Enfance et jeunesse. — Affiliation au méthodisme. — Ministère en Angleterre. — Départ pour la France. — Evangélisation à Caen. — Voyage dans le Midi. — Retour en Normandie. — Cook dans la Drôme, dans le Gard. — Jean-Louis Rostan. — Son évangélisation dans les Hautes-Alpes, la Vaunage, les Cévennes, la Drôme, à Paris. — Organisation de la Conférence française. — Le nom de méthodiste donné à tous les amis du Réveil. — L’influence du méthodisme en France. — Opinion de Samuel Vincent. — Changement d’attitude du méthodisme français. — Il se décide à fonder une Église nouvelle.
Les progrès du méthodisme en France sont liés à l’activité d’un pasteur, dont le nom, dans certaines contrées du midi, est devenu une véritable épithète désignant les membres de la secte, et parfois même, d’une manière générale, toutes les âmes réveillées, — Charles Cooka.
a – Voir Vie de Charles Cook, par son fils J.-P. Cook, 1re partie, Paris, 1862.
Charles Cook naquit à Londres le 31 mai 1787. Son enfance n’offre aucun trait particulier, sauf un goût très vif pour la lecture, et, par suite, un réel désir de s’instruire, désir que développa, en le satisfaisant en partie, sa première éducation à l’école. Ces dispositions naturelles engagèrent son père, Jean Cook, qui était carrossier du roi Georges III, à envoyer le jeune Charles dans une institution supérieure afin d’y commencer ses études classiques pour entrer plus tard dans la voie du pastorat.
Mais le jeune homme n’y resta que peu de temps et revint bientôt à la maison paternelle pour y faire son apprentissage. A vingt ans, il se rendit à Worcester, dans le but d’y exercer son métier, mais tourmenté toujours par sa passion de la lecture et désireux de trouver une profession plus conforme à ses goûts. Il était à cette époque dans un état d’incrédulité et de scepticisme complet et doutait des vérités les plus élémentaires de la religion révélée. Cependant, sous l’influence de l’une de ses sœurs, il suivit les cultes wesleyens établis à Worcester ; peu à peu la lumière succéda dans son âme aux ténèbres, et il fut amené graduellement à la connaissance et à l’expérience complète du salut.
De retour à Londres, il travailla de son état dans le West-End, tout en suivant les réunions méthodistes et bientôt en y prenant une part active. Peu après, il abandonne sa profession de carrossier, devient professeur dans une institution du comté de Sussex, en juillet 1811 ; enfin, encouragé par ses succès comme prédicateur local, il se décide en 1815 à se consacrer entièrement à l’œuvre de l’évangélisation. Il est présenté par le pasteur des localités qu’il évangélisait, James Wood, à l’assemblée trimestrielle de son circuit, puis à l’assemblée du district de Londres, enfin à la Conférence.
Suivant la coutume, ce pasteur traça en quelques lignes la description de son candidat, ce qu’on appelait son caractère : il était ainsi conçu : « Charles Cook jouit d’une bonne santé, est véritablement consacré au Seigneur, et est complètement méthodiste au point de vue de la doctrine et de la discipline. Ses travaux, comme prédicateur local, ont été couronnés d’un grand succès ; il a eu de nombreux sceaux à son ministère. J’ai le ferme espoir qu’il sera tout particulièrement utile partout où il sera placé. Il est bon d’ajouter qu’il n’a point de dettes et n’est pas fiancé. »
Cette dernière remarque s’explique par ce fait, que la Conférence britannique ne permettait pas à ses proposants de se marier avant qu’ils eussent terminé un noviciat de quatre ans et reçu l’imposition des mains. Or Charles Cook avait bien été fiancé, mais son projet de mariage venait de se rompre, sa fiancée ne se sentant pas les aptitudes nécessaires pour être la femme d’un pasteur itinérant.
Charles Cook avait alors vingt-neuf ans. Ce que nous avons déjà dit des origines du méthodisme nous explique qu’il ait été admis au ministère sans études théologiques préalables. On sait que Wesley recrutait ses pasteurs comme il le pouvait, exigeant d’eux les quatre conditions suivantes : la conversion, la vocation, les dons spéciaux (connaissances bibliques, facilité de langage, habitude du travail et de la fatigue), enfin les fruits du ministère que le candidat avait déjà exercé comme prédicateur local. Pendant les quatre années de noviciat, le proposant poursuivait alors ses études, suivant un programme rédigé par la Conférence.
Du reste, Wesley, très instruit lui-même, attachait un prix considérable au développement intellectuel ; tout en déclarant que ce n’étaient pas les diplômes qui faisaient le pasteur, il exigeait de ses prédicateurs des lectures de livres théologiques, philologiques et scientifiques, pendant au moins cinq heures par jour, s’engageant à fournir des livres d’études à ceux qui n’avaient pas les moyens d’en acheter, et répondant à ceux qui disaient se contenter de lire la Bible, que si cette lecture leur suffisait, ils feraient bien de ne plus prêcher du toutb. D’ailleurs les méthodistes possédaient en 1862c deux facultés de théologie en Angleterre et trois en Amérique, sans compter trois ou quatre universités et un grand nombre de collèges.
b – Voir Lelièvre, Vie de Wesley, 3e édition, p. 298-299.
c – Date de la Vie de C. Cook.
Charles Cook n’eut pas tout d’abord un poste à desservir ; ce ne fut qu’un an après avoir été admis comme proposant, qu’on le nomma à Waltham-Abbey (1817), circuit nouveau que la Conférence créa et que Cook avait grandement contribué à former par son travail de prédicateur local.
Aussitôt le jeune pasteur se trace un programme : c’est la page la plus ancienne de son journal : elle est datée du 28 mai 1817.
« Je désire suivre l’exemple de saint Paul (Actes 20.17-35) :
- Par rapport à mes occupations en général : « Servant le Seigneur en toute humilité. »
- Par rapport à mon œuvre spéciale : « Prendre garde à moi-même et à tout le troupeau. »
- Par rapport à ma doctrine : « Prêchant la repentance envers Dieu et la foi en Jésus-Christ notre Seigneur. »
- Par rapport aux endroits où je dois enseigner : « Et en public, et de maison en maison. »
- Par rapport à la forme de mes enseignements : « Je n’ai cessé, nuit et jour, d’avertir chacun de vous avec larmes. » Voilà ce qui gagnera les âmes et les tiendra près du Sauveur.
- Par rapport à mon intégrité et à mon renoncement à moi-même par amour pour l’Évangile : « Je n’ai désiré ni l’argent, ni l’or, ni les vêtements de personne. »
- Par rapport à ma patience : « Ma vie ne m’est point précieuse. »
Et parmi les motifs de mes actions, je désire avoir toujours présents à ma pensée les deux suivants :
- « L’Église de Dieu qu’il a acquise par son propre sang. »
- « Il entrera parmi vous des loups ravissants, et d’entre vous-mêmes il se lèvera des gens qui annonceront des choses pernicieuses. »
Seigneur, écris toutes ces choses dans mon cœur, et sauve-moi pour l’amour de Jésus-Christ !
Charles Cook. »
Animé de semblables dispositions, Cook se met à l’œuvre ; il ne se contente pas de continuer ses prédications à Waltham-Abbey ; il porte pour la première fois l’Évangile dans des localités où depuis se sont fondées des stations méthodistes. Souvent il a à lutter contre bien des difficultés : la populace, parfois les magistrats, même quelques dignitaires de l’Église anglicane manifestent à maintes reprises leur hostilité. Le biographe de Charles Cook relate à ce sujet quelques anecdotes. Un jour, comme à l’issue d’une prédication en plein air sous un arbre, il avait annoncé pour le dimanche suivant une nouvelle prédication au même endroit, quelques mauvais plaisants, placèrent un baquet d’eau sale sur l’arbre, se proposant de le renverser sur la tête de l’orateur au milieu du culte. Mais Cook ne put venir comme il l’avait dit, et un prédicateur antinomien, voulant profiter de son absence pour réfuter les doctrines annoncées huit jours auparavant, reçut le bain destiné à son adversaire.
Une autre fois, Cook voulant poursuivre des cultes qu’il avait commencés à Hertford malgré l’opposition du pasteur, celui-ci fit intervenir les magistrats qui demandèrent en vain au prédicateur méthodiste de ne plus prêcher dans la ville. Résolus alors à en finir, ils allèrent attendre Cook à l’entrée d’Hertford pour l’empêcher d’y pénétrer ; mais on l’avait prévenu, il fit un détour, entra par un autre côté, célébra son culte, puis sortit de la ville par le chemin qu’il suivait d’ordinaire, et s’en alla en saluant poliment les magistrats, qui attendaient encore patiemment son arrivéed.
d – Voir Vie de C. Cook, p. 25-26.
L’attention se fixa bientôt en Angleterre sur le nouveau prédicateur. Une suppléance à Londres, où il remplaça les pasteurs qui étaient allés à la Conférence de Leeds, en 1818, le fit encore mieux connaître ; il semblait alors qu’il dût fournir toute sa carrière pastorale en Angleterre, et déjà un appel allait lui être adressé pour remplacer le Rév. M. Newton dans un circuit voisin, à Groombridge, lorsqu’un autre avenir s’ouvrit devant lui.
Toase venait de demander à la Conférence de Leeds de nouveaux ouvriers pour la France. Malgré l’opposition de quelques pasteurs qui regrettaient, soit pour l’Angleterre, soit pour la mission de Ceylan, le départ de Charles Cook, celui-ci fut proposé et agréé, et, le 24 octobre 1818, il arrivait à Caen.
Ce départ motiva pour lui la rupture d’un second projet de mariage, sa fiancée ne pouvant se résoudre à quitter probablement pour toujours son pays natal.
A son arrivée en France, Cook fut fraternellement accueilli par le pasteur de Caen, Rollin, qui manifesta toujours une vive sympathie pour les wesleyens. Il aurait désiré que ces prédicateurs fussent placés sous sa direction comme suffragants pour l’aider à desservir son Église, qui comprenait alors non seulement Caen, mais aussi Beuville, Courseulles, Périers et Cresserons. La Conférence ne put accéder à ce vœu, et Le Sueur et Cook déclarèrent à Rollin que, tout en travaillant avec lui à l’évangélisation, ils ne pourraient renoncer à leur discipline particulière et qu’ils chercheraient à établir des réunions de classe et d’expérience chrétienne parmi les convertis. Rollin leur demanda à son tour de ne pas chercher à éloigner de l’Église réformée les membres de leurs sociétés, et de faire en sorte que ces membres le considérassent toujours comme leur pasteur légitime. Sur cette base, on se mit à travailler de concert à l’avancement du règne de Dieu.
« Charles Cook, dit M. de Félicee, avait, avec la vigueur de la jeunesse, une grande prudence. A une profonde piété, il joignait la connaissance des hommes, le talent des affaires, une grande réserve, et de la fermeté que tempérait l’habitude de la réflexion et de la circonspection. Son expression était sérieuse et fortement accentuée. Sa conscience était tellement droite, sa foi si profonde, son caractère si respectable, son zèle si ardent et si dévoué, qu’il obtint bientôt une grande autorité. »
e – Lettre au New-York-Observer, 22 juillet 1858.
Il s’était mis avec courage à l’étude du français, qu’il avait déjà appris en partie en Angleterre, mais qu’il ne pouvait parler correctement. Quelques semaines lui suffirent pour qu’il pût essayer de prêcher dans notre langue ; c’était le 3 décembre 1818. Il paraît qu’après avoir parlé pendant environ un quart d’heure d’une manière très distincte, quoique avec un accent étranger fortement prononcé, il s’écria tout d’un coup avec une grande naïveté : « Je ne puis plus expliquer mon texte, » et il termina le service par un chant et la prièref.
f – Voir L’Evangéliste, 1861, p. 192.
Deux mois après, il écrivait : « Je prêche maintenant avec une assez grande facilité, et je puis écrire un sermon en français aussi rapidement qu’en anglais. »
Son activité dans les environs de Caen avait des résultats encourageants. Cependant, il ne laissait pas de regretter la liberté religieuse dont il avait joui en Angleterre, et aurait préféré pouvoir agir sans avoir toujours besoin de l’autorisation de Rollin. Mais les lois relatives à la liberté religieuse étaient telles, qu’il n’eût pu rester en France s’il ne s’était rattaché à une des Églises reconnues par l’État. Il eut cependant l’occasion d’assister, en 1819, à une réception de catéchumènes, et, chose curieuse, cette cérémonie dont le formalisme a été si souvent reproché à l’Église nationale par les Églises dissidentes, fit sur Charles Cook une très heureuse impression ; les exhortations de Rollin aux catéchumènes le touchèrent profondément : « J’aurais voulu que vous eussiez pu l’entendre, écrivait-il à des amis, et vous n’eussiez plus désespéré de la régénération morale de la France. » Il écrivit à plusieurs personnes la description de cette fête chrétienne dans des termes très sympathiques.
Il allait d’ailleurs faire plus ample connaissance avec l’Église réformée. Rollin désirant faire un voyage dans le Midi proposa à Cook de l’accompagner ; celui-ci demanda au Comité de Londres une autorisation qui lui fut aussitôt accordée, et c’est ainsi que fut résolu ce voyage qui devait avoir sur les destinées du méthodisme en France une si grande influenceg.
g – Ce fut à cette époque que Cook, comme Pyt et Bost de leur côté et au même moment, eut l’idée d’organiser le colportage.
Le 20 juillet 1819, Cook partit pour Montélimar, où Rollin l’avait précédé. Après un repos de quelques jours dans cette ville, les deux voyageurs se remettent en route et entreprennent une véritable tournée d’évangélisation.
Dès la première étape, à Orange, chez M. de Gasparin, Cook est mis en demeure de dissiper certains malentendus relatifs au méthodisme et de faire une profession de foi complète ; il expose les principes dogmatiques qui sont à la base de son enseignement et insiste sur la doctrine de la libre grâce de Dieu, qui en est un des traits distinctifs.
Avignon, Mérindol, Lourmarin, Aix, Marseille, Toulon, Hyères, Nîmes, reçoivent tour à tour la visite des deux pasteurs. Ils assistent, dans un village de la Gardonnenque, à Cardet, à une assemblée du désert, convoquée pour célébrer le retour du pasteur Bruguier, suspendu de ses fonctions depuis 1815, et dont la tête avait été deux fois mise à prix. Cook ne paraît pas avoir été très frappé de cette cérémonie, habitué qu’il était aux grandes assemblées en plein air, en Angleterre. « Le nombre des auditeurs, dit-il simplement, s’élevait à 5 ou 6000, et M. Bruguier fit un excellent discours sur l’amour que nous devons avoir pour nos ennemis. »
De Nîmes, il va à Montpellier, où il fait la connaissance de Lissignol dans une entrevue malheureusement trop courte, mais qui leur suffit à tous deux pour constater l’accord de leurs sentiments et de leurs vues. Comme Lissignol disait qu’il aurait besoin d’aides, Cook lui proposa de parler de son œuvre à la Société méthodiste et crut devoir lui apprendre quelle était sa manière de voir sur les cinq points (ce sont les cinq articles qui résument la doctrine arminienne relativement à la prédestination, à l’universalité de la rédemption, à la corruption de l’homme, à la régénération et à la persévérance finale), de peur qu’il ne regrettât plus tard, s’il était calviniste, d’avoir demandé un missionnaire wesleyen : « Vous prêchez, n’est-ce pas, répondit-il, la doctrine de la justification par la foi ? — Oui, dit Cook, nous le faisons avec autant de force et de clarté qu’aucune autre société religieuse. — Bien, reprit-il, c’est là pour moi le point fondamental, et quiconque est dans le vrai à cet égard, ne peut tomber dans de bien grandes erreurs sur d’autres points. Je serai bien aise d’être aidé par vos missionnaires. »
A Toulouse Chabrand, à Bordeaux les deux Martin, sont autant de collègues et d’amis chrétiens que Cook rencontre avec joie, et l’impression générale qu’il retire de cette première partie de son voyage, impression qu’il communique au Comité des Missions de Londres, est qu’un réveil a déjà commencé dans le Midi de France et qu’il y aurait une belle œuvre à accomplir pour deux prédicateurs wesleyens, « itinérants dans toute la force du terme, pouvant toutefois introduire facilement la discipline méthodiste… sans former de société distincte. »
Le voyage de retour (7 septembre) se fit à peu près par la même voie. A Montauban, on rencontra le pasteur Marzials, à Mazères Gachon, à Montpellier Lissignol, avec qui Cook put s’entretenir plus longuement qu’à sa première visite. Ensemble, ils se rendirent dans la Vaunage, passèrent à Sommières, Boissières, où ils virent le pieux pasteur Boissier et son suffragant Laget. De là, ils allèrent à Saint-Hippolyte ; Cook y passa trois jours et fut très intéressé par les entretiens qu’il eut avec les Moraves et par le culte qu’il célébra au milieu d’eux.
Le 18 septembre, il se rendit à Anduze (Lissignol était rentré à Montpellier) ; les pasteurs Bonifas et Soulier l’accueillirent fraternellement, lui firent présider plusieurs cultes, et, même après qu’il leur eût donné, dans un entretien particulier, des détails sur l’état religieux de l’Angleterre et sur le méthodisme, ils désirèrent qu’il les répétât dans une réunion d’amis convoquée le soir même, chez Soulier. Ce culte non officiel suscita aux trois pasteurs les plus grands ennuis ; le président du consistoire, qui n’avait pas été consulté, exprima son mécontentement, et on ne put tenir une seconde réunion semblable, comme on l’avait projeté. Cook resta quelques jours encore à Anduze, prêcha à Générargues, puis partit pour Nîmes, non sans emporter tous les remerciements et les souhaits chrétiens de Soulier et Bonifas.
A Nîmes, il entre en relations avec Samuel Vincent, « celui des pasteurs, dit-il, qui avait alors le plus d’influence dans le midi de la France. On m’avait dit qu’il était opposé aux doctrines évangéliques ; mais il paraît s’intéresser vivement à la formation d’une Société biblique que l’on doit organiser ici après les vendanges, et il m’a parlé comme un homme de beaucoup de bon sens et de piété. »
Il se lie aussi avec le collègue de Samuel Vincent, Tachard, « qu’il trouve tout à fait méthodiste dans ses vues, » et avec le président du consistoire, Ollivier. On lui offrit la chaire ; mais Rollin, qui était à ce moment-là fort malade, venant d’apprendre que la police avait fait demander des renseignements sur son compagnon de voyage, ne voulut pas lui permettre de prêcher et lui fit comprendre qu’il désirait ne pas le voir rester plus longtemps dans le Gard. Cook s’éloigna donc ; il alla dans la vallée de la Durance, à Lourmarin, la Motte-d’Aigues, Mérindol, Cavaillon, Avignon, enfin revint à Nîmes voir Rollin, dont l’état empirait, mais qui se rétablit bientôt après.
Enfin, après une nouvelle visite à Montpellier, à Montélimar, à Orange, Cook se mit en route pour la Normandie.
Ce voyage, si important pour l’évangélisation du Midi et qui marque la date précise de l’extension du méthodisme en France, avait mis Cook en relations avec les pasteurs les plus pieux de cette région ; « tous lui avaient souhaité la bienvenue, et trois centres d’évangélisation bien distincts s’étaient dessinés à son regard, savoir : Lourmarin et la vallée de la Durance, Montpellier et la Vaunage, Toulouse et Montauban avec sa Faculté de théologie. Ses rapports avec Samuel Vincent avaient été empreints d’une grande cordialité. Enfin, il avait pu faire connaître la Société qu’il représentait et établir une distinction marquée entre les méthodistes wesleyens et les méthodistes de Genève, qui avaient, comme les Haldane, accepté la doctrine de l’élection calviniste et poussaient quelquefois cette doctrine jusqu’à l’antinomianismeh. »
h – Vie de C. Cook, p. 86.
Cook passa les premiers mois de l’année suivante (1820) dans son champ de travail de la Normandie, en attendant la fin de son noviciat de quatre années. En juillet, il se rendit à Liverpool où il fut consacré par la Conférence ; il profita de cette occasion pour faire connaître à ses collègues l’œuvre d’évangélisation qu’il y avait à faire dans le midi de la Franco et pour renouveler la demande de missionnaires, demande qu’il avait déjà plusieurs fois présentée. Sur ses instances, on se décida à créer une station dans le midi, et à y envoyer celui qui avait exploré ces régions et les connaissait mieux qu’aucun membre du Comité : on lui laissa le choix de sa résidence.
Cook partit donc de Caen le 24 octobre 1820 ; il passa à Rouen, Paris, Orléans, Mer, Bourges, Lyon : de là il se rendit en Suisse, à Genève, Berne, Lausanne, Yverdon, Neufchâtel, Montmirail ; il y fit la connaissance des hommes du Réveil et de leur œuvre. Revenu en France, il s’arrêta à Grenoble où il retrouva Bonifas, puis à Mens, Tréminis, Menglass, la Mure, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Montélimar, et enfin Lourmarin. Son arrivée dans cette dernière localité fut une telle fête que le soir même la musique de la ville alla lui donner une sérénade, « ce dont, dit-il, je me serais bien passé. » Il y trouva des résultats réels et bien réjouissants de sa première visite, se mit alors à l’œuvre avec le pasteur Lourde, organisa des réunions de classe et prêcha par tout le pays.
Peu après, il reçoit un appel du pasteur de Nyons, Ducros, le priant de visiter sa paroisse alors agitée par des missionnaires catholiques. Il accepte, part, et un peu avant d’arriver à Nyons, apprend qu’on l’attend avec impatience et que tout le pays est en émoi ; le bruit s’était répandu qu’il allait arriver, non pas un, mais trois missionnaires, trois frères, formant le premier détachement d’un escadron de cinquante missionnaires anglais qui parcouraient la France. A mesure qu’il avance, l’enthousiasme grandit ; les personnes qu’il rencontre se retournent pour faire cortège au célèbre missionnaire ou le précéder et annoncer sa venue. Si l’on eût su à temps le moment de son entrée à Nyons, « le consistoire se serait fait l’honneur, lui dit Ducros, d’aller à sa rencontre. » Déjà les musiciens de la ville préparaient leurs instruments, pour aller, comme à Lourmarin, lui donner une sérénade ; il fallut que Ducros, sur la demande de Cook, les priât de n’en rien faire.
Heureusement tout ne se borna pas à ces démonstrations extérieures, et des impressions sérieuses résultèrent de cette visite à Nyons.
Cook fit une tournée semblable à Vinsobres et à La Motte-Chalançon, à la demande de ces Églises.
Quant à Lourmarin, il n’y resta que deux mois, pour « jeter l’ancre, » disait-il. Puis, il reprit ses courses, accompagna jusqu’à Saint-Antonin Lourde, qui venait d’y être nommé, traversa, en y allant, Nîmes, Marsillargues, Lunel, Montpellier, Lodève, Milhau, Rodez, prêchant dans toutes ces villes suivant son habitude. De Saint-Antonin, il se rendit à Mer pour assister à une assemblée de district. Dans cette réunion, on recommanda fortement à la Conférence l’envoi de quatre prédicateurs au moins dans le midi.
Mais la Conférence n’accéda pas à ce désir, et, tout en replaçant Charles Cook dans le midi, elle ne lui accorda aucun des trois collègues qu’il aurait voulu avoir.
Cook revint donc dans son champ de travail ; en passant à Montauban, il prêcha au temple des Carmes, et, comme le bruit courait que le pasteur Molines allait donner sa démission, un de ses collègues demanda à Cook s’il accepterait de lui succéder. Cook refusa, craignant de n’avoir pas une majorité dans le consistoire et d’exciter la jalousie en paraissant souhaiter d’aller dans une Église si importante.
Il prêcha encore à Toulouse, Puylaurens, Réalmont, Roquecourbe, Lacaune, le Pont de Camarès et Milhau.
Arrivé dans le Gard, il n’alla pas plus loin. Il ne voulut pas retourner à Lourmarin, et accepta, puisqu’il fallait se rattacher à un consistoire réformé, la suffragance du pasteur Valentin, qui desservait les villages de Caveirac, Boissières, Nages et Langlade. Cook comprenait que les tournées d’exploration proprement dite avaient pris fin, et qu’il lui devenait nécessaire, pour aboutir à des résultats positifs, de se fixer dans quelque point central d’où il pourrait annoncer l’Évangile dans un cercle plus restreint, mais avec une plus grande continuité.
En décembre, il participa à Nîmes à la consécration de deux pasteurs, MM. Lautat et Reclus. Le discours, prononcé par Samuel Vincent, contenait des attaques directes contre la Société continentale, attaques qui étaient un avertissement pour Cook et le méthodisme. Sans être à cette heure pris à partie, il pouvait se faire qu’ils le fussent dans une autre occasion ; — ce qui ne tarda pas d’ailleurs à arriver.
Toutefois, Cook entreprit avec courage cette nouvelle partie de son ministère. Fixé à Caveirac, soutenu par des subventions que lui donnaient, soit le pasteur titulaire, soit ses paroissiens, par conséquent occasionnant très peu de frais à la Conférence, il visita Aigues-Vives, Sommières, Vauvert, y donna des prédications, y organisa des Sociétés bibliques auxiliaires.
Mais l’autorité préfectorale s’émut de cette activité ; une circulaire demanda aux pasteurs officiels des renseignements sur ce mouvement. Toutes les réponses furent favorables aux « ministres étrangers. » A cette occasion Samuel Vincent fit paraître dans les Mélanges de religion (juillet 1822) un article qui devait être le prélude de toute une polémique sur laquelle nous aurons à revenir.
En 1822, l’Assemblée de district, tenue encore à Mer, enregistra huit membres de la Société dans le Midi de la France, soixante-trois pour la France entière, et les travaux de Cook étaient décrits comme se composant de neuf prédications par semaine, et de l’instruction religieuse à donner à plus de cent enfants dans deux villages. Cook fut délégué à la Conférence britannique et put obtenir cette fois, sur ses demandes réitérées, un collègue, le révérend W. O. Croggon.
En passant à Paris, ils assistèrent à la formation de la Société des Missions de Paris et à une séance du Comité de la Société des Traités ; Cook donna une prédication et fut tout heureux de se rencontrer avec les pasteurs, des diverses églises de la capitale à un véritable culte d’alliance évangélique.
Arrivé à Nîmes, Cook trouva une lettre l’engageant à se présenter au poste d’Aulas, alors vacant ; il refusa, préférant rester dans la Vaunage, et revint à Caveirac ; il y passa tout l’hiver, s’occupant beaucoup des catéchumènes, fondant à Nîmes une Société des Missions auxiliaire de celle de Paris, etc.
Son collègue Croggon, après avoir passé quelques mois à Montpellier pour y apprendre le français, était venu se fixer à Langlade, en février 1823. Tous deux fondèrent une école du dimanche et établirent le cycle régulier de leurs prédications : ce tableau comprenait les localités de Boissières, Codognan, Gallargues, Sommières, Caveirac, Mus, Vergèze, Marsillargues, Lunel, Calvisson, Nîmes, Langlade, Congénies et Milhaud.
Mais Croggon ne resta pas longtemps dans la Vaunage ; soit à cause de sa difficulté à apprendre le français, soit à cause de la direction de l’œuvre qu’il croyait être exclusivement méthodiste et qui, de fait, s’opérait dans des milieux et surtout dans des édifices réformés, il se découragea bientôt, et, profitant d’une absence de Cook qui était allé présider l’assemblée de district de Mer, il partit pour Jailleu, dans l’Isère, où une petite colonie d’Anglais avait réclamé ses services. De Jailleu, il visita Saint-Julien près de Saint-Etienne, puis Fourchambault où étaient aussi des Anglais, employés dans une fonderie ; enfin la Conférence le nomma au poste de Charenton, où il passa trois ans à évangéliser ses compatriotes, fort nombreux à cette époque dans cette localité.
Cook s’éloigna à son tour pour quelque temps de Caveirac, à la fin de l’année 1823, et partit pour la Palestine, envoyé par le Comité missionnaire de Londres, pour essayer d’y commencer une œuvre d’évangélisation ; il y resta jusqu’en février 1825. Le Comité des Missions aurait désiré qu’il s’y établît ; mais Cook montra toutes les difficultés d’une telle entreprise, témoigna un vif désir de rentrer en France, et le projet d’une mission en Palestine fut abandonné.
C’est à cette date que s’arrête la première partie, malheureusement la seule parue, de la biographie de Charles Cook. Dans la seconde période de sa vie, qui diffère de la première par plus de continuité dans les travaux entrepris, des résidences plus fixes, et pendant laquelle eut lieu son mariage avec la fille du pasteur Marzials, de Montauban, Cook continua à annoncer l’Évangile à Niort, à Paris, à Lausanne, et surtout dans le Midi, et contribua pour une bonne part au Réveil. Ce fut à Lausanne, en 1858, qu’il acheva sa course terrestre.
Mais si les détails sur l’ouvrier nous manquent, il n’en est pas de même pour l’œuvre. Dans la biographie d’un autre serviteur de Dieu, Jean-Louis Rostan, nous trouvons des renseignements précieux sur le développement du méthodisme français.
La figure de Rostan lui-même est singulièrement intéressantei. Disciple et successeur de Félix Neff, il est, pour ainsi dire, le trait d’union entre les évangélistes genevois et les missionnaires wesleyens. D’abord instituteur, puis colporteur, il entra en 1833 dans le ministère, sur les instances d’Henri de Jersey avec qui il avait été mis en relations. Il se rendit alors dans la Vaunage, prêcha l’Évangile dans ces stations dont nous avons déjà parlé, y trouva les résultats des travaux de Cook, ainsi que de ses collègues qui l’avaient secondé, de Jersey, Renier, Henri Martin et Lelièvre.
i – Voir Matth. Lelièvre, Vie de Jean-Louis Rostan. Paris, 1865.
Entre temps, il fit deux tournées dans les Cévennes, à Anduze, Tornac, Aspères, Sauve, Saint-Hippolyte, Cazilhac.
L’année suivante (1834), il se dirigea vers les Hautes-Alpes, fonda des classes à Freyssinières et à Vars et organisa le méthodisme dans ses chères vallées. Une nouvelle mission qu’il y fit d’octobre 1834 à mars 1835 fortifia l’œuvre commencée et procura à Rostan de précieux encouragements.
A son retour dans la Vaunage, il eut à subir une véritable persécution à Vauvert, persécution qui l’attendait aussi dans un nouveau champ de travail où il alla en novembre 1835, Tornac, Anduze, Mialet, Lézan.
La fin de l’année 1835 et le commencement de 1836 le retrouvent dans les Alpes.
En 1838 il se rend dans la Drôme, à Bourdeaux, où une œuvre de Réveil avait été commencée en 1830, puis continuée en 1833 par un agent de la Société continentale de Londres, M. Masson. Celui-ci, qui fut en butte à une persécution qui alla jusqu’à le traduire en justice, conseilla à ses paroissiens, en s’éloignant en 1836, d’appeler les wesleyens. On écouta ce conseil, et en 1837, M. Gallienne vint s’établir à Bourdeaux ; Rostan l’y visita et tous deux annoncèrent l’Évangile dans cette ville et dans plusieurs localités des environs, et affermirent l’œuvre méthodiste de la Drôme.
Après un séjour de trois ans en Suisse, Rostan va se fixer à Paris (1844) : il y reste cinq ans, puis revient dans le Midi, à Congénies (1849). Trois ans après a lieu un événement considérable, l’organisation de la Conférence française, tenue à Nîmes du 6 au 15 septembre 1852, sous la présidence de Charles Cook. L’œuvre fut partagée en deux districts, celui du Nord et celui du Midi ; Rostan fut élu président de ce dernier qui comprenait quatre grands circuits : la Vaunage, les Cévennes, la Drôme et les Alpesj.
j – Ajoutons que Rostan exerça encore son activité pendant sept ans, dans les Alpes, à Jersey et à Lisieux, et mourut en 1859.
A cette époque les wesleyens s’étaient établis dans huit départements, Seine, Pas-de-Calais, Calvados, Hérault, Gard, Hautes-Alpes, Drôme, Meuse ; ils y entretenaient, y compris deux stations dans la Suisse française, dix-neuf pasteurs, cent lieux de culte ; leurs Églises comptaient huit cent soixante-cinq membres admis, cinquante à soixante candidats, six mille auditeurs et mille enfants fréquentant les écoles du dimanchek.
k – Comple rendu de la conférence de l’Alliance évangélique à Londres, 1851, p. 52.
Ce rapide coup d’œil nous permet de mesurer le développement pris par le méthodisme pendant la première moitié de ce siècle. Au Nord comme au Midi, l’activité infatigable des missionnaires wesleyens a produit des résultats réels, et il devient dès lors moins étonnant qu’on ait identifié leur œuvre avec celle du Réveil tout entierl et qu’on ait fait de leur nom, voire même, dans certaines régions, du nom de Charles Cook, la désignation courante des âmes réveillées.
l – On a souvent, en effet, appliqué le terme de méthodisme à l’ensemble du mouvement du Réveil.
Quelle fut l’influence du méthodisme en France ?
Les Vues sur le protestantisme, de Samuel Vincent, contiennent un chapitre intitulé Méthodisme où les commencements du Réveil sont exposés et appréciés. L’auteur s’y montre plus sévère pour les prédicateurs genevois que pour les wesleyens. « Météores menaçants, dit-il des premiers, ils ont à peine fait luire quelques étincelles ; ils n’ont excité que la crainte ; ils ont passé comme un nuage sombre et n’ont laissé après eux qu’un peu de fumée. Soit par la nature de leur doctrine, soit par la supériorité de leurs lumières, soit par leur caractère personnel, les missionnaires wesleyens ont montré beaucoup plus de prudence, beaucoup plus de modération, et, s’il faut le dire, beaucoup plus d’adresse. Ils ont évité, avec beaucoup plus de soin, tout ce qui pouvait heurter et blesser les pasteurs. Ils ont mis plus de persévérance et plus de patience à se justifier, à se faire connaître, à dissiper les préjugés que l’on pouvait avoir contre eux, à profiter de toutes les circonstances favorables qui pouvaient s’offrir à leur zèle. Ils ont éprouvé moins de résistance. Aussi, les résultats de leurs travaux ont-ils eu plus de consistance et présagent-ils plus de durée. »
Pages 460-461 de la seconde édition (1859). — « L’apparition à Nismes, dit M. Borrel, des prédicateurs anglais appartenant à la Société méthodiste wesleyenne remonte à 1821. Ils furent accueillis, à cette époque, comme des frères en Jésus-Christ ; arrivant d’un pays où les études théologiques sont si profondes, l’esprit d’association si général, le zèle si actif, et la piété si éclairée, ils apportaient des lumières et l’exemple d’une vie chrétienne dans une église si longtemps malheureuse, et qui jouissait pour la première fois d’une liberté entière de conscience et de culte. Les chaires leur furent donc ouvertes, et ils en profitèrent pour proclamer la doctrine si sanctifiante du salut par la foi en Jésus-Christ » (Borrel, Notice sur l’Église réformée de Nîmes, 1837, p. 166).
Suivent quelques réserves sur la théologie des wesleyens et sur leurs méthodes d’évangélisation ; mais bornons-nous à ce témoignage sur l’influence du méthodisme, témoignage venant d’un homme qui n’est pas suspect de partialité ; aussi bien n’y a-t-il rien à y ajouter.
Tant que le méthodisme s’est conformé à son programme primitif, tant que ses prédicateurs n’ont voulu être que des missionnaires, que des pionniers, leur œuvre a été bénie et prospère.
Ainsi le comprenait Charles Cook, quand il écrivait de Bordeaux, en 1819, la lettre dont nous avons cité quelques phrases, et qui contient encore cette déclaration : « Si vous ne les aidez pas (les pasteurs pieux), il est à craindre que cette œuvre (le Réveil) ne dégénère en mysticisme ou en calvinisme. Si vous les aidez, vous ne formerez pas, il est vrai, de Société distincte ; mais (ce que je sais être infiniment préférable à votre avis) vous amènerez à Christ des âmes qui seront la couronne de votre joie, lorsque le Seigneur apparaîtra. »
A son retour de ce voyage, il résume ainsi ses impressions : « Le seul moyen par lequel nous puissions arriver à raviver et à répandre la vraie religion parmi les protestants, me paraît être de parcourir le pays comme le faisaient autrefois M. Wesley et les premiers prédicateurs méthodistes en Angleterre. Nos prédicateurs en France ont agi jusqu’ici comme pasteurs, et ont été ainsi placés sous le boisseau, dans un coin, où ils ont pu faire du bien et en ont certainement fait, mais beaucoup moins que s’ils avaient évangélisé de lieu en lieu. Six missionnaires, répartis en trois districts, savoir : deux dans le voisinage d’Avignon, deux à Montpellier et deux à Toulouse, mettraient (par la bénédiction divine) le feu au midi de la France, pourvu toutefois qu’au lieu de rester toujours au même endroit, ils évangélisassent régulièrement de lieu en lieu… Il y aurait sans doute de grandes difficultés ; mais si nous voyagions, les découragements ne nous atteindraient pas ; nous ne resterions pas assez longtemps dans un même endroit pour en être rendus malades ; nous fortifierions les bras des pasteurs fidèles, et nous établirions des rapports entre ceux qui sont maintenant isolés les uns des autres. Des prédicateurs voyageant ainsi seraient plus indépendants que je ne l’ai été jusqu’ici en Normandiem. »
m – Vie de C. Cook, p. 86.
Cependant, quatre ans plus tard, en 1823, on avait commencé à enregistrer et à compter les membres des sociétés méthodistes. Samuel Vincent le signale dans un article des Mélanges de religion qu’il consacre au méthodisme. Il y voit un commencement de dissidence, un désir de créer une secte nouvelle. Cook proteste aussitôt dans une lettre datée du 8 octobre 1823 et rendue publique ; il déclare formellement que son but et celui de ses collègues n’est pas de fonder une Église : « Non, notre dessein n’est pas de former une Église méthodiste dans le sein des Églises réformées, et ce n’est point comme simple particulier que je vous fais cette déclaration publique ; par la voix de votre journal, c’est comme représentant de la Société wesleyenne… Nous ne cherchons point à diviser les Églises réformées ; nos efforts ont constamment eu pour but de vivifier la masse entière de ces Églises. Nous sommes persuadés, comme vous, qu’il vaut mieux travailler dans l’Église protestante, que d’en faire une autre, et nous serions plus contents de voir quinze cent mille protestants devenir chrétiens au fond de l’âme et fortement unis pan ce sentiment commun, que de voir multiplier les noms qui séparent les chrétiens entre eux. »
Il n’est pas possible d’être plus catégorique. Malheureusement on ne s’en tint pas à ces déclarations et à ce plan. Peu à peu, les réunions d’expérience, les classes devinrent de véritables églises, et, en 1857 et 1858, nous trouvons, dans les colonnes de l’Espérance et de l’Evangéliste, toute une polémique, dirigée du côté réformé par M. Arbousse-Bastide, du côté wesleyen par MM. Cook et Jaulmes. « Qu’ai-je voulu démontrer ? disait dans une de ses lettres M. Bastide : que vous aviez vos troupeaux, vos autels, vos sacrements, vos écoles, vos consécrations, votre pastorat, c’est-à-dire votre Église à vous. C’est ce que vous proclamez, c’est ce que vous soulignez. Vous posez en présence les réformés et les wesleyens. Nous, nous sommes à vos yeux les agents du gouvernement ; c’est de l’État que nous tenons notre vocation comme notre salaire ; vous, vous la tenez de Dieu…, etc.n. » Il y a donc une Église méthodiste.
n – L’Espérance, 27 novembre 1857.
Mais pourquoi et comment s’est-elle fondée ? Pourquoi a-t-on abandonné le programme de 1823 ? A cela, M. Paul Cook répond : « Si nos Sociétés sont devenues des Églises dans quelques localités, ce fait n’est nullement en contradiction avec la déclaration de mon père, car dans presque tous les cas, il est dû à des circonstances tout à fait indépendantes du dessein de nos pasteurs. En général, nous n’avons formé d’Églises que là où nous avons été repoussés de l’Église nationale (ce qui nous est souvent arrivé en France, comme autrefois à Wesley, en Angleterre), ou bien dans le cas où, de leur côté, les membres de nos Sociétés n’ont plus voulu du ministère officiel. Dans aucun de ces cas, on ne peut nous accuser d’avoir changé de desseins ni de principes ; nous avons simplement cédé à la force des choseso. »
o – L’Espérance, 26 mars 1858.
Mais alors on pourrait se demander comment il s’est fait que les Églises wesleyennes se soient établies à côté des Églises réformées vivantes, au lieu de se fonder dans des milieux rationalistes ou indifférents. « Si vous connaissez, écrivait M. Bastide, dans nos Églises, de ces pasteurs qui estiment comme médiocrement important le dogme de la justification par la foi, allez dans leurs paroisses, proclamez la bonne nouvelle, secouez la poussière des Bibles, alarmez les consciences, ressuscitez les morts et les gardeurs de morts ; je vous suivrai, dans cette mission, de ma sympathie et de mes prièresp. »
p – L’Espérance, 27 novembre 1857. Voir un article analogue de Fréd. Monod dans les Archives du Christianisme, 14 janvier 1854 ; d’ailleurs, dès 1841, nous trouvons dans le même journal des articles polémiques dirigés contre le méthodisme. Voir aussi Gazette évangélique de Genève, 1833-1834.
Tel avait été le dessein primitif du méthodisme français et c’est dans cette première partie de son histoire, qu’il avait recueilli ses plus grandes bénédictions. Certes, les difficultés ne lui avaient pas manqué ; l’Église réformée de 1823 était loin de valoir celle de 1857, et pourtant ni persécutions, ni luttes, ni controverses n’avaient découragé l’ardeur conquérante des wesleyens.
Au fond, ce qui les a poussés à établir une Église, c’est moins la force des choses, comme disait M. Paul Cook, que le vent de dissidence qui a soufflé sur la France vers 1848 et qui a amené la fondation de l’Union des Églises libres.
Il est alors permis de se demander si les wesleyens ne se sont pas mis souvent eux-mêmes sous le boisseau, pour employer l’expression de Charles Cook, et si, tout compte fait, cette attitude nouvelle n’a pas nui au succès de leur œuvre.
Si l’on jette en effet un coup d’œil sur la situation du méthodisme en 1851, sur son extension si rapide depuis 1819, sur ses fruits si authentiques, et qu’on compare sa situation actuelle, on contestera difficilement que si cette Église n’est pas restée stationnaire, du moins ses progrès ne se soient considérablement ralentis.