Réformes – Église de Tous-les-Saints – Chute de la messe – Les lettres – Écoles chrétiennes – La science offerte aux laïques. – Les arts – Religion morale, religion esthétique – Musique – Poésie – Peinture
Tandis que les peuples et leurs chefs se pressaient ainsi vers la lumière, les réformateurs s’efforçaient de tout renouveler, de tout pénétrer des principes du christianisme. Le culte les occupa d’abord. Le temps fixé par le réformateur, à son retour de la Wartbourg, était arrivé. « Maintenant, dit-il, que les cœurs ont été fortifiés par la grâce divine, il faut faire disparaître les scandales qui souillent le royaume du Seigneur, et oser quelque chose au nom de Jésus. » Il demanda que l’on communiât sous les deux espèces ; qu’on retranchât de la cène tout ce qui tendait à en faire un sacrifices ; que les assemblées chrétiennes ne se réunissent jamais sans que la Parole de Dieu y fut prêchéet ; que les fidèles, ou tout au moins les prêtres et les écoliers, se réunissent chaque matin, à quatre ou cinq heures, pour lire l’Ancien Testament ; et chaque soir, à cinq ou six heures, pour lire le Nouveau ; que le dimanche, l’Église tout entière s’assemblât le matin et l’après-midi, et que la règle suprême du culte fût de faire retentir la cloche de la Parole de Dieuu.
s – Weise christliche Messe zu halten. (L. Opp. XXXII. 232.)
t – Die christliche Gemeine nimmer soll zusammen kommen, es werde denn daselbst Gottes Wort geprediget. (Ibid. 226.)
u – Dass das Wort im Schwange gehe. (Ibid. 227.)
L’église de Tous-les-Saints, à Wittemberg, excitait surtout son indignation. On y célébrait annuellement 9 901 messes, et l’on y brûlait 35 570 livres de cire, nous dit Seckendorf. Luther l’appelait « la sacrilège Topheth. » « Il n’y a, disait-il, que trois ou quatre ventres paresseux qui adorent encore ce honteux Mammon, et si je ne retenais le peuple, il y a longtemps que cette maison de tous les saints, ou plutôt de tous les diables, eût fait dans le monde un bruit tel, que l’on n’en a jamais entendu un pareil. »
La lutte commença autour de cette église. Elle était comme ces antiques sanctuaires du paganisme en Egypte, en Gaule et en Germanie, qui devaient tomber, pour que le christianisme s’établît.
Luther voulant qu’on abolît la messe dans cette cathédrale, adressa à cet effet, le 1er mars 1523, une première requête au chapitre, et le 11 juillet, il lui en adressa une secondev. Les chanoines lui ayant opposé les ordres de l’électeur : « Que nous importe ici l’ordre du prince ? répondit Luther. Il est un un prince séculier ; c’est du glaive qu’il doit s’occuper, et non du ministère de l’Évangilew. » Luther exprime ici avec clarté la distinction de l’État et de l’Église. « Il n’y a qu’un seul sacrifice qui efface les péchés, dit-il encore, Christ qui s’est offert une seule fois ; et nous y avons part, non par des œuvres ou par des sacrifices, mais uniquement par la foi et la Parole de Dieu. »
v – L. Epp. II. pp. 308, 354.
w – Welchem gebührt das Schwerd, nicht das Predigtamt zu versorgen. (L. Opp. XVIII. p. 497.)
L’électeur, qui se sentait près de sa fin, répugnait à des réformes nouvelles.
Mais de nouvelles instances vinrent se joindre à celles de Luther. « Il est temps d’agir, dit à l’électeur, Jonas, prévôt de la cathédrale. Une manifestation de l’Évangile, aussi éclatante que celle que nous avons à cette heure, ne dure d’ordinaire pas plus longtemps qu’un rayon de soleil. Hâtons-nous doncx. »
x – Corp. Ref. I. 636.
Cette lettre de Jonas n’ayant pas changé les vues de l’électeur, Luther perdit patience ; il crut que le moment était venu de porter le dernier coup, et adressa au chapitre une lettre menaçante : « Je vous prie amicalement, dit-il, et je vous sollicite sérieusement de mettre fin à tout ce culte sectaire. Si vous vous y refusez, vous en recevrez, Dieu aidant, la récompense que vous aurez méritée. Je dis ceci pour votre gouverne, et je demande une réponse positive et immédiate, — oui, ou non, — avant dimanche prochain, afin que je sache ce que j’ai à faire. Dieu vous donne sa grâce, pour suivre sa lumière !
Jeudi, le 8 décembre 1524.
Martin Luther.
Prédicateur à Wittembergy »
y – L. Epp. II. 565.
En même temps, le recteur, deux bourgmestres et dix conseillers se rendirent chez le doyen, et le sollicitèrent, au nom de l’université, du conseil et de la commune de Wittemberg, « d’abolir la grande et horrible impiété commise dans la messe contre la majesté de Dieu. »
Le chapitre dut se rendre ; il déclara qu’éclairé par la sainte Parole de Dieuz, il reconnaissait les abus qu’on lui signalait, et publia un nouvel ordre de service, qui commença à être suivi le jour de Noël 1524.
z – Durch das Licht des heiligen göttlichen Wortes… L. Opp. XVIII. 502.
Ainsi tomba la messe dans ce fameux sanctuaire, où si longtemps elle avait résisté aux attaques réitérées des réformateurs. L’électeur Frédéric, attaqué de la goutte, et près de rendre le dernier soupir, ne put, malgré tous ses efforts, empêcher ce grand acte de réformation. Il y reconnut la volonté divine et se soumit. La chute des pratiques romaines dans l’église de Tous-les-Saints précipita leur fin dans un grand nombre d’églises de la chrétienté ; il y eut partout la même résistance, mais aussi la même victoire. En vain les prêtres et même les princes voulurent-ils, en bien des lieux, y mettre obstacle ; ils ne le purent.
Ce n’était pas le culte seulement que la Réformation devait changer. L’école fut de bonne heure placée par elle à côté de l’Église ; et ces deux grandes institutions, puissantes pour régénérer les peuples, furent également vivifiées par elle. C’était par une alliance intime avec les lettres que la Réformation était entrée dans le monde ; au jour de son triomphe, elle n’oublia pas son alliée.
Le christianisme n’est pas un simple développement du judaïsme ; il ne se propose pas de renfermer de nouveau l’homme, comme voudrait le faire la papauté, dans les langes étroits d’ordonnances extérieures et de doctrines humaines. Le christianisme est une nouvelle création ; il saisit l’homme au dedans ; il le transforme dans ce que la nature humaine a de plus intime, en sorte que l’homme n’a plus besoin que d’autres hommes lui imposent des règles ; mais aidé de Dieu, il peut, de lui-même et par lui-même, reconnaître ce qui est vrai et faire ce qui est bon (Hébreux 8.11).
Pour amener l’humanité à cet état de majorité que Christ lui a acquis, et pour la sortir de la tutelle où Rome l’avait si longtemps tenue, la Réformation devait développer l’homme tout entier ; et en régénérant son cœur et sa volonté par la Parole de Dieu, éclairer son intelligence par l’étude des lettres sacrées et profanes.
Lutherie comprit : il sentit que pour affermir la Réformation il fallait travailler sur la jeunesse, perfectionner les écoles et propager dans la chrétienté les connaissances nécessaires à une étude approfondie des saintes Écritures. Aussi, fut-ce là l’un des buts de sa vie. Il le comprit surtout à l’époque à laquelle nous sommes parvenus, et s’adressa alors aux conseillers de toutes les villes de l’Allemagne, pour leur demander la fondation d’écoles chrétiennes. « Chers messieurs, leur dit-il, on dépense annuellement tant d’argent pour des arquebuses, des chemins, des digues : pourquoi n’en dépenserait-on pas un peu pour donner à la pauvre jeunesse un ou deux maîtres d’école ? Dieu est à notre porte, et il heurte ; bienheureux sommes-nous, si nous lui ouvrons ! Maintenant la Parole divine abonde. O chers Allemands ! achetez, achetez, tandis que le marché se tient devant votre maison. La Parole de Dieu et sa grâce sont comme une ondée qui tombe et s’en va. Elle a été chez les Juifs, mais elle a passé, maintenant ils ne l’ont plus. Paul l’a apportée en Grèce ; mais là aussi elle a passé, et ce sont les Turcs qui s’y trouvent. Elle vint à Rome et dans le pays latin ; mais là encore elle a passé, et Rome a maintenant le papea. O Allemands ! ne pensez pas que vous aurez éternellement cette Parole. Le mépris qu’on lui témoigne la chassera. C’est pourquoi, que celui qui veut l’avoir, la saisisse et la garde ! »
a – Aber hin ist hin, sie haben nun den Pabst. (L. Opp. W. x. 535.)
« Occupez-vous des enfants, continue-t-il, en s’adressant toujours aux magistrats ; car beaucoup de parents sont comme les autruches ; ils s’endurcissent envers leurs petits, et, contents d’avoir pondu l’œuf, ils ne s’en soucient plus ensuite. La prospérité d’une ville ne consiste pas seulement à assembler de grands trésors, à bâtir de fortes murailles, à élever de belles maisons, à posséder des armes brillantes. Si des fous viennent à fondre sur elle, son malheur n’en sera alors que plus grand. Le bien véritable d’une ville, son salut et sa force, c’est de compter beaucoup de citoyens savants, sérieux, honnêtes et bien élevés. Et à qui faut-il s’en prendre de ce qu’il y en a si peu maintenant, si ce n’est à vous, magistrats, qui avez laissé croître la jeunesse comme la futaie dans la forêt ? »
C’est surtout de l’étude des lettres et des langues que Luther maintient avec force la nécessité. « Quelle utilité y a-t-il, demande-t-on, à apprendre le latin, le grec, l’hébreu ? Nous pouvons bien lire la Bible en allemand. Sans les langues, répond-il, nous n’eussions pas reçu l’Évangile… Les langues sont le fourreau où se trouve le glaive de l’Espritb ; elles sont l’écrin qui contient ces joyaux ; elles sont le vase qui renferme cette liqueur ; et, comme parle l’Évangile, elles sont les corbeilles où l’on conserve les pains et les poissons qui doivent nourrir le peuple. Si nous abandonnons les langues, nous en viendrons non seulement à perdre l’Évangile, mais encore à ne plus pouvoir parler et écrire en latin ou en allemand. Dès qu’on a cessé de les cultiver, la chrétienté est déchue, jusqu’à tomber sous la puissance du pape. Mais maintenant que les langues sont de nouveau en honneur, elles répandent tant de lumière que tout le monde s’en étonne, et que chacun doit confesser que notre Évangile est presque aussi pur que celui des apôtres eux-mêmes. Les saints Pères autrefois se sont souvent trompés, parce qu’ils n’ont pas connu les langues ; de nos jours, quelques-uns, comme les vaudois du Piémont, ne croient pas les langues utiles ; mais, quoique leur doctrine soit bonne, ils sont souvent privés du véritable sens du texte sacré, ils se trouvent sans armes contre l’erreur et je crains fort que leur foi ne demeure pas purec. Si les langues ne m’avaient rendu certain du sens de la Parole, j’eusse pu être un moine pieux et prêcher paisiblement la vérité dans l’obscurité d’un cloître ; mais j’eusse laissé debout le pape, les sophistes et leur empire antichréiiend. »
b – Die Sprachen sind die Scheide, darinnen dies Messer des Geistes stecket. (L. Opp. W. X. 535.)
c – Es sey oder werde nicht lauter bleiben. (Ibid.)
d – Ich hätte wohl auch können fromm seyn und in der Stille recht predigen. (Ibid.)
Ce n’est pas seulement de l’enseignement des ecclésiastiques que Luther s’occupe : il veut que la science ne soit plus uniquement dans l’Église ; il se propose d’y faire participer les laïques, qui en ont été jusqu’à cette heure déshérités. Il demande qu’on fonde des bibliothèques, et qu’on ne se borne pas à y recueillir des éditions et des commentaires des scolastiques et des Pères de l’Église, mais aussi les livres des orateurs et des poètes, fussent-ils même païens, ainsi que les ouvrages consacrés aux beaux-arts, au droit, à la médecine, à l’histoire. « Ces écrits servent, dit-il, à faire reconnaître les œuvres et les miracles de Dieu. »
Cet ouvrage de Luther est l’un des plus importants de ceux que la Réformation a produits. Il sortit la science des mains des prêtres qui l’avaient accaparée, comme jadis ceux de l’Egypte, et il la rendit à tous. De cette impulsion de la Réforme sont provenus les plus grands développements des temps modernes. Ces laïques, hommes de lettres ou savants, qui maintenant déchirent la Réformation, oublient qu’ils sont eux-mêmes son œuvre, et que, sans elle, ils seraient encore placés, comme des enfants ignorants, sous la verge du clergé. La Réforme s’aperçut de l’union intime qu’il y avait entre toutes les sciences ; elle comprit que toute science, partant de Dieu, ramène à Dieu. Elle voulut que tous apprissent, et que l’on apprit tout. Ceux qui méprisent les lettres profanes, disait Mélanchthon, n’estiment pas davantage la sainte théologie. Leur mépris n’est qu’un prétexte, dont ils cherchent à couvrir leur lâchetée. »
e – Hunc titulum ignaviæ suæ prætextunt. (Corp. Ref. I. 613.)
La Réformation ne se contenta pas de donner une forte impulsion aux lettres ; elle imprima encore aux arts un nouvel élan. On reproche souvent au protestantisme d’avoir été l’ennemi des arts. Plusieurs protestants acceptent volontiers ce reproche. Nous n’examinerons pas si la Réformation devrait ou non s’en prévaloir ; nous nous contenterons de remarquer que l’impartiale histoire ne confirme pas le fait sur lequel cette accusation repose. Que le catholicisme romain s’enorgueillise d’être plus favorable aux arts que le protestantisme, à la bonne heure ; le paganisme leur fut plus favorable encore, et le protestantisme met ailleurs sa gloire. Il est des religions où les tendances esthétiques de l’homme tiennent une place plus importante que sa nature morale. Le christianisme se distingue de ces religions, en ce que son essence est l’élément moral. Le sentiment chrétien s’exprime, non par les productions des beaux-arts, mais par les œuvres de la vie chrétienne. Toute secte qui abandonnerait cette tendance morale du christianisme, perdrait par là même ses droits au nom chrétien. Rome ne l’a point entièrement abandonnée, mais le protestantisme garde avec bien plus du pureté ce caractère essentiel. Il met, lui, sa gloire à approfondir tout ce qui est du ressort de l’être moral, à juger des actes religieux, non d’après leur beauté extérieure et la manière dont ils frappent l’imagination, mais d’après leur valeur intime et le rapport qu’ils ont avec la conscience ; en sorte que, si la papauté est avant tout une religion esthétique, comme l’a prouvé un illustre écrivainf, le protestantisme est avant tout une religion morale.
f – Chateaubriand, Génie du Christianisme.
Cependant, bien que la Réformation s’adressât d’abord à l’homme comme être moral, elle s’adressait à l’homme tout entier. Nous venons de voir comment elle parla à son intelligence et ce qu’elle fit pour les lettres ; elle parla aussi à sa sensibilité, à son imagination, et contribua au développement des arts. L’Église n’était plus composée uniquement de prêtres et de moines ; c’était l’assemblée des fidèles. Tous devaient prendre part au culte ; et aux chants du clergé devaient succéder les chants du peuple. Aussi Luther, en traduisant les Psaumes, pensa-t-il à les adapter au chant de l’Église. Ainsi le goût de la musique fut répandu dans toute la nation.
« Après la théologie, disait Luther, c’est à la musique que je donne la première place et le plus grand honneurg. — Il faut qu’un maître d’école sache chanter, disait-il encore, sans quoi je ne le regarde pas même. »
g – Ich gebe nach der Theologie, der Musica den nähesten Locum und höchste Ehre. (L. Opp. W. XXII. p. 253.)
Un jour qu’on chantait chez lui quelques beaux morceaux, il s’écria avec ravissement : « Si notre Seigneur Dieu a répandu des dons si admirables sur la terre, qui n’est qu’un réduit obscur, que n’y aura-t-il pas dans cette vie éternelle où la perfection sera venue !… » Depuis Luther, le peuple chanta ; la Bible inspira ses chants, et l’impulsion donnée à l’époque de la Réforme enfanta plus tard ces magnifiques oratorios qui semblent être le dernier mot de cet art.
La poésie prit le même élan. On ne pouvait, pour célébrer les louanges de Dieu, s’en tenir à de simples traductions des hymnes antiques. L’âme de Luther et celle de plusieurs de ses contemporains, élevées par la foi aux pensées les plus sublimes, excitées à l’enthousiasme par les combats et les dangers qui menaçaient sans cesse l’Église naissante, inspirées enfin par le génie poétique de l’Ancien Testament, et la foi au Nouveau, épanchèrent bientôt leurs sentiments en des chants religieux, où la poésie et la musique unirent et confondirent ce qu’elles ont de plus céleste. Ainsi l’on vit renaître, au XVIe siècle, le cantique, qui, déjà au Ier, avait consolé les douleurs des martyrs. En 1523, Luther, nous l’avons vu, le consacra à chanter les martyrs de Bruxelles ; d’autres enfants de la Réforme suivirent ses traces ; les chants se multiplièrent, ils se répandirent avec promptitude parmi le peuple, et ils contribuèrent puissamment à le réveiller de son sommeil. Ce fut dans la même année que Hans Sachs chanta le rossignol de Wittemberg. La doctrine qui, depuis quatre siècles, avait régné dans l’Église, est pour lui comme le clair de lune, pendant lequel on s’est égaré dans les déserts. Maintenant le rossignol annonce le soleil, et s’élève, en chantant la lumière du jour, au-dessus des nuages du matin.
Tandis que la poésie lyrique sortait ainsi des inspirations les plus élevées de la Réforme, la poésie et le drame satiriques attaquaient, sous la plume de Hutten, de Mürner, de Manuel, les plus criants abus.
C’est à la Réforme que les grands poètes de l’Angleterre, de l’Allemagne et peut-être de la France, ont dû leur essor.
La peinture est, de tous les arts, celui sur lequel la Réformation eut le moins d’influence. Néanmoins elle fut renouvelée et comme sanctifiée par le mouvement universel qui agitait alors toutes les puissances de l’homme. Le grand maître de cette époque, Lucas Cranach, se fixa à Wittemberg, y vécut dans l’intimité de Luther, et devint le peintre de la Réformation. Nous avons vu comment il représenta les contrastes de Christ et de l’antechrist (le pape), et prit rang ainsi parmi les instruments les plus influents de la révolution qui transformait les peuples. Dès qu’il eut accueilli des convictions nouvelles, il ne consacra son chaste pinceau qu’à des peintures en harmonie avec les croyances chrétiennes, et il répandit sur des groupes d’enfants, bénis par le Sauveur, la grâce dont il avait auparavant orné les saints et les saintes de la légende. Albert Durer fut gagné aussi par la parole de l’Évangile, et son génie en prit un nouvel élan. Ses chefs d’œuvre datent de cette époque. On voit aux traits dont il peignit dès lors les évangélistes et les apôtres, que la Bible était rendue au peuple, et que le peintre y puisait une profondeur, une force, une vie, une grandeur, qu’il n’eût jamais trouvées en lui-mêmeh.
h – Ranke, Deutsche Geschichte, II. 85.
Cependant, il faut le reconnaître, la peinture est, de tous les arts, celui dont l’influence religieuse est la plus susceptible d’objections fondées et pressantes. La poésie et la musique viennent du ciel et se retrouveront au ciel ; mais on voit sans cesse la peinture unie à de graves immoralités ou à de funestes erreurs. Quand on a étudié l’histoire ou vu l’Italie, on n’attend pour l’humanité rien de bon de cet art-là. Quoi qu’il en soit de cette exception que nous croyons devoir faire, notre remarque générale subsiste. La Réformation de l’Allemagne, tout en s’adressant avant tout à la nature morale de l’homme, a donné aux arts une impulsion qu’ils n’eussent point reçue du catholicisme romain.
Ainsi tout avançait, les arts, les lettres, la spiritualité du culte, et les âmes des peuples et des rois. Mais cette magnifique harmonie, que l’Évangile, aux jours de sa renaissance, produisait de toutes parts, allait être troublée. Les chants du rossignol de Wittemberg allaient être interrompus par les sifflements de la tempête et le rugissement des lions. Un nuage s’étendit en un moment sur toute l’Allemagne, et à un beau jour succéda une profonde nuit.