« La cosmogonie des Moïse et des Hésiode, a écrit M. Fouillée, avec ses créations successives ou ses générations de dieux, n’était pas plus fabuleuse que ne l’est encore cette sorte de cosmogonie morale des philosophes spiritualistes, qui attribue à la divinité ou à un principe supranaturel les lois du monde moral et les sentiments de la conscience, commandements du devoir, satisfaction intime ou remords. »b
b – Critique des systèmes de morale contemporains, p. 3.
« Les métaphysiques autoritaires et les religions, a écrit de son côté Guyau, sont des lisières bonnes pour les peuples enfants : il est temps que nous marchions seuls, que nous prenions en horreur les prétendus apôtres, les missionnaires, les prêcheurs de toute sorte ; que nous soyons nos propres guides et que nous cherchions en nous-mêmes la révélation. Il n’y a plus de Christ ! Que chacun de nous soit son Christ à lui-même, se relie à Dieu comme il voudra et comme il pourra, ou même renie Dieu ; que chacun conçoive l’univers sur le type qui lui semblera le plus probable, monarchie, oligarchie, république ou chaos : toutes ces hypothèses peuvent se soutenir, elles doivent donc être soutenues. Il n’est pas absolument impossible que l’une d’elles réunisse un jour de son côté les plus grandes probabilités et emporte avec elle la balance dans les esprits humains les plus cultivés ; il n’est pas impossible que cette doctrine privilégiée soit une doctrine de négation ; mais il ne faut point empiéter sur un avenir aussi problématique et croire qu’en détruisant la religion révélée ou le devoir catégorique on jettera brusquement l’humanité dans l’athéisme et le scepticisme moral. »c
c – Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, p. 168 et suiv.
Non seulement, selon M. Herbert Spencer, la morale peut se passer de la religion, mais il y a incompatibilité entre l’une et l’autre.
« L’école morale, écrit-il, que l’on doit considérer comme représentant aujourd’hui encore la doctrine la plus ancienne, c’est l’école qui ne reconnaît d’autre règle de conduite que la prétendue volonté de Dieu. Elle prend naissance chez les sauvages, dont le seul frein, après la peur de leurs semblables, est la crainte que leur inspire l’esprit de quelque ancêtre : pour eux la notion d’un devoir moral, distincte de la notion de prudence sociale, est l’effet de cette crainte. La doctrine morale et la doctrine religieuse sont encore réunies et ne diffèrent à aucun degré.
Cette forme primitive de la doctrine morale, — modifiée seulement par la suppression d’une infinité d’agents surnaturels de second ordre et le développement d’un agent surnaturel unique, — subsiste avec beaucoup de force même de notre temps. Les symboles religieux, orthodoxes ou non, donnent tous un corps à cette croyance que le bien et le mal sont déterminés exclusivement par un ordre de Dieu. Cette supposition tacite a passé des systèmes théologiques aux systèmes de morale ; ou plutôt disons que les systèmes de morale, encore peu distincts des systèmes théologiques qui les accompagnaient aux premières phases de leur développement, ont participé à cette hypothèse.
Quand on l’examine de près, on voit bientôt que cette doctrine conduit à la négation de la moraled. »
d – La Morale évolutionniste, p. 41 et 42.
Cette catégorie des principes irréligieux de la morale comporte une première subdivision, déterminée par le rapport du principe moral, quelque application qu’il reçoive, à l’individu.
Selon que l’individu sera considéré comme le simple produit des forces d’une nature préexistante ou comme l’agent d’initiatives futures, nous obtenons la classification en principes naturalistes et principes individualistes de la morale.