1. Jacob, en poursuivant sa route vers la Chananée, eût des visions qui lui firent concevoir d'heureuses espérances pour l'avenir ; l'endroit où elles lui apparurent, il l'appela Camp de Dieu. Voulant connaître les sentiments de son frère à son égard, il envoya des gens en avant s'assurer de tout avec exactitude ; car il le craignait encore, à cause des soupçons d'autrefois. Il chargea ses messagers de dire à Esaü que Jacob avait quitté volontairement son pays, parce qu'il lui semblait inadmissible de vivre avec lui tant qu'il était en colère ; mais qu'à présent, estimant que le temps passé suffisait à les réconcilier, il revenait avec ses femmes et ses enfants et toutes les ressources qu'il s'était procurées et se remettait à lui avec ce qu'il avait de plus précieux, n'estimant aucun bien plus désirable que de jouir avec son frère des richesses que Dieu lui avait données. Les messagers[1] rapportèrent ces paroles ; Esaü s'en réjouit vivement et vient à la rencontre de son frère avec quatre cents hommes armés. Jacob, apprenant qu'il arrive au-devant de lui avec une si grande troupe, est très effrayé, mais il met en Dieu son espoir de salut et prend les mesures que comporte la situation, afin de ne pas être atteint, de sauver les siens et de triompher de ses ennemis, s'ils voulaient lui nuire. Il divise donc son monde, envoie les uns en avant et recommande au restant de les suivre de près, afin que, si l'avant-garde était assaillie par une subite agression de son frère, elle trouve un refuge parmi ceux qui suivent. Ayant rangé de la sorte les siens, il envoie quelques-uns apporter des présents à son frère : cet envoi consistait en bêtes de somme et en une quantité de quadrupèdes d'espèces diverses qui seraient très estimés de ceux qui les recevraient à cause de leur rareté. Les messagers marchaient espacés afin de paraître plus nombreux en arrivant les uns après les autres. A la vue des présents on espérait qu'Esaü laisserait s'apaiser sa colère, s'il était encore irrité ; d'ailleurs, Jacob recommanda encore aux messagers de l'aborder d'un ton affable.
[1] Genèse, XXXII, 7.
2.[2] Ces dispositions prises durant toute la journée, il met, la nuit venue, sa troupe en marche et quand ils eurent passé un torrent nommé Jabacchos[3], Jacob, demeure seul, rencontre un fantôme qui commence à combattre avec lui, et il en triomphe ; ce fantôme prend alors la parole et lui, conseille de se réjouir de ce qui lui est advenu et de se persuader que ce n'est pas d'un médiocre adversaire qu'il a triomphé ; il a vaincu un ange divin et doit voir là un présage de grands biens à venir, l'assurance que sa race ne s'éteindra jamais et qu'aucun homme ne le surpassera en force. Il l'invita à prendre le nom d'Israël(os) ; ce mot signifie, en hébreu, celui qui résiste à l’envoyé de Dieu[4] ; voilà ce qu'il révéla sur la demande de Jacob ; par celui-ci, ayant deviné que c'était un envoyé divin, lui avait demandé de lui dire ce que la destinée lui réservait. L'apparition, après avoir ainsi parlé, s'évanouit ; Jacob, tout heureux, nomme l'endroit Phanouël(os), c'est-à-dire la face de Dieu[5]. Et comme, dans le combat, il avait été blessé près du nerf large[6], il s'abstint lui-même de manger ce nerf, et à cause de lui il ne nous est pas permis non plus de le manger.
[2] Genèse, XXXII, 23.
[3] En hébreu : Yabbôk ; LXX : Ἰαβώχ.
[4] Le verset 29 du chapitre XXXXII explique le nom d'Israël par ces mots : « Tu as combattu contre Elohim ». Josèphe atténue cet anthropomorphisme. Les LXX traduisent : « Tu as pris des forces avec Dieu » ὅτι ἐνίσχυσας μετὰ Θεοῦ.
[5] Genèse, XXXII, 23.
[6] Le nerf sciatique.
3.[7] Apprenant que son frère approchait, il ordonne à ses femmes de s'avancer, chacune à part, avec leurs servantes, afin qu'elles vissent de loin les mouvements des combattants, si Esaü voulait en arriver là ; lui-même salue en se prosternant son frère, qui arrive près de lui sans songer du tout à mal. Esaü, l'ayant embrassé, le questionne sur cette foule d'enfants et sur ces femmes et, une fois au courant de tout ce qui les concerne, il voulait les conduire lui-même chez leur mère ; mais Jacob alléguant la fatigue des bêtes de somme, Esaü se retira à Saira[8] ; c'est là qu'il passait sa vie, ayant nommé ce pays d’après son épaisse chevelure.
[7] Genèse, XXXIII, 1.
[8] En hébreu : Séïr ; LXX : Σηείρ.