Il n’est pas bien difficile, après tout ce qui a été dit, de décider la fameuse question, s’il y a de véritables athées dans le monde, et s’il y en peut avoir.
On répond, en un mot, qu’il y en a qui le sont par leur cœur, mais qu’il n’y en saurait avoir qui le soient par leur esprit. L’expérience et la raison nous apprennent que nos passions embrassent avec avidité les objets et les sentiments qui les flattent ; on ne s’étonnera donc pas qu’elles détournent la vue de notre esprit des preuves et des ouvrages de la divinité, ou du moins des caractères de grandeur et de sagesse qui y paraissent ni qu’en suspendant les considérations de notre esprit, en rompant ses réflexions lorsqu’elles ne leur sont point favorables, et l’attachant fortement à tous les doutes qui les flattent, elles forment dans les hommes une habitude d’incrédulité, qu’on peut appeler, avec assez de fondement, l’athéisme du cœur.
L’athée nous montre bien lui-même quel était le principe de son incrédulité, lorsqu’il fait quelquefois abjuration de son impiété dans l’abattement d’une grande maladie ; et l’on pourrait lui demander pourquoi il a changé de sentiment. Si sa première opinion naissait des lumières de son esprit, il doit la conserver encore, puisque son esprit est même plus libre et plus dégagé des impressions étrangères, qu’il n’était auparavant. Qu’est-ce donc qui l’oblige à changer de sentiment, si ce n’est pas le changement de son cœur ? C’est que la première opinion venait des passions, et que le second sentiment naît des plus pures lumières de l’esprit.
Et certainement il est glorieux à la vérité de ce grand principe, qu’il n’y ait ou que de petits esprits corrompus par la vanité d’imiter les grands, et de faire une vaine ostentation d’une force qu’ils n’ont pas ; ou des gens perdus de débauches, et esclaves de leurs passions, qui fassent profession de douter à cet égard ; cela nous fait voir que c’est sous le règne des passions, fécondes en illusions et en égarements, et non pas sous l’empire de la raison saine et droite, que ce monstre a accoutumé de naître.
Celui qui connaîtra la force des passions à nous séduire, ne trouvera rien d’étrange en cela, et ne sera pas même surpris en voyant quelques-uns de ces misérables dupes de leurs passions, conserver leur incrédulité et leur obstination jusqu’au tombeau ; c’est que l’habitude de soumettre leur esprit aux dérèglements de leur cœur, s’est changée en eux comme en une seconde nature ; c’est que l’impression des passions est plus durable dans les uns que dans les autres. Une âme perpétuellement appliquée aux objets de la débauche ou de l’impiété, devient enfin comme incapable de faire aucun jugement droit et juste. La nature est contrainte de céder à l’habitude, comme lorsqu’un père s’est tellement accoutumé à haïr son fils, qu’il n’en peut plus revenir.
Celui qui considérera qu’une seule passion, savoir, l’orgueil, a pu anéantir en quelque sorte toutes les connaissances de l’homme, en l’obligeant à douter de tout, ne s’étonnera point que toutes les passions ensemble obscurcissent quelquefois une seule connaissance, qui est celle de l’existence de Dieu : d’ailleurs, les passions jettent assez souvent l’homme dans l’oubli de lui-même, pour être capables de le jeter quelquefois dans l’oubli de Dieu.
On trouve donc deux principes en l’homme qui se combattent perpétuellement à cet égard. Il y a tant de lumières dans l’esprit, qu’il ne paraît guère possible que les passions du cœur puissent l’éteindre entièrement ; et il y a tant de passions déréglées dans le cœur, qu’il est difficile que les plus belles lumières de l’esprit n’en soient quelquefois offusquées. Mais ce qu’il y a d’avantageux, c’est que la lumière vient du sens commun, qui est une source qui ne doit point être suspecte ; au lieu que l’obscurcissement vient du cœur, qui est un principe dont nous avons raison de nous défier ; de sorte que nous pouvons conclure par ces paroles du sage : L’insensé a dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu.