Le monde a été créé par Dieu, donc il est bon (Genèse 1.31). Toute vie qui s’y développe est un effet de la bénédiction divine (versets 22 et 28). Pas de place ici pour un être originairement mauvais. On peut trouver dans la description du serpent, au chapitre 3e, une allusion à une chute dans le monde des anges antérieurement à l’existence de l’homme, mais je ne suis pas de ceux qui voient une semblable allusion dans le verset second du 1er chapitre. On place la chute des anges entre le verset 1er et le verset 2e, parce que, dit-on, la terre sortant des mains du Créateur ne pouvait être désolée et dévastée. C’est une des idées favorites des théosophes. On ne peut pas précisément la réfuter, mais l’expression de Tohou vabohou, qu’on se plaît à traduire par « désolation et dévastation », peut fort bien ne signifier que « informe et vide » et s’appliquer à un simple chaos.
L’homme reçoit de Dieu un ordre, une défense, car il est appelé à passer de l’état d’innocence à celui de libre obéissance, et pour cela il faut qu’il se décide entre le bien et le mal (Genèse 2.16). Il succombe à cette tentation qui lui est venue de dehors, et le péché rompt le lien qui l’unissait à Dieu comme à un père. Maintenant l’homme est, sous un certain rapport, libre et indépendant comme Dieu (Genèse 3.22), mais c’est la crainte et le sentiment de sa culpabilité qui remplissent désormais son cœur toutes les fois que Dieu l’approche (Genèse 3.8). Dans tout ce récit, remarquez-le, aucune considération générale sur le péché. La Genèse ne nous donne pas plus la théorie du mal qu’elle ne nous a donné celle de la création. Elle raconte un péché, et elle laisse au lecteur le soin de tirer de ce cas particulier les principes généraux. Point non plus de développement philosophique sur la notion de la religion, mais un fait concret qui explique parfaitement pourquoi l’homme éprouve du malaise et de l’effroi en présence de la Divinité. « La Genèse, a dit Nitzsch, est, malgré la simplicité de ses récits, la dogmatique de la loi. »
C’en est fait maintenant du paradis et de sa paix ; l’homme est désormais un être assujetti à la vanité et qui doit mourir (Genèse 3.17 et sq.) Il a mauvaise conscience ; mais c’est précisément cette voix accusatrice qui prouve qu’il peut encore être sauvé, et, à côté de la sentence de condamnation qui est prononcée sur lui, l’homme a la consolation d’entendre Dieu lui-même garantir à sa postérité une victoire définitive sur la puissance du mal (Genèse 3.15). Ainsi, les maux sous le poids desquels gémit l’humanité ne sont rien d’autre que le salaire du péché, et elle n’en sera délivrée que quand le mal aura été vaincu. Cette pensée, placée en tête de la Genèse, suffirait à elle seule à montrer le point de vue éminemment moral et éducatif de la religion de l’ancienne alliance. — Pour en revenir à Genèse 3.15 : « Je mettrai de l’inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la postérité de la femme. Cette postérité t’écrasera la tête et tu la blesseras au talon », on sait que l’ancienne théologie appelait ce fameux passage le protévangile. Les théologiens catholiques, et surtout les Jésuites, s’appuyant sur la Vulgate qui traduit : « Elle t’écrasera la tête » ipsa conteret caput, voient ici Marie. Aujourd’hui, en revanche, on prétend que ces mots font tout simplement allusion à l’horreur instinctive que les serpents inspirent à l’homme. Mais de quel droit se permet-on de ne tenir aucun compte ni du fait que c’est dans la sentence prononcée sur le serpent que se trouve cette parole, ni de la différence qu’il y a entre une blessure au talon et le coup mortel reçu par le serpent, ni de l’enchaînement des idées dans les trois sentences que Dieu prononce successivement sur le séducteur, sur la femme et sur l’homme ? La postérité du serpent, de ce serpent qui a vaincu la femme par sa ruse, sera vaincue à son tour par la postérité de la femme ; mais la femme devra beaucoup souffrir pour avoir cette descendance. La femme, qui a séduit l’homme et qui l’a entraîné où elle désirait qu’il allât, sera assujettie à l’homme. Mais l’homme, qui, contrairement à ce qui aurait dû avoir lieu, a obéi à la femme, ne sera plus désormais dans son intérieur qu’un maître esclave, forcé de labourer péniblement le sol pour subvenir à l’entretien de sa famille.
L’ancienne théologie a été trop loin quand elle a voulu voir dans la postérité de la femme le Messie en personne, mais elle ne s’est point trompée sur le sens général de cet important verset. Il y aura guerre entre l’humanité et le principe du mal ; l’humanité ne sera pas sans recevoir quelques blessures, mais il n’y a pas de doute à avoir sur l’issue de la lutte. Ces quelques mots renferment en germe toute l’histoire du salut.