Elias Prioleau. — Claude-Philippe de Richebourg. — Progrès de l’instruction publique. — Politesse supérieure. — Exemples de charité.
L’influence littéraire des réfugiés en Amérique fut moins considérable que leur action politique. Toutefois elle ne saurait être passée entièrement sous silence. Elle est attestée par le témoignage d’un des membres les plus marquants de l’Église épiscopale aux États-Unis : « Les noms des Français émigrés, dit-il, paraissent avec distinction dans les grands corps de l’État, sur les sièges de nos tribunaux et dans la chaire sacrée. » Le premier pasteur de l’Église française de Charlestown, Elias Prioleau, ne fut pas seulement un prédicateur éloquent, mais encore un écrivain d’un certain mérite. Ses descendants possèdent des copies manuscrites de ses ouvrages qui attestent, au jugement d’un publiciste distingué, une grande pureté de doctrine et, en même temps, de l’élégance dans le style et de la vigueur d’esprit. Claude Philippe de Richebourg, le pasteur de la colonie qui s’établit en Virginie, paraît avoir été un homme d’une piété fervente et profonde, d’une résignation qui rappelait celle des premiers chrétiens en présence de leurs persécuteurs, et en même temps d’un caractère sérieux et fortement trempé par le malheur et la pauvreté qui furent son lot sur la terre d’exil. Son testament écrit en français et conservé dans les archives publiques de Charlestown est empreint, selon le même publiciste, du véritable génie du croyant soumis aux ordres de la Providence, ferme dans la foi, et triomphant à l’approche de la morta. Au milieu d’un peuple sans cesse aux prises avec les difficultés matérielles de la vie, l’exemple et les discours de pareils hommes devaient disposer chacun à la méditation, à la prière, et, en même temps, à la lecture et à l’étude. Nulle part, on le sait, la Bible, cette unique consolation de tant de proscrits, ne fut plus répandue et n’imprégna plus fortement de son esprit divin la société entière. L’Amérique du Nord est aujourd’hui non seulement un des pays les plus libres, mais un des plus véritablement chrétiens du monde entier. L’instruction publique dut également quelques progrès à ces exilés qui regardaient le libre examen comme le plus noble attribut de la nature humaine. « Dans l’État qui est à notre frontière septentrionale, dit l’historien Bancroft, le nom du plus ancien collège rappelle la sage libéralité du descendant d’un huguenot. »
a – The Presbyterian, numéro du 15 décembre 1849.
Une politesse et une élégance de mœurs bien supérieures à celles des habitants d’origine anglaise, une moralité sévère, la charité la plus inaltérable, telles furent les autres qualités par lesquelles les réfugiés s’imposèrent à l’estime de leurs concitoyens. La petite colonie de French-Santee devint particulièrement renommée par l’exquise urbanité de ses fondateurs. Grâce à l’intolérance de Louis XIV, la langue française, et, avec elle, toutes les perfections et tous les raffinements de la société française du dix-septième siècle furent propagés par eux dans ces contrées lointaines, où jusqu’alors avait dominé presque exclusivement le génie austère et sombre des puritains d’Angleterre. Lawson ne put pas assez louer la courtoisie avec laquelle ils le traitèrent pendant son séjour parmi eux, et il exprima d’une manière touchante le regret qu’il éprouva en quittant « ces gens si bons, si aimants et si affables. » Aux manières distinguées qu’ils avaient apportées de leur ancienne patrie et qu’ils s’efforcèrent de communiquer aux Américains, ils joignaient cette rigidité de principes et de conduite dont leurs ancêtres persécutés avaient donné l’exemple en France avant la révocation. « Personne en Amérique, dit un membre éminent de l’Église anglicane de ce pays, ne saurait rougir d’avoir parmi ses ancêtres quelqu’un de ces respectables huguenots ; car on en a fait plus d’une fois l’observation, et je la crois fondée, rien n’a été plus rare que de les voir figurer sur le banc des accusés, devant une cour de justice. »
L’historien des États-Unis, Bancroft, leur reconnaît également cette élévation morale dont ils donnèrent tant de preuves dans toutes les contrées où ils se dispersèrent, et il ajoute ces mots remarquables dans la bouche d’un Anglais : « Les enfants des calvinistes de France ont certes raison d’avoir en grand honneur la mémoire de leurs pères. » Ce fut surtout leur sympathie pour les classes souffrantes qui les distingua dans tout le cours du dix-huitième siècle. Gabriel Manigault, le créateur de la fortune de sa maison, se montra toujours secourable aux pauvres, et ne consentit jamais à augmenter ses richesses par le commerce alors si lucratif des esclaves. A sa mort il laissa un legs de cinq mille livres sterling à la société de la Caroline du Sud fondée à Charlestown pour élever les enfants nés dans l’indigence. Le réfugié Isaac Mazicq disposa noblement d’une partie de son patrimoine en faveur des institutions religieuses et charitables de la ville dans laquelle il s’était fixé. L’Église de Charlestown fut plus d’une fois l’objet des libéralités pieuses des émigrés disséminés dans la Caroline. Isaac Mazicq lui laissa en mourant la somme de cent livres sterling. Philippe Gendron lui légua également une portion de sa fortune, « pour être employée, disait-il, dans son testament, à l’usage des pauvres de cette Église, aussi longtemps qu’elle sera réformée comme elle l’est à présent. »
A deux reprises, en 1740 et en 1796, le feu consuma l’édifice consacré à Dieu par les premiers fugitifs, et deux fois leurs descendants s’empressèrent de le reconstruireb.
b – The Presbyterian, numéro du 23 février 1850.