Le chapitre 4e raconte le premier sacrifice. Un sacrifice ! Cela nous montre bien quelle était désormais la nature des relations que l’homme soutenait avec Dieu. Le sacrifice des deux fils d’Adam n’est pas, à proprement parler, un sacrifice pour le péché, mais bien un sacrifice de prospérité. Caïn et Abel veulent tout d’abord témoigner à Dieu leur reconnaissance pour la bénédiction qu’il fait reposer sur leur travail.
[Caïn, le laboureur, offre tout simplement à Dieu des fruits de la terre. Abel, le berger, offre des animaux et même les plus belles bêtes de son troupeau ; il les immole et il en fait fumer sur son autel la graisse, et non point le lait ou la laine, comme le prétend Grotius. — L’Éternel regarda le sacrifice d’Abel, ce qui ne veut point dire qu’il le consuma de son regard de flamme (Hofmann), mais qu’il y eut égard. Si tel était le sens du mot : regarder, comment pourrait-il être dit qui : l’Éternel regarda Abel et son oblation ? Abel fut-il donc consumé par le regard de son Dieu ? ]
Mais il y a pourtant aussi dans le fait d’un sacrifice l’expression d’un autre sentiment. Evidemment l’homme sent qu’il y a quelque chose qui le sépare de Dieu ; il a besoin de se rendre Dieu favorable. Ce premier sacrifice est donc, en même temps qu’un sacrifice de prospérité, un sacrifice propitiatoire dans le sens le plus large de ce mot. Si Dieu reçoit l’offrande d’Abel et rejette celle de Caïn, cela ne vient pas de ce qu’il y a du sang dans la première, tandis que la seconde constitue un sacrifice non sanglant, car il est bien naturel qu’un berger offre des animaux de son troupeau, un laboureur des produits de ses champs. Mais Caïn prend les premiers fruits venus, tandis qu’Abel choisit ce qu’il y a de mieux dans son troupeau. L’A. T. donne ainsi clairement à entendre, dès l’une de ses premières pages, que les sacrifices n’ont aucune valeur en eux-mêmes, et que Dieu regarde au cœur (Hébreux 11.4).
Les fils d’Adam ne se ressemblent pas. Dès le principe, la race humaine nous présente des enfants de Dieu et des enfants du monde ; dès le principe, une de ces deux branches dénote la disposition à servir d’organe à la révélation. D’une part nous avons les descendants de Caïn, chez lesquels le péché se développe rapidement : Lémech, dans son orgueil impie entonne un chant qui pourrait se résumer ainsi : « Je tuerai qui me touchera ! Je me vengerai au décuple du moindre mal qu’on m’aura fait. » Voilà, remarque Delitzsch, un chant digne des Titans ; voilà un de ces hommes dont la force est le dieu (Habakuk 1.11) et qui se font un dieu de leur bras (Job 12.6). D’autre part, Seth, qui a remplacé Abel, donne naissance à une race de patriarches qui cherchent le Dieu vivant (Genèse 4.26)a : Hénoch est enlevé au ciel et prouve par là qu’il y a une manière de vivre qui peut avoir pour effet d’exempter de la mort (Genèse 5.24). Lamech, à la naissance de Noé, témoigne de l’espoir qu’il nourrit de voir bientôt un sauveur délivrer les hommes de tous les maux qui les accablent (Genèse 5.29). « Celui-ci nous consolera du pénible labeur de nos mains, qui procède de la terre que l’Éternel a maudite. » Celui qui parle ainsi a évidemment l’espoir que l’humanité sera un jour délivrée de la malédiction qui repose sur elle par suite du péché ; il doit connaître le protévangile.
a – Ces mots : « Alors on commença d’invoquer le nom de Jéhovah », nous montrent que le nom de Jéhovah a été employé dès les temps primitifs.
Après que les fils de Dieu se sont mêlés par mariage avec les filles des hommes, la corruption n’a plus de bornes. Dieu accorde encore aux hommes cent vingt ans pour se repentir (Genèse 6.1-4). Mais ils n’en profitent pas, et le déluge arrive, le grand jugement d’extermination auquel n’échappe que Noé avec sa famille. Le souvenir de ce cataclysme se retrouve dans plusieurs religions de l’antiquité ; mais c’est ici l’un des cas où l’on peut le mieux remarquer combien chaque religion transforme à son image les diverses traditions qu’elle s’approprie. En Inde, le déluge n’est qu’une évolution par suite de laquelle tous les êtres finis retombent dans les profondeurs insondables de la Divinité ; et l’homme, qui échappe à la destruction, c’est la vie qui renaît du sein de la mort. Dans la Genèse, au contraire, le déluge nous est présenté à un point de vue éminemment moral ; c’est le premier jugement universel, et celui qui punit ainsi les hommes, c’est un Dieu saint qui ne veut pas que son Esprit soit plus longtemps tenu pour une chose profane (Genèse 6.3). Quant à Noé et à ses fils, leur délivrance est la preuve que c’est à cause de la foi qu’ils ajoutent aux menaces et aux promesses de Dieu, que les élus sont sauvés (Hébreux 11.7). C’est aussi sur cette voie qu’il faut chercher le sens de 1 Pierre 3.20 et sq. : « Un petit nombre, savoir huit personnes, furent sauvées de l’eau, à quoi aussi répond maintenant, comme à une figure, le baptême qui nous sauve ; non pas celui qui nettoie les ordures du corps, mais l’engagement d’une bonne conscience devant Dieu. » Ewald voit dans le déluge un grand lavage du monde. C’est un côté de la question ; mais pour Noé, les eaux sont un moyen de salut : elles portent l’arche, et tel est plutôt le point de vue auquel se place l’Apôtre.