Mais laissons là le mot pour arriver à la chose. M. de Gasparin, je le reconnais volontiers, n’a pas eu recours à cette expression pour m’envelopper dans une accusation vague et insaisissable. Non, mais il a dit très clairement ce qu’il entend par mysticisme, et puis il a cherché à prouver par mon livre que son attaque est bien fondée. Son idée du mysticisme est-elle juste et complète ? Et les preuves extraites de mon livre atteignent-elles réellement leur but ? là est la question ! Eh bien ! à ce double égard je déclare et j’espère établir que M. de Gasparin n’a fait qu’une caricature de la Mystique et de mon écrit.
Voici comment M. de Gasparin, qui d’emblée refuse absolument au principe mystique le caractère chrétien, développe l’idée du mysticisme :
« En dehors du scepticisme absolu il ne peut exister que deux principes, celui qui reconnaît une règle extérieure, et celui qui ne reconnaît qu’une règle intérieure ; la foi à une révélation objective, et le subjectivisme. Subjectivisme, mysticisme, rationalisme, incrédulité, en bonne logique et au point de vue du principe, c’est tout un. C’est toujours le moi souverain.
Que ce moi s’appelle sentiment, amour, inspiration divine chez le mystique ; qu’il s’appelle raison chez le rationaliste ; la méthode est la même, et la nature du moi n’est pas changée. La règle commune est de n’en point avoir en dehors de soi, de rejeter toute autorité, de n’admettre que ce qu’on s’assimile. Cette règle-là, qui est l’expression même du subjectivisme, est appliquée à la lettre par le mystique, par le rationaliste, par l’incrédule.
Sommes-nous ou ne sommes-nous pas sur le trône ? y a-t-il ou n’y a-t-il pas en dehors de nous une autorité qui nous oblige ? telle est la question capitale à résoudre. Or, le mysticisme la résout dans le même sens que le rationalisme et l’incrédulité. Répétons-le : Deux principes, ni plus ni moins ; le subjectivisme et la foi.
Le subjectivisme mystique se distingue des autres en ce qu’il fait dominer le moi-sentiment au lieu du moi-raison, et attribue le sentiment lui-même à une prétendue révélation intime. L’impression est le signe infaillible de la vérité ; ou, pour mieux dire, il n’y a plus de vérité dans le sens réel du mot. De cette hauteur où nous transporte la révélation du sentiment, l’âme qui se sait unie à Dieu n’éprouve plus qu’indifférence ou dédain pour les petites questions d’erreur ou de vérité. Erreur et vérité ! ce sont choses d’un ordre inférieur, car elles relèvent de l’intelligence ; le sentiment donc n’a guère à s’en occuper. Ainsi partout la question d’impression, de sentiment, d’utilité, se substitue à la question de vérité. Ainsi donc ou le sentiment, ou la vérité ; ou la révélation intérieure des raisonnements et des impressions, ou la révélation extérieure de la Bible. Ou l’autorité de l’homme, ou l’autorité de Dieu. Ou le subjectivisme, ou le christianisme. Il faut choisir. »
Il faut l’avouer, M. de Gasparin sait s’aplanir les difficultés. Il nous donne une idée qui, sans plus de façon, nous met le pistolet sur la gorge. Tous ses développements convergent vers une définition du mysticisme telle qu’il la lui faut pour pouvoir le combattre avec le plus de facilité et de succès. Il aurait tout aussi bien pu dire : Le mysticisme n’est qu’un subjectivisme absolu, qu’une manifeste incrédulité ; et dès lors c’en était fait de celui-ci dans l’esprit de tous ceux qui n’y réfléchissent pas davantage, mais qui veulent encore une vérité objective, et une foi ; et il ne serait resté debout que ce que M. de Gasparin appelle le principe de la règle extérieure. Mais que gagne-t-on à poser cette alternative arbitraire, qui au lieu d’éclaircir par des développements approfondis, ne fait que mettre la question sur la conscience ? Celui qui n’aurait pas déjà une idée du mysticisme, n’apprendrait pas de M. de Gasparin ce qu’est réellement et ce que signifie ce grand phénomène qui traverse toutes les religions, et surtout les plus élevées, ainsi que la vie religieuse de presque tous les peuples, et des peuples le plus spirituellement doués. Tout au plus saurait-il qu’il est une façon de ne pas avoir la vérité objective, de ne pas reconnaître la révélation divine, de ne pas admettre une autorité supérieure, en un mot de ne pas croire ; c’est-à-dire, ce que le mysticisme n’est pas. Mais ce résultat lui-même ne reposerait à son tour sur aucun fondement ; et c’est là surtout ce que j’ai à cœur d’établir dans les développements qui vont suivre.