1.[1] Quand éclata la guerre d'Actium, Hérode se prépara à courir au secours d'Antoine, car il était déjà débarrassé des troubles de Judée et s'était emparé de la forteresse d'Hyrcania, qu'occupait la sœur d'Antigone. Mais Cléopâtre sut par ruse l'empêcher de partager les périls d'Antoine ; car, complotant, comme nous l'avons dit, contre les rois, elle persuada Antoine de confier à Hérode la guerre contre les Arabes, espérant, s'il était vainqueur, devenir maîtresse de l'Arabie, s'il était vaincu, de la Judée, et détruire ainsi les deux rois l'un par l'autre.
[1] Sections 1-6 Ant., XV, 5 (1-5). Nous avons déjà signalé la grande différence de la harangue d'Hérode dans les deux récits.
2. Toutefois ces desseins tournèrent à l'avantage d'Hérode ; car après avoir d'abord exercé des représailles sur ses ennemis, il ramassa un gros corps de cavalerie et le lança contre eux aux environs de Diospolis : il remporta la victoire, malgré une résistance opiniâtre. Cette défaite provoqua un grand mouvement parmi les Arabes : ils se réunirent en une foule innombrable autour de Canatha[2], ville de Coelé-Syrie et y attendirent les Juifs. Hérode, arrivé avec ses troupes, aurait voulu conduire les opérations avec prudence et ordonna aux siens de fortifier leur camp. Mais cette multitude ne lui obéit pas ; enorgueillie de sa récente victoire, elle s'élança contre les Arabes. Elle les enfonça au premier choc et les poursuivit ; mais au cours de cette poursuite, Hérode tomba dans un guet-apens. Athénion, l'un des généraux de Cléopâtre, qui lui avait toujours été hostile, souleva contre lui les habitants de Canatha[3]. Les Arabes, à l'arrivée de ce renfort, reprennent courage et font volte-face. Rassemblant toutes leurs forces dans un terrain rocheux et difficile, ils mettent en fuite les troupes d'Hérode et en font un grand carnage. Ceux qui s'échappèrent se réfugièrent à Ormiza ; mais les Arabes y cernèrent leur camp et le prirent avec ses défenseurs.
[2] Cana dans Ant., § 112. Peut-être Canata (Kerak).
[3] D'après Ant., § 116, Athénion attaque lui-même « avec des troupes levées dans le pays ».
3. Peu de temps après ce désastre Hérode revint avec des secours, trop tard pour y remédier. La cause de sa défaite fut l'insubordination de ses lieutenants : sans ce combat improvisé Athénion n'eût pas trouvé l'occasion de sa perfidie. Cependant Hérode se vengea des Arabes en ravageant encore à diverses reprises leur territoire, et leur rappela ainsi par maints cuisants souvenirs[4] leur unique victoire. Tandis qu'il se défendait contre ses ennemis, une autre fatalité providentielle l'accabla dans la septième année de son règne, pendant que la guerre d'Actium battait son plein[5]. Au début du printemps un tremblement de terre fit périr d'innombrables bestiaux et trente mille personnes : heureusement l'armée ne fut pas atteinte, car elle campait en plein air. A ce moment l'audace des Arabes redoubla, excitée par la rumeur, qui grossit toujours les événements funestes. Ils s'imaginèrent que toute la Judée était en ruine et qu'ils s'empareraient d'un pays sans défenseurs ; dans cette pensée ils l'envahirent, après avoir immolé les députés que les Juifs leur avaient envoyé. L'invasion frappe de terreur la multitude, démoralisée par la grandeur de ces calamités successives ; Hérode la rassemble et s'efforce par ce discours de l'encourager à la résistance :
[4] ὡς ἀνακαλέσασθαι τὴν μίαν αὐτοῖς νίκην πολλακίς, sens un peu douteux.
[5] Printemps 31 av. J.-C. Josèphe compte ici par année effectives du règne d'Hérode, depuis l'année de la prise de Jérusalem (37), au printemps.
4. « La crainte qui vous envahit à cette heure me paraît complètement dénuée de raison. Devant les coups de la Providence le découragement était naturel ; devant l'attaque des hommes, ce serait le fait de lâches. Pour moi, bien loin de craindre l'invasion des ennemis succédant au tremblement de terre, je vois dans cette catastrophe une amorce dont Dieu s'est servi pour attirer les Arabes et les livrer à notre vengeance. S'ils nous attaquent, ce n'est pas, en effet, par confiance dans leurs armes ou leurs bras, mais parce qu'ils comptent sur le contre-coup de ces calamités naturelles ; or trompeuse est l'espérance qui repose non sur notre propre force, mais sur le malheur d'autrui. Ni la bonne ni la mauvaise chance n'est durable parmi les hommes, et l'on voit souvent la fortune changer de face : vous pouvez l'apprendre par votre propre exemple. Vainqueurs dans la première rencontre, nous avons vu ensuite les ennemis remporter l'avantage ; de même aujourd'hui, suivant toute vraisemblance, ils succomberont, alors qu'ils se flattent de triompher. Car l'excès de confiance rend imprudent, tandis que l'appréhension enseigne la précaution ; aussi votre pusillanimité même raffermit ma confiance. Lorsque vous vous montriez pleins d'une hardiesse excessive, lorsque, dédaignant mes avis, vous vous élanciez contre les ennemis, Athénion trouva l'occasion de sa perfidie ; maintenant, votre inertie et vos marques de découragement me donnent l'assurance de la victoire. Cependant cette disposition d'esprit ne convient que pendant l'attente[6] ; dans l'action même, vous devez porter haut vos cœurs afin que les plus impies sachent bien que jamais calamité humaine ni divine ne pourra humilier le courage des Juifs, tant qu'ils auront un souffle de vie, que nul d'entre eux ne laissera avec indifférence ses biens tomber au pouvoir d'un Arabe, qu'il a tant de fois, pour ainsi dire, pu emmener captif. Ne vous laissez pas davantage troubler par les mouvements de la matière brute, n'allez pas vous imaginer que le tremblement de terre soit le signe d'un autre malheur ; les phénomènes qui agitent les éléments ont une origine purement physique ; ils n'apportent aux hommes d'autres dommages que leur effet immédiat. Une peste, une famine, les agitations du sol peuvent être précédées elles-mêmes de quelque signe plus fugitif, mais ces catastrophes une fois réalisées sont limitées par leur propre étendue. Et, en effet, quels dommages plus considérables que ceux de ce tremblement de terre pouvait nous faire éprouver l'ennemi[7], même victorieux ? En revanche, voici un prodige important qui annonce la perte de nos ennemis ; il ne s'agit ni de causes naturelles, ni du fait d'autrui : contre la loi commune à tous les hommes, ils ont brutalement mis à mort nos ambassadeurs ; voilà les victimes couronnées[8] qu'ils ont offertes à Dieu pour obtenir le succès. Mais ils n'échapperont pas à son œil puissant, à sa droite invincible ; bientôt ils subiront le châtiment mérité, si, retenant quelque trace de la hardiesse de nos pères[9], nous nous levons pour venger cette violation des traités. Marchons donc non pour défendre nos femmes, nos enfants, notre patrie en danger, mais pour venger les députés assassinés. Ce sont eux qui conduiront nos armes mieux que nous, les vivants. Moi-même, je m'exposerai le premier[10] au péril, pourvu que je vous trouve dociles, car, sachez le bien, votre courage est irrésistible, si vous ne vous perdez vous-mêmes par quelque témérité. »
[6] μέχρι τοῦ μέλλειν en donnant à μέχρι le sens de « tant que, jusqu'à la fin de ». On a proposé des corrections (πολεμεῖν ou μέλλειν πολεμεῖν).
[7] Nous lisons avec Cocceius πολεμίος (mss. πολεμος).
[8] κατέστεψαν, leçon des mss. (et de Naber), prégérable à la vulgate κατέστέψαν.
[9] Le texte est altéré, nous traduisons par à peu près.
[10] πρὸ τοῦ πλήθους, sens douteux.
5. Ces paroles ranimèrent l'armée : quand Hérode la vit pleine d'ardeur il offrit un sacrifice à Dieu, puis franchit le Jourdain avec ses troupes. Il campa à Philadelphie près de l'armée ennemie et commença à escarmoucher au sujet d'un château placé entre les deux camps avec le désir d'engager la bataille au plus vite. Les ennemis avaient fait un détachement pour occuper ce poste ; la troupe envoyée par le roi les délogea promptement et tint fortement la colline. Tous les jours Hérode amenait son armée, la rangeait en bataille et provoquait les Arabes au combat ; mais nul d'entre eux ne sortait des retranchements, car ils étaient saisis d'un profond abattement, et tout le premier, le général arabe Elthémos restait muet d'effroi. Alors le roi s'avança et commença à arracher les palissades du camp ennemi. Les Arabes, contraints et forcés, sortirent enfin pour livrer bataille, en désordre, les fantassins confondus avec les cavaliers. Supérieurs en nombre aux Juifs, ils avaient moins d'enthousiasme ; pourtant le désespoir même leur donnait quelque audace.
6. Aussi, tant qu'ils tinrent bon, ils ne subirent que de faibles pertes, mais dès qu'ils tournèrent le dos, les Juifs les massacrèrent en foule : un grand nombre aussi s'entre-tuèrent en s'écrasant les uns les autres. Cinq mille hommes tombèrent dans la déroute, le reste de la multitude se hâta de gagner le camp fortifié et s'y s'enferma. Hérode les entoura aussitôt et les assiégea ; ils devaient nécessairement succomber à un assaut, lorsque le manque d'eau et la soif précipitèrent leur capitulation. Le roi reçut avec mépris leurs députés et, quoiqu'ils offrissent une rançon de cinq mille talents, il les pressa encore plus étroitement. Dévorés par la soif, les Arabes sortaient en foule pour se livrer d'eux-mêmes aux Juifs. En cinq jours, on fit quatre mille prisonniers ; le sixième jour, cédant au désespoir, le reste de la multitude sortit au combat : Hérode fit face et en tua encore environ sept mille. Après avoir, par ce coup terrible, repoussé les Arabes et brisé leur audace, il acquit auprès d'eux tant de crédit que leur nation le choisit pour protecteur.