La réplique du père Abraham : « ils ont Moïse et les prophètes », riche de tout ce que nous avons essayé d’en dégager dans les pages précédentes n’a pas convaincu son interlocuteur, Cela ne doit pas nous surprendre, compte tenu du fait que tant de sages, d’intelligents, aujourd’hui encore, ne s’avouent pas battus sur le plan de leurs objections à la foi biblique.
A la manière du riche, on est tenté de surenchérir : « Si quelqu’un des morts va vers eux, ils se repentiront ».
La réponse d’Abraham à cette suggestion met en lumière un fait surprenant.
La difficulté essentielle ne réside pas dans le fait de rendre manifeste à des vivants la résurrection d’un mort, mais bien de réussir, par ce moyen à les amener à se repentir : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, quand même quelqu’un des morts ressusciterait ».
Père Abraham, vous avez raison.
Deux mille ans après la résurrection, la réalité présente vous donne deux mille fois raison.
Jusqu’à maintenant, nous avons situé l’Evangile de la mort et de la résurrection du Christ par rapport au plan général de Dieu, selon Moïse et les prophètes. Il est temps de l’envisager par rapport à notre situation d’homme. Le doute nous est naturel. Nous avons peine à croire, parce que nous avons peine à comprendre, et peut-être à accepter Cette peine éclate à propos du mystère du Christ dans sa relation avec Dieu et avec l’homme, son prochain. Mais là, il faut céder la plume à Gilbert Cesbron 1.
1 Fêtes et Saisons : le chemin d’Emmaüs.
« Au soir du Jeudi saint, à l’heure de son arrestation, n’aurions-nous pas préféré que Jésus se fût, une fois de plus, dérobé à ses ennemis ? Si, devant ces voyous et ces brutes, avec leurs lanternes, leurs torches et leurs armes, il s’était élevé au ciel !… S’il l’avait fait devant ces grands-prêtres chamarrés qui, de rage, eussent déchiré leurs vêtements ! Ou devant Pilate et ses miliciens de fer et de cuir ! Cette fois-ci, César en aurait entendu parler ! Les dieux de l’empire romain auraient été effacés par ce prodigieux météore !…
» Ainsi rêve l’enfant qui demeure en nous. Mais l’enfant — c’est sa définition — ignore encore le mystère du Mal, qui est aux dimensions de la Création elle-même. Nous sommes enfermés à vie dans cette contradiction qui nous crucifie et qui éloigne tant d’hommes de notre Dieu. Comment, s’il est toute Puissance, permet-il le mal ? Comment, s’il est tout Amour, permet-il la souffrance ? La mort d’un enfant fait vaciller le Dieu des chrétiens…
» Le « péché originel » ? — Nous ne faisons que le pressentir : pressentir le duel immense qui se déroulera jusqu’à la fin des temps entre l’Amour et le non-Amour, lequel se nomme Orgueil.
» Dieu est Amour. Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? Sa gloire, c’est seulement de nous arracher au mal pour l’éternité. C’est le jour où l’Amour s’est montré aussi fou que l’Orgueil que nous avons été rachetés. »
Or, ce serait ignorer la dureté du cœur de l’homme et l’épaisseur de son incrédulité si nous pensions que l’événement de Golgotha, même ainsi mis à notre portée par la sainte Cène, puisse l’émouvoir à salut. Un moment étonné, peut-être même obligé de se poser certaines questions, l’homme fait bien vite remarquer que ce qui s’est passé à la croix entre Dieu et Jésus nous reste « étranger », sans prolongements durables avec notre histoire humaine. Comme si la passion du Christ se situait ailleurs qu’en notre monde, dans une histoire sans rapport avec la nôtre.
Le fait est que Jean Rostand n’a pas vu de relation entre « son angoisse d’avoir à mourir dans l’ignorance de ce qu’est la mort » et la passion de Jésus-Christ. Jacques Monod a vraisemblablement connu l’Evangile. « Le hasard et la nécessité » ont rencontré plus d’écho en sa grande intelligence que le « tout est accompli ».
Combien sont-ils qui, une fois ou l’autre, ont plongé leurs regards dans l’Ecriture. A lire ou à entendre ce qu’ils en ont retenu, on peut légitimement se demander s’ils n’utilisent pas, pour considérer le Christ, les jumelles de leurs idées préconçues. Tournées à l’envers. elles le leur font voir petit, petit, faible, consterné de l’échec de son entreprise sur la croix, désespéré de se voir abandonné de Dieu lui-même. Ou alors, avec des grossissements variables, ils ont de Jésus une vision démesurée : grand meneur, grand prophète de la révolution et du progrès, nouveau Prométhée, précurseur de Che Guevara et de tous ceux qui, à son exemple et dans nos cinq continents, chacun à sa manière, au prix de sa vie, travaillent à établir un ordre, de gauche ou de droite, prétendument nouveau.
En fait, de Bethléem à Golgotha, qui est Jésus de Nazareth. « grandeur nature » ? Fils de Dieu, Seigneur du ciel et Roi de la terre, comme le dit le psaume 47. Jésus vient en ce monde dans une volonté de totale soumission à Dieu. Mais « il y entre comme un subversif, comme celui qui est contre, absolument CONTRE » 2. En effet, il y vient en juge de la sagesse et de l’orgueilleuse science humaine. Il y vient en contestataire de l’« ordre établi ». Car quel qu’il soit, cet ordre sera toujours marqué par la domination de l’erreur, de l’injustice, de l’oppression, de la souffrance et de la mort. L’homme sera toujours « aliéné », dominé par des puissances intérieures et extérieures à lui-même.
2 La Contre-Réforme catholique au XXe siècle, cahier n° 70.
Le ministère terrestre du Christ manifestait déjà que la condition d’homme pouvait être vécue autrement que sous la contrainte d’un asservissement au mal et à la mort. Mais sa résurrection fera s’écrouler tous les « murs infranchissables », tous les « obstacles absolus », tandis que « la possibilité de tous les possibles fait à nouveau battre le cœur » 3.
3 V. Jankelevitch, « La mort » (Flammarion).
Il serait plus vrai de dire « certains cœurs ». Car le fait que le Christ soit ressuscité est aussi difficilement recevable que ne l’était celui de la nécessité de la croix. Même au disciple Thomas, cela paraissait incroyable 4. Et la race des Thomas n’est pas éteinte. Loin de là.
Au siècle dernier déjà, ce fait historique de la résurrection était passé au tamis d’une science critique, régie par un principe majeur : « l’impossibilité déclarée absolue de toute exception aux lois de la nature ». C’était cette époque où, sincèrement, on croyait que l’esprit scientifique était la clef permettant de déchiffrer le mystère de l’univers. Tout ce qui touchait au miracle était dénoncé comme une imposture où une légende. Les récits relatifs à la résurrection du Christ étaient soumis aux mêmes critères. Ce qui n’allait pas sans problèmes. Il était difficile de tenir l’ensemble des textes du Nouveau Testament pour des documents dignes d’une entière confiance et, du mème coup. de qualifier les Matthieu. Marc. Luc, Jean. Pierre et Paul de témoins, accidentellement ou intentionnellement mensongers pour toute la part de leurs écrits relatifs des faits surnaturels. Il arriva ce qui devait arriver : La « critique rationaliste » vit bientôt se retourner contre elle les armes qu’elle utilisait contre l’autorité des Ecritures.
Mais. tel le parasite qui vit de la sève l’arbre sur lequel il s’est branché, le rationalisme, douteur jusqu’à l’athéisme, a continué à faire de la théologie. Sous diverses étiquettes, il a trouvé aujourd’hui une nouvelle astuce pour donner raison à son incrédulité, sans avoir l’air de contredire le témoignage des apôtres. Cette panacée porte un nom savant : l’herméneutique.
Il s’agit en fait d’une science de toujours : l’interprétation des textes.
Dans l’interprétation prônée aujourd’hui, ce n’est plus le témoignage des apôtres qui est mis en question. Non, on « sauvegarde leur honorabilité » 5. On s’interdit d’en faire des hallucinés ou des mythomanes. On admet qu’ils soient de fidèles narrateurs. Seulement — toute l’explication est là — ils ont été victimes de leur inculture !
5 La Contre-Réforme catholique au XXe siècle, cahier n° 71.
A Pâques, certes, ils ont fait une expérience « religieuse », « mystique », « christique », « existentielle » (c’est le grand mot de ce nouvel espéranto religieux universel !), mais cette expérience était d’un ordre si personnel, si intime, si subjectif, si « inexprimable » 6, que sa traduction en langage ordinaire était inévitablement erronée. Elle avait comme principal handicap « un monde socio-culturel qui n’est plus le nôtre ». Pour tout dire, eux, les apôtres auteurs des évangiles et des épîtres, et, dans la même foulée, nous, leurs candides lecteurs, nous avons besoin du décapant de l’herméneutique. Seul ce produit miracle « qui découvre sous les mots autre chose que ce qu’ils disent », est capable de « déniaiser » notre simplisme spirituel. Seul il est capable de retraduire la réalité pascale en la purgeant des compréhensions infantiles qu’une exégèse regrettablement primaire aurait sottement conservées jusqu’à ce jour ! On pense à cette page du journal de Mauriac 7 :
6 Y.-L. Dufour : Résurrection de Jésus et message pascal (Le Seuil).
7 François Mauriac : Journal II, Grasset. p. 228.
« Si le Seigneur n’était sorti vivant du tombeau, si Marie ne l’avait reconnu dans le jardin, s’il ne s’était manifesté à Céphas, s’il n’avait marché au crépuscule sur une route avec deux disciples jusqu’à cette auberge où il entendit la parole la plus douce que l’Humanité lui ait jamais adressée : « Reste avec nous car le jour baisse… », si Thomas n’avait mis les doigts dans les plaies qui ne saignaient plus, si le Christ, enfin, ne s’était manifesté à plus de cinq cents frères dont la plupart vivaient encore lorsque Paul écrivit sa première lettre aux Corinthiens, et si Paul, lui-même, n’avait pas été ébloui et terrassé au tournant d’un chemin, moins par une lumière aveuglante que par l’intolérable douceur de ce nom : « Je suis Jésus que tu persécutes », si toute cette histoire n’était pas l’Histoire, nous ne serions pas, ce matin, une foule innombrable autour de ce tombeau vide où repose notre espérance.
» Et c’est justement parce qu’il n’existe pas à nos yeux de fait plus certain, plus attesté que la Résurrection, qu’il nous répugne d’y chercher un symbole, comme font les hommes de peu de foi, aux yeux desquels les choses ne se sont jamais passées telles que le rapportent les témoins. »
En bref : miracles rapportés par les évangiles, résurrection du Christ. régénération des croyants, baptême de l’Esprit, vie surnaturelle de l’Eglise, seraient autant d’événements déformés par le langage de l’Ecriture !
Ces mêmes doctes personnages qui savent si bien suspecter le langage des disciples, pourtant témoins oculaires des événements rapportés, n’ont aucun scrupule à nous assurer que leur langage à eux est le véritable. Mais oui ! Deux mille ans après, en contradiction avec ce que les évangiles ont toujours dit et ce que l’Eglise fidèle a toujours entendu, eux seraient arrivés à exprimer ce que les apôtres avaient essayé en vain de nous dire et que jusqu’ici nous n’avions jamais compris.
Comme le dit un certain langage populaire : il faut le faire !
A ces James Bond de l’Ecriture sainte, persuadés que tout message est à décoder, que tout texte est à déchiffrer, nous objectons que la Parole de Dieu — du Dieu qui nous aime — est autre chose qu’un bafouillage ou un cryptogramme. Elle nous appelle et ne nous abuse pas ; elle nous parle et ne nous trompe pas. Elle est un flambeau qui guide nos pas. Une lumière sur notre sentier 8. Et l’Ecclésiaste précise :
8 Psaumes 119.105.
« Dieu a créé l’homme droit ; ce sont les hommes qui ont cherché toutes sortes de détours. » 9
9 Eccl. 7.29.
En effet, ce serait si simple d’entendre et de nous laisser persuader ! Rien n’est plus droit que les Ecritures :
« Jésus est ressuscité ! » Tel est le cri de Marie de Magdala, de Jeanne et de Marie. Elles courent rapporter aux disciples l’extraordinaire rencontre qu’elles viennent de faire au jardin d’Arimathée. Ce que ces onze hommes viennent de vivre à Vendredi Saint ne les prédisposent pas particulièrement à tenir pour vraie une telle nouvelle. Luc, le médecin, ne nous le cache pas : « Ces propos leur semblèrent du radotage et ils ne les crurent pas. » 10
10 Luc 24.11.
Ce même premier jour de la semaine, le cœur brûlant à cause de la scène (cène serait aussi juste) qu’ils viennent de vivre dans l’auberge d’Emmaüs, Cléopas et son compagnon se hâtent de parcourir en sens inverse la route sur laquelle Jésus en personne vient de parler et de marcher si longtemps avec eux. Coûte que coûte, il faut que les autres sachent.
« Deux heures de route ! Mais plus ils approchent du lieu où ils vont trouver les onze, et plus ils marchent vite ! Ils ne parcourent pas les derniers mètres, ils les courent : quand on porte une pareille nouvelle, c’est elle qui vous porte. » 11
11 Fêtes et Saisons : Le chemin d’Emmaüs (Gilbert Cesbron).
A l’heure tardive où ils rejoignent Jérusalem, ils trouvent les onze sous le coup de la nouvelle de la résurrection du Seigneur, confirmée par Pierre.
« Quelle explosion de mémoire dans ces onze têtes dures. Tant de gestes, tant de paroles de ces trois dernières années s’éclairaient brusquement pour eux ! Comme toutes ces petites lueurs qui s’allument une à une et, dans la nuit, on reconnait au loin la forme d’une ville. Comme les étoiles, une à une, et voici qu’une constellation gigantesque prend forme à nos yeux… » 11
Et voici que, de manière inattendue, Jésus, bien vivant, se présente au milieu d’eux. Il leur parle : « La paix soit avec vous ». Il leur montre ses mains et son côté. La scène se renouvelle huit jours plus tard, dans le même lieu. Elle sera l’occasion de dire à Thomas : « Ne sois pas incrédule, mais crois ».
Puis, c’est Pierre prenant la parole devant des milliers de personnes assemblées à Jérusalem pour Pentecôte. Accompagné des autres apôtres, il atteste que Jésus est ressuscité. Et parce qu’il s’adresse à des Juifs, il souligne l’authenticité de l’événement en leur rappelant — autre preuve de la matérialité de ce miracle — la parole du psaume 16 :
« Tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption. »
Par la suite, Paul l’apôtre dit ce qu’a vécu l’Eglise naissante. Ce qu’il communique n’est pas difficile à entendre :
« Il est apparu à plus de cinq cents de ses disciples, puis à Jacques, puis à nouveau à tous les apôtres, puis à moi. » 12
Eh ! oui. Christ est ressuscité !
Cette vision à l’œil nu n’est pas apparue suffisante et convaincante à nombre d’« évangélisateurs » d’aujourd’hui. Ils ont la pensée qu’un certain nombre d’hommes de ce temps ont une vue déformée de la réalité. Mais plutôt que de s’employer à guérir les yeux de leurs contemporains, ils ont cru plus utile de changer l’éclairage. Ils veulent présenter le Christ vivant de manière acceptable aux espoirs scientifiques éblouis par les performances du bistouri, du microscope électronique où de l’ordinateur spatial.
Ils ont les mêmes scrupules envers les innombrables admirateurs de Marx ou de Mao, allergiques à tout ce qui semble irrationnel. En bref, ils essaient de rendre l’Evangile de la mort et de la résurrection du Christ crédible à l’homme du XXe siècle.
Que voilà une généreuse intention ! Elle rappelle la situation déjà évoquée de ces cancéreux au dernier stade de la maladie. On leur promet la guérison « pour rendre supportable les derniers jours qu’ils ont à vivre… ». Ainsi on aménage, on édulcore, on économise ce que la vérité aurait de traumatisant pour l’intelligence des intelligents. Au nom d’un préjugé aussi arbitraire qu’injurieux (injurieux pour les lecteurs autant que pour les écrivains sacrés. pour les auditeurs autant que pour les apôtres, considérés les uns et les autres comme des irresponsables), faute d’avoir pu bâillonner les témoins avant qu’ils ne déposent, on met leur témoignage sous embargo. Où plus exactement sous tutelle. On assimile leurs dépositions à celles d’enfants mineurs dont il convient de recevoir les affirmations « sous toutes réserves » et dont on s’emploiera à donner une version « officielle », recevable, et pour tout dire adulte !
Qu’on ne vienne pas se réclamer de la douceur et de la charité demandées par l’apôtre 13, pour justifier ce bricolage des textes et ce souci d’éclairage. L’Esprit Saint ne le cède à personne en douceur et en charité. Or, à l’Eglise de la fin de ce siècle, il ne commande pas un « son et lumière » pour rendre acceptable l’Ecriture du salut. Il dit à l’homme encore dans la nuit : « Tu ne sais pas que tu es misérable, pauvre et aveugle. Je te conseille d’acheter un collyre pour oindre tes yeux afin que tu voies. » 14
13 2 Timothée 2.25.
En effet, sur quels résultats concrets ce tour de passe-passe nous fait-il déboucher ? C’est, hélas, visible dans tous les milieux où s’exercent ces menées. Non seulement la résurrection est un leurre pour beaucoup de gens, mais leur foi elle-même est ainsi vidée de son contenu et coupée à sa base.
Ce qui a fait de l’Evangile une révélation unique au monde et non pas une religion, c’est précisément que nous y découvrons un Dieu non pas absent, inconnaissable, impassible, « distant comme un Bouddha », mais — par les patriarches et les prophètes, les prêtres et les bergers d’Israël, et finalement par Jésus-Christ lui-même —, un Dieu qui entre dans notre histoire et y inscrit « les miracles qui fondent et illustrent sa révélation ».
Or, à en croire l’herméneutique, c’est l’homme qui « affabule » des miracles, faute de savoir rendre compte par d’autres moyens de son expérience mystique !
La ficelle est un peu grosse et on voit qui l’a tendue. Car, au terme de cette démonstration de science prétendument théologique, il ne reste rien de la révélation, rien de l’Ecriture qui en témoigne. Il ne reste même rien de l’existence du Christ ressuscité, par conséquent rien de notre propre résurrection et de celle d’une création appelée un jour à la transfiguration. Il reste l’homme, sa science incertaine, sa sagesse un peu folle, son expérience religieuse contestable, l’homme tout seul. Mais quel homme ? Un homme mortel, qui va peut-être mourir demain, et qui a l’outrecuidance de décider ce qu’il va permettre à Dieu de faire ou de ne pas faire. En l’espace d’un instant, Dieu pourrait lui ôter la parole, lui faire tomber la plume des mains, lui retirer toute intelligence, le priver de son souffle ! Et dans ce même instant, l’homme décide d’interpréter à son gré, et selon sa convenance, la Parole et les informations que Dieu lui fait tenir par la résurrection de son Fils.
Constatons-le ! Une fois de plus et comme toujours tel est l’orgueil humain et la capacité d’endurcissement du cœur et de l’intelligence. On préfère se livrer à mille et une subtilités dites intellectuelles et spirituelles plutôt que d’avoir à donner raison à Dieu. Bref, ce que l’homme refuse, c’est d’avoir à se repentir.
On encombre le terrain par des démonstrations sur Dieu, pour éviter qu’il ne révèle son dessein.
On occupe la tribune avec des exposés savants sur Dieu, pour l’empêcher de prendre la Parole et de se faire entendre.
Les pharisiens et les scribes du temps de Jésus ne faisaient pas autre chose : ils étaient arrivés à truster tous les secteurs de la vie religieuse, s’arrogeant une exclusivité de fait sur tout le temple et sur ses à-côtés, se prétendant même — et contre le Christ — défenseurs de prérogatives officielles quant à l’application de la Loi et à l’explication des Prophètes ! Au bout de trois ans de patiente contestation, c’est à coup de corde que le Christ les en chassera !
Se repentir !
Dans le langage de l’Ecriture, ce verbe a un sens précis. Se repentir, c’est reconnaître l’infirmité naturelle de notre entendement, l’obscurcissement de notre intelligence, suite à la rupture originelle de notre communion avec Dieu. C’est du même coup laisser Dieu, par Jésus-Christ, intervenir en nos vies pour y régénérer fondamentalement notre cœur et notre esprit. C’est aussi recevoir de ce Seigneur, mort et ressuscité, comme le sarment le reçoit du cep, une capacité nouvelle, dont la force essentielle est précisément la foi. L’enfant comme le vieillard peuvent en être animés. Le simple comme le savant sont conviés à en vivre. C’est par la foi que les actes de Dieu en Jésus-Christ, tels que nous les transmet, l’Ecriture, sont alors saisis par l’homme, avec leur sens profond, leurs conséquences temporelles et éternelles.
Mais la repentance elle-même est un miracle ! Un cadeau de grâce. Les regrets sincères, les constats navrés de notre infirmité, de notre méchanceté et de ses conséquences, ne peuvent produire qu’une tristesse stérile.
C’est pourquoi, à suivre le Christ des Ecritures, le simple comme l’intelligent — qu’il s’appelle Jacques ou qu’il s’appelle Jean — est conduit jusqu’à la croix. Dieu lui-même l’y attend pour lui faire découvrir la faillite de ses prétentions. la dérision de son être et de son avoir, de son savoir et de son pouvoir, et lui révéler que cette situation désespérée n’a d’autre issue que l’intervention miraculeuse de son pardon.
Aussi, dans un tel contexte, n’est-il pas difficile de comprendre la violence des propos de l’apôtre Paul :
« Dieu manifeste sa colère, du haut du ciel, aux hommes impies qui, par leur perversité, étouffent la vérité et la retiennent captive de leur méchanceté. En effet, nul n’est dépourvu de la notion du vrai Dieu. Tous les hommes ont une connaissance innée de lui, lui-même l’ayant placée avec netteté dans leur cœur.
» Depuis la création, les œuvres de Dieu parlent de ses perfections invisibles à la pensée et à la conscience des hommes : quiconque sait regarder, peut y discerner clairement sa divinité et sa puissance. Aussi, depuis les temps anciens, les hommes qui ont sous les yeux la terre et le ciel et tout ce que Dieu a créé, ont connu son existence et son pouvoir éternel. Ils n’ont donc aucune excuse de dire qu’ils ne savent pas s’il y a un Dieu. Ils ont eu conscience de Dieu, ils ont su qu’il existait, mais ils ont refusé de l’adorer — lui, le seul digne d’adoration — ou même de le remercier pour ses dons.
» Alors, ils se sont perdus dans des raisonnements insensés et des spéculations fertiles ; à force de sonder le néant et de discuter dans le vide, leur pensée s’est égarée, leur intelligence s’est dégradée, leur esprit borné est devenu la proie des ténèbres. Plus ils se prétendent intelligents, plus ils s’enfoncent dans leur folie. » 15
15 Romains 1.18-22, selon la trad. A. Kuen « Lettres pour notre temps ».
En termes plus précis encore, il écrit aux Corinthiens :
« Si la résurrection du Christ constitue l’essence même de notre prédication, comment quelques-uns parmi vous peuvent-ils prétendre qu’il n’existe pas de résurrection des morts ?
» S’il n’y a pas de résurrection des morts, alors le Christ lui-même n’est pas ressuscité. Mais si le Christ n’est pas ressuscité, toute notre prédication devient sans objet, l’Evangile n’est plus alors que le produit d’une imagination qui tourne à vide et ne rime à rien. Dans ce cas, nous n’avons plus rien à proclamer et vous, plus rien à croire : votre foi s’écroule, parce qu’elle n’a plus aucun fonde- ment sur lequel s’appuyer.
» Si les morts ne ressuscitent pas, nous serions même des faux témoins démentis par Dieu, puisqu’en attestant qu’il a ressuscité Christ d’entre les morts, nous nous mettrions en contradiction avec ce qu’il aurait fait en réalité. Car enfin, si les morts ne peuvent jamais revivre, Christ n’est pas non plus revenu à la vie.
» Et si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est une illusion creuse et vaine. » 16
16 1 Corinthiens 15.12-17, A. Kuen « Lettres pour notre temps ».
Laissons le mot de la fin à Jehan Rictus. Après tout ce que nous avons écrit et que vous avez lu, sa rude invective a ceci de salutaire qu’elle nous interpelle sur ce que nous avons fait du sacrifice de Jésus-Christ, ou ce que nous admettons d’en faire à l’avenir :
« Je m’dis : — Tout d’même, si qu’y r’viendrait !
Qui ça ? Ben quoi ! Vous savez bien,
Eul’l’trimardeur galiléen,
L’Rouquin au cœur plus grand qu’la Vie !» Si qu’y r’viendrait, l’Agneau sans tache :
Si qu’y r’viendrait, l’Bâtard de l’ange ?
C’lui qui plus tard s’fit accrocher
A trent’trois berg’s, en plein’jeunesse.» Si qu’y r’viendrait ! Si qu’y r’viendrait,
L’Homm’ Dieu qui marchait su’la mer
Et qu’était la Foi en balade !
Si qu’y r’viendrait juste ed’not’temps
Quoi donc qu’y s’mettrait dans l’battant ?
Ah ! lui, dont à présent on s’fout
(Surtout les ceuss qui dis’nt qu’ils l’aiment),
P’têt’ben qu’y n’aurait qu’du dégoût
Pour c’qu’a produit son sacrifice,
Et qu’cette fois-ci en bonn’justice
L’aurait envie d’nous fout’ des coups ! »
Document100 × MEUTRIERSDEUX cent septante-deux morts vous disent bonjour et vous notifient leur excellent état de santé. Ils étaient morts statistiquement et prévisionnellement. Ils auraient dû être tués au cours de 1973, si cette année avait été pareille à la précédente. (C’était peut-être vous, peut-être moi. Or, nous bougeons encore nos membres, nous palpons une peau demeurée rose et nous respirons grâce à une décision toute simple, qui fut très difficile à prendre, mais qui nous a arrachés au trépas : la limitation de la vitesse à 100 km/h. Mieux encore, vous pouvez compter en Suisse plus de cinq cents personnes qui auraient dû, l’an dernier, se faire fracasser la mâchoire, fracturer le crâne, écraser la cage thoracique et sectionner la moelle épinière — et qui marchent elles aussi dans les rues, en sifflotant. Miraculées ! Ainsi, huit cents rescapés s’étirent au soleil, ignorent leur bonheur et se préoccupent peu de savoir qui les a maintenus en vie, et qui, au contraire, avait négligemment pris son parti de les savoir condamnés à l’hôpital ou au cimetière. (…) Parfaits conducteurs, disaient ces meurtriers en puissance, parlant d’eux-mêmes. S’ils évitaient la catastrophe, ils se souciaient peu, en revanche, du climat de terreur qu’ils répandaient sur leur passage. La peur du fou, repéré dans le rétroviseur, contribuait largement à l’usure nerveuse des populations. L’apaisement, sur les grands axes de Suisse et d’Europe, où les autos se suivent et dépassent sans fièvre, indique à quelles violences superflues nous avons été capables de nous condamner. B.G.
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DocumentAu sujet des fleurs…24 Heures, 12-13 mai 1973. ARRANGEMENT FLORAL AU CENTRE FUNÉRAIRE
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DocumentLa mort, un trou ?« Nous devons rappeler que la mort, en Israël, n’était point, comme dans les nations païennes, un passage vers un monde meilleur, une délivrance de l’âme qui s’évade du corps comme l’oiseau de sa cage, mais au contraire une voie de garage, un cul-de-sac, un trou dont on ne sort pas. (…) Jésus étant mort, les disciples n’ont aucune des consolations que les Grecs, les Egyptiens, les Malgaches, les Hindous, les Gaulois auraient à leur disposition, aucune de ces survivances rassurantes. Ils ne croient pas à l’immortalité de l’âme. L’homme n’est pas à demi-mortel et à demi-immortel : il est un tout. La mort est totale. (…) » Deux jours après son exécution, ces femmes et ces hommes chargés de lui « rendre les derniers devoirs », s’aperçoivent avec stupéfaction qu’il n’est pas parmi les morts et que ceux qui le chercheront parmi les morts ne trouveront rien, absolument rien, pas la moindre trace, pas le moindre reste mortel, pas la moindre relique. Vide, le tombeau où nous l’avions laissé. On a violé sa tombe, on a volé son corps. (…) » Il est vivant, non pas au sens de « il a survécu » ou il a « obtenu un sursis », mais : Mort et descendu dans la fosse où toute vie s’éteint, son Père… n’a pas seulement violé sa tombe et volé son corps, il l’a appelé comme s’il vivait, il l’a retiré, il a retiré sa vie entière du trou de l’histoire, il l’a, en un mot qui est le cœur du monde et le commencement et la fin et la lumière du monde, un mot qui est la Révélation chrétienne, un mot qui échappe à tout ce que les hommes peuvent mettre derrière un terme religieux, Dieu l’a ressuscité d’entre les morts.» Roland de Pury |