Nous n’avons pas à fournir ici les preuves naturelles de l’existence de Dieu, ni à discuter la valeur de celles qui sont généralement admises. Cette tache incombe à l’apologétiqueh. Il ne nous reste qu’à traiter de la doctrine biblique et chrétienne de Dieu ; c’est-à-dire que l’existence de Dieu, d’un Dieu personnel, étant censée admise, nous avons à exposer les éléments de connaissance que la Bible nous procure sur ce sujet.
h – Nous rappelons que, dans notre système, l’apologétique précède de droit la dogmatique.
Mais avant d’en venir à cet exposé, nous devons fixer les limites de notre compétence en pareille matière, qui sont celles que la révélation biblique elle-même a tracées à nos investigations. Avant de rechercher ce qu’il nous est possible, utile et obligatoire de connaître sur Dieu, nous avons à nous rendre compte de ce que, pour le moment du moins, il nous est obligatoire d’ignorer.
« Dieu, a écrit Beck, n’est ni absolument cognoscible, ni absolument incognoscible, mais il est relativement l’un et l’autre, selon la mesure des révélations qu’il nous a faites et de l’accueil qu’elles ont reçu de notre part. Au sein de l’humanité, Dieu s’est manifesté diversement et graduellement, mais dans toutes ses révélations, il reste un élément inaccessible à nos intuitions, et la raison en est non pas seulement dans le sujet connaissant lui-même, mais dans le caractère graduel de la révélation objective (1 Jean 3.2) ».
Nous distinguons donc deux facteurs qui déterminent le degré d’intelligibilité de Dieu dans l’humanité : le facteur objectif, le degré d’évidence et de plénitude de chaque révélation faite par Dieu à l’homme, et le subjectif, le degré de réceptivité morale de l’homme. D’une part, Dieu est volontairement ignoré et même méchamment nié par une partie de ses créatures : « Le monde, dit Jésus-Christ à son Père, ne t’a point connu » (Jean 17.25) ; et l’insensé a dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu ! (Psaumes 14.2). D’autre part, les révélations divines ont été départies inégalement aux hommes dans les différents temps et les différents lieux, et selon des normes résidant non en l’homme, mais dans la souveraine volonté de Dieu.
C’est seulement des limites objectives et historiques de l’intelligibilité divine que nous avons à traiter ici, et nous venons d’écarter deux erreurs préliminaires et contemporaines à ce sujet : l’une, issue du kantisme, et connue aujourd’hui sous le nom d’agnosticisme, selon laquelle Dieu serait un noumène à la fois inaccessible à nos organes et à nos facultés et indifférent à notre pratique morale ou à nos intérêts ; l’autre, qui tient que toute la connaissance de Dieu utile et nécessaire à l’homme se trouve en l’homme lui-même, soit dans l’essor de sa raison logique (Rothe)i, soit dans le fait de sa conscience, dans son propre Gottesbewusstsein (Schleiermacher), soit dans ses expériences externes conscientes et volontaires (Ritschl et son école).
i – C’est la méthode que Bertling paraît recommander on disant que « la considération de la totalité du réel amène avec une nécessité logique à un être auquel nous devons attribuer les caractères constitutifs de la notion de Dieu ». Nous craignons toujours, quant à nous, que le Dieu obtenu par une nécessité logique ne soit l’idée logique elle-même.
Ces derniers opposent à la connaissance de Dieu dite théorique ou désintéressée celle qui résulte des relations de Dieu avec l’homme, et qui, se mesurant à la valeur ou à l’utilité que l’existence divine a pour nous, s’exprime dans ce que l’école appelle : Die Werthurtheile, terme que nous avons rendu par : jugements qualificatifs.
« En dehors de ces jugements qualificatifs de la foi, écrit Ritschl, il n’y a pas de connaissance de Dieu digne de ce nom. Une connaissance de Dieu purement théorétique et désintéressée n’est donc pas à rechercher comme la condition nécessaire de la connaissance de la foi. On dit, sans doute, qu’il faut d’abord connaître l’essence de Dieu et de Christ pour en déterminer la valeur pour nous. Disons plutôt avec Luther que l’on ne connaît l’essence de Dieu et de Christ qu’en dedans de la valeur que cette essence a pour nous.j »
j – Rechlf. and Versöhn, tome II, page 198.
Disons à notre tour que la vérité et l’erreur s’entrecroisent dans cet exposé. Il est clair qu’une connaissance utile et vivante de Dieu ne peut être puisée que dans l’expérience de la foi, et que de fait notre connaissance de Dieu est proportionnée à la valeur que cette essence a pour nous. Mais tout est d’évaluer cette valeur elle-même ; de décider si la norme de ma connaissance religieuse se trouve dans la révélation divine objective ou dans le moi, dans ma nature, dans mes aspirations, dans mon indifférence, dans ma paresse peut-être à rechercher la vérité que je ne possède point encore ; en d’autres termes : si la valeur de fait que l’essence divine a pour moi en règle la valeur de droit ; si l’état actuel de mes relations avec Dieu et avec les choses de Dieu exprime ma connaissance obligatoire.
Pour nous, nous enseignons tout à la fois que nos facultés naturelles sont insuffisantes pour atteindre spontanément la Divinité, et nous procurer le degré de connaissance de Dieu qu’il faut à notre pratique ; que par conséquent, Dieu devant être connu de la créature a dû se manifester à elle de haut par des témoignages ou révélations ; et qu’en même temps l’homme possède une faculté de réceptivité pour ces révélations qu’il doit rechercher et s’approprier jusqu’à la totalité de leur contenu.
Or Dieu s’est révélé tour à tour à l’homme dans la conscience de l’homme, dans la nature, dans l’histoire générale, spécialement dans la préparation et dans l’accomplissement du salut, et ici dans la personne même de Christ, d’une manière sinon adéquate à la plénitude de sa nature, du moins suffisante à notre activité présente.
Nous distinguons toutefois trois causes générales d’imperfection attachées à toute connaissance révélée du vrai Dieu dans l’économie actuelle, et cela, même au degré supérieur de ces révélations. Tout d’abord, l’objet de la connaissance est infini, tandis que le sujet de la connaissance est fini ainsi que ses facultés. En second lieu, l’objet est suprasensible, tandis que le sujet perçoit par le médium des sens, revêt ses conceptions, même spirituelles, d’images sensibles. Enfin, l’objet est la perfection morale personnifiée, et le sujet, indépendamment même de son état de chute, ne possède point cette perfection morale absolue. La connaissance de Dieu, même la plus complète, sera donc dans l’économie actuelle nécessairement partielle ; et la révélation biblique elle-même distingue à plus d’une reprise l’essence ésotérique de Dieu, jusqu’ici inaccessible à toute créature (1 Timothée 6.16), et que Celui-là seul connaît qui a vécu dans le sein même de Dieu (Matthieu 11.27 ; Jean 1.18), de son existence ad extra, tournée vers le monde et la créature finie. L’essence divine en elle-même est lumière (1 Jean 1.5) ; l’essence divine révélée est le nom de Dieu ; et cette essence reconnue, c’est sa gloire.
Nous avons à décrire les limites particulières attachées à chacun des degrés de la révélation faite par Dieu à l’humanité, dans l’ordre suivant :
- Au degré des révélations naturelles générales ;
- Au degré des révélations préparatoires ;
- Au degré de la révélation accomplie.