Dans cette instruction on développe aux néophytes le sens mystique des cérémonies qui ont été observées à leur égard dans l’intérieur du baptistère, à la suite des renonciations et des professions de foi faites dans le vestibule. C’était là que le catéchumène avait déposé la seule tunique qui lui restait sur le corps, par imitation de la nudité d’Adam dans l’état d’innocence, et de celle de Jésus-Christ sur la croix.
D’après l’auteur de la Hiérarchie Ecclésiastique (chap. I, part. II, n. 6) le Pontife, lors du baptême, déliait la ceinture, et après la profession de foi, les diacres ôtaient le dernier vêtement. Nous devons tout de suite faire observer au lecteur que les diacres n’assistaient le prêtre ou l’Evêque que dans le baptême conféré aux hommes, et que les diaconesses en gardaient la porte au dehors ; dans le baptême des femmes un diacre gardait la porte. Le bassin d’immersion était entouré d’un vaste rideau ; la femme passait la tête entre deux rideaux, l’Evêque ou le prêtre lui versait l’eau sur la tête, et ainsi que l’huile sainte, et la diaconesse l’oignait par tout le corps. (Voy. les Constit. Apost., lib. III, cap. 15.)
C’est de ces onctions faites sur tout le corps que parle ensuite S. Cyrille. C’est le symbole de la grâce onctueuse que Jésus-Christ nous communique, de la destruction du péché jusqu’aux cicatrices, et de l’expulsion du démon.
Il explique ensuite le sens de cette triple immersion et émersion qui a suivi l’interrogation de foi, symbole, dit-il, de la sépulture et de la résurrection du Sauveur et de notre association à sa passion et à sa mort. Les rites de l’Eglise de Jérusalem ne sont pas si particuliers qu’ils le paraissent au premier coup d’œil. Car dans toute l’Eglise grecque l’onction de l’huile sur tout le corps était d’un usage général. C’était aussi celui d’Antioche. (Vid. Chrysost. Hom. VI, in Epist. Ad Coloss. l’auteur de la Hier. Eccl. chap. 2, part. II, n. 6, Severum Antiochenum, de ordine Baptism. enfin l’Euchologe de CP., p. 354.) Mais dans les Eglises latines les onctions ne se faisaient que sur quelques parties du corps, sur la poitrine, sur les épaules (voy. le Sacramentaire de Gélase) ; dans les Gaules, aux oreilles, aux narines (ex sermone ad neophytos, Ap. August. t. VI) et sur la poitrine, suivant le Sacramentaire Gallican, de l’abbaye de Bobio, publié par Mabillon ; en Espagne, aux oreilles et sur la bouche, mais avant la récitation du symbole. (Ex Hildefonzo, de Ordine baptismi, cap. 29, et ex Isidoro.) Quant à la troisième immersion, il est constant qu’elle date des temps apostoliques et qu’elle fut d’un usage universel.
Cette Catéchèse fut prononcée le mardi de la semaine sainte.
I. Utilité des Catéchèses mystagogiques. – II. Sens symbolique attaché au dévêtissement du néophyte dans l’intérieur du baptistère, – III. A l’onction de l’huile exorcisée, opérée sur tout le corps, à l’insufflation qui met en fuite les démons. – IV. De l’interrogation adressée au néophyte sur le Symbole, et de la triple immersion. – V. Le baptême est une imitation de la mort, de la sépulture et de la résurrection du Sauveur. – VI, VII. Différence entre le baptême de S. Jean et celui de Jésus-Christ. – VIII. Conclusion en forme d’exhortation.
Si les explications des mystères sont pour nous tous d’une utilité journalière, si elles sont pour nous une source féconde de sciences toujours nouvelles, une mine inépuisable de richesses jusqu’alors inconnues, combien ne seront-elles pas plus précieuses encore aux yeux de ceux pour qui tout est nouveau, et qui passent subitement des ténèbres à la lumière !
C’est donc une nécessité pour vous d’entendre la suite du discours d’hier, d’apprendre le sens des cérémonies qu’on vous a fait pratiquer dans l’intérieur du baptistère.
A peine y fûtes-vous entrés que vous vous dépouillâtes de votre dernier vêtement, image de la dépouille que vous deviez faire du vieil homme. (Colossiens 3.9.) Vous fûtes nus, pour vous rappeler la nudité de Jésus-Christ sur la croix, qui par sa nudité mit à nu lui-même les principautés et les puissances, et par sa croix les traîna en triomphe. (Colossiens 2.15.)
Comme les puissances ennemies avaient établi le siège de leur empire dans chacun de vos membres, vous ne devez plus reprendre cette tunique qui vous fut jadis si fatale. Je ne parle pas ici de ce vêtement matériel qui tombe sous les sens, mais de ce vieil homme qui se corrompt dans les désirs de l’illusion. (Ephésiens 4.22.) Ah ! que le ciel vous préserve de reprendre jamais la tunique dont votre âme se dépouilla ! Dites plutôt avec l’épouse du Cantique des Cantiques : Je me suis dépouillée de ma tunique, comment la reprendrai-je ? (Cantique 5.3.) O chose admirable ! vous avez paru aux yeux de tous dans un état parfait de nudité, et vous ne fûtes pas saisis de honte. Pourquoi ? C’est qu’en effet vous étiez alors l’image de notre premier père, l’image d’Adam encore innocent. Il était nu, et il n’en rougissait pas. (Genèse 2.25.)
C’est dans cet état de nudité que vous fûtes oints[1] de la tête aux pieds de l’huile exorcisée ; c’est dans cet état que vous fûtes greffés sur l’olivier franc qui est Jésus-Christ, et que vous avez participé à sa sève, à l’onctuosité du véritable olivier ; l’huile exorcisée était donc le symbole de cette communication onctueuse de Jésus-Christ qui fait aussitôt disparaître toutes les traces du pouvoir ennemi. Car de même que l’insufflation des Saints, l’invocation du nom de Dieu brûle les démons, comme des flammes ardentes, et les met en fuite, de même aussi cette huile exorcisée acquiert par l’invocation de Dieu et par l’oraison une si grande énergie, que non-seulement elle détruit comme le feu toutes les traces du péché, mais qu’elle dissipe encore tous les esprits infernaux.
[1] C’est dans cet état de nudité que vous fûtes oints.
L’onction baptismale ne pouvait se faire, suivant le rite général de l’Eglise, que par les prêtres et les diacres ; c’était néanmoins un office réservé aux diaconesses lorsqu’on baptisait des femmes. Car voici le texte des Constitutions Apostoliques (lib. II, cap. 15) : Ac in primis quidem cùm baptizantur mulieres, diaconus tantùm earum frontem unget oleo sancto, et post diaconissa eas illinet : non enim opus est ut feminæ aspiciantur à viris. Mais il paraît constant que cette loi de discipline ne fut point admise dans l’Eglise de Jérusalem, et que le prêtre, ministre du baptême, pouvait seul exercer cette fonction. Nous en avons une preuve dans le fait rapporté par Jean Moschus, moine de Jérusalem, qui vivait au commencement du VIIe siècle. (Voy. lechap. III du Pré spirituel.)
Quant à ce qui concerne les fonctions des diaconesses dans le baptême, ad revelandas velandasque feminas, on peut consulter S. Epi phane etle Pseudo Hieronymus, Atton de Verceil. (Epist. ad Ambr.)
Vous avez ensuite été introduits dans la piscine salutaire du baptême, comme Jésus-Christ, qui de la croix passa dans le sépulcre. On a demandé à chacun de vous s’il croyait au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Sur votre réponse affirmative on vous a plongés et on vous a retirés trois fois de l’eau, en commémoraison des trois jours que Jésus-Christ demeura dans le tombeau ; car de même que le Sauveur resta trois jours et trois nuits au sein de la terre, ainsi dans la première émersion vous avez figuré le premier jour que Dieu vint habiter parmi les hommes, dans l’immersion la nuit qu’il vint au milieu de nous. Car de même que celui qui va et vient dans les ténèbres ne voit rien, et que celui qui marche pendant le jour jouit des bienfaits de la lumière, de même lors de l’immersion vous fûtes plongés dans les ténèbres, et l’émersion vous rendit à la lumière. C’est ainsi que vous êtes morts et ressuscités. C’est ainsi que dans cette onde salutaire vous avez trouvé et la mort et la vie, et un tombeau et le sein d’une mère. C’est à ce moment de votre nouvelle existence qu’on peut appliquer ces paroles du Sage : Il est un temps pour engendrer, il est un temps pour mourir. (Eccle. I, 2.) Mais ici ce fut tout le contraire par rapport à vous. Il fut un temps pour mourir, un autre pour naître, et dans un instant ces deux actes se sont accomplis. Car votre mort concourt avec votre naissance.
Mais, ô chose plus étrange encore ! dans le baptême notre mort, notre sépulture, notre résurrection, n’ont rien eu de réel. Tout ce qui s’est passé autour de nous et sur nous n’a été que des ombres et des images qui couvraient la vérité, d’où notre salut est sorti. Dans Jésus-Christ tout fut réel ; sa passion, sa sépulture, sa résurrection. Et dans sa miséricorde il a voulu que dans la seule imitation de sa passion nous trouvassions en réalité notre salut.
Oh ! infinie bonté de mon Dieu ! Jésus-Christ a été percé de clous dans ses pieds, dans ses mains, que le péché ne souilla jamais ; et il me fait participer aux mérites de ses douleurs, sans me les faire éprouver. Et de cette participation il a fait pour moi une source de salut.
Gardez-vous de croire que le baptême de Jésus-Christ n’ait pas d’autres effets que celui de remettre les péchés, de nous communiquer la grâce d’adoption, comme était celui de Jean-Baptiste qui se bornait à la rémission des péchés ; c’est un point sur lequel nous nous sommes suffisamment appesantis. (Catéch. III, 7 ; XVII, 8.) Mais nous ajouterons qu’outre la faculté qu’a le baptême de Jésus-Christ de remettre les péchés et de conférer les dons du Saint-Esprit, il est encore l’antitype et l’expression de la passion du Sauveur, comme vous le disait, il n’y a qu’un moment, l’Apôtre des Gentils : Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous l’avons aussi été en sa mort. Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir au péché. (Romains 4.3-4.) Voilà ce qu’il disait aux chrétiens qui s’étaient persuadés que le baptême conférait à la vérité la rémission des péchés et qu’il nous faisait enfants de Dieu par adoption, mais qui ne voyaient pas dans ce mystère une participation à la passion et aux réelles douleurs du Sauveur par une espèce d’imitation.
Pour nous bien faire comprendre que tout ce que Jésus-Christ a souffert dans sa passion, c’est pour nous et notre salut, que tout y a été réel, qu’il n’y a rien eu d’imaginaire ou de fictif, et qu’il nous a fait participer à ses douleurs, le même Apôtre ajoute en termes clairs et précis : Car si nous avons été entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés par la ressemblance de sa résurrection. (Ibid. 5.) Il est beau le mot : entés. Car comme le Sauveur est la vraie vigne, nous avons été greffés sur elle par la communication du baptême de mort.
Retenez bien le sens de l’Apôtre. Il n’a pas dit : Si nous avions été entés en lui par sa mort, mais par la ressemblance de sa mort ; car la mort du Sauveur fut réelle ; son âme fut véritablement détachée de son corps ; sa sépulture n’eut rien de fictif ; son corps sacré fut réellement enveloppé dans un suaire. Tout fut exactement vrai et positif. Mais chez vous au contraire tout fut similitude de la mort, tout fut image de sa passion. Quant aux effets tout fut réalité ; votre salut n’est ni fictif ni imaginaire, il est vrai dans toutes ses conséquences.
Retenez bien tout ce que je viens de vous dire, pour que je puisse dire un jour, quelle que soit mon indignité : Je vous aime, mes Frères, de ce que vous vous êtes souvenus de moi, et que vous gardez les traditions telles que je vous les ai laissées. (1 Corinthiens 11.2.) Dieu qui vous a, comme de la mort, reproduits à la vie, peut aussi vous faire marcher dans une nouvelle vie ; parce qu’à lui est la gloire, l’empire maintenant et dans tous les siècles.
Ainsi soit-il.