Jésus se livre à la souffrance et à la mort. — Les pourparlers des sacrificateurs avec Judas. — La chronologie de l’histoire de la passion ; les discussions touchant Pâques dans leur rapport avec cette question. — La préparation de l’agneau pascal. — Jésus lave les pieds à ses disciples. — Prédiction de la trahison et du reniement. — L’institution de la cène. — Les discours d’adieu d’après Jean. — La lutte en Gethsémané.
En considérant l’entrée de Jésus à Jérusalem et ce qui remplit les deux jours suivants, nous sommes arrivés au seuil de la passion, dont nous commençons à nous occuper aujourd’hui. C’est une histoire admirable, bien connue de nous tous, et jamais épuisée, dont la majestueuse simplicité ne manque pas d’émouvoir et de pénétrer de respect même les cœurs de ceux qui-sont éloignés, à moins qu’ils ne soient complètement endurcis. On sent que cette humanité, noble entre toutes, recèle quelque chose de surhumain, et que dans le plus profond abaissement, la gloire de Dieu est à la fois cachée et manifestée. La puissance miraculeuse du Seigneur Jésus disparaît presque complètement dans ces jours de sa souffrance, tandis que le miracle de sa charité et la gloire de sa personne brillent d’un éclat d’autant plus vif. Elevé à la croix, ainsi qu’il le dit lui-même, il attire tous les hommes à lui. Tous ceux qui se laissent attirer apprennent à redire cette parole, que sa mort est la vie du monde. Jésus, vie de ma vie et mort de ma mort ! voilà le cri de la foi ; voilà le cantique de l’Eglise, surtout dans les jours spécialement consacrés au souvenir de la passion. Nous aussi, nous voulons nous efforcer d’arriver à une vue d’ensemble de ce grand événement, et examiner en outre quelques questions qu’on n’aborde pas dans les sermons.
Deux jours avant Pâques, par conséquent ce mardi même après avoir annoncé à ses disciples le jugement dernier, il leur prédit, pour la dernière fois, ouvertement, qu’il allait être livré pour être crucifié (Matthieu 26.2). Depuis longtemps il avait envisagé l’inimitié du peuple et des hommes pécheurs en général contre Dieu, et il avait compris que cette inimitié le rejetterait. La parole prophétique de l’ancienne alliance lui avait montré le juste souffrant à cause de la justice, et le serviteur de l’Eternel mis au nombre des malfaiteurs et portant les péchés de plusieurs. En rapprochant le conseil de Dieu énoncé par l’Ecriture de ce qui lui arrivait de la part du peuple élu, il était rempli par l’Esprit du Père de la certitude prophétique, qu’il fallait qu’il fût livré, et cela à la fête de Pâques, afin d’offrir en réalité ce sacrifice propitiatoire, dont l’agneau pascal n’était que le type prophétique. Le Fils de l’homme, livré par Judas au Sanhédrin, par le Sanhédrin au juge païen, par celui-ci aux caprices de la multitude, et dans tout cela le Christ livré par Dieu pour les péchés du monde entier, voilà ce qu’il voit venir, et il l’annonce pour montrer qu’il a pleinement conscience de ce qui l’attend, et qu’il est prêt à obéir à son Père jusqu’à la mort. Il faut que ce qui est écrit s’accomplisse, et cela même console les disciples : quand même l’iniquité arrive à son comble, les méchants ne peuvent rien faire qui n’ait été prévu et que Dieu n’ait pas limité depuis longtemps par des bornes infranchissables. Il faut que ce qu’il a annoncé s’accomplisse, afin que son plus grand abaissement serve à sa gloire, en montrant que ce qui arrive a été prophétisé par lui. Il va volontairement au-devant de la mort, en renonçant jusqu’au bout à rendre le mal pour le mal, en n’essayant pas de s’enfuir, en restant fidèle comme homme à la volonté éternelle, en vertu de laquelle il s’était anéanti soi-même.
Pendant que le Juge du monde entier parlait ainsi de sa mort, le conseil des sacrificateurs, présidé par Caïphe, résolut de s’emparer de lui par ruse. Les discours prononcés par Jésus dans le parvis du temple poussaient ses ennemis à prendre cette résolution. Jésus évitait un assassinat commis sur lui en cachette ; il fallait que le péché du peuple et l’expiation de ce péché s’accomplissent aux yeux de tous. Mais au Sanhédrin aussi il pouvait convenir d’insulter publiquement cet homme qu’il détestait, de stigmatiser son nom pour toujours, et de fournir la preuve irrécusable que ce malfaiteur maudit, mis à mort par les païens, n’était pas le Messie. Malgré tout cela, ils craignaient le peuple, et pour éviter un mouvement en faveur de Jésus parmi ces millions de personnes, ils disaient entre eux : Il ne faut pas que ce soit pendant la fête.
Mais bien différent de leur dessein était le conseil de Dieu. Contrairement à leur volonté, c’est précisément pendant la fête qu’ils durent immoler le véritable Agneau pascal, et il fallut qu’un odieux scélérat parmi les disciples devint, dans la main de Dieu, l’instrument de cette immolation. Un traître parmi les douze ! cette découverte inespérée dut puissamment aiguillonner la criminelle audace des prêtres. Cette occasion imprévue fit taire toute autre considération, et les poussa à une exécution plus prompte qu’ils ne l’avaient d’abord projetée. On convint que Judas aiderait à opérer une arrestation sans tumulte. Il leur donna l’espoir de la réussite de cette tentative à la condition qu’elle aurait lieu la nuit au lieu choisi par le Seigneur pour prier. Il serait absurde d’attribuer au traître la bonne intention d’avoir voulu pousser le Seigneur à établir son royaume avec le secours du peuple et par la puissance des miracles. Ce calcul impie ne serait pas un moindre forfait. Au surplus, les évangélistes nous le montrent comme un homme qui s’est volontairement mis au service de Satan, et qui hait le Sauveur miséricordieux d’une haine d’autant plus implacable, qu’il foule aux pieds une grâce plus excellente. Si en dernière analyse, toute méchanceté est quelque chose d’incompréhensible, la scélératesse poussée à ce point est encore plus mystérieuse. L’avarice de Judas se manifeste d’une manière effrayante, quand nous considérons la misérable somme pour laquelle il vendit un tel Maître. Trente pièces d’argent sont le prix d’un esclave tué par un bœuf en furie (Exode 21.32). Il se peut que ce ne soient que des arrhes accompagnées de la promesse d’une plus forte somme payable après coup ; mais peut-être était-ce aussi le prix complet de la trahison, exemple du misérable profit dont se contente parfois une avarice sordide. Après tout, que signifie un peu plus ou un peu moins, quand on vend son âme comme le fait Judas ? N’est-ce pas en tout cas l’aveuglement, dont le Prince de ce monde frappe les cœurs, qui seul rend explicable un si monstrueux échange ? Judas espérait peut-être se recommander par ce service à la faveur des prêtres et gagner par là de l’honneur et de la considération. Calcul insensé fait sans le Seigneur et même contre le Seigneur ! Mais c’est le coup de maître du Roi des rois de faire servir le conseil de Satan et de ses serviteurs à l’accomplissement de son dessein
Avant de considérer cet accomplissement, il nous faut parler de la chronologie de l’histoire de la passion. Les trois premiers évangélistes racontent que le premier jour des pains sans levain, (Matthieu 26.17), auquel on immolait la Pâque (Marc 14.12), le Seigneur fit préparer l’agneau pascal au temps ordonné par la loi (Luc 22.7) et le mangea avec ses disciples, et qu’après ce repas de l’ancienne alliance, il institua la cène du Nouveau Testament et qu’il mourut le lendemain sur la croix. Cela semble contredit par Jean en ce sens qu’il s’exprime en plusieurs passages, comme si le Seigneur n’avait pas pris le jour de Pâques son dernier repas, mais qu’il eût souffert la mort ce jour-là, de sorte que son repas d’adieu, au lieu de coïncider avec l’agneau pascal des Juifs, l’aurait précédé d’un jour. Cela semble surtout clairement exprimé dans ce passage : « Ils n’entrèrent point dans le prétoire de peur de se souiller et afin de pouvoir manger la Pâque » (Jean 18.18). Il semble d’après cela que les Juifs devaient manger l’agneau pascal seulement dans la soirée du vendredi, en sorte que le repas après lequel Jésus lava les pieds de ses disciples n’aurait pas, pu être celui de la Pâque. Par contre, Jésus, le vrai agneau pascal, auquel on ne rompit aucun des os, serait mort dans le temps auquel les Juifs immolaient l’agneau pascal.
On essaya de donner une importance particulière à cette divergence, en faisant entrer dans la question les controverses pascales du second siècle. A plusieurs reprises, mais particulièrement en 190, il s’éleva une discussion entre les Eglises de l’Asie Mineure et celle de Rome touchant la célébration de la fête de Pâques. Les chrétiens de l’Asie Mineure la célébraient en même temps que les Juifs, le quatorzième jour du mois de nisan, n’importe sur quel jour de la semaine cette date tombât ; ils commençaient ce jour par le jeûne comme on célèbre un jour de deuil, et le soir ils mettaient fin au jeûne en participant à la cène. C’est ainsi que la plupart comprennent le rapport d’Eusèbe (Hist. eccl. V, 23). D’autres interprètent sa narration en ce sens, que c’est à partir du quatorzième jour du mois de nisan qu’on calculait la fin du jeûne. En tout cas, le 14 nisan était pour eux le jour normal, sur lequel ils se basaient pour la célébration de leur fête. A cause de cela, on les appelait Quartodécimaniens, ce qui signifie observateurs du 14 nisan. Les Romains, au contraire, auxquels adhérèrent tous les autres, partaient du principe qu’il fallait toujours célébrer la résurrection du Christ un dimanche, et sa mort le vendredi précédent, le vendredi qui suivait le 14 nisan, quand celui-ci ne tombait pas sur le vendredi. Ce n’était que le matin du dimanche de Pâques, que le jeûne devait être terminé pas la sainte cène. Cette divergence dans la célébration de la fête fut l’objet de discussions passionnées. A l’évêque de Rome, qui à cette époque déjà menaçait d’excommunication, Polycrate, évêque d’Ephèse, opposa les grands exemples de son Eglise, entre autres l’apôtre Jean, qui aurait observé le rite quartodécimanien. Pour défendre le rite romain, plusieurs en appelèrent à l’évangile de Jean, qui selon eux prouvait que le 14 nisan n’était pas le jour auquel le Seigneur avait mangé l’agneau pascal, mais bien celui dans lequel il avait été immolé comme le vrai Agneau pascal. Dès lors on trouvait inadmissible que Jean ait pu observer le jour de la Pâque juive, tandis que dans son évangile, il donnait raison à ceux qui s’opposaient au rite quartodécimanien.
Je ne puis pas vous exposer ici les conséquences qu’on voulut tirer de là, contre l’authenticité du quatrième évangile, et les diverses péripéties de cette lutte. Et cela est d’autant moins nécessaire que je suis convaincu qu’on attribue à cette question une importance tout à fait exagérée. Polycrate lui-même ne sait pas autre chose sinon que Jean est quartodécimanien et qu’il est en même temps l’évangéliste. En général, nous pouvons hardiment affirmer que, quel que soit, dans cette question, le rapport entre Jean et les autres évangélistes, les discussions pascales n’ont rien à y faire. Matthieu, Marc et Luc nous montrent comment le Seigneur, en célébrant la Pâque de l’Ancien Testament, institue celle du Nouveau ; Jean, de son côté, nous montre comment Jésus, le véritable Agneau pascal, est immolé. L’un n’est pas contraire à l’autre, mais plutôt l’un suppose l’autre. Les deux choses s’accomplissent dans les limites d’un seul et même jour juif, lequel commence à l’entrée de la nuit. Il ne vient pas à l’esprit de Jean de prétendre que Jésus n’est l’agneau pascal qu’à la condition d’être mort déjà le 14 nisan et non le 15 ; aussi ne sont-ce que les Pères de la fin du second siècle qui attachent à la date une importance puérile. Nous sommes donc en droit de ne point mêler les discussions pascales à la question qui nous occupe. Mais même en en faisant abstraction, il s’agit d’examiner dans quelle mesure on peut concilier les évangélistes en cette matière.
On ne peut mettre en doute que le dernier repas du Seigneur n’ait été un repas pascal, conforme à la loi. Cela ressort de la description même de ce repas, que d’ailleurs l’institution de la cène présuppose. Des difficultés majeures s’opposent à l’hypothèse d’après laquelle Jésus aurait mangé l’agneau pascal un jour plus tôt. Par conséquent, bien que Jean ne parle que d’un souper sans autre désignation, et que, laissant de côté, suivant son habitude, ce que les autres évangélistes ont raconté, il passe sous silence l’institution de la cène, il n’en reste pas moins vrai que les quatre évangélistes parlent du même repas d’adieu. La répartition sur deux jours de ce que Jean raconte du 13e au 17e chapitre, bien que recommandée par plusieurs, n’est pas tenable. Les prédictions de la trahison de Juda, et surtout du reniement de Pierre, répugnent à cette disjonction de ce qui ne forme qu’un seul tout. Mais les quatre évangélistes ne parlent pas seulement du même repas ; il existe aussi entre eux la plus parfaite concordance en ce qui concerne les jours de la semaine. C’est le jeudi que Jésus prend ce dernier repas ; il meurt le vendredi, ou, comme le dit Marc 15.42, le jour de la préparation, c’est-à-dire la veille du Sabbat ; le lendemain, par conséquent le jour du Sabbat, il repose dans le sépulcre, et il ressuscite le premier jour de la semaine, qui est le dimanche. En cela, tous les quatre sont d’accord, et ce n’est que par la date du mois qu’ils semblent différer. Il n’en est rien dit, mais on le déduit de traits accessoires. L’agneau pascal était mangé le 14 ; par conséquent les trois premiers évangélistes désignent le jeudi comme le 14 nisan. Jean, au contraire, semble indiquer que le 14 ne tombait que sur le vendredi, puisque le vendredi matin les Juifs n’entrèrent pas dans le prétoire pour pouvoir manger la Pâque. Cette contradiction serait-elle insoluble ?
Il est écrit dans le Deutéronome (Deutéronome 16.2-3) : « Sacrifie la Pâque à l’Eternel ton Dieu, du gros et du menu bétail, et tu ne mangeras pas de pain levé avec la Pâque ; tu mangeras pendant sept jours des pains sans levain, des pains d’affliction. » Il ne peut être question de l’agneau pascal dans le sens restreint, quand il est parlé de gros bétail, c’est-à-dire de bœufs ; et l’agneau pascal n’est pas mangé pendant sept jours. Par conséquent, Moïse emploie ici l’expression de Pâque dans un sens plus large, il désigne par là le gros et le menu bétail que pendant sept jours on sacrifiait en holocauste et qu’on mangeait. C’est de la même manière que Jean semble avoir employé cette expression pour désigner les sacrifices de prospérité des jours suivants. Les sacrificateurs ne voulaient pas se priver du repas du temps pascal. Pour se réjouir du festin qui suivait le sacrifice, ils se gardaient avec soin de toute souillure, au moment même où ces hypocrites attentaient sans scrupule à la vie du saint d’Israël. Si le passage de Jean, qui semble contredire le plus les trois premiers évangélistes, s’explique de cette manière, les autres passages qu’on pourrait invoquer, nous empêchent moins encore d’admettre qu’aux yeux de Jean aussi le Seigneur a pris son dernier repas jeudi, le 14 nisan, et qu’il est mort le lendemain.
Dans le cours du jeudi, le Seigneur envoya deux de ses disciples, Pierre et Jean (Luc 22.8), dans la ville pour lui préparer la Pâque : les disciples effrayés n’auraient probablement pas osé y penser de leur propre mouvement. Mais lui les envoie au milieu de ses ennemis, et il leur annonce qu’un serviteur, portant de l’eau, les précéderait dans une maison, dans laquelle une chambre haute préparée leur serait volontairement assignée par le maître de la maison. Il ne faut pas supposer ici un arrangement préalable, pas plus qu’en ce qui concerne l’ânon que le Seigneur se fit amener le jour des Rameaux ; c’est au contraire le regard prophétique du Seigneur qui guide ses disciples par un signe, à l’insu du sacrificateur et des traîtres, vers un lieu où ils peuvent célébrer la fête chez un disciple secret, sans être troublés par les ennemis. C’est ainsi qu’au moment voulu, le Seigneur qui ne possède rien en propre, a néanmoins à sa disposition ce dont il a besoin, et tandis que des milliers de pèlerins n’ont que des tentes pour s’abriter, le Père lui a réservé une salle belle et spacieuse, garnie de coussins et de tapis. Quant au propriétaire, cette parole de Jésus : « Mon temps est venu, » lui suffit, et il rend volontiers ce service suprême au Seigneur.
Après que Jésus fut arrivé et qu’il se fut déjà mis à table pour prendre, avec ses disciples, ce repas qu’il avait tant désiré, le voilà qui se lève encore une fois pour un service d’amour dont parle Jean. Luc, en racontant cette sainte soirée, mentionne une contestation des disciples touchant le plus grand d’entre eux. Il la rattache immédiatement à la cène, et nous n’oserions prétendre que cette dispute des disciples, après ce repas de communion, soit inadmissible. En effet, dans les circonstances les plus saintes, nous sommes souvent mal disposés, et dans celle qui nous occupe, des protestations de fidélité ont pu occasionner une explosion de susceptibilité. Il se peut aussi que Luc ne s’attache pas à la succession chronologique des faits, mais qu’à la manière d’agir du Seigneur, il oppose les dispositions des disciples. Un traître parmi les douze ; les autres ayant aussi besoin d’être purifiés ; Pierre enfin, mis en grand péril, par sa confiance en soi-même et sa propre justice. Cette contestation aurait donc aussi pu précéder le repas, et avoir eu pour cause les places à la table. Dans ce cas, le Seigneur aurait donné la réponse la plus forte en lavant les pieds de ses disciples. C’est là, en tout cas, un admirable témoignage d’amour, une préparation saisissante au saint repas.
« Avant la fête de Pâques, Jésus sachant que son heure était venue pour passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin. » Il quitte le monde tandis qu’eux y restent, c’est pourquoi il est ému en se séparant d’eux, et cela d’autant plus qu’il sait qu’il y a un traître au milieu d’eux ; toutefois cette douleur profonde ne l’empêche pas de rendre ce service d’amour à ses disciples, parmi lesquels est Judas. Lui qui se sait en possession de la gloire céleste, lui le grand Roi, s’abaisse et accomplit envers ses disciples un service d’esclave. Le lavement des pieds était une marque traditionnelle de respect et d’amour qui nous est déjà racontée d’Abraham ; c’était quelque chose de bienfaisant dans ce pays chaud, où l’on porte des sandales. Généralement c’étaient les esclaves qui s’acquittaient de cette fonction. Les disciples laissent faire le Seigneur, mais Pierre veut s’y opposer, dans le juste sentiment de son indignité, sentiment allié à une humilité présomptueuse et volontaire. « Tu ne sais pas maintenant ce que je fais, mais tu le sauras dans la suite : » cette réponse du Seigneur énonce l’ordre de toutes les œuvres de Dieu, surtout celles de la passion. Pierre ne s’en contente pas, et s’oppose avec plus de force. Alors le Seigneur brise son opiniâtreté par cette parole : « Si je ne te lave, tu n’auras pas de part avec moi. » Il le menace de la sorte, pour qu’il ne continue pas de résister, à l’amour. Pierre est saisi d’une frayeur salutaire, car à aucun prix il ne voudrait être séparé de son Seigneur. Il comprend en même temps qu’il s’agit d’une purification, et il se sent impur de la tête aux pieds. Mais toujours rempli de sa propre volonté, il dépasse encore une fois la mesure en demandant au Seigneur de lui laver aussi les mains et la tête. Mais Jésus l’éclaire en lui disant : « Celui qui est baigné n’a besoin, sinon que l’on lui lave les pieds, puis il est entièrement net. »
Après qu’il se fut remis à table, il leur demanda : Savez-vous ce que je vous ai fait ? Nous aussi nous voudrions le savoir. Il semble qu’il attribue au lavement corporel une purification de l’âme, puisque Pierre, en refusant d’être lavé, se privait de la communion de son Maître. D’un autre côté, le Seigneur, en refusant de lui laver les mains et la tête, montre que l’effet obtenu n’est pas en raison de l’eau employée ; et quand il ajoute : Vous êtes nets, mais non pas tous, nous comprenons que l’eau n’a nullement une vertu purifiante infaillible. Ce qui importe ce ne sont ni les mains ni les pieds, ni la tête, mais c’est le cœur. Il dit plus tard à ses disciples : « Vous êtes nets à cause de la parole que je vous ai annoncée » (Jean 15.3). Mais alors pourquoi leur lava-t-il les pieds ? en quoi cela concernait-il leur cœur ? En ce que c’était là une preuve vivante de l’humble charité avec laquelle le Seigneur du ciel les servait. Vous faites bien de m’appeler non seulement Maître, mais encore Seigneur, car je le suis. Vous déclarez par là que vous voulez me servir, et voici, c’est moi qui vous sers ; celui qui est le Maître et le Seigneur vous rend ce service d’esclave, qui n’est qu’un signe destiné à montrer que toute sa vie est un service de l’humble amour qui s’abaisse. Je me donne moi-même pour vous purifier. Quiconque ne l’accepte point, reste impur. Judas, dont les pieds, — ô merveille de l’humilité du Christ ! — furent lavés par le Seigneur, n’accepta point pour cela la purification du cœur ; Pierre, s’il avait persisté à s’opposer à la pensée du Sauveur, aurait fini par s’exclure.
Voilà de quelle manière ils devaient comprendre et imiter cet acte du Seigneur. « Si je vous ai lavé les pieds, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. » Cela est-il à prendre au pied de la lettre et à pratiquer comme un sacrement ? De temps à autre, on l’a compris ainsi ; des papes et des empereurs, et aussi de petites réunions pieuses, ont agi suivant cette parole, dans une noble simplicité, mais parfois aussi dans une orgueilleuse apparence d’humilité. Les apôtres ne l’interprètent pas ainsi, et ces veuves pieuses, dont Paul dit qu’elles ont exercé l’hospitalité et lavé les pieds des saints, ne l’ont pas fait comme un sacrement, mais comme un service de la charité, ainsi que le fit le Seigneur. Dans le sacrement, l’élément terrestre n’est nullement là pour l’usage habituel du corps, mais, au contraire, l’usage corporel n’est que le symbole de ce qui se fait pour l’homme intérieur. Il en est autrement du lavement des pieds, qui était à cette époque un service journalier pour satisfaire un besoin réel du corps. C’est pourquoi il est un exemple de services réels, tels qu’ils sont rendus par l’humble charité, qui s’abaisse elle-même. Le Seigneur exige que l’amour accomplisse ce qui est l’œuvre, peut-être pénible et répugnante, des serviteurs, œuvre dont la forme varie suivant les temps et les lieux, les circonstances et les coutumes. Ne vous regardez pas comme trop haut placés, pour être les serviteurs les uns des autres. C’est ainsi que vous vous secourrez réciproquement aussi en ce qui concerne la purification de l’homme intérieur.
En dernier ressort, ce lavement des pieds, accompli par le Seigneur, s’adresse aux cœurs des disciples. Il leur dit que, comme ceux qui se sont baignés, ils n’ont besoin que de laver les pieds. Celui qui, dans la communion du Seigneur, a été lavé par son baptême, est purifié de ses péchés. Mais de même que les pieds du voyageur, ainsi le chrétien, dans sa marche journalière, a besoin d’être nettoyé des nouvelles souillures. N’empêche pas le Seigneur de le faire : ne regimbe pas contre ses moyens, te parussent-ils plus étranges et moins acceptables qu’à Pierre ; tu les comprendras dans la suite. Après en avoir fait l’expérience, emploie-toi à ton tour à rendre ce service à ton frère, dût-il d’abord le repousser. Bienheureux êtes-vous si vous ne vous bornez pas à savoir et à admirer ces choses, mais si vous les pratiquez.
Comment les disciples répondent-ils à cet amour ? Le Seigneur leur annonce que l’un d’eux le trahira et qu’un autre le reniera. Déjà en leur lavant tes pieds il leur avait dit qu’ils n’étaient pas tous nets, et maintenant il leur annonce que celui qui mangeait son pain, son compagnon de table de chaque jour, qui recevait de lui le pain du corps et celui de l’âme, avait levé le pied contre lui. Il n’ajoute pas cette parole du Psaume : « L’ami auquel je me confiais, » car il ne s’était pas confié à lui. Enfin, ému dans son esprit, il dit ouvertement : « En vérité, en vérité je vous le dis, que l’un de vous me trahira. » C’est ainsi qu’il ouvre son cœur pour avertir et pour préparer ses disciples, et pour expulser Judas de sa communion, s’il ne voulait plus se laisser effrayer à salut, afin d’en finir avec le supplice que lui causait la présence de cet homme, qu’il avait assez longtemps supporté.
Quelle ne dut pas être la stupéfaction que cette parole fit naître au milieu des disciples ! Elle se montre admirablement dans cette première question, rapportée par Matthieu et par Marc : « Est-ce moi ? » C’est là ce que demandent l’un après l’autre ces disciples, qui, dans leur fidèle amour, sont aussi éloignés que possible d’une telle pensée. Mais ils se défient de leur propre cœur, sachant de quoi il est capable dans une circonstance donnée ; ils agissent en véritables disciples du Seigneur, qui commencent par s’examiner eux-mêmes avant de manger de ce pain et de boire de cette coupe. Ils ont plus de confiance dans le Seigneur qu’en eux-mêmes, et ce n’est pas dans leurs protestations de fidélité, mais dans sa parole, qui les déclare innocents et dans le secours de sa grâce, qu’ils cherchent leur consolation. La réponse du Sauveur, aux termes de laquelle c’est celui qui met la main dans le plat avec lui qui le trahira, cette réponse est précise, tout en ne désignant pas encore la personne. En même temps il dit : « Malheur à l’homme par qui cela arrive, » pour montrer que le dessein de Dieu ne supprime pas la culpabilité du malfaiteur, et que celui-ci n’est pas en droit de s’appliquer la parole dont se console le juste, cette parole qui déclare qu’il fallait que cela arrivât. A lui s’adresse la parole qui l’invite à la repentance, et, après qu’il s’est endurci, l’éternelle malédiction est son partage.
Ici se place la question que Judas, à l’imitation des autres disciples, ose adresser à Jésus : « Est-ce moi ? » question à laquelle le Seigneur, qui est assis tout près du traître, fait à voix basse une réponse affirmative. Il se peut toutefois qu’il faille intercaler d’abord ce qui est raconté par Jean, savoir que les disciples, remis de leur première émotion, demandèrent quel était le scélérat dont ils devaient se garder ; c’est là ce que Pierre, mû par d’autres motifs encore que la curiosité, voulut connaître par Jean. On était couché sur des coussins autour de la table, en s’appuyant sur le coude gauche, en sorte que Jean, qui se trouvait à la droite du Seigneur, pouvait se pencher sur son sein. C’est ainsi qu’il apprit, en réponse à sa question faite à voix basse, que c’était celui à qui le Seigneur donnait un morceau de pain sans levain, trempé dans le jus du mets pascal. C’était la manifestation la moins frappante, bien que suffisante pour faire comprendre à Judas que le Seigneur le connaissait à fond.
Qu’il ait demandé avant ou après ce moment : « Est-ce moi ? » toujours est-il que dans ce moment d’émotion générale on ne fit guère attention à cette réponse : « Tu l’as dit. » En tout cas, ils ne comprennent pas pourquoi le Seigneur, en disant à Judas : « Fais au plus tôt ce que tu as à faire ! » le renvoie si subitement du repas. Le Seigneur connut que Satan était complètement entré dans le traître. Luc, en parlant des premiers pourparlers de Judas avec les sacrificateurs, emploie cette même expression (Luc 22.3). Mais Jean, après avoir dit d’abord que le diable avait jeté cette pensée dans le cœur de Judas, écrit plus tard, lorsque le dernier avertissement eut été méprisé et que le dessein du traître fut devenu irrévocable : « Satan entra dans lui » (Jean 13.2, 27). Judas n’était pas un malade possédé du démon, mais un homme tombé dans l’esclavage du démon par sa volonté froidement consciente. Quand le Seigneur voit l’action accomplie dans le cœur du traître, il le pousse à la réaliser, comme pour dire : Je suis prêt, ne me martyrise pas plus longtemps par ta présence ; et il rompt enfin sa communion avec lui. Les disciples, alors même qu’ils comprirent que, d’après la parole du Seigneur, ce serait Judas qui le trahirait, ne pouvaient comprendre qu’il lui commandât expressément de le faire déjà dans la nuit. Ils ne se doutent point de la proximité de cet attentat, et dans leur embarras ils s’imaginent qu’il est question d’une emplette ou d’une aumône en vue de la fête. Les sacrifices du 15 nisan s’offraient dès le matin, et il était permis d’acheter le nécessaire pour cela, de même que le pieux Joseph acheta le lendemain des linges ; dans ces transactions toutefois, on devait éviter de marchander et ne payer qu’après la fête.
On pouvait faire cela plutôt un jour de fête que le jour du sabbat, que les Juifs observaient plus rigoureusement que les grandes fêtes. Mais ce n’est pas de cela que s’occupe Judas ; il a conclu un autre marché, et il s’en va en colère. La nuit règne au dehors et aussi dans son âme, et bientôt, semble-t-il, la puissance des ténèbres aura le dessus.
Le Seigneur, délivré de la terrible présence de cet homme, proclame d’avance sa victoire : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, le Père est glorifié dans le Fils, et bientôt le Fils sera glorifié dans le Père. Je vais vous quitter, et, quant à présent, vous ne pourrez pas me suivre. » Mais il ajoute pour leur consolation qu’il reviendra les chercher plus tard. Seulement ils ne peuvent venir auprès de lui ni avant le temps ni par leurs propres forces. En attendant, ils doivent s’entr’aimer, comme Christ les a aimés. Le commandement ancien de l’amour devient un commandement nouveau par la norme sûre qu’il y ajoute. Il était dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Mais nous ne nous aimons bien nous-mêmes qu’en nous aimant comme Christ nous a aimés, c’est-à-dire parfaitement, purement, saintement, avec une entière abnégation, qui a en vue le salut des âmes. C’est ainsi que vous devez vous aimer les uns les autres, afin qu’on reconnaisse en vous mes disciples.
Oh ! si Pierre écoutait ces paroles ! Mais il se heurte contre d’autres paroles, qu’il ne veut pas accepter. Il ne veut pas, comme autrefois, détourner le Seigneur du chemin de la mort, mais pourquoi ne le suivrait-il pas ? Il reconnaît ce qu’il doit à son Maître, et il a conscience de son réel attachement pour lui ; mais il s’imagine dans sa présomption pouvoir accomplir ce qui ne lui est pas encore demandé. Le Seigneur lui donne cet avertissement : « Simon, Simon, Satan a demandé à vous cribler, comme on crible le blé » ; mais j’ai prié pour toi » comme je ne pouvais pas prier pour Judas ; avant que tu ne t’aperçusses d’un danger, j’ai prié que ta foi ne défaille point ; aussi, quand tu te seras converti de ta chute, tu devras fortifier tes faibles frères » (Luc 22.31-32). Pierre, n’accepte point cette parole ; il n’entend pas d’abord se convertir ; maintenant déjà il se déclare prêt à aller avec Jésus en prison et à la mort (Luc 22.33). Alors que le Seigneur effraye tous les disciples par ce qu’il leur dit du berger frappé par Dieu et des brebis du troupeau qui se dispersent, Pierre parle avec une témérité croissante, déclarant que quand même tous se scandaliseraient, lui ne se scandalisera point (Matthieu 26.31-33), « Je mettrai ma vie pour toi » (Jean 13.37), dit-il dans son égarement. « Tu mettras ta vie pour moi ! lui dit le Seigneur ; en vérité, je te dis qu’avant que le coq ait chanté deux fois tu me renieras trois fois » (Marc 14.30). Pierre parle encore une fois, et même il entraîne tous les autres. Alors Jésus leur laisse la dernière parole pour ne pas les faire tomber dans un plus grand péché ; son silence est une réponse, et l’expérience leur apprendra ce qu’ils n’ont pas voulu croire sur sa parole.
J’ai essayé de réunir en une seule image les rapports des quatre évangélistes. En le faisant, j’ai admis que Matthieu et Marc ne font que raconter un peu plus tard, comme si le Seigneur l’avait dit pendant qu’il cheminait vers la montagne des Oliviers, ce que d’après Luc et Jean il dit encore dans la salle du festin. J’ai trouvé cette hypothèse plus naturelle que celle qui fait répéter deux fois et même trois fois au Seigneur la prédiction du reniement. Quel spectacle que celui que nous donnent les disciples du Seigneur ! Vous tous, vous vous scandaliserez jusqu’au complet ébranlement de la foi : voilà ce qu’il est obligé de leur prédire. Et quand il leur ouvre la perspective des dangers et des détresses qui entoureront désormais leur carrière, si bien qu’en certaines circonstances ils auront avant tout besoin d’une épée pour se défendre, ils apportent deux épées, comme s’il était question de batailler cette nuit. Ils ne le comprennent plus, et il se détourne avec un sourire de tristesse en disant : C’est assez. Voilà les disciples qu’il lui faut supporter.
Malgré tout cela ils sont ses fidèles, auxquels il peut donner ce témoignage : Vous avez persévéré avec moi dans mes afflictions (Luc 22.28). Dans leur faiblesse, ils lui sont attachés, et ils ne se préoccupent pas seulement des tribulations terrestres, mais ils prennent part à ses épreuves, et leur plus grande angoisse c’est qu’ils pourraient être détachés de lui. C’est pourquoi il peut leur promettre le Royaume avec une telle plénitude de grâce imméritée, que c’est par cela même que leur orgueil est rabattu. C’est pour cela aussi qu’il peut transformer en bénédiction les douloureux reproches faits à leur grande faiblesse, et, en prédisant ce qui va arriver, il verse d’avance de l’huile sur le lumignon de leur foi. En se rappelant qu’il leur a annoncé leur chute, ils sont préservés d’une chute plus complète. Il leur annonce qu’il les précédera en Galilée pour y réunir les siens, et avant tout il leur lègue, malgré leur faiblesse, les gages de la nouvelle alliance.
Pour comprendre cette, institution, il nous faut prendre pour point de départ l’agneau pascal. C’était le sacrifice avec le sang duquel les Israélites marquaient les portes et purifiaient l’autel, en commémoration de la protection qui les avait couverts, tandis que les premiers-nés de l’Egypte étaient frappés. Mais ce sacrifice expiatoire est en même temps un sacrifice de prospérité. Il leur sert de nourriture pour commencer leur exode, ils y ajoutent les herbes amères, une espèce de salade trempée dans du vinaigre, et des pains sans levain, signes de la pureté et pain de l’affliction, rappelant une fuite précipitée.
La coutume de la fête avait ajouté divers usages non commandés par la loi, tels que les quatre coupes de vin rouge, produit du pays, que le Seigneur avait donné à son peuple. On les buvait en plusieurs fois. A chaque coupe et à chaque entrée du repas, le père de famille prononçait une bénédiction. Luc parle avant l’institution de la cène (Luc 22.17) de la première coupe, par laquelle on commençait le repas. Puis on apportait les mets et, parmi eux le jus bien assaisonné dans lequel on trempait les morceaux de pain. Avant la deuxième coupe, on expliquait la signification de la fête ; la mémoire de la sortie d’Egypte était proclamée ; on disait entre autres : « Voici le corps de l’agneau pascal. » Après la deuxième coupe, on commençait à manger d’abord du pain et puis des autres mets ; l’agneau pascal était mangé en dernier lieu, puis on buvait la troisième coupe, appelée la coupe de bénédiction. Avant la seconde et la quatrième, on chantait le Hallel, d’abord les psaumes 113 et 114 et ensuite les psaumes 115 à 118. C’est là le cantique dont parlent Matthieu et Marc.
De cet ordre, à supposer qu’il existât déjà à cette époque, il semble résulter que Judas ne participa plus à la cène, bien que Luc parle encore de lui après en avoir raconté l’institution. Il est probable que ce morceau trempé, qui le pousse hors de la salle, lui fut donné par le Seigneur avant de manger l’agneau pascal. Pour ce qui est de la cène, ou tout au moins de la coupe de la nouvelle alliance, Luc et Paul disent expressément que Jésus ne la donna qu’après le repas. Toutefois ce point n’est pas tellement incontestable, qu’on puisse en déduire des conséquences sur la manière dont il faut traiter les adversaires.
Après la fin du repas de l’Ancien Testament, le Seigneur institua les symboles nouveaux : Voici, leur dit-il, le corps du véritable Agneau pascal ; faites cela, non plus en mémoire de la délivrance d’Egypte, mais en mémoire de moi ; et après la coupe de bénédiction, il parla du sang de la nouvelle alliance, qui ne devait plus être mis sur les linteaux, mais que l’on devait boire.
Quel monument admirable et vivant, qui ne cesse de se rajeunir ! Quel acte simple et d’une signification inépuisable, nous donnant à comprendre que Jésus est le Sauveur et le Prince de la vie, non pas uniquement pour l’esprit, mais pour tout notre être. N’est-ce pas une chose navrante et un véritable triomphe de l’ennemi des âmes, que ce repas de la réconciliation et de la paix ait pu devenir la pomme de discorde d’une controverse passionnée ? Nous ne voulons point nous y égarer. En tout cas, il faut que la connaissance soit précédée du fervent désir de la foi. Nous nous bornerons à quelques indications : Ce pain que le Seigneur prend en main et qu’il rompt, n’est pas lui-même le corps du Seigneur. Malgré cela, quand il dit : « Ceci est mon corps, » il veut expressément éveiller en nous une respectueuse attention pour ce mystère : Prenez et mangez non seulement ce pain, buvez non seulement le vin de cette coupe ; ce que je vous dis de manger c’est mon corps, et ce que vous devez boire c’est le sang de la nouvelle alliance. Mon corps et mon sang, séparés par la mort, constituent le véritable sacrifice, procurant la rémission des péchés à ceux qui croient. Mais ce sacrifice devient aussi nourriture et breuvage, non pas à la manière de la nourriture terrestre, qui s’assimile au corps humain, mais de telle sorte que quiconque ouvre la bouche de la foi doit être transformé à la ressemblance du corps glorifié de Christ. C’est là ce qui nous est garanti par l’acte que nous accomplissons dans l’obéissance de la foi. Faire cela en mémoire du Seigneur, ce n’est pas seulement se rappeler une histoire depuis longtemps passée, mais c’est se plonger, par le moyen de ces signes de commémoration, dans la présence vivante et rédemptrice du Sauveur présent bien qu’invisible. Par ces mots : « Jusqu’à ce qu’il vienne, » la cène annonce ce temps de glorieuse consommation, où une communion plus excellente aura lieu après le renouvellement de toutes choses. En attendant, la cène nous garantit la continuelle présence du Seigneur entre son départ d’ici-bas et son retour en gloire. Elle ne cesse de nous rappeler que notre espérance doit saisir en Jésus un Sauveur complet pour l’esprit, l’âme et le corps.
Jean passe sous silence l’institution de la cène. Après la multiplication des pains, il avait reproduit le discours qui développait les mêmes pensées fondamentales, discours prononcé également à l’époque de la fête de Pâques, mais une année avant l’institution de la cène. On ne peut pas déterminer avec certitude à quel moment de l’intervalle qui s’écoula entre l’expulsion du traître et la prédiction du reniement, il faut placer l’histoire de l’institution de la cène. Mais si Jean ne mentionne pas les symboles de la communion avec Christ, il parle d’autant plus admirablement de l’essence de cette communion dans ce discours, qui resplendit comme un joyau incomparable, et qui se termine par cette prière, dans laquelle, de tout temps, l’Eglise a reconnu son souverain Sacrificateur. Ces paroles d’adieu sont empreintes d’un caractère de simplicité transparente et de profondeur ineffable. Le Seigneur parle à ses disciples de la bénédiction de son départ, afin de fortifier leur foi à l’approche d’une tentation redoutable. Il leur adresse ce reproche affectueux : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez » (Jean 14.7, 28) ; et d’un autre côté, il peut leur rendre le témoignage qu’ils se sont laissé attirer du milieu de cette race méchante, qu’ils ont cessé d’appartenir au monde, qui ne les connaît plus. (Jean 15.19 et suiv.)
Ce qui donne à ce discours le charme des choses célestes, et cette attraction qu’exerce le clair-obscur, c’est qu’il comprend dans les événements les plus rapprochés les perspectives les plus lointaines, et dans son sens littéral, les choses les plus ineffables. Je partirai, et je reviendrai et vous me verrez ; — à quoi se rapportent ces paroles du Sauveur ? Il semble que ce soit à sa résurrection, car il dit : « Après un peu de temps, » et il parle de ce qui met fin à leur désolation. Et d’un autre côté, il y rattache quelque chose de si grand qu’évidemment Pâques ne fut qu’un commencement d’accomplissement. Une venue personnelle le jour de Pâques, une autre venue dans la descente du Saint-Esprit, une venue glorieuse à la fin du monde, — qui oserait prétendre qu’il ne parle que d’un seul de ces événements à l’exclusion des autres ? C’est plutôt de tout cela réuni en un complet retour qu’il parle dans ce discours. Pareillement quand il promet à ses disciples de les chercher, afin qu’ils soient toujours avec lui, cela s’accomplit pour chacun d’eux en particulier et finalement pour toute l’Eglise.
Voilà les choses magnifiques dont il entretient les disciples dans leur profond découragement. On comprend qu’ils soient rudement ébranlés par la prédiction du départ de Jésus et de la chute de Pierre. Mais le Seigneur les exhorte à la confiance : « Croyez en Dieu et croyez aussi en moi ! Soyez assurés que vous êtes dans la main du Père et du Fils. Elevez vos regards vers les demeures de la maison du Père. S’il n’en était ainsi, je vous le dirais. Ne craignez pas que je vous trompe. C’est dans ces demeures que je vous prépare une place, et après que je m’en serai allé, je reviendrai vous prendre auprès de moi. » Voilà les simples paroles par lesquelles il calme leurs cœurs. Il leur promet, pour l’intervalle, un autre consolateur, ou, selon la traduction littérale, un avocat et un aide, qui intercède pour eux, ainsi que Jésus le fait dans le ciel. C’est un autre consolateur, bien que le premier doive aussi revenir ; car, dit Jésus, je ne vous laisserai point orphelins, mais je viendrai avec le Père, et nous ferons notre demeure en ceux qui m’aiment. Cet autre consolateur, Jésus peut l’envoyer après être monté vers son Père, car il devient par là plus grand qu’il ne l’est à présent, et il manifeste sa gloire par l’envoi de son Esprit, Mais il faut qu’auparavant il triomphe dans le combat qui l’attend.
Il se lève et il part avec ses disciples. Mais encore une fois l’amour le retient, et avant de se séparer d’eux, il leur assure que, malgré cette séparation, il leur reste uni aussi étroitement que le cep est uni aux sarments, et que ce n’est que dans cette communion que les disciples peuvent porter du fruit à la gloire du Père, en gardant le commandement de l’amour, dût le monde les haïr d’une haine mortelle. La séparation est pour leur bien, car c’est par la mort que le Seigneur est mis en état de leur envoyer l’Esprit, qui sans cela ne viendrait pas. C’est dans le creuset de l’affliction qu’ils deviennent capables de recevoir cet Esprit comme un bien céleste. Malgré les afflictions qui attendent les croyants dans ce monde, les disciples peuvent avoir bon courage, car Jésus a vaincu le monde.
Il scelle ce discours par cette prière admirable, qui laisse froid l’esprit mondain, à qui la prière est chose inconnue, tandis que chaque cœur animé de l’esprit de prière ne peut rien demander de plus grand que de se pénétrer de cette prière, comme d’un souffle descendu de l’éternel repos. Le Fils a accompli son œuvre en glorifiant le nom du Père ; il prie pour les siens et pour tous ceux qui croiront par leur parole, demandant au Père de les conserver et de les garder du mal, en les sanctifiant par sa vérité ; il prie en envisageant cette consommation glorieuse, alors que tous ceux qui ont cru seront reçus dans la glorification réciproque du Père et du Fils : afin, dit-il, que l’amour dont tu m’aimes soit en eux et que je sois moi-même en eux.
Je me borne à ajouter ceci, c’est que Spener, cet homme de Dieu, n’osa jamais prêcher sur cette prière, mais que sur son lit de mort il se la fit lire trois fois.
Après cette transfiguration en esprit, dans laquelle le Seigneur, loin du monde extérieur, parle à son Père, il faut qu’il redescende dans la souffrance terrestre. Il traverse le Cédron et entre à Gethsémané, cette campagne près du mont des Oliviers, dont le nom signifie pressoir d’huile, et où le Seigneur lui-même fut foulé au pressoir de l’affliction. Ce contraste est immense, et ce n’est que de loin que nous pouvons suivre Jésus. Qui peut se tenir à côté de lui sur ces hauteurs, et le suivre dans les terreurs de la mort ? Il est vrai que la prière sacerdotale aussi respire une sainte tristesse dans ces paroles : « Je me sanctifie moi-même pour eux, » — comme une sainte victime (Jean 17.19). Mais son œil voit déjà la victoire. D’un autre côté, sa prière à Gethsémané est grande et victorieuse ; mais la terrible réalité ne perd pas ses droits pour cela. Jésus commence à goûter l’amertume de la mort ; ce n’est pas pour la première fois, car plus d’une fois il en avait parlé aux disciples, et bien plus souvent a-t-il dû s’occuper en esprit de ce baptême de la mort, dont il disait : « Combien ne suis-je pas pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse ! » (Luc 12.50). La réalité de la mort fond sur lui, et le Seigneur livre un combat formidable. Ce ne sont plus seulement des pensées, mais c’est un pressentiment irrésistible qui s’empare à la fois de son âme et de sa vie corporelle. Il sent qu’il est à la fois le sacrificateur et la victime qui tressaille dans l’angoisse de la mort. Nous étonnerons-nous qu’il ait senti ce prodigieux changement ? Mais c’est en vertu de l’intensité et de la réalité de sa vie à la fois divine et humaine que Jésus est aussi accessible à l’impression de la gloire céleste qu’à l’angoisse de la mort. C’est rempli de ces pensées que nous nous approchons du sanctuaire où un enfantement nocturne devait donner naissance à l’humanité renouvelée.
Parmi les douze, il a pris ses trois disciples intimes, afin qu’ils veillent avec lui dans son angoisse. Il s’éloigne aussi de ceux-là, à la distance d’un jet de pierre. Il veut être seul, et cependant ne pas se séparer de ses amis. L’angoisse le pousse dans la solitude et le ramène auprès des siens. Trois fois il se prosterne contre terre, et il offre, avec de grands cris et des larmes, des prières et des supplications (Hébreux 5.7). Trois fois il revient, et chaque fois il trouve endormis dans leur tristesse et leur lassitude, ces disciples mis à part, ce Pierre, qui a fait une si grande promesse, ces fils de Zébédée, qui ont demandé les places les plus rapprochées de son trône, et qui ont promis de boire sa coupe. C’est à peine si, dans leur somnolence, ils entendent quelques-unes des paroles de Jésus. Il faut qu’il soutienne seul ce grand combat, et il ne peut que les exhorter à veiller et à prier, afin de ne pas être engloutis par la tentation, parce que, si l’esprit était prompt, la chair était faible. Plût à Dieu que notre esprit fût prompt pour la cause de Dieu, comme l’était celui du Seigneur Jésus, et que notre chair fût faible comme la sienne, sans être assujettie au péché ! Mais les disciples restent engourdis, et leur confiance en eux-mêmes va au-devant d’une chute, parce que leur insouciance ne se doute pas du danger. Dormez, leur dit-il enfin, voici que d’autres vont vous réveiller. Ils ne lui ont été d’aucun secours ; mais le Père l’a exaucé, comme le dit l’Apôtre (Hébreux 5.7).
Mais en quoi consiste l’exaucement accordé à celui qui, tombe incontinent entre les mains des ennemis ? En nous rappelant la prière sacerdotale et en nous disant qu’il était le Fils du Père, nous nous demandons comment il a pu être angoissé à ce point. Les païens des premiers siècles se moquaient de ce Dieu qui avait besoin d’un ange pour le fortifier. Nous fuyons ces moqueurs et nous n’avons garde d’oublier que Jésus est le Dieu-homme, devenu notre frère, et qu’il eut besoin, d’être fortifié pour pouvoir lutter avec plus de force. En effet, une angoisse indicible lui exprima une sueur de sang dans cette nuit froide, chose impossible aux yeux de quelques-uns, et qui n’arrive que rarement au plus fort de la détresse d’une âme. Pourquoi le cœur de Jésus est-il saisi d’une telle tristesse ?
Nous ne saurions sonder la profondeur du conseil de Dieu, mais nous savons que c’est pour nous que le Sauveur a souffert tout cela. C’est ici le cas de nous rappeler cette parole : « Quoiqu’il fût Fils, il a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes, et étant consacré, il est devenu l’auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent ; » et cette autre parole : « Dieu a consacré l’auteur de notre salut par les souffrances » (Hébreux 5.8-9 ; 2.10). Nous reconnaissons donc avant tout dans ces souffrances le moyen d’amener à la perfection cet homme pur et saint.
Mais est-ce là, en effet la vraie perfection ? Celui qui s’imagine que ce qu’il y a de plus grand c’est d’envisager la mort avec une résolution intrépide, s’étonnera sans doute de cette angoisse et de ce tremblement. Mais nous devons apprendre par cela même, que cette intrépidité n’est pas ce qu’il y a de plus grand. Le Seigneur Jésus s’est montré le vendredi saint un plus grand héros que les hommes d’épée. Mais dans cette heure nocturne, qui précéda immédiatement la lutte, dans ce moment que doit suivre la décision, qui est toujours le moment le plus difficile, il dut lutter en secret pour arriver à cet héroïsme. Ce tremblement, loin d’être opposé à sa gloire, en fait lui-même partie, il ne serait pas possible sans cette gloire. L’Homme-Dieu seul était capable de cet excès de souffrance.
Sans doute il est un trouble qui a sa source dans notre propre chair, et dont un chrétien devrait avoir honte aux yeux d’un homme du monde. D’un autre côté, il est une intrépidité qui fait horreur, parce qu’elle découle du mépris des frayeurs de Dieu. Cette fausse intrépidité ne craint pas la mort parce que l’âme gît dans la mort sans se soucier de la vie ou de l’éternité. En Jésus nous voyons la véritable impression que la mort doit produire : c’est que plus la nature est pure, plus elle se révolte contre cette nécessité contre nature. C’est une propriété essentielle et inséparable de la vie de se défendre contre la mort. Au surplus, le Seigneur ne doit pas simplement mourir, mais souffrir une mort accompagnée de tortures et d’ignominie, par la main d’un peuple qu’il aime et qui le récompense de cet amour par la haine et le supplice. C’est là ce qu’il sent avec une profonde douleur, car il ne lui est pas donné de se mettre au-dessus de la populace avec la superbe ironie du philosophe païen.
Jésus lui-même considère sa souffrance comme un calice qu’il est appelé à boire. Il parle avant tout de l’angoisse de cette heure-là, tout en n’y voyant que le commencement de l’ensemble de sa passion. En effet, son heure c’est cette passion. Ne boirai-je pas la coupe que mon Père m’a donnée ? (Jean 18.11) Ainsi parle-t-il, et il entend par là toute l’amertume de la mort. Jérémie dit au pécheur (Jérémie 49.2) : « Voici, ceux qui n’ont point mérité de boire la coupe sont obligés de la vider, et toi tu demeurerais impuni ? » La coupe représente donc le jugement de Dieu. Ce jugement pèse sur Jésus ; il faut qu’il porte la malédiction d’un péché qu’il n’a point commis lui-même ; il sent que la mort est le salaire du péché, comme personne ne l’a senti, avant lui. Il sent tout ce qu’il y a d’amertume et de désolation dans la puissance que la mort avec ses frayeurs exerce sur l’humanité.
Mais ne savait-il pas et n’avait-il pas dit assez souvent qu’il fallait que tout cela, arrivât, et que dans trois jours il ressusciterait ? D’où lui vient donc ce trouble ? Sa souffrance implique un obscurcissement de sa connaissance, par le fait de la tentation. Faut-il que cela ait lieu maintenant ? ne devrait-il pas fuir ? le Père ne se contenterait-il pas de la volonté d’obéir, ainsi que cela fut le cas pour Abraham ? Son œuvre, dont il ne pouvait se décharger sur personne, sera-t-elle avancée ou compromise par sa mort ? S’il faut que lui-même apprenne l’obéissance en consentant à mourir sur la croix, nous étonnerons-nous que les Juifs n’y comprissent rien, et que cette nécessité reste un mystère pour nous ? Ajoutons à cela ce que le Seigneur a dit de sa guerre contre le Prince de ce monde, qui l’attaque de nouveau après s’être éloigné pendant quelque temps. Si Satan, au lieu de paraître en personne, attaque le Seigneur par le moyen de ses instruments, Jésus ne sent pas moins, d’une manière inconnue aux mortels, la puissance de l’abîme qui se dresse contre lui, parce que cette puissance est sur le point d’être brisée. Elle le sera par sa victoire même.
Comparerait-on à Jésus même ceux qui combattent pour une couronne incorruptible ? Les martyrs peuvent mourir avec joie, car ils ont leur Sauveur pour appui. C’est dans la puissance et dans la victoire de Christ qu’Etienne trouve la force de paraître plus courageux que son Maître. Quant au sage païen, il a à peine un pressentiment éloigné de ce combat. Jésus lutte seul en se servant des armes de la prière et de la supplication, au milieu de sa grande tristesse. Toutes choses te sont possibles ! Eloigne de moi cette coupe, ô mon Père ! (Marc 14.36) C’est ainsi qu’il s’appuie sur la toute-puissance, qui toutefois ne peut vouloir que ce qui est dans le dessein de la sainte sagesse. C’est pourquoi il dit : « Père, si tu le veux, ôte cette coupe de devant moi » (Luc 22.42). « Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, qu’il en soit non comme je le voudrais, mais comme tu veux » (Matthieu 26.39). Etre dispensé de boire cette coupe, c’était là le désir de sa chair sans péché. Que ta volonté se fasse, que ta volonté soit aussi la mienne : voilà sa volonté proprement dite. C’est pourquoi il fut exaucé, ainsi que nous pouvons le constater dès sa seconde supplication : Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe passe loin de moi sans que je la boive, que ta volonté soit faite. Ce n’est pas en vain qu’il a persévéré dans la prière ; il a retrouvé la lumière et la force ; il voit ce qui va venir et il le supportera. Il est de nouveau complètement uni au Père ; il a été exaucé et fortifié, et il se dispose à manifester dans son obéissance la suprême liberté, l’énergie de la plus ferme volonté. D’un coup il remporta la victoire, et le combat qui vient ensuite ne le surprend pas. Cette victoire, il la maintient pendant tout le vendredi saint par sa sainte disposition, par sa noble contenance empreinte jusqu’à la fin de justice et de miséricorde.
Que sa prière nous enseigne à prier et nous obtienne l’exaucement. Que sa victoire nous rende victorieux à notre tour !