Après avoir dit que le sujet est complexe, que la forme est loin d’être indifférente, le prédicateur se demande à quelles conditions la prédication chrétienne peut réussir aujourd’hui à amener les âmes au salut. (Art. de L’Évangéliste du 12 avril 1877.)
… Que la prédication soit donc essentiellement biblique, qu’elle soit l’exposé de ce que Dieu a dit et fait, qu’elle « annonce tout le conseil de Dieu sans en rien cacher », non avec des discours pathétiques de la sagesse humaine, mais avec une démonstration d’esprit et de puissance, et elle se montrera de nos jours ce qu’elle a été autrefois : « la puissance et la sagesse de Dieu ».
On objecte que les hommes d’aujourd’hui demandent autre chose ; et c’est pour répondre à leurs exigences prétendues qu’on jette la prédication chrétienne hors de sa voie naturelle et ancienne, pour en faire une sorte de conférence, dont le texte sacré n’est que le prétexte. Eh bien ! je crois que l’on fait fausse route, et que les auditeurs qui viennent dans nos lieux de culte n’y viennent pas chercher l’écho de ce qu’ils peuvent lire dans les journaux et dans les livres, ou entendre dans les salles de conférence, mais qu’ils viennent justement pour écouter une parole d’autorité, la Parole même de Dieu, qui les repose et les raffermisse après toutes les fluctuations de la parole humaine.
La prédication nous parait donc devoir être une affirmation de la vérité, beaucoup plus qu’une discussion avec l’erreur ou l’incrédulité. Le sermon apologétique, dont nous ne voulons pas médire, ne peut-être que très exceptionnel dans la chaire chrétienne. Destiné à convaincre quelques rares incrédules présents au culte, il atteint bien rarement son but auprès d’eux, et risque de troubler et de dérouter la grande masse des auditeurs qui ne le comprennent pas. Le prédicateur doit se défier de cette illusion à laquelle sont sujets les hommes de cabinet, qui leur fait croire que les grands obstacles qui se dressent devant les âmes pour les empêcher de se convertir, sont d’ordre intellectuel. Il n’en est rien, et l’expérience nous apprend que, même chez ceux qui sont familiers avec cette nature d’objections, et qui les mettent volontiers en avant, il ne suffit pas de les réfuter pour avoir cause gagnée ; preuve évidente que l’obstacle n’est pas là. Il est dans le cœur et dans la conscience, et c’est dans ces profondeurs de l’être moral, où l’homme naturel aime à entretenir l’ombre et le silence, qu’il faut porter la pleine lumière de l’Évangile.
De là découle une autre nécessité de la prédication contemporaine : il faut qu’elle soit directe et, dans le sens supérieur du mot, agressive. Il faut que l’auditeur ait le sentiment que c’est à lui qu’on en veut, que c’est son intérêt qui est en jeu ; il faut qu’il éprouve ce qui se passait dans l’âme du grand Condé se disant, en voyant monter Bourdaloue en chaire : « Voilà l’ennemi ! » — L’ennemi, c’est-à-dire la parole qui trouble et qui condamne, parce qu’elle est l’épée de l’Esprit, mais un ennemi qui se changera en ami, dès que l’âme consentira à s’avouer vaincue et à crier merci.
Ne voit-on pas qu’une telle prédication, toujours appuyée sur le témoignage de Dieu et adressant un perpétuel appel à la conscience, ne pourra qu’être intéressante ? Il se peut qu’elle irrite certains auditeurs, mais au moins ne les endormira-t-elle pas et elle sera pour d’autres le moyen de les amener à la paix et au salut. Elle a d’ailleurs fait ses preuves dans l’histoire de l’Église, et on peut affirmer que partout où elle a fleuri, elle a laissé derrière elle un sillon de lumière et de vie.