Ce que nous venons de dire nous permet de résoudre en principe cette dernière question. Notre thèse, c’est qu’il y a une morale absolue et qu’il y a des morales historiques (ou relatives) sans que celles-ci fassent tort à celle-là. Et voici comment nous comprenons leurs rapports : Le bien et le mal qu’apprécie la loi morale, ne sont autre chose que le résultat d’une interprétation réfléchie, donc libre, mais responsable, de ce qui doit ou ne doit pas être. Ce qui doit être découle de la vraie nature et de la vraie destination de l’être humain individuel et collectif, nature dans laquelle est comprise l’obligation elle-même ou sentiment religieux du devoir dont il est affecté dans sa conscience. Cette nature et cette destination ne sont pas arbitraires, mais procèdent de l’ensemble organique dont l’homme fait partie et de la position spéciale qu’il occupe dans cet ensemble. Ce qui doit être est arrêté par là même et ne saurait plus dépendre des caprices de la fantaisie ou des accidents du hasard. Le contenu positif de la loi morale est donc fixe. Sa connaissance concrète serait donnée par une connaissance parfaite d’une nature humaine normalement et parfaitement développée, parfaitement interprétée par un sentiment parfaitement pur de l’obligation de conscience (Jésus-Christ).
En attendant ce terme idéal (que les chrétiens du reste n’ont plus à attendre, puisqu’il leur est donné en Jésus-Christ), le contenu de la loi morale (c’est-à-dire les notions concrètes du bien et du mal) varie suivant le degré de développement où l’homme a porté sa nature et suivant la connaissance plus ou moins exacte de sa nature et de sa destination.
Il n’y a donc, absolument — c’est-à-dire idéalement — parlant, qu’un bien et qu’un mal, et ce sont les mêmes pour tous les hommes. Mais le bien actuel restera toujours, pour chaque individu ou groupe d’individus, d’agir en chaque cas donné selon ce qu’il croit conforme à la connaissance qu’il a de sa nature, au degré de développement où il la réalise. Ainsi les morales se succèdent, au cours des âges, sans infirmer la morale. Le but auquel elles tendent est bien plutôt de la rejoindre une fois, de s’en approcher constamment, et l’un des moyens d’opérer ce rapprochement consiste bien certainement dans une science plus approfondie des lois de l’organisme cosmique. A ce titre, le progrès scientifique de notre époque, les tentatives de morale scientifique qui en sont issues, doivent être considérées comme une active et féconde collaboration à l’établissement de la loi morale absolue.