Messieurs,
Le titre donné à cette séance n’aura surpris personne. Qui ne sait que la vie est un combat ? La plupart des hommes soutiennent une lutte continuelle seulement pour vivre, pour gagner leur pain de chaque jour et celui de leur famille ; ils luttent contre la misère toujours menaçante. D’autres, libres du soin de pourvoir à leur subsistance, s’agitent pour obtenir une place, un emploi, pour se faire une fortune, une réputation ; ils doivent triompher de leurs concurrents, dépasser leurs rivaux. Tous nous cherchons la joie ; et dans cette recherche il nous faut lutter chaque jour contre les soucis, les tristesses, les découragements. On arrive ainsi à vivre ; puis on laisse quelque chose à ses enfants : une fortune plus ou moins considérable ou des dettes, une réputation plus ou moins bonne, et l’on est porté au cimetière.
Ce n’est pas de ce combat-là, de celui dont le but est d’obtenir ce qu’on appelle le bien-être et le succès, que nous nous entretiendrons aujourd’hui. Nous ne parlerons pas cependant d’autre chose que de notre vie de tous les jours ; mais nous en parlerons à un point de vue spécial ; nous nous occuperons du bon combat, de celui qui doit avoir pour résultat, non le succès dans le monde, mais la réalisation des lois du bien.
Le combat que nous avons à livrer au mal n’est pas celui que nous avons reconnu faire partie de la destinée de la créature spirituelle, et qui est la condition du progrès régulier et normal ; ce n’est pas seulement contre la possibilité du mal que nous avons à nous défendre. Le mal est là, réel, puissant ; il a des armées, il a des forteresses, il a surtout une citadelle dans le cœur de chacun de nous. Le mal étant réel, il y a, dans la lutte que nous avons à soutenir, quelque chose à détruire, quelque chose à tuer ; et, si l’homme qui a le sentiment de faire son devoir peut obtenir un sentiment de paix, on ne saurait toutefois rencontrer un repos stable et permanent dans un monde où règne le désordre. Cette situation est effrayante ; aussi nous arrive-t-il souvent de fermer les yeux sur la condition de la vie, et de vouloir nous persuader qu’il n’y a pas tant à faire.
« Insouciance, paresse, amour d’une vie molle, peur surtout, la tremblante peur, voilà ce qui aveugle ou corrompt les débiles consciences de tant d’hommes qui s’en vont balbutiant avec une sécurité feinte : Paix, paix ! et il n’y a point de paixi. Ils craignent le travail, ils craignent le combat, ils craignent tout, excepté ce qu’il faudrait craindre. Je vous le dis, il y a un œil dont le regard tombe d’en haut comme une malédiction sur ces lâches. Et pourquoi donc croient-ils être nés ? Dieu n’a point mis l’homme sur cette terre pour s’y reposer comme dans la patrie, ou pour s’engourdir quelques jours dans un indolent sommeil. Le temps n’est pas une brise légère qui en passant caresse et rafraîchit son front, mais un vent qui tour à tour le brûle et le glace, une tempête qui emporte rapidement sa frêle barque, sous un ciel nébuleux, à travers les rochers. Il faut qu’il veille et rame et sue ; il faut qu’il violente sa nature et plie sa volonté à l’ordre immuable qui la froisse et la brise incessamment. Le devoir, le sévère devoir, s’assied près de son berceau, se lève avec lui quand il en sort, et l’accompagne jusqu’à la tombe. »
i – Jérémie 6.14.
Ces paroles de Lamennaisj sont la vive et forte image de notre condition.
j – Affaires de Rome Des maux de l’Église.
Vous pouvez, Messieurs, avoir des doutes sur la valeur de la solution du problème du mal que je vous ai proposée. Pour entrer dans les considérations que nous allons aborder aujourd’hui, il n’est pas nécessaire, nous l’avons déjà dit, que vous acceptiez la partie la plus difficile et la plus mystérieuse de cette solution ; il suffit que vous admettiez que le mal ne doit pas être, et que par conséquent sa généralité ne diminue en rien l’obligation de le détruire. Détruire le mal, tel est le but du bon combat de la vie.
Qui combat est soldat ; et tout soldat doit connaître son drapeau et recevoir le mot d’ordre. Notre drapeau, qu’il faut planter sur les citadelles de l’ennemi, c’est le bien. Le mot d’ordre, c’est le triomphe. Le commandant suprême, c’est Celui dont la volonté éternelle est identique au bien parce qu’il en est la substance même, Dieu.
Examinons quel doit être, dans la lutte contre le mal, notre point de départ, quel doit être notre élan, quel est l’écueil que nous rencontrons sur notre route, et enfin quel est le plan véritable du combat. Point de départ. — Élan vers le bien. — Écueil. — Plan du combat : tel sera l’ordre de nos réflexions.