En sortant de l’arche, Noé offre un sacrifice à l’Éternel. Il a besoin de témoigner à Dieu sa reconnaissance pour la délivrance dont il a été l’objet, et il veut s’assurer pour l’avenir la continuation de la bienveillance divine. Puis Dieu traite une alliance avec la nouvelle humanité, et il s’engage à ne plus la détruire. Il ne faut pas que, par de continuels bouleversements, le Dieu de la nature empêche les hommes de se fier au Dieu des promesses et de la grâce. Comparez Genèse 8.21-22 avec Ésaïe 54.9, et Jérémie 23.21,25. Dans les premiers versets du chap. 9e, Dieu confirme à l’homme pécheur sa dignité de créature formée à l’image du Créateur. C’est à ce passage que se rattache la vieille tradition juive des commandements de Noé. Ces commandements, au nombre de sept, méritent d’être connus ; c’étaient les seuls que les prosélytes de la porte fussent tenus d’observer, tandis que les prosélytes de la justice devaient se soumettre à la loi tout entière. Le premier défendait l’idolâtrie ; le deuxième, le mépris du nom de Dieu ; le troisième, l’effusion du sang ; le quatrième, l’adultère ; le cinquième, le vol ; le sixième instituait l’autorité civile ; le septième, enfin, défendait de manger le sang avec la chair des animaux. On voit qu’il n’y a que le troisième et le septième de ces commandements qui se trouvent clairement exprimés dans les paroles bibliques de l’Éternel à Noé. Les autres ne s’y rattachent que plus ou moins indirectement. L’A. T. lui-même n’exprime nulle part la pensée qu’il convienne de soumettre à l’observation de ces commandements-là les païens qui veulent se rattacher au peuple de Dieu.
La fin du chapitre 9e renferme les trois paroles de Noé sur ses trois fils : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit le serviteur des serviteurs de ses frères ! Béni soit l’Éternel (Jéhovah), le Dieu de Sem, et que Canaan soit son serviteur ! Que Dieu (Eloïm) donne de l’extension à Japhet ; qu’il habite dans les tentes de Sem et que Canaan devienne leur serviteur ! » Cette triple sentence est de la plus grande importance ; en trois traits, voilà la caractéristique des trois grandes races humaines et de leurs destinées. C’est dans la famille de Sem que Dieu se révélera ; pour elle Dieu est l’Éternel. Pour Japhet, Dieu n’est que la Divinité en général, mais Japhet aura part cependant aux bénédictions de Sem ; il habitera dans les tentes de Sem. — Cam et spécialement Canaan ont pour leur part la malédiction et l’esclavage. On a souvent dit que le v. 27 annonçait qu’un jour les Japhétites, vainqueurs des Sémites, s’empareraient de leur territoire. Même si tel était le sens de ce verset, il n’en serait pas moins fort remarquable, car l’histoire lui donnerait raison ; mais le contexte n’est pas favorable à cette interprétation. Je préfère y voir la prophétie d’un événement spirituel, qui s’est également accompli et qui n’est pas moins important, à savoir l’entrée des Japhétites dans l’alliance du Dieu de Sem.
Les Camites fondent (Genèse 10.8 et sq.) le premier empire, avec Babylone pour capitale ; il est hostile à Dieu, et dès ce moment commence à se manifester dans l’histoire cette grande opposition entre le royaume de Dieu et les royaumes du monde, qui va se poursuivre à travers toute la Bible. L’humanité, qui jusque-là était demeurée une, se scinde en plusieurs langues et nations.
Cette scission, à laquelle ne tardera pas à venir s’ajouter celle de chaque peuple en diverses castes, les païens la regarderont comme quelque chose de normal et d’originel. Comment donc d’un peuple à l’autre se considérer comme des frères ? Mais si une nation peut rendre probable l’opinion qu’elle est autochthone, voilà pour elle un grand titre de gloire. Par la généalogie du chapitre 10 au contraire, Moïse montre que Dieu a fait naître d’un seul sang tout le genre humain (Actes 17.26) ; tandis que des paroles comme Genèse 12.3 ; 18.18 et d’autres, font pressentir qu’un jour toutes les nations de la terre seront de nouveau réunies en un seul corps.
Relativement au fameux chapitre 10, il va de soi que ce n’est pas le point de vue géographique qui y domine, bien qu’en général les Camites occupent plutôt les contrées méridionales, les Japhétites le nord, et les Sémites les régions intermédiaires. Non, c’est un tableau généalogique. Il ne faut pas oublier non plus que les noms qui s’y rencontrent ne désignent pas tous des individus, mais aussi des peuplades. C’est par ce tableau généalogique que la Genèse prend en quelque sorte congé de l’humanité comme telle, pour se consacrer exclusivement à l’histoire d’un peuple particulier. Mais c’est aussi ce moment qu’elle choisit pour montrer que tous les hommes sont frères ; chose remarquable, le peuple élu sera le seul peuple de l’antiquité qui ait le sentiment de l’unité de la race humaine. Lorsque St. Paul, à l’aréopage, déclarera que Dieu a fait naître tous les hommes d’un seul sang, ce sera là pour l’orgueil athénien une parole bien dure à supporter.