Les textes eucharistiques fournis par nos auteurs sont fort abondants, et il serait fastidieux autant que superflu de les indiquer tous. On peut, en général, les grouper en trois classes. Les uns se rapportent à la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie, et énoncent le fait que, après la consécration ou l’épiclèse, le chrétien possède, dans le sacrement, le corps et le sang du Seigneur. Une seconde catégorie présente un essai d’explication de ce fait, et met en avant l’idée de conversion. Enfin un troisième groupe de textes vise plus spécialement le caractère sacrificiel du service liturgique.
Disons donc d’abord que, sauf en quelques expressions ambiguës dont le sens peut aisément s’éclaircir, les Pères grecs du ive siècle enseignent d’une façon très nette que les éléments eucharistiques consacrés contiennent ou sont réellement le corps et le sang de Jésus-Christ. Dans ses Lettres festales, saint Athanase suppose, sans s’arrêter davantage à l’établir, cette vérité reconnue (iii, 3-5 ; v, 1, 5 ; vii, 5, 6 ; xiii, 7) ; mais dans un fragment de sermon Ad nuper baptizatos conservé par Eutychius de Constantinople, il s’explique plus longuement : « Tu verras les lévites apporter des pains et un calice de vin, et placer tout cela sur la table. Tant que les invocations et les prières ne sont pas commencées, il n’y a que du pain et du vin. Mais quand ont été prononcées les grandes et admirables prières, alors le pain devient corps et le vin devient sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Venons à la célébration des mystères. Ce pain et ce vin, tant que les prières et les invocations n’ont pas eu lieu, sont simplement [du pain et du vin]. Mais quand les grandes prières et les saintes invocations ont été prononcées, le Verbe descend dans le pain et le vin, et le corps du Verbe est. » On a cité, il est vrai, en sens contraire et pour faire de saint Athanase un symboliste, le texte de sa lettre iv à Sérapion, 19 ; mais il est facile sinon d’en expliquer sûrement chaque terme, du moins d’en justifier la tendance et la signification générale. Saint Athanase veut prouver, dans tout ce passage, qu’il y a en Jésus-Christ deux éléments, l’un humain qui est le Fils de l’homme en la chair, l’autre divin à qui convient le nom d’Esprit. Pour ce faire, il montre Jésus-Christ promettant sans doute aux apôtres de leur donner son corps et son sang, le corps qu’il portait — et qui était son humanité, — mais de le leur donner en Dieu, en Esprit, comme un corps de Dieu, un corps céleste, une nourriture spirituelle (πνευματικῶς), capable d’être pour chacun une protection et un gage de résurrection pour la vie éternelle.
Didyme l’aveugle est dans la même note réaliste qu’Athanase ; mais l’euchologe de Sérapion et les homélies de Macaire introduisent dans la doctrine eucharistique des termes nouveaux dont nous devons préciser la portée. Le premier, dans la formule d’anamnèse qu’il présente, appelle le pain et le vin la ressemblance (ὁμοίωμα) du corps et du sang du Monogène (xiii, 12, 14). Macaire, dans son homélie xxvii, 17, écrit que les prophètes et les rois ont ignoré « que dans l’Église est offert un pain et un vin figure (ἀντίτυπον) de la chair et du sang du Christ : ceux qui participent à ce pain visible mangent spirituellement (πνευματικῶς) la chair du Seigneur ». Le mot d’ἀντίτυπον prononcé ici par Macaire pour exprimer la relation du pain et du vin eucharistiques avec le corps et le sang de Jésus-Christ, se retrouve dans saint Cyrille de Jérusalem, dans saint Grégoire de Nazianze, dans saint Epiphane, dans les Constitutions apostoliques.
Pour juger de son sens précis, il faut d’abord achever notre enquête sur ce que nos auteurs disent de la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie. L’euchologe de Sérapion, après l’anamnèse dont il a été question, fait prononcer par le prêtre l’épiclèse qui suit : « Dieu de vérité, vienne ton Verbe saint sur ce pain pour que le pain devienne corps du Verbe (ἵνα γένηται ὁ ἄρτος σῶμα τοῦ Λόγου), et sur ce calice, pour que le calice devienne sang de la vérité (ἵνα γένηται τὸ ποτήριον αἷμα τῆς ἀληϑείας). Et fais que tous ceux qui communient reçoivent le remède de la vie » (xiii, 15 ; cf. xiv, 2 ; xvi, 2, 3). Les passages sont nombreux dans les Constitutions apostoliques où il est simplement question, dans la forme ordinaire du langage liturgique, de l’offrande ou de la réception par les fidèles du corps et du sang du Seigneur. Saint Basile, dans sa lettre cxiii, déclare bon et utile de communier tous les jours, c’est-à-dire « de participer au corps et au sang de Jésus-Christ » ; car c’est participer plus abondamment à la vie. A Césarée, continue-t-il, on communie quatre fois par semaine, le dimanche, le mercredi, le vendredi et le samedi, et aux jours des mémoires des saints ; mais à Alexandrie, chaque fidèle emporte chez soi la communion et s’en nourrit quand il veut. Saint Grégoire de Nazianze exhorte les fidèles à manger et à boire sans honte et sans hésitation le corps et le sang de Jésus-Christ. Le prêtre qui célèbre attire le Verbe par sa parole et, par une division non sanglante, se servant de la voix comme d’un glaive, divise le corps et le sang du Seigneur. Saint Grégoire de Nysse, on le verra, ne se contente pas d’affirmer la réalité du corps et du sang de Jésus-Christ dans l’eucharistie, il ébauche une théorie de la conversion. L’homme étant composé de corps et d’âme doit atteindre par ses deux éléments à la vie éternelle. L’âme y atteint par la foi ; le corps ne pourra y atteindre qu’à la condition d’être uni par la manducation et l’assimilation au corps immortel et ressuscité de Jésus-Christ, seul antidote contre le poison dont le corps humain a été infecté, et qui transformera en lui ce corps mortel ; puisque d’ailleurs un corps ne saurait être dans un autre autrement qu’en pénétrant comme nourriture et comme breuvage jusque dans les entrailles (διὰ βρώσεως καὶ πόσεως τοῖς σπλάγχνοις καταμιγνύμενον). Quant aux textes de saint Cyrille de Jérusalem sur la présence réelle, ils sont classiques. On les trouve surtout dans le catéchèse xxii :
Lui-même donc (le Christ) ayant déclaré et dit du pain : Ceci est mon corps, qui osera désormais douter ? Et lui-même (le Christ) ayant déclaré et dit : Ceci est mon sang, qui osera jamais dire que ce n’est pas son sang ? … Donc avec une conviction entière, participons comme au corps et au sang du Christ. Car dans la figure (ἐν τύπῳ) du pain t’est donné le corps, et dans la figure du vin t’est donné le sang pour que tu deviennes, en participant au corps et au sang du Christ, concorporel et consanguin au Christ (σύσσωμος). Ainsi nous devenons christophores, le corps du Christ et son sang se distribuant dans nos membres… Ne t’attache donc pas au pain et au vin simplement : selon l’affirmation du Seigneur, il y a là corps et sang du Christ. Les sens te présentent cela : que la foi te confirme. Ne juge pas la chose d’après le goût, mais sois convaincu invinciblement par la foi que tu ea appelé [à participer] au corps et au sang du Christ)… Instruit de ces choses, et convaincu que le pain qui paraît n’est pas pain, bien que le goût t’en donne l’impression, mais le corps du Christ, et que le vin qui paraît n’est pas vin, bien que le goût le veuille, mais sang du Christ, rassure ton cœur, participe à ce pain comme à un [pain] spirituel » (9 ; et cf. xii, 1).
Saint Cyrille, on le voit, met une différence entre le chrême de la confirmation et les éléments eucharistiques quant à l’action qu’exerce sur eux l’invocation du Saint-Esprit, bien qu’il paraisse ailleurs les égaler à ce point de vue. Le chrême ne cesse pas d’être ce qu’il était ; il reçoit seulement en lui l’Esprit-Saint pour le communiquer : les éléments eucharistiques, eux, cessent d’être ce qu’ils étaient ; le pain qui paraît n’est pas pain ; le vin qui paraît n’est pas vin : ils sont le corps et le sang du Christ. Et l’on s’explique dès lors pleinement les précautions minutieuses pour n’en rien laisser perdre, et les sentiments de vénération profonde que Cyrille recommande aux communiants. C’est en adorant qu’il faut recevoir ces dons sublimes, mille fois plus précieux que l’or et les pierreries, qui doivent nous être plus chers que nos propres membres.
Ainsi donc, ce sont des auteurs à n’en pas douter réalistes, c’est-à-dire qui admettent que l’eucharistie est réellement le corps et le sang de Jésus-Christ, qui nomment cependant le pain et le vin ὁμοίωμα, ἀντίτυπον de ce corps et de ce sang. Comment expliquer ces mots sous leur plume ? Simplement en observant que, pour ces auteurs, le pain et le vin, dans leur être naturel, ou par une institution de Dieu ou de Jésus-Christ, sont déjà une figure, un symbole du corps et du sang du Sauveur ; que ces éléments deviennent en effet, par la consécration — et dans leurs espèces — les signes sensibles du Christ corporellement présent, l’enveloppe réelle qui le contient et sous laquelle les fidèles le reçoivent. Rappelons-nous la théorie de saint Cyrille sur le chrême de la confirmation, antitype du Saint-Esprit.
Les mots ὁμοίωμα, ἀντίτυπον, bien que susceptibles d’une bonne interprétation, devaient cependant paraître moins exacts, et c’est pourquoi nous les trouvons ou omis ou implicitement condamnés par l’école littérale et rigoureuse d’Antioche. « [Le Christ], remarque Théodore de Mopsueste, n’a pas dit : Ceci est le symbole (σύμβολον) de mon corps, et ceci [le symbole] de mon sang, mais Ceci est mon corps et mon sang, nous instruisant [par là] qu’il ne faut pas considérer la nature des oblata, mais que, par l’action de grâce qui est prononcée, il y a conversion (μεταβάλλεσϑαι) au corps et au sang. [In Matth., XXVI, 26 (P. G., LXVI, 713). Une remarque analogue se rencontre dans Macarius Magnes, contemporain de Théodore : » Εἰχότως λαβὼν (ὁ Χριστὸς) ἄρτον καὶ ποτήριον εἶπε; Τοῦτό ἐστι τὸ σῶμά μου καὶ τὸ αἷμά μου. Οὐ γὰρ τύπος σώματος οὐδὲ τύπος αἵματος ὥς τινες ἐρραψώδησαν πεπωρωμένοι τὸν νοῦν, ἀλλα κατὰ ἀλήϑειαν σῶμα καὶ αἷμα Χριστοῦ, ἐπειδὴ τὸ σῶμα ἀπὸ γῆς, ἀπὸ γῆς δ᾽ ὁ ἄρτος ὁμοίως καὶ ὁ οἶνος (Ἀποχριτιχός, iii, 23, édit Blondel, p. 105, 106.)]
Quant à saint Chrysostome, entraîné à la fois par ses principes d’exégèse et par son tempérament d’orateur, il pousse le réalisme à un point que l’on trouve plutôt exagéré. Il semble que le fidèle broie réellement sous ses dents le corps de Jésus-Christ. Il interprète d’abord littéralement les paroles de la promesse (Jean.6.51-56) : « Jésus-Christ ne s’est pas seulement donné à voir à ceux qui le désiraient, mais à toucher, à manger, à broyer entre les dents quant à sa chair, à assimiler : il a comblé tout désir. » Il ne veut pas que l’on explique le verset 64 — Verba quae ego locutus sum vobis spiritus et vita sunt — en ce sens que les paroles qui précèdent ne doivent pas être prises à la lettre, mais bien en ce sens qu’elles se rapportent à la vie spirituelle et supérieure du chrétien. Caro non prodest quidquam : non pas que ce que Jésus-Christ a dit être sa chair ne soit pas sa chair ; mais parce qu’il ne s’agit pas ici d’une manducation purement matérielle et capharnaïte. — Même interprétation littérale des paroles de l’institution :
Rendons-nous à Dieu en tout, et ne lui opposons aucune difficulté quand même son affirmation paraîtrait contraire à nos raisonnements et à nos sens : que sa parole soit plus souveraine que nos raisonnements et que nos sens. Soyons ainsi devant les saints [mystères] ; n’ayons pas de regard seulement pour ce qui est sous nos yeux, mais ayons présentes les paroles du Christ. Son discours est infaillible, notre sens est faillible… Puis donc que le discours porte Ceci est mon corps, rendons-nous, croyons, voyons le corps avec les yeux de l’intelligence. Car le Christ ne nous a rien donné de sensible, mais dans les choses sensibles tout est intelligible… Combien qui disent : Je voudrais voir sa forme, son aspect, ses vêtements, ses chaussures. Mais voici que tu le vois [lui-même], tu le touches, tu le manges. Tu ne désires que voir ses vêtements ; mais il se donne lui-même à toi, non à voir seulement mais à toucher, à manger, à t’incorporer (In Matth-, hom.87.4).
Et même réalisme encore dans le Commentaire du passage de saint Paul, 1Corinth.10.16 et suiv. Là, saint Chrysostome insiste encore davantage, s’il se peut, sur l’identité du corps eucharistique et du corps historique du Christ :
Ce qui est dans le calice est cela même qui a coulé du côté [transpercé du Christ], et à cela nous participons… Ce que le Christ n’a pas souffert, sur la croix, il le souffre pour toi dans l’oblation, et il consent à être rompu pour rassasier tous [les fidèles]… Quand le corps de Christ t’est présenté, dis-toi à toi-même… C’est ce corps qui, percé de clous et battu de verges, n’a pas été la proie de la mort… C’est de ce corps ensanglanté, percé par la lance, qu’ont jailli les sources salutaires du sang et de l’eau par toute la terre… Et ce corps, il nous l’a donné à prendre [dans nos mains], à manger : geste d’amour infini ! (In epist. I ad Corinth., hom.24.1, 2, 4.)
La pensée des Pères grecs du ive siècle sur la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans l’Eucharistie n’est donc pas douteuse, prise dans son ensemble. Comment conçoivent-ils que s’opère cette merveille ? On a vu plus haut que Théodore de Mopsueste parlait de conversion (μεταβολή) : la même idée se retrouve dans saint Jean Chrysostome. Bien qu’il s’exprime en orateur plus qu’en spéculatif et qu’il n’approfondisse pas la question, il laisse clairement paraître sa pensée :
Le Christ est présent ; le même Christ qui jadis fit dresser la table [de la cène] a dressé pour vous celle-ci. Car ce n’est pas un homme qui fait que les oblata deviennent corps et sang du Christ (ὁποιῶν τὰ προκείμενα γενέσϑαι σῶμα καὶ αίμα Χριστοῦ), mais bien le Christ lui-même crucifié pour nous. Le prêtre est là qui le représente et prononce les solennelles paroles ; mais c’est la puissance et la grâce de Dieu [qui opère]. Ceci est mon corps, dit-il. Cette parole transforme (μεταρρυϑμίζει) les oblata… Cette parole n’a été dite qu’une fois [à la cène], et sur chaque table, dans les églises, depuis ce jour jusqu’aujourd’hui, jusqu’au retour du Sauveur, elle opère le sacrifice parfait.
Puis dans son homélie lxxxii sur saint Matthieu, no 5, reprenant la même idée, le grand orateur répète que les oblata ne sont pas sanctifiés par la puissance humaine du prêtre, mais par Jésus-Christ lui-même qui les sanctifie et les transforme : ὁ δὲ ἁγιάζων αὐτὰ καὶ μετασκευάζων, αὐτὸς [ὁ χριστός]. Du reste, avant saint Chrysostome, la théorie de la conversion du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ avait été ébauchée par saint Cyrille de Jérusalem d’abord, puis par saint Grégoire de Nysse.
Le premier, pour expliquer le mystère eucharistique, fait appel à l’évangile : « Le Christ, jadis, a converti l’eau en vin qui ressemble au sang, à Cana en Galilée : et nous ne le croirons pas quand il change (μεταβαλών) le vin en sang ? » C’est un miracle évidemment, mais plus croyable que celui de Cana, puisqu’il s’y agit du bien des âmes : « Nous prions le Dieu bon d’envoyer le Saint-Esprit sur les oblats afin qu’il fasse le pain corps du Christ et le vin sang du Christ ; car il est vrai que ce qu’a touché l’Esprit-Saint est sanctifié et converti (μεταβέβληται). » Converti plus ou moins profondément, on l’a vu par le resté de la doctrine de Cyrille ; mais ici la conversion va jusqu’à faire disparaître l’élément premier. L’auteur n’analyse pas sa pensée, mais la portée générale n’en est pas douteuse. Seulement, comme le changement dont il parle est tout intime et nullement apparent ; comme le corps de Jésus-Christ, bien que réel, n’est pas vu sensiblement, l’un et l’autre ne sont perçus que par la foi et restent dans le domaine des choses spirituelles qui s’adressent principalement à l’âme chrétienne. Le corps est un pain spirituel, le sang un vin spirituel : ils ne sont pas une nourriture commune, entraînée dans le courant de la digestion : ils sont une nourriture supersubstantielle (ἐπιούσιος), destinée à sustenter à la fois l’âme et le corps.
C’est là une expression très simple, mais plutôt timide de la conversion eucharistique. L’explication de saint Grégoire de Nysse est plus scientifique et plus hardie. Après avoir énoncé, comme nous l’avons vu, dans l’Oratio catechetica, 37, le fait de la présence réelle, il pose nettement la question, et demande comment il peut se faire que cet unique corps de Jésus-Christ, qui est distribué à des milliers de fidèles par toute la terre, soit donné tout entier à chacun de ceux qui le reçoivent, et reste cependant tout entier en lui-même, ne soit pas divisé ? Grégoire l’explique par une conversion du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ. Pendant sa vie, Jésus-Christ alimentait son corps, mangeait et buvait ; le pain se changeait en sa chair, le vin en son sang ; l’aliment passait en la nature du corps (πρὸς τοῦ σώματος φύσιν μεϑισταμένης). La même chose a lieu dans l’eucharistie : « Nous croyons que le pain sanctifié par le verbe de Dieu est converti au corps du Dieu Verbe » : τὸν τῷ λόγῳ τοῦ ϑεοῦ ἁγιαζόμενον ἄρτον εἰς σῶμα τοῦ ϑεοῦ Λόγου μεταποῖεσϑαι πιστεύομενa. Le pain est πρὸς τὸ σῶμα διὰ τοῦ λόγου μεταποιούμενος, suivant les paroles du Verbe : Ceci est mon corps. Seulement la μεταποίησις, au lieu de se faire par le procédé d’assimilation lente (διὰ βρώσεως καὶ πόσεως), se fait instantanément, εὐϑύς. Ce que nous avons dit du pain doit se dire aussi du vin changé en sang ; et ainsi, par la vertu de la bénédiction, le Verbe transélémente en son corps la nature des éléments qui apparaissent aux yeux (τῇ τῆς εὐλογίας δυνάμει πρὸς ἐχεῖνο σῶμα μεταστοιχειώσας τῶν φαινομένων τὴν φύσιν). Le résultat pour nous est que, par cette union au corps de Dieu, nous sommes divinisés, par cette communion à l’incorruptible, nous devenons incorruptibles.
a – L’édition de Migne porte πιστεύομαι : j’ai suivi celle de J. H. Srawley, The catechetical oration of Gregory of Nyssa, Cambridge, 1903.
Dans tout ce raisonnement, on ne saurait méconnaître qu’il s’agit d’une conversion réelle. On a bien invoqué, pour le contester, que Grégoire employait ailleurs les mots μεταποίησις, μετάστασις, μεταστοιχείωσις dans le sens d’un simple changement moral ; mais la comparaison qui est faite de la conversion eucharistique avec celle que subit l’aliment assimilé suffit à montrer l’insuffisance de cette explication. D’autre part, Grégoire ne parle sans doute pas de la conversion de l’οὐσία du pain et du vin : il parle de celle de leur φύσις ou de leurs στοιχεῖα ; et quand il mentionne la conversion de la nourriture au corps, il se contente de dire que cette nourriture est changée en la forme (εἶδος) et en la nature (φύσις) du corps. On en a conclu qu’il n’enseignait pas proprement la transsubstantiation mais une transformation des éléments eucharistiques, la matière restant la même et étant seulement informée par la forme corporelle du Christ. Ce sont là, à vrai dire, des précisions auxquelles notre auteur n’a point songé, et dont l’omission n’infirme point son témoignage. S’il ne s’est pas expliqué aussi complètement qu’on le fera plus tard, il n’en reste pas moins qu’il a nettement orienté la pensée chrétienne vers l’idée de transsubstantiation. Et quel exemple aurait-il donc pu trouver dans la nature de ce que représente ce mot ?
On a dû remarquer déjà que saint Cyrille de Jérusalem attribue la conversion eucharistique à l’épiclèse, ou invocation du Saint-Esprit sur les offrandes. C’est l’opinion commune chez les Grecs de cette époque, et on la retrouve dans saint Basile, dans les Constitutions apostoliques (viii, 12, 36) et dans l’euchologe de Sérapion (xiii, 15). Dans ce dernier document, il est remarquable que l’anamnèse, ou rappel des paroles de l’institution (xiii, 12-14), mentionne toujours le pain et le vin comme ὁμοίωμα du corps et du sang. Dans l’épiclèse qui suit, seulement, le prêtre demande à Dieu d’envoyer « son Verbe saint sur ce pain, afin que le pain devienne corps du Verbe, et sur ce calice, afin que le calice devienne sang de la Vérité ». Saint Chrysostome cependant fait exception : il attribue la conversion des oblata tantôt à l’épiclèse, tantôt, dans les passages de lui cités plus haut, aux paroles de l’institution.
On a dû remarquer aussi que nos auteurs voient dans l’eucharistie un sacrifice en même temps qu’un sacrement. Le service liturgique est un sacrifice, un sacrifice pur, vivant, spirituel, non sanglant, parfait. Comme l’euchologe de Sérapion a appelé le pain la similitude du corps du Christ, aussi dit-il qu’on célèbre, dans ce sacrifice, la similitude de la mort (ὁμοίωμα τοῦ ϑανάτου) du même Christ (xiii, 13) ; et de même que Grégoire de Nazianze a nommé les éléments eucharistiques « les antitypes du précieux corps et du sang », aussi parle-t-il du sacrifice comme de « l’antitype des grands mystères », c’est-à-dire de la mort et de la passion du Sauveur. L’acte liturgique est mis ainsi en relation étroite avec la mort rédemptrice de Jésus-Christ. On y trouve, comme à la croix, une immolation mystique que le même Grégoire essaie de définir quand il parle de cette division non sanglante qui sépare le corps et le sang du Seigneur et dont l’instrument, « le glaive », est la parole du prêtre (Ὅταν ἀναιμάκτῳ τομῇ σῶμα καὶ αἶμα τέμῃς δεσποτικὸν, φωνὴν ἔχων τὸ ξίφος). Mais l’auteur qui a le plus insisté sur l’identité des deux sacrifices de l’autel et du calvaire est saint Chrysostome. Il n’affirme pas seulement que le prêtre à l’autel est le ministre de Jésus-Christ, prêtre principal, dont les paroles opèrent le changement eucharistique ; il assure que le sacrifice de l’autel est le même que celui de la croix, ou plutôt n’en est que la commémoraison, puisque la victime est la même ; et il représente toujours le Christ dans l’eucharistie comme dans l’état où ce Christ se trouvait dans sa passion. Son sang est un sang versé ; son corps est percé de clous et battu de verges ; de son côté jaillissent le sang et l’eau.
On a dû remarquer aussi que nos auteurs voient dans l’eucharistie un sacrifice en même temps qu’un sacrement. Le service liturgique est un sacrifice, un sacrifice pur, vivant, spirituel, non sanglant, parfait. Comme l’euchologe de Sérapion a appelé le pain la similitude du corps du Christ, aussi dit-il qu’on célèbre, dans ce sacrifice, la similitude de la mort (ὁμοίωμα τοῦ ϑανάτου) du même Christ (xiii, 13) ; et de même que Grégoire de Nazianze a nommé les éléments eucharistiques « les antitypes du précieux corps et du sang », aussi parle-t-il du sacrifice comme de « l’antitype des grands mystères », c’est-à-dire de la mort et de la passion du Sauveur. L’acte liturgique est mis ainsi en relation étroite avec la mort rédemptrice de Jésus-Christ. On y trouve, comme à la croix, une immolation mystique que le même Grégoire essaie de définir quand il parle de cette division non sanglante qui sépare le corps et le sang du Seigneur et dont l’instrument, « le glaive », est la parole du prêtre (Ὅταν ἀναιμάκτῳ τομῇ σῶμα καὶ αἶμα τέμῃς δεσποτικὸν, φωνὴν ἔχων τὸ ξίφος). Mais l’auteur qui a le plus insisté sur l’identité des deux sacrifices de l’autel et du calvaire est saint Chrysostome. Il n’affirme pas seulement que le prêtre à l’autel est le ministre de Jésus-Christ, prêtre principal, dont les paroles opèrent le changement eucharistique ; il assure que le sacrifice de l’autel est le même que celui de la croix, ou plutôt n’en est que la commémoraison, puisque la victime est la même ; et il représente toujours le Christ dans l’eucharistie comme dans l’état où ce Christ se trouvait dans sa passion. Son sang est un sang versé ; son corps est percé de clous et battu de verges ; de son côté jaillissent le sang et l’eau.
Les détails de la liturgie eucharistique en Égypte, à Jérusalem et en Syrie, à cette époque, nous sont connus par l’euchologe de Sérapion, la catéchèse xxiii de saint Cyrille et les Constitutions apostoliques (viii). Relevons-y seulement la commémoration des défunts qu’elle comportait. Saint Athanase et saint Chrysostome ont particulièrement insisté sur la pureté de cœur requise pour la communion, et le dernier sur l’union intime que cette communion met entre le Sauveur et le chrétien et entre les chrétiens eux-mêmes.