La lutte générale avec le catholicisme. — Affaire dite des tentures. — La loi sur la liberté de réunion. — L’œuvre spéciale du Réveil parmi les catholiques. — Controverses. — Napoléon Roussel. — Puaux. — Lucile, d’Adolphe Monod. — La lutte au sein du protestantisme. — Hostilité de plusieurs pasteurs au Réveil. — Un exemple de persécution.
L’œuvre du Réveil s’était accomplie à Genève, nous l’avons vu, au milieu de luttes souvent ardentes. Il était inévitable que le Réveil français traversât des crises analogues. Il serait, en effet, sans exemple qu’un pareil mouvement se fût opéré sans provoquer une sorte de réaction. Toute tentative de réforme ou de rénovation religieuse a rencontré des oppositions et soulevé des résistances.
En France surtout, les circonstances extérieures favorisaient peu le Réveil.
Il se produisait au moment où le protestantisme rentrait progressivement en possession de ses droits. On sait quelles furent les innombrables difficultés qui signalèrent cette restauration. Sans remonter plus haut que le Concordat, la liberté donnée par Napoléon Ier était une liberté toute relative. Assurément, la persécution n’était plus à redouter : « Point de violence, en haut ni en bas, qui ait porté atteinte à nos droits religieux ou civils ; une sécurité pleine et continue. Mais c’était une liberté interne et murée dans les temples, pour ainsi parler. Il y avait rigoureuse défense de faire aucun bruit, aucun mouvement dans les choses de religion. Ni journaux, ni associations, ni controverse, ni prosélytisme ; et si quelque idée ou action religieuse osait franchir l’enceinte où elle était emprisonnée, la main de fer de Napoléon l’y refoulait immédiatement. Nous avons entendu dire que tel village catholique ayant manifesté le désir d’entrer dans la communion réformée, un pasteur crut avoir le droit de s’y rendre. Aussitôt il se rencontra face à face avec le gouvernement impérial, qui lui ordonna de retourner chez lui et de s’y tenir en repos. Le pasteur dut baisser la tête et obéir. Que de faits semblables qui sont restés inconnusa ! »
a – De Félice. Histoire des Protestants de France. Toulouse, 1880, 7e édit., p. 611.
Aussi faut-il ne voir, dans les tentatives de réunion des deux cultes, soit celle qui fut proposée par l’archevêque de Besançon, Lecoz, soit celle que préconisa Tabaraud, que des essais purement individuels ; du reste, ni l’un, ni l’autre n’eussent mis à cette fusion des deux communions des conditions acceptables pour le protestantisme.
Nous ne reviendrons pas sur les événements qui ensanglantèrent, en 1815, le midi de la France ; ils démontrent surabondamment que les vieilles passions n’avaient pas désarmé, et que les moindres incidents pouvaient servir de prétexte à des luttes nouvelles.
Au reste, le gouvernement soutenait toujours le catholicisme. Non seulement dans telle ou telle circonstance particulière, mais encore dans les lois elles-mêmes, sa partialité était manifeste. Si un article de la charte établissait l’égalité de protection et de liberté pour tous les cultes, un autre article accordait une prérogative officielle à la religion catholique. Dans la loi sur le sacrilège, « aucune profanation contre le culte protestant n’entraînait plus que la peine de la prison, tandis que telle profanation contre le culte catholique était punie de la peine de mort, et même, dans le projet du gouvernement, de celle des parricidesb. »
b – De Félice, op. cit., p. 629.
Là où l’intolérance éclatait, c’était dans l’obligation imposée aux non catholiques de faire acte, sinon d’adoration, au moins d’hommage et de participation indirecte à certaines cérémonies du catholicisme. On prétendit contraindre les protestants à décorer et tapisser la façade de leurs maisons, pour le passage des processions catholiques.
Le consistoire de Barre (Lozère) refusa catégoriquement, le 19 mai 1818, au nom des protestants de son ressort, d’obéir à une circulaire du sous-préfet de Florac, qui enjoignait à tous ses administrés de tapisser leurs maisons pour cette cérémonie.
Ces faits se reproduisirent fréquemment ; plusieurs fois des amendes furent infligées. Le procès le plus célèbre fut celui de M. Paul Roman, de Lourmarin (1819), qui, condamné, en appela à la Cour suprême et fut alors acquitté, grâce à la plaidoirie d’Odilon-Barrot. En 1820, une affaire du même genre fut plaidée à Marseille et de nouveau gagnée. Le gouvernement dut céder et renoncer à cette intolérante exigence.
Mais, arrêtée sur un point, l’hostilité se portait sur un autre. L’interprétation rigoureuse des lois sur la liberté de réunion terminait à notre désavantage nombre de procès intentés par l’administration. Tout prosélytisme était interdit. Les protestants devaient rester dans leurs temples et ne point essayer d’y attirer des catholiques. En 1825, on refusa au consistoire de Paris le droit d’ouvrir un temple aux Ageux, non pour des catholiques convertis, mais pour des protestants de naissance. L’arrêté administratif donnait pour raison qu’ « il ne serait pas sans inconvénient d’établir de faibles fractions de population dissidente au milieu d’une population de culte homogène ! » En 1826, même refus fut opposé au consistoire de Lyon, qui souhaitait de faire entendre l’Évangile à quelques communes voisines, lesquelles avaient exprimé le désir d’avoir des cultes réformés. Il faut ajouter cependant que, dans ces deux cas, le gouvernement dut encore céder devant la pression de l’opinion et l’interprétation véritable de la loi.
D’autre part, les conversions du protestantisme au catholicisme étaient hautement encouragées, témoin l’histoire de ces trois pasteurs qui ayant abjuré virent leurs pamphlets anti-protestants imprimés à l’imprimerie royale et furent gratifiés d’une pension. On organisa des missions en pays protestants ; dans les classes élevées, des esprits cultivés se laissèrent aller aux attaques les plus violentes : « Hommes imprudents, lisait-on dans le Journal des Débats (1820), ne craignez-vous pas qu’il prenne envie de vous compter ? » — « Les pères de votre Église l’ont fondée par la luxure, le parjure, le meurtre, » disait dans la Quotidienne (1821) le vicomte de Bonaldc. Joseph de Maistre, Lamennais attaquent violemment, la Réforme. Les deux domaines de la politique et de la religion sont souvent confondus ; l’alliance du trône et de l’autel est déjà proclamée ; la controverse tient une place de plus en plus grande dans les préoccupations des esprits. Du côté des protestants, Stapfer, Samuel Vincent, Henri Pyt entrent vaillamment dans la lice et retrouvent les accents des vieux controversistes huguenots.
c – Encyclopédie des sciences religieuses, art. France protestante.
Mais si leurs efforts portent des fruits, si le protestantisme fait quelque nouvelle recrue, l’administration n’a pas assez de sévérité pour les nouveaux convertis : c’est ainsi qu’en 1826, le prince de Salm, ayant abjuré le catholicisme à Strasbourg, est expulsé de France par ordre ministériel.
La révolution de 1830 fut saluée avec enthousiasme par les protestants : ils y virent une véritable délivrance ; malgré une échauffourée à Nîmes où l’on crut voir revenir les mauvais jours de 1815, l’avènement du nouveau régime semblait ouvrir une ère de paix religieuse. Il fallut bientôt abandonner ces espérances : « Les procès de Montargis, de Liouville montrèrent que la liberté de conscience ne serait pas respectée. C’est ainsi que le pasteur luthérien Oster se vit condamné pour avoir tenu une réunion religieuse dans sa propre demeure. Un arrêt de la cour d’Orléans (1838) favorable à la liberté de réunion religieuse fut cassé par la cour suprême sur le réquisitoire de Dupin. En 1844, M. de Gasparin plaida, mais sans succès, cette grande cause à la Chambre des députés, et les protestants purent se convaincre que le catholicisme, redevenu maître, empêcherait toute propaganded. »
d – Encyclopédie des sciences religieuses, art. France protestante.
Telle était la situation générale au moment où le Réveil poursuivait son œuvre. A vrai dire, il n’a été qu’indirectement atteint par les rigueurs de la loi ; le but principal de ceux qu’on a appelés les hommes du Réveil était bien plutôt de réveiller le protestantisme que de convertir le catholicisme. Cependant tel d’entre eux s’est vu amené par la force des choses à se mêler aux controverses qui passionnaient l’Église, par exemple Malan en Suisse, Pyt en France. D’autre part, certaines entreprises ont eu précisément pour objet l’évangélisation des pays catholiques, entre autres, l’œuvre de la Société évangélique de Genève en Saône-et-Loire, Saintonge, Auvergne, etc., et de même, celle de la Société évangélique de France dans plusieurs de ses stations. Enfin les restrictions opposées à la liberté de réunion ont souvent contrarié l’activité des évangélistes du Réveil.
Il est en effet facile de comprendre quelle fut l’opposition que rencontrèrent ces pionniers de l’Évangilee. Il en est un surtout qui incarne, pour ainsi dire, en sa personne la controverse avec le catholicisme soutenu par le gouvernement, Napoléon Roussel. Ce pasteur, une des figures les plus originales du Réveil, avait commencé son ministère à Saint-Etienne, en 1831, d’où il dut s’éloigner en 1835, le consistoire lui ayant demandé sa démission sous le prétexte que ses prédications portaient « le timbre du méthodisme. » Après avoir fondé avec ses amis une chapelle indépendante dans cette ville où on ne voulait plus de son ministère officiel, il fut appelé à Alger, puis à Marseille où il resta trois ans. En 1838 il vint à Paris, dirigea quatre ans l’Espérance, se révéla comme polémiste et controversiste remarquable, et contribua, pour une part considérable, à la création de nombreuses Églises protestantes, Angoulême, Villefavard, Limoges, Balledent, etc. Dans nombre de départements, il répandit avec succès les doctrines de la Réforme et, comme complément à son œuvre, publia les traités qui portent son nom et qui « ont marqué un sillon qui ne sera pas de sitôt effacé. »
e – Voir Récits et souvenirs de la Société évangélique, passim.
Revue chrétienne, 1er avril 1889 : Napoléon Roussel, par Jean Monod. De 1863 à 1867, Napoléon Roussel desservit l’Église évangélique de Lyon, qu’il quitta par suite de scrupules de conscience provoqués par une sorte de crise théologique qu’il traversa à cette époque. Il mourut en 1878 (Voir E. Delapierre, Un pionnier de l’Évangile : Napoléon Roussel).
Citons aussi l’Anatomie du papisme, ce livre d’un vaillant qui est encore debout, M. Puaux père, et l’ouvrage d’Ad. Monod, Lucile ou la lecture de la Bible.
Mais ces luttes n’occupent qu’une place secondaire dans l’histoire du Réveil ; elles sont bien plutôt provoquées par le caractère général de la religion à laquelle appartiennent ces chrétiens protestants que par les doctrines évangéliques dont ils sont les apôtres. Nous avons à considérer un ordre de faits plus spécial, mais aussi plus douloureux : l’opposition au sein de l’Église réformée elle-même.
Nous avons eu l’occasion de remarquer que l’on a été souvent injuste pour l’Église réformée du commencement du siècle. On l’a représentée comme absolument déchue au point de vue, de la foi et de la vie chrétienne, et l’on a voulu voir, dans l’arrivée des évangélistes étrangers, soit genevois, soit méthodistes, la seule cause et l’incontestable début du Réveilf.
f – Voir, outre ce que nous avons déjà dit, l’analyse d’un discours de Robert Haldane sur ce sujet. Mélanges de Religion, 1822, p. 198.
Nous avons montré par plusieurs faits ce qu’un pareil jugement a de peu fondé. Il est positif qu’il y avait, vers 1815, dans notre Église, nombre de pasteurs pieux et zélés qui ont accueilli avec joie l’aide et la collaboration de chrétiens étrangers, mais qui, sans eux et avant eux, travaillaient avec persévérance au réveil de notre protestantisme.
Mais il faut reconnaître aussi que, dans certains cas, l’accueil qu’on a fait aux évangélistes du dehors a été rien moins que favorable, et qu’ils ont eu maintes fois à subir, de la part de leurs coreligionnaires, de véritables persécutions.
On se souvient des débuts du Réveil à Genève et de la lutte entre la Compagnie des pasteurs et les nouveaux convertis. Si en France cette lutte n’a pas eu généralement une semblable âpreté, il y a eu cependant des occasions où elle fut violente et passionnée.
C’est ainsi qu’à Orléans, en 1820, la chaire fut refusée à Pyt, et que le pasteur poussa le préfet à prier l’évangéliste de quitter la ville.
C’est ainsi que Félix Neff dut s’éloigner de Mens à cause de l’hostilité de l’un de ses collègues, et qu’on se complut à représenter les relations que lui et ses amis entretenaient avec l’Angleterre comme ayant un caractère politiqueg.
g – Martin Dupont, Mes impressions, p. 49. Vie de Neff, p. 52 et 53.
Parfois c’est la population elle-même, ignorante et grossière, qui se laisse aller à des insultes, voire à des voies de fait. Les traits de ce genre abondent dans l’histoire du Réveil ; nous n’en citerons qu’un pour donner simplement une idée de cette opposition de bas étage ; c’est à la vie de Rostan que nous l’empruntons, vie qui a été d’ailleurs souvent traversée par des difficultés analogues.
Rostan venait de regagner son champ de travail de la Vaunage, Vauvert, en 1835. Le méthodisme s’y était établi depuis quelque temps ; une chapelle avait été élevée ; la dédicace allait en être signalée par des scènes inouïes de désordre. D’abord, le jour de Pâques, le pasteur réformé lit au temple, en chaire, avant de célébrer la sainte Cène, une longue lettre qu’il avait rédigée contre les méthodistes. Cette lecture est accueillie par les cris : « Traînez-les dehors, traînez-les dehors ! » qui partent des tribunes. Effectivement, le soir, le prédicateur wesleyen, M. Hocart, est assailli à coups de pierres, et constamment interrompu dans son sermon par des moqueries. Le surlendemain, Rostan est poursuivi, sur la place publique, par des huées et des cris injurieux ; des pierres sont jetées contre la chapelle dont on brise la porte et dont on endommage fort la toiture.
Le maire promet bien sa protection, mais la populace est déchaînée ; pendant plusieurs jours, les mêmes faits se reproduisent. On enlève une fois le collier d’un cheval, et on le met sur le cou d’un prédicateur ; les coups pleuvent comme grêle sur lui et ses compagnons ; on parle même de les jeter dans une rivière. Au culte du soir, vers le milieu de sa prédication, Rostan voit entrer dans la chapelle un assez grand nombre de personnes, hommes mariés et jeunes gens, qui, dans la journée, au su d’une grande partie de la ville, avaient comploté de lui ôter la vie et de bafouer ceux qui seraient à sa prédication. « Ils commencèrent par rire, siffler et hurler, dit-il, au point qu’il me fut impossible de continuer. Les plus effrontés montèrent sur les degrés de la chaire, même jusqu’à mon côté, et l’un d’eux (domestique du pasteur) me dit d’un air impudent : « Descends, et je ferai la prière, moi ! » Au même instant, ils se mirent tous à crier : « Zou ! zou ! » signal convenu, qui signifiait : « Commence, saisis-le. » Mais Celui sans la volonté duquel il ne tombe pas un seul cheveu de notre tête, ne leur permit pas de mettre la main sur un seul de ses oints. » Deux jours après, un nouveau scandale se produisit ; la vie de Rostan fut sérieusement menacée ; mais l’autorité étant sévèrement intervenue, les wesleyens retrouvèrent la liberté de culteh.
h – Matth. Lelièvre, Vie de Rostan, p. 149 et suiv.
Telles étaient la plupart du temps ces luttes. La vie de chacun de ces messagers de l’Évangile renferme assurément plusieurs incidents semblables ; tantôt l’hostilité est plus violente, mais plus vite vaincue ; tantôt elle est plus sourde, mais aussi plus tenacei. Dans tous les cas, on peut dire que l’œuvre du Réveil a été souvent difficile ; les combats, les sacrifices, le renoncement de tous les instants en ont été les habituelles conditions.
i – V. D. Reymond, Mes souvenirs, p. 17, 18, 19, etc.