impotents ont-ils jamais examiné à fond leur propre autorité ? Mais le Seigneur voudrait avant tout savoir d’eux si le baptême de Jean venait du ciel ou des hommes. C’est là en effet une question à résoudre préalablement, quand il s’agit d’examiner l’autorité de Jésus. D’où venait le Précurseur ? qui annonçait-il ? par la puissance de qui Jean a-t-il baptisé en vue de la repentance ? de qui a-t-il prophétisé la venue ? Voilà la voie dans laquelle, des cœurs bien disposés pouvaient arriver à connaître l’autorité de Jésus. Les adversaires sentent quelque chose de ce pouvoir dans la punition qui atteint leur conscience et qui les réduit à la plus misérable échappatoire. Ceux qui se vantent de tout savoir ne rougissent pas cette fois d’un mensonge à la fois stupide et effronté, et ils disent : Nous n’en savons rien ! Ils osent se poser en gardiens du sanctuaire, ceux qui prétendent ne pas être au clair en ce qui concerne le ministère de Jean ! Le Seigneur sait autrement répondre qu’eux, et mieux être dans le vrai alors qu’il interroge. Ces hommes, qui en sont venus à ne pas craindre Dieu, craignent le peuple qui ne veut pas qu’on touche à son prophète, auquel cependant il a si mal obéi. Si vous ne savez rien dire de Jean ; comment prétendez-vous porter un jugement sur mon droit de faire ces choses ? Voilà le sens de ce discours de Jésus.
S’il ne l’énonce pas, au moins il indique que de la même source, dont procède le baptême de Jean, découle aussi l’autorité de Jésus. Mais vous, leur dit le Seigneur, vous ne savez rien, parce que vous ressemblez à ce fils qui, après avoir obéi en paroles, désobéit en action ; voilà la mauvaise racine de votre incrédulité. Son mauvais fruit consistera en ce que vous, les corrupteurs du peuple, les vignerons infidèles de la vigne de Dieu, vous mettrez à mort le Fils unique du Père, distinct de tous les prophètes.
Arrivés au comble de la perversité, ils surmontent toute crainte et disent les uns aux autres : voici l’héritier ; tuons-le ! comme autrefois les frères de Joseph avaient dit : Voici le songeur qui vient ! Ils s’imaginent, comme Adam, le premier transgresseur, et comme l’homme de péché, que ce qu’ils ravissent à Dieu, ils le gagnent pour eux-mêmes. Il n’en reste pas moins vrai que si, en construisant la maison de Dieu, ils rejettent la pierre choisie et précieuse, le rocher Jéhovah, qui est Christ, cette pierre deviendra la maîtresse pierre de l’angle. Ceux qui la rejettent seront à leur tour rejetés ; ils se briseront contre cette pierre ; cette pierre, qui n’est pas détachée par une main d’homme, les broiera en un instant comme une paille menue. Eux-mêmes sont contraints de prononcer leur jugement en réponse à cette similitude, semblables en cela à David répondant à la similitude de Nathan, mais sans imiter la repentance de David, et ne s’apercevant qu’après coup qu’il est question d’eux-mêmes. Tout au moins ont-ils en l’air d’abord de ne se sentir nullement atteints.
Dans cette même similitude, Jésus s’est montré comme fils et comme héritier, et il a ainsi fait connaître sa personne et son autorité. Il est le fils du roi qui, tout en étant mis à mort, n’en devient pas moins roi, et pour les noces duquel le père fait préparer un festin. Les invités qui, par amour, des biens de ce monde, s’excluent eux-mêmes, resteront dehors par leur propre faute. Ceux dont l’indifférence hostile devient une méchanceté allant jusqu’au meurtre des envoyés du roi, ceux-là verront leur capitale assiégée par les armées du roi, car même les légions romaines sont à son service. Le peuple du dehors, les gentils, qui sont au bord des chemins du monde entier, entreront à leur place. Mais voici un sérieux, avertissement pour les disciples… : que chacun prenne garde de ne pas abuser de la bonté du Seigneur, de peur qu’il ne soit découvert au banquet même et chassé comme un invité indigne. Le roi a-t-il tort d’attacher une telle importance à ce que les invités aient des habits de noce ? Devrait-il être moins exigeant en fait de discipline et de convenance que le colonel d’un régiment ? Et cependant les soldats pourraient ainsi faire l’exercice et vaillamment combattre sans uniforme. Mais il y a encore un motif particulier, c’est que le roi lui-même donne les habits de noce à ses invités, ainsi que Joseph le fit à l’égard de ses frères, et le père en faveur de son fils perdu et retrouvé. Qui donc oserait se permettre de dédaigner ce présent, du véritable Joseph ? A qui serait-il permis de faire peu de cas du vêtement du salut par grâce et de la robe de la justice céleste ? (Ésaïe 61.10) Il est vrai que la parabole ne dit pas expressément que des habits furent offerts aux invités ; mais il ne nous est pas permis, en l’interprétant, de faire abstraction de ce fait, qui a sa raison dans les coutumes du pays et qui, au surplus, fait partie, des idées fondamentales des similitudes de l’Ecriture. Le Seigneur parle à des hommes qui connaissent le langage scripturaire, et il leur dit : Que celui qui accepte l’invitation, au banquet des noces ne repousse pas l’habit de noce que le Seigneur, lui offre. Après tout, le pire péché consiste à ne pas revêtir le nouvel homme en Jésus, à refuser de ne vivre que de grâce, et à persister jusqu’à la fin à paraître devant Dieu dans le vêtement de la propre justice. Un tel homme est redevenu pharisien, et il sera jeté dehors avec les hypocrites.
C’est ainsi que le Seigneur oppose à ses ennemis une succession de paraboles. Ceux-ci vont lui tendre des pièges pour trouver moyen de l’accuser. N’étant arrivés à rien par leur présomption, ils recourent à un semblant d’hommages. Les pharisiens, unis aux hérodiens ; les saints hypocrites, d’accord avec les hommes politiques, questionnent le Seigneur touchant le payement du tribut dû à César ; il leur semble qu’il devra nécessairement se heurter contre la puissance romaine ou contre les espérances du peuple. Nous avons vu plus haut comment il atteignit leur conscience. Voici le tour des sadducéens, de ces incrédules orgueilleux, qui essayent d’exciter un rire moqueur contre la loi de Dieu et le Seigneur lui-même. Mais il reprend ces moqueurs en leur disant qu’ils ne connaissent ni les Ecritures, ni l’Esprit de vie qui parle par elles, ni la puissance créatrice de Dieu qui rappelle les morts à la vie. Quant à cette vie ressuscitée, que nient les sadducéens, Jésus montre qu’elle n’est pas une continuation de la vie de la chair, mais qu’elle est au contraire une vie transfigurée par la puissance du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; car tous vivent en lui. Pourquoi donc n’ont-ils pas lu la résurrection des morts dans cette désignation ? Sans doute, si Dieu l’avait seulement reçu des hommes, ce nom ne désignerait rien de plus que le Dieu adoré par les pères en leur temps. Mais si c’est Dieu lui-même qui, longtemps après la mort de ces pères de la foi, se dit encore leur Dieu, il ne se peut pas que ces pères soient morts et anéantis. Car le Dieu vivant ne prend pas le nom d’êtres tombés en putréfaction et à jamais disparus.
C’est ainsi qu’il ferme la bouche à ces sadducéens blasphémateurs. Les pharisiens sans doute s’en réjouissent, mais ils n’entendent pas laisser à Jésus la gloire d’avoir vaincu tous ses ennemis. C’est pourquoi ils poussent en avant un des leurs, mieux disposé que les autres, qui non seulement est atteint, mais encore gagné par la réponse du Seigneur, qui l’encourage avec joie à pénétrer tout à fait dans le royaume. Bien qu’il soit en butte aux embûches d’ennemis perfides, son œil d’amour n’est pas moins ouvert pour discerner jusqu’à la fin le plus faible indice de foi. Ce n’en était pas moins une tentation préparée à Jésus que de s’enquérir auprès de lui du plus grand commandement, comme si les autres importaient moins, et qu’il n’y eût pas de gravité à les transgresser ; ce qui est tout aussi faux que si on voulait considérer comme égaux en valeur tous les commandements sans distinction. Reconnaître dans toute la loi une seule volonté du Dieu saint, et discerner l’âme de ce grand tout, voilà ce qu’un véritable docteur doit connaître, pratiquer et enseigner. Cette tâche, le Seigneur Jésus la remplit, et il enlève à ses adversaires tout prétexte de le dénigrer en réunissant en un seul commandement, qui résume la loi et les prophètes, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, préceptes qui étaient séparés dans l’ancienne alliance. Voilà ce qu’il lit dans la loi, parce qu’il la pratique lui-même ; et il la pratique parce qu’il est corporellement Dieu et homme. C’est pourquoi celui qui l’aime, aime en lui le Père et les frères. Mais qui est-ce qui aime comme il devrait aimer ? Si le cœur rebelle cherche se justifier en demandant : « Qui est mon prochain ? » la similitude du Samaritain répond à cette question en m’appelant à examiner de qui moi-même je suis le prochain, et à qui je dois venir en aide. A cette question s’ajoutent les suivantes : Comment le commandement peut-il produire l’amour ? qu’est-ce qu’un amour qui n’existe que parce qu’il est commandé ? Que nous sommes loin de l’amour, pour qu’il nous faille ce commandement : « Tu aimeras ! » Nous aussi, nous sommes réduits au silence, comme ces questionneurs qui voulaient tenter le Seigneur.
Mais il les arrêta bien plus puissamment en leur demandant finalement : « Que vous semble-t-il du Christ ? de qui est-il le fils ? » Ils répondent sans hésiter : « De David. » Ils sont d’accord sur ce point entre eux et avec Jésus qui, quelques jours auparavant, avait accepté et même provoqué le cri de « Hosanna au fils de David ! » Mais suffit-il de l’appeler ainsi, avec l’espoir que peut-être il vengera le peuple de ses ennemis extérieurs, en recourant aux armes charnelles ? Comment donc David, parlant par l’Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur, que Dieu fait asseoir à sa droite comme corégent ? Ils gardent le silence, ne voulant pas convenir que le fils de David ne peut être en même temps le Seigneur de David qu’à la condition d’être non seulement le fils de David, mais aussi le Fils du Père éternel. Celui qui a volontiers ouvert son cœur au grand commandement de l’amour de Dieu et du prochain, celui-là est aussi prêt à accepter le principal article de la foi, afin que le fils et le Seigneur de David lui donne non seulement de s’approcher du royaume de Dieu, mais d’y pénétrer, et que, délivré du péché, il puisse accomplir le grand commandement dans la force que donne la foi. A celui qui s’y refuse, le Seigneur donne à entendre ceci : Vous ne m’empêcherez pas de m’asseoir à la droite de mon Père, et même vous me servirez de marchepied.
Ne sentent-ils pas quelque chose dès à présent de la majesté du juge, au milieu de l’abaissement du Fils de l’homme, quand, ouvrant pour la dernière fois sa bouche dans le temple, il reprend les séducteurs hypocrites en présence du peuple et des disciples, afin que ceux-ci soient sur leurs gardes ? Nous écoutons ici la contre-partie sévère du sermon sur la montagne. Là, il appelait par une succession de béatitudes tous ceux qui demandaient à entrer dans le royaume des cieux en s’adonnant à une justice meilleure que celle des pharisiens. Ici, il accumule malheur sur malheur contre ces justes hypocrites qui, non contents de s’exclure eux-mêmes, demandent à en exclure d’autres. Ce qu’ils vous enseignent, non pas de leurs traditions d’homme, mais de la loi de Moïse, qu’ils vous prêchent en qualité de docteurs de la loi, faites-le, mais en vous gardant d’imiter leurs œuvres. C’est ainsi que, dans ce blâme formidable de leur perversité, il montre qu’il ne veut pas pousser à la révolte contre leur ministère. Mais il reprend leur hypocrisie, leur culte formaliste, leur ambition, leur avarice qui convoite les héritages, leurs serments accompagnés de restrictions mentales ; toute cette mort rongée par la corruption et recouverte d’un voile brillant, il la dévoile dans un formidable discours, qui subsiste comme un témoignage impérissable contre tout pharisaïsme s’infiltrant dans l’Eglise.
Jésus n’ignore pas que le zèle pour Dieu le consumera lui-même. Car les hypocrites, qui bâtissent les tombeaux des prophètes et qui se vantent qu’ils n’auraient pas, comme leurs pères, attenté à leur vie, se trahissent par leur propre parole comme étant les fils de leurs pères, et des fils qui ne leur ressemblent que trop par leur aveuglement et leur propre justice. Aussi achèveront-ils de combler la mesure de leurs pères. Ils s’entendent bien à honorer des os par de beaux monuments ; mais ils n’aiment les prophètes qu’après leur mort, et ils résistent, comme leurs pères, à l’esprit qui les animait. C’est pourquoi il leur annonce que le moment approche où ils auront à rendre compte de tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre. Depuis la Genèse jusqu’aux livres des Chroniques (le dernier livre de la Bible hébraïque), l’Ecriture est remplie des actes sanguinaires de cette race méchante. Depuis Abel jusqu’à Zacharie, le fils de Barachie, leur histoire n’est qu’une suite de meurtres. (Dans le livre des Chroniques, le père de Zacharie se nomme Jéhojadah, 2 Chroniques 24.30-22 ; probablement Jéhojadah était l’aïeul de Zacharie, et il est désigné, par les Chroniques comme le père de Zacharie, pour mieux faire ressortir l’ingratitude du roi Joas envers le sauveur de sa vie et de son trône.)
Ce peuple, dit le Seigneur, est une race de meurtriers dès le commencement ; mais ce n’est pas seulement l’histoire d’Israël, c’est aussi celle de toute l’humanité qui, d’un bout à l’autre, est écrite avec des lettres de sang. Que serait-elle sans le Prince de la paix ? Qu’arrivera-t-il à ceux qui ne font nul cas de cette promesse déjà prononcée par Ésaïe 31.5 : « Comme les oiseaux volent sur leurs petits, ainsi l’Eternel des armées garantira Jérusalem, il la protégera et la délivrera ; il passera et il la sauvera. » Qu’ont à attendre ceux dont le Fils de l’homme dit avec douleur : « Combien de fois ai-je voulu vous rassembler, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! » Voilà la plainte de Jésus sur son peuple élu. Il voudrait le protéger contre les aigles du jugement, mais ce peuple reste sourd à son appel. Voilà pourquoi il déclare à ces rebelles obstinés que leur maison demeurera déserte, abandonnée par Dieu et livrée à la désolation. Toutefois, cette menace sévère n’est pas son dernier mot, car ce n’est pas volontiers qu’il afflige et qu’il contriste les hommes ; il annonce au contraire pour la fin des jours un autre jour des Rameaux, où le résidu d’Israël, brisé, humilié, converti au Dieu de ses pères, poussera de nouveau ce cri de joie : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »
C’est ainsi qu’il a livré cette bataille de l’esprit. Il ne recule pas encore, et il continue à occuper le champ de bataille. Sans être épuisé, grand dans les plus petites choses comme dans les plus grandes, il observe les uns et les autres avec une tranquille attention. Vis-à-vis de cette rapacité hypocrite qui dévore les maisons des veuves, il voit une pauvre veuve déposer dans le tronc une pite, offrande méprisée, dans laquelle sa grande foi ne sacrifiait pas moins au Seigneur tout ce qu’elle avait pour vivre. Cette âme cachée se trouve dans ce lieu profané par les hommes et abandonné par Dieu, au milieu des ministres impies d’un culte qui était mort : il y avait donc là un temple vivant de Dieu, quand même le temple construit de pierres choisies était menacé de la destruction depuis longtemps méritée.
C’est de cette destruction que s’enquièrent les disciples intimes du Sauveur, en considérant avec tristesse, du haut de la montagne des Oliviers, ce sanctuaire splendide. Serait-il possible que pas une de ses pierres ne restât sur l’autre ? Nous savons de quelle admirable manière la parole du Seigneur fut accomplie, malgré toutes les recommandations du général romain. Aux disciples en leur qualité d’Israélites fidèles, il semble impossible que la destruction du sanctuaire ne coïncide pas avec la fin du monde. Ils s’enquièrent donc de la venue du Seigneur, des temps et des signes de son avènement. Mais lui les met en garde contre la séduction. Dans la guerre et dans la peste, dans la famine et dans les tremblements de terre qui remplissent toute l’histoire, ils ne doivent pas voir le jugement lui-même, mais seulement ses signes avant-coureurs. Il faut qu’auparavant l’Evangile soit prêché dans le monde entier, ce qui n’implique pas la conversion de tous les peuples, mais ce qui ôte toute excuse à ceux qui repoussent cet Evangile. Parmi toutes les nations, les disciples seront persécutés à cause de Christ, et ils seront en butte à des pièges trompeurs, par le moyen desquels on voudra les entraîner dans l’apostasie. Par conséquent, la fin n’est pas si proche que vous vous le figurez.
Ils devaient s’enfuir de Jérusalem quand, dans le lieu saint, l’abomination de la désolation irait en augmentant, alors que les Juifs, devenus pires que des païens, profaneraient le sanctuaire, et que le corps mort de la corruption intérieure répandrait une odeur telle que les aigles du jugement seraient attirés par elle. Josèphe nous raconte les dissensions épouvantables des défenseurs de Jérusalem possédés par tous les démons. Ces abominations attirèrent la destruction, parce qu’elles renfermaient en elles-mêmes la destruction. Mais quand, après ce jugement sur la maison de Dieu, les temps des nations seront accomplis (Luc 21.24), de ces nations qui fouleront Jérusalem et qui devanceront Israël dans le royaume, alors les jugements se répéteront avec plus de force jusqu’au dernier, auquel paraîtra le signe du Fils de l’homme. Si le Seigneur dit : « Bientôt ces choses arriveront, » il ne faut pas appliquer à cette parole la mesure des hommes qui ne durent qu’un moment, mais la mesure du Dieu éternel. Dans la similitude, il leur montre les serviteurs se disant que leur maître tardera encore longtemps à venir, et en effet l’époux ne viendra qu’à minuit Cette venue s’effectue par diverses stations, tant pour l’individu que pour l’humanité entière. Quand enfin elle s’effectuera pleinement, son irruption sera soudaine. Alors il ne sera trop tard pour personne, et beaucoup trouveront que c’est trop tôt. Le serviteur du Seigneur doit mener une vie telle qu’elle soit tout entière une venue à rencontre de la formidable venue du Seigneur. Il ne leur dit pas quand elle aura lieu ; et dans son abaissement même, le Fils n’en connaît ni le jour ni l’heure (Marc 13.32). Dans une autre circonstance (Matthieu 16.28), il avait dit que quelques-uns de ceux qui l’entouraient ne mourraient pas sans avoir vu le commencement du royaume dans le jugement sur Jérusalem ; mais il faut bien distinguer cette venue de la venue en gloire, dans laquelle le Sauveur sera entouré des anges (v. 27). C’est aussi une venue lorsque la pierre dont parle Daniel broie les ennemis de Dieu ; mais ce n’est pas encore la dernière station de l’avènement dont nous sommes séparés par une série de temps entrecoupés de moments décisifs (Actes 1.7).
Jésus n’indique ni le jour ni l’heure de la dernière station ; mais il apprend à ses disciples à discerner les signes des temps, afin qu’évitant la distraction des biens de ce monde, ils sachent attendre en veillant. Le signe le plus important, c’est une sécurité arrivée à son comble, comme aux jours de Noé, sécurité qui plonge même les vierges sages dans le sommeil. Ce sont là les nobles âmes, sorties du monde, appartenant à l’épouse, faisant luire leur Lumière et se réjouissant dans l’attente de la venue de l’époux entouré du cortège de ses amis pour chercher son épouse. Quel avertissement pour nous., que celui qui nous montre la moitié de ces vierges, n’ayant pas assez d’huile pour alimenter le lumignon mourant de leur foi ! Quelle honte de voir même les vierges fidèles vaincues un moment par le sommeil ! Veillez ! car vous ne savez ni le jour ni l’heure à laquelle le Fils de l’homme viendra. Il viendra comme berger des nations et comme juge du monde entier, qui manifestera, au dernier jour, que tout ce que nous faisons ou ne faisons pas à nos frères se rapporte au Seigneur, et qui punit les péchés d’omission d’une malédiction éternelle. Certes, sa volonté n’est pas de condamner, mais c’est la faute de l’endurcissement des cœurs. Nous ferons l’expérience que la cause du salut ne gît que dans sa grâce, tandis que la cause de la condamnation se trouve uniquement dans la résistance et le blasphème des hommes. Israël est un monument glorieux entre tous de l’inexprimable longanimité de Dieu.
Nous venons de montrer comment le Seigneur a désigné le mépris complet de son jour comme un signe de la proximité de ce jour. Mais il mentionne encore un autre signe en disant : Apprenez ceci par la comparaison d’un figuier. Quand ses branches commencent à devenir tendres et qu’il pousse des feuilles, ce qui a lieu plus tard pour lui que pour les autres arbres, vous savez que l’été est à la porte. Déjà chez les prophètes ce figuier représente ce que le Seigneur énonce sans image par ces paroles : Cette génération ne passera pas que toutes ces choses n’arrivent. Cela ne signifie pas, comme dans un discours précédent, la génération qui vivait à cette époque, et qui s’en est allée depuis longtemps ; cela signifie, au contraire, ce peuple sans pareil, cette race des Juifs indestructible dans la malédiction et ne cessant de subsister malgré sa dispersion. Il ne veut pas préciser le temps, mais donner un signe vivant du temps : quand le figuier maudit aura de nouveau de la sève et qu’il poussera des feuilles, sachez alors que la décision approche.
Ce trait nous ramène finalement à un acte du Seigneur que nous avons passé sous silence jusqu’ici. Le lundi matin, suivant le récit de Marc, quand le Seigneur se rendit à Jérusalem et qu’il eut faim, il vit sur le bord du chemin un figuier orné de toutes ses feuilles ; mais quand il s’en approcha, il n’y trouva point de fruit. Alors il prononça sur cet arbre la malédiction que jamais il ne devait porter de fruit, et à cette heure même le figuier sécha, en sorte que les disciples, en passant le lendemain, le trouvèrent sec jusqu’à la racine.
N’est-ce pas là une manière d’agir surprenante ? un acte de sévérité déployé contre un arbre innocent ? Nous ne le comprenons pas facilement, parce que nous n’y découvrons pas, semble-t-il, la mansuétude du Seigneur. Notre étonnement grandit quand Marc ajoute : Car ce n’était pas encore la saison des figues. Comment le Seigneur peut-il chercher des figues, alors que ce n’en est pas la saison, et s’irriter quand il n’en trouve pas ? Voilà ce que nous pourrions nous demander.
Or c’est précisément cette étrange observation de Marc, qui nous aide à comprendre la chose. Elle est tout d’abord parfaitement juste au point de vue de l’histoire naturelle, car dans la Palestine, les figues les plus précoces commencent à mûrir en juillet, et les dernières, d’une espèce tardive, restent sur les arbres jusqu’en janvier. Par contre, il ne s’en trouve pas au temps de Pâques, c’est-à-dire en mars et en avril. Mais pourquoi alors Jésus les cherche-t-il quand il n’y en a pas ? C’est l’arbre lui-même qui y a donné lieu, si nous faisons attention à sa nature, que Marc suppose connue de ses lecteurs. Il était alors trop tard pour les figues anciennes et trop tôt pour les figues nouvelles. Or les figuiers se couvrent de petits fruits longtemps avant de porter des feuilles. Par conséquent, un arbre qui devançait la saison pour étaler un abondant feuillage sans porter en même temps du fruit, se montrait stérile, en ne donnant que des feuilles et en promettant plus qu’il ne tenait, puisque ses feuilles faisaient croire qu’on y trouverait du fruit. Sans doute ce n’était pas encore la saison des figues ; mais c’était moins encore celle des feuilles. En ayant celles-ci sans porter de fruit, cet arbre avait une apparence trompeuse, image fidèle de la piété fausse et hypocrite des pharisiens.
Israël aussi était un figuier orné des feuilles du culte extérieur, mais sans ces fruits de justice, qui auraient pu restaurer Jésus ; et c’est ce peuple qu’il avait en vue en maudissant le figuier. Précisément, parce que cet arbre n’est point coupable, le Seigneur ne peut pas vouloir le punir ; aussi quand il accomplit sur lui ce qui ne peut pas lui causer de souffrance, ni léser le droit d’aucun homme, il n’a pas en vue cet arbre lui-même. Il opère cette même similitude qu’il a plus d’une fois prononcée, alors qu’il parlait d’un figuier inutile, qui sera coupé et jeté au feu. Par cet acte symbolique, semblable à ceux des anciens prophètes, il confirme ce qu’il a dit souvent, et par cet arbre, il désigne son pauvre peuple.
Nous l’avons vu pleurer sur Israël ; nous l’avons entendu menacer les vignerons que la vigne leur sera ôtée, les invités aux noces, qu’ils ne prendront point part au banquet, et les meurtriers des prophètes, que leur maison demeurera déserte et que leur temple sera détruit de fond en comble. L’état lamentable de son peuple bien-aimé l’occupait continuellement ; il voyait sans cesse la ruine d’Israël ; tout ce qu’il rencontrait lui en retraçait l’image ; aussi est-ce là ce qu’il ne se lasse pas de proclamer pour avertir quiconque se laisserait encore avertir, pour rendre témoignage contre les impénitents, pour fortifier les disciples pour le moment où éclateraient les jugements annoncés par lui. C’est pourquoi le Sauveur miséricordieux, qui, aux jours de sa chair, n’avait jamais usé de sa puissance miraculeuse contre aucun impie, opère sur un arbre un signe qui veut dire : Malheur au peuple rebelle, qui n’a-pas su mettre à profit le temps de grâce que le vigneron avait demandé pour lui (Luc 13). Les disciples peuvent comprendre, par le moyen de ce signe, que maintenant déjà le Seigneur pourrait détruire ses adversaires, et qu’à l’avenir il agira de la sorte envers tous ceux qui foulent aux pieds sa patience et qui blasphèment l’Esprit de grâce.
Aux disciples il dit le lendemain : Vous aussi, vous pouvez vous emparer de cette puissance divine, et surmonter par la prière les plus grands obstacles. Si dans votre ministère l’incrédulité du peuple se dresse contre vous comme une montagne, ayez foi en Dieu, et elle disparaîtra de devant vous. Toutefois ne priez pas contre vos ennemis pour vous en venger ; il ne vous est pas permis de vous approcher de Dieu en étant remplis de passion et de haine ; il faut, au contraire, que vous soyez toujours prêts à pardonner à ceux qui vous ont personnellement offensés, et ce n’est qu’à cette condition que vous pourrez vraiment prier avec foi (Marc 11.22-26).
Par ce figuier, dit le Seigneur, apprenez une similitude. Quand, après une longue sécheresse d’hiver, la sève y montera de nouveau, alors sachez que l’été vient, que le temps de la délivrance approche. Qu’il lui plaise de nous donner, à nous qui sommes nommés d’après lui, qu’en ce temps-là on trouve sur nous les doux fruits de l’Esprit.