Il n’y a pas d’inimitié avec Jésus-Christ et de foi vivante sans recueillement.
«Si nous sommes stériles, c’est plutôt faute de repos que de travail», a dit le père Gratry. Il faut ajouter que Gratry appelait repos l’activité intérieure, le recueillement. Notre faiblesse vient donc de notre dissipation. Avant de pouvoir parler aux hommes avec puissance, il faut avoir pris le temps d’écouter Dieu.
Toutes les erreurs, les préjugés, les traditions, les mensonges que nous gardons dans nos habitudes, dans nos vies, dans nos Eglises ont leur source dans l’absence de recueillement.
C’est encore à la même cause qu’il faut attribuer le vague des convictions, la peur de l’étroitesse, le manque de connaissances bibliques, les grands mots et les grandes phrases sans signification précise. On est assez fort pour détruire; on ne l’est pas assez pour édifier. Les vastes horizons, les lumineuses visions des prophètes et des apôtres n’ont guère été contemplés; le plan de Dieu n’a pas été compris. De là, l’absence de pensées fortes.
«Hors de moi, vous ne pouvez rien faire» {s} dit Jésus. Nous ne pouvons rien sans lui; Il ne peut rien sans nous. Hors de nous, sans s’incarner dans nos vies, Il est rendu absolument impuissant. Le monde, qui vivrait de sa présence, meurt de son absence. «Le mal social et tous les autres maux ne sont que les résultats de l’absence de Dieu, manifesté en chair», a dit W. Stead. La vie de Dieu est descendue sur la terre. «La vie a été manifestée et nous l’avons vue», dit Jean. «La parole a été faite chair, elle a habité parmi nous», elle a été et elle est le Pain de vie qui nourrit les âmes repentantes et croyantes. Nous vivons lorsque nous contemplons avec foi la vie sainte du Sauveur et sa mort expiatoire. Et nous donnons Jésus-Christ à manger au monde quand nous, les membres du corps de Christ, nous sommes la lumière du monde, le sel de la terre, en laissant le Sauveur s’incarner dans nos vies. Car le monde vit de la foi, de la patience, de la charité, de l’intercession des chrétiens, c’est-à-dire de Jésus vivant dans ses rachetés. Dans l’exacte mesure où nous incarnons le Christ, nous sommes des paroles vivantes de Dieu, nous éclairons et réveillons les consciences, nous touchons les cœurs, nous agissons sur les volontés. Ce qui laisse le ciel sourd à nos prières et le monde indifférent, c’est l’absence de Dieu dans nos vies.
Ne cherchons pas ailleurs la cause de l’état de corruption du monde. Que deviendrait l’Océan si ses eaux, perdant leur puissante saveur, devenaient fades et insipides? Il se corromprait et empesterait l’humanité. Et que deviendra la société humaine si l’Eglise ne devient pas plus réellement le sel de la terre, la lumière du monde? Si nous prenons la parole de Dieu au rabais, comment le monde la prendrait-il au sérieux? Avant de nous affliger du peu de fruits qu’elle porte chez les mondains, affligeons-nous du peu de fruits qu’elle porte en nous. Sondons nos cœurs, examinons nos mobiles, descendons au fond de notre âme, visitons-en tous les recoins avec sincérité, à la lumière de la parole de Dieu et du Saint-Esprit. Demandons-nous si nous voulons réellement, sincèrement mourir à nous-mêmes, à toute réputation, à toute recherche de la gloire qui vient des hommes, à nos pensées propres.
Si nous sommes purs de cœur devant Dieu, cet examen nous amènera sans doute à opérer bien des réformes dans nos vies.
A l’heure actuelle, en pensant au monde perdu, mille questions angoissantes nous oppressent. Le danger est d’essayer de les résoudre avec notre sagesse. Les réponses à nos douloureux pourquoi se trouvent dans le cœur de Dieu. C’est là qu’il faut aller les chercher. Il faut que nous pensions ses pensées, que nous voulions sa volonté, que nous disions ses paroles, que nous fassions son œuvre par le Saint-Esprit. «Je ne puis rien faire de moi-même», dit le Sauveur.
C’est à genoux, dans le recueillement, en face de la parole sainte sérieusement consultée, seul à seul avec Dieu, que nous pouvons rentrer en nous-mêmes et arriver à une sincérité absolue, à une situation vraie vis-à-vis de nous, du monde et de Dieu. Là seulement Dieu peut nous montrer et nous faire sentir le néant des choses d’en bas, la valeur des âmes, le prix de la grâce, l’immensité de son amour, l’horreur du péché. Là, il nous humilie. Là nous sommes amenés à nous interroger: Est-ce que j’expérimente la vérité des promesses divines? Est-ce que j’obéis à tous les ordres de Dieu? Cet évangile de la régénération, de la liberté, de la sainteté, de la perfection, l’ai-je pris au sérieux?
Quand nous avons des oreilles pour entendre ce que Dieu nous dit, nous avons des cœurs et des bouches pour prier. Et la prière humble, intense, persévérante nous donne une ouïe toujours plus fine, elle brise nos chaînes, elle nous apporte la lumière, elle nous sépare du monde pour nous unir à Dieu, elle est notre réponse à la volonté révélée de Dieu, elle nous apprend à recueillir les cris de détresse de la terre comme les paroles de miséricorde du ciel.
Et alors, dans cet intense recueillement aux pieds du Seigneur, nous avons de saintes visions. Tout d’abord la révélation de ce que nous sommes, de notre passé coupable, de tout ce qui n’a pas été jugé et abandonné, de tout ce qui reste en nous de charnel. A cette vue, nous nous prenons toujours plus en dégoût et nous appelons dans notre âme les puissances divines.
Nous avons aussi une révélation de la gloire de Dieu. Le Saint-Esprit nous révèle le caractère de Dieu en illuminant pour nous la croix de Jésus-Christ.
Nous avons encore une révélation de l’état du monde. Dieu nous montre notre pauvre humanité plongée dans les ténèbres et la souffrance, il nous donne les yeux de Christ pour sonder toutes les plaies et son cœur pour les sentir; il met en nous d’immenses compassions. Souvenons-nous de Moïse, de Daniel et de Paul. Comme ils se solidarisaient avec leur peuple coupable, prenant sur eux ses péchés, les confessant, s’en repentant, s’unissant à leur nation pécheresse par un lien d’une puissance indestructible.
Sommes-nous incapables de posséder un pareil amour et d’éprouver une telle douleur? Prosterné devant Dieu, Paul ne peut prendre son parti de posséder Jésus-Christ et d’en voir sa nation privée. Il souffre, il pleure, il prie. Et quelles souffrances, quelles larmes, quelles prières! Il contemple la situation de son peuple et du monde, et, en face de tant d’existences qui se perdent, tant de souillures qui ravagent l’âme humaine, tant de folies et de souffrances, tant d’aveuglement et de ruines, ses larmes coulent brûlantes et son cœur se brise. Il connaît la communion des souffrances de Christ. S’il n’était rempli d’espérance, il mourrait de douleur. Mais Paul sait que s’il y a sur la terre une abondance d’iniquités, de souffrances, d’esprit d’égarement, il y a dans le ciel une surabondance de pardon et de vie capable de détruire tous les maux d’ici-bas.
Pour devenir des témoins et des intercesseurs puissants, il nous faut cette double vision: la vision de l’œuvre de Satan détruisant santé, bonheur, pureté, cœur, conscience, intelligence, espérance, ne laissant que des ruines, puis la vision de l’œuvre du Christ, de tout ce qu’il peut et veut recréer dans les créatures humaines en se servant de nous comme d’instruments. Et c’est dans le recueillement que nous l’aurons. Si nous voulons entrer et demeurer dans le sanctuaire de la présence de Dieu, recueillis à ses pieds, il nous dépouillera de toute impureté et de toute inintelligence, il nous rendra semblables à Jésus-Christ. Alors nos vies sanctifiées raconteront la gloire de Dieu.
Il va sans dire que tout cela ne se réalisera pas en un jour. Dieu ne fait rien magiquement. C’est en contemplant la gloire du Seigneur que nous sommes transformés de gloire en gloire. D’une révélation obtenue dans le silence du recueillement naît dans notre âme une prière plus pure, et de cette nouvelle prière une révélation plus haute et des grâces nouvelles. Prosternés devant Dieu, la lumière et la vie grandissent sans cesse dans notre âme, Dieu peut nous associer à son œuvre, mettre entre nos mains les rênes du gouvernement du monde, réaliser ses promesses, exercer par nous la toute puissance au ciel et sur la terre.
Que l’Eglise écoute ainsi Dieu dans un intense recueillement, et elle sera le canal béni par le moyen duquel toutes les richesses du ciel descendront sur la terre.