L’Église méthodiste possède, à côté du ministère régulier, un corps nombreux de prédicateurs laïques, qui, en France, sont, relativement aux pasteurs, dans la proportion de trois à un, et qui représentent un élément précieux de force spirituelle et évangélisatrice.
Le prédicateur laïque ou local, comme on l’appelle encore souvent, n’est pas un agent salarié ; c’est à peine si, dans quelques-uns de nos circuits, il est défrayé de ses dépenses de voyage. Ses services sont donc gratuits et bénévoles. Il prêche l’Évangile parce qu’il s’y sent poussé par son zèle chrétien et par son amour des âmes. Exerçant une profession modeste ou élevée, simple maçon comme Jean Nelson, ou membre du Parlement britannique, comme Samuel Waddy, il pourvoit à ses besoins par son travail et consacre ses dimanches à l’évangélisation.
Son activité n’est pas toutefois absolument spontanée. Il appartient à un corps, il est embrigadé et il obéit à une discipline. Pour devenir prédicateur laïque, il ne lui suffit pas de chercher quelque part des auditeurs de bonne volonté disposés à l’écouter. Membre d’une Église fortement disciplinée, il doit justifier de sa piété, de sa vocation, de ses aptitudes devant l’assemblée trimestrielle de son circuit. Son pasteur, après s’être convaincu par lui-même de la réalité de ses dons et de la suffisance de ses connaissances et lui avoir fourni quelques occasions de se faire entendre dans des réunions de prières ou autres, lui indique des lectures à faire, lui donne au besoin quelques leçons, puis le présente à l’assemblée trimestrielle, devant laquelle il doit subir un examen qui porte sur ses expériences et sur ses connaissances religieuses. Si l’examen est jugé satisfaisant, il est reçu prédicateur sous épreuve, et il commence alors un noviciat qui dure ordinairement six mois, pendant lesquels il aura à présider un certain nombre de réunions. Au bout de ce temps d’épreuve, s’il est reconnu apte à exercer définitivement les fonctions de prédicateur laïque, son nom est inscrit sur le tableau des services, et il est appelé à prêcher régulièrement. Il continue d’ailleurs, à être justiciable de l’assemblée trimestrielle qui, en cas d’incapacité ou d’indignité, peut le révoquer.
On n’attend pas du prédicateur laïque qu’il soit un théologien ou un homme très cultivé, quoique les annales de l’Église méthodiste aient compté plus d’un membre de cette milice auxiliaire parvenu à un rare degré de culture. Règle générale, ce que l’Église est en droit de demander à ces modestes agents, c’est, avec une piété solide, un jugement sain, une sérieuse connaissance des Écritures et des dons de parole suffisants. S’ils y ajoutent le goût de l’étude et l’amour des livres, il n’est pas rare qu’ils deviennent des prédicateurs remarquables et grandement appréciés.
L’Église a besoin sans doute de docteurs capables d’exposer, d’une manière systématique et approfondie, les vérités de la foi. Mais elle réclame aussi, et en plus grand nombre, les évangélistes qui sachent proclamer avec fidélité et avec puissance la bonne nouvelle du salut. Les Apollos sont rares en tout temps, les Aquilas et les Priscille doivent être nombreux. La prédication de ces humbles témoins de Jésus-Christ se renfermera habituellement dans l’affirmation de ces deux grands faits : le péché et le salut. Mais n’est-ce pas, après tout, ce dont les âmes ont le plus besoin ?
La prédication laïque ne saurait remplacer d’une manière permanente la prédication plus travaillée du pasteur ; mais n’a-t-elle pas aussi ses avantages propres et, jusqu’à un certain point, sa supériorité ? Et d’abord elle est moins suspecte. On dit quelquefois du pasteur qu’il fait son métier en prêchant, ce qui est une façon de dire qu’il est permis de ne pas le prendre au sérieux. Mais on ne peut pas dire cela du laïque, qui, lui du moins, ne peut guère avoir d’autre intérêt à prêcher l’Évangile qu’un désir sincère de faire du bien. Sa parole a aussi généralement l’avantage d’être plus directe et plus intelligible que celle du prédicateur de profession, dont les sermons passent souvent au-dessus de la tête des auditeurs à force d’être académiques, et n’atteignent pas toujours les consciences. Le laïque qui prêche l’Évangile, à moins qu’il ne soit gâté par l’imitation et par les prétentions, a donc de sérieuses chances de se faire écouter par des auditeurs réfractaires à une prédication plus littéraire.
La prédication laïque a, dans l’histoire de l’Église, les plus beaux états de service. Il serait aisé de montrer que ce ministère non officiel a quelque analogie avec celui des prophètes de l’ancienne Alliance. Nous préférons rappeler qu’il a reparu à toutes les époques de réveil et qu’il a été tout spécialement le moyen dont Dieu s’est servi au siècle dernier, pour réveiller l’Église. Quand Wesley lança sur l’Angleterre endormie, en attendant qu’il les lançât sur le monde entier, ses humbles évangélistes arrachés à l’atelier, à l’échoppe ou à la charrue, il souleva d’unanimes clameurs de la part de tous ceux pour qui il n’y a de salut que dans ce qui est officiel et régulier. Son frère Charles répondait à l’archevêque anglican d’Armagh, qui se plaignait de l’emploi de laïques illettrés comme prédicateurs, par cette boutade : « Que voulez-vous ? le Seigneur se servit bien d’une ânesse muette pour réprimander un prophète ! » Quant à John Wesley, il opposait sur ce point, aux prétentions cléricales de son temps, les meilleures traditions du passé :
« On objecte, disait-il, que nos prédicateurs ne sont que des laïques ; je réponds que les scribes, qui étaient prédicateurs chez les Juifs, n’étaient pas prêtres, et n’étaient que des laïques eux aussi. Plusieurs d’entre eux n’auraient pas même pu être prêtres, n’étant pas de la tribu de Lévi. Et c’est probablement ce qui explique que les Juifs n’aient jamais soulevé contre la prédication de notre Seigneur l’objection qu’il n’était pas prêtre de l’ordre d’Aaron ; il n’eût pas pu l’être d’ailleurs, étant de la tribu de Juda. Il ne paraît pas non plus que cette objection ait été adressée aux apôtres.
Si nous en venons aux temps modernes, Calvin avait-il reçu l’ordination ? Etait-il prêtre ou diacre ? Et la plupart de ceux qu’il plut à Dieu d’employer pour propager la Réformation n’étaient-ils pas aussi des laïques ? Cette grande œuvre aurait-elle jamais pu se répandre en tant de lieux si les laïques n’avaient pas prêché ? L’ordination n’est pas considérée, dans toutes les Églises protestantes, comme une condition indispensable pour prêcher… »
Le grand argument qu’invoquait Wesley, c’était la nécessité. Cet argument est toujours valable, et il l’est surtout en France, où la moisson est grande et où il y a peu d’ouvriers. Le ministère pastoral y sera longtemps encore insuffisant devant la grandeur de la tâche à accomplir. Le ministère laïque, si nos Églises savent lui faire sa place, a un grand rôle à jouer dans l’évangélisation de notre pays. Il n’est pas pour le pastorat un rival à redouter, mais un auxiliaire précieux à former.