(Août 1523)
Béatrice de Portugal – Vanité des Genevois – Entrée magnifique du duc et de la duchesse – L’orgueil de Béatrice blesse les Genevois – Preuve que Genève aime la papauté – Représentation d’un mystère – L’invention de la sainte croix – Banquets, danses et triomphes – L’amour de l’indépendance semble arrêté – Nouveaux Testaments vendus à Genève – Nouvelle autorité, nouvelle doctrine – Mémoire au pape sur la rébellion de Genève – Les huguenots représentent un mystère – Le Monde malade – La Bible irrépréhensible, pour remède – Les désordres du clergé – Luther et la Réformation – Le Monde préfère être fou – Batteries entre Genevois et Savoyards – Lévrier et Lullin – Plutôt des charretiers que des princes – Naissance d’un prince de Savoie – Efforts du duc pour obtenir Genève – Désordres dans les couvents – Dieu fait le guet pour Genève
Le duc, voyant la commune genevoise grandement affaiblie, avait formé de nouveaux plans pour s’emparer définitivement de la souveraineté dans Genève, et en chasser à la fois la liberté et les tendances vers la Réformation, dont cette ville si remuante se trouvait être atteinte, selon Charles III et selon Charles-Quint. Magnificence, fêtes, grandeurs, flatteries, séductions, perfidie, tout allait être mis en œuvre ; Charles avait pour cela des ressources nouvelles. Il venait d’épouser Béatrice de Portugal, dont l’empereur Charles-Quint allait épouser la sœur. Béatrice, douée d’une grande beauté, fière, ambitieuse, dominatrice, exigeait que tout pliât devant elle ; Charles, homme sans volonté, en trouva une dans cette princesse ; et la conjuration de la Savoie contre l’indépendance genevoise entra ainsi dans une phase qui menaçait d’être marquée par de grands revers. Après quelques mois de mariage, le duc exprima le désir de présenter la belle duchesse à ses bons amis de Genève, et s’apprêta à déployer, pour les gagner, les pompes et les mignardises de cour. Ce n’est pas tout. On était en août (1523) ; la duchesse devait accoucher en décembre ; si elle avait un fils à Genève, ces honnêtes bourgeois ne se trouveraient-ils pas heureux, glorieux même, d’avoir pour prince un fils de Savoie, né dans leurs murs ? Et l’oncle de l’enfant, le puissant Empereur, n’aurait-il pas alors un mot à dire en sa faveur dans l’ancienne ville impériale qui portait encore l’aigle dans son blason ? Tout se mit à l’œuvre pour exécuter cette conjuration de cour. Le duc avait calculé juste en comptant sur la vanité républicaine. Chacun se mit en mouvement pour recevoir le prince, son épouse et ses courtisans ; les Genevois voulaient que les pompes de cette fête dépassassent infiniment celles de la réception de l’évêque. Il y avait aussi deux hommes dans ces citoyens ; l’un d’eux, plein d’aspirations élevées, voulait la liberté et la vérité ; mais l’autre, plein de vanité et amateur de plaisir, se laissait séduire par le luxe et les divertissements d’une cour. Le duc et l’évêque ne fussent jamais parvenus à perdre Genève ; mais si Genève se mettait elle-même avec eux, sa ruine paraissait inévitable. Toutes les têtes tournaient. « Je serai accoutré plus somptueusement que vous le jour de l’entrée de la duchesse, » dit Jean de Malbuisson à Jean Philippe, plus tard premier syndic. Sur quoi Philippe, l’un des plus fiers huguenots, se fit faire un habit magnifique de satin, de taffetas, de velours et d’argent, qui lui coûta quarante-huit écus au soleil. Malbuisson fut plein de jalousie et de colère, et il fallut que les syndics intervinssent pour apaiser cette querelle de vanitéa. Ces fiers républicains, ravis de l’honneur qu’allait leur faire la fille du roi de Portugal, voulaient semer de roses son chemin. Le Portugal, gouverné par la fameuse dynastie d’Aviz, illustré par les expéditions de Diaz, de Vasco de Gama, de Cabrai, par les conquêtes d’Albuquerque, regorgeait alors de richesses, était une puissance navale du premier ordre, et se trouvait dans les temps de sa grandeur. Ce n’était pas peu de chose aux yeux des bourgeois de la cité du Léman, que de voir cette gloire qui remplissait alors de son éclat les mers les plus lointaines, faire briller quelques étincelles de sa lumière sur les bords d’un lac ignoré. Le duc ne doutait pas que ces citadins amateurs du plaisir, se laisseraient tranquillement mettre les chaînes que la beauté leur apportait, et que Genève serait à lui.
a – Registres du Conseil du 2 août.
Béatrice de Portugal
Enfin le 4 août arriva, et la ville tout entière se porta sur les bords de l’Arve, au-devant de la belle et jeune duchesse ; les femmes avaient le premier rôle dans cette procession genevoise. Un bataillon d’amazones, formé de trois cents des plus jeunes et des plus belles personnes de Genève, paraissait d’abord. Elles portaient les couleurs de la duchesse, bleu et blanc ; leurs cottes, comme chez les beautés guerrières de l’antiquité, étaient retroussées jusqu’au genou ; et chacune d’elles tenait de la main droite un javelot et de la gauche un petit bouclier.
En tête se trouvait comme capitaineresse la femme du seigneur d’Avully, qui étant Espagnole pouvait parler à la duchesse dans sa propre langue ; au milieu était la porte-enseigne, « belle et grande femme, agitant son drapeau comme eût su faire un soudard qui n’aurait toute sa vie fait autre choseb. »
b – Bonivard, Chroniq., II, p. 380.
La duchesse parut ; elle était sur un char de triomphe attelé de quatre chevaux couvert de draps d’or et de pierreries, en sorte que les yeux en étaient éblouis. Le duc chevauchait à ses côtés sur une mule richement caparaçonnée, et une multitude de seigneurs magnifiquement vêtus les suivaient. Il parlaient entre eux, ils souriaient ; la simplicité débonnaire de ces républicains les ravissait. Ils se disaient que s’ils avaient échoué avec l’épée, ils réussiraient avec les pierreries, les plumes et les caparaçons, et que cette ville rebelle serait trop heureuse, en échange des jeux qu’on lui donnerait, de recevoir le duc et de courtiser le pape. Tout avait été combiné pour faire entrer le poison dans les cœurs par doux et subtil moyen. A Plainpalais le char de triomphe s’étant arrêté, la reine des amazones s’approcha de la duchesse, et lui dit :
En ce pays soyez la bienvenue !…
et autres vers que nous supprimons. Puis la princesse étant arrivée devant la chapelle du Rhône, où se trouvait l’image de la Vierge avec l’enfant Jésus dans les bras, une sibylle se présenta, et lui dit :
J’ai obtenu pour toi chose divine ;
C’est que… de Dieu auras la vision :
Lève les yeux… et vois-le au giron
De la Vierge, qui en bas nous l’apporte ;
Adore-le en grand’ dévotion !
Et de ses cieux il t’ouvrira la porte.
La procession passa successivement sous six arcs de triomphe, dédiés à d’illustres princesses, devant chacun desquels Béatrice devait s’arrêter et entendre un compliment nouveau. Maison avait beau faire, la superbe Portugaise, loin de remercier les dames, ne les regardait pas même ; et les hommes s’étant présentés à leur tour avec ces habits magnifiques qui leur avaient coûté tant d’argent et de querelles, la duchesse reçut ces boutiquiers avec encore plus de dédain. Un vif mécontentement remplaça aussitôt l’enthousiasme général. « Elle nous tient pour ses esclaves, à la façon du Portugal ! s’écria l’un des plus fiers huguenots. Montrons-lui que nous sommes des hommes libres. Allons, Mesdames, je vous le conseille, retournez à vos quenouilles. Et quant à nous, amis, renversons les échafauds et abattons les théâtres. » Puis le patriote dit à l’oreille de l’un de ses voisins : « Mieux vaudrait employer notre argent à fortifier la ville, et à contraindre tous ces Savoyards à rester dehors. Vous les alléchez… prenez-garde qu’ils ne vous brûlent dans votre propre paille ! » Les conseillers du duc commençaient à s’alarmer. La mine qu’ils pensaient avoir si habilement creusée, menaçait de les faire sauter en l’air. Encore quelques fautes de ce genre, et tout était perdu… Quelques courtisans s’approchant des Genevois s’efforcèrent d’excuser les manières hautaines de Béatrice, en disant : « Che eran los costumbres de Portugal ! — C’est la coutume en Portugal ! » Le duc conjura son épouse de faire quelques efforts pour ramener les cœurs. Le regard de Béatrice l’avait enflammé, et Charles pensait qu’il ne tenait qu’à elle de faire la conquête de tout le mondec.
c – Mém. d’Archéologie de Genève, I, p. 191. — Bonivard, Chroniq., II, p. 391. — Savyon, Annales, p. 111. — Spon, Hist. de Genève.
Des doutes commençant alors à se répandre sur l’attachement de Genève à la papauté, Charles et ses courtisans en avaient ouï quelque chose ; et le désir de retenir à jamais la ville dans le bercail de Rome était pour beaucoup, nous l’avons dit, dans leur chevaleresque entreprise. Les mamelouks et les chanoines, honteux de cette réputation, avaient préparé un mystère propre à faire croire au duc et à la duchesse que les Genevois pensaient beaucoup plus à chercher des croix et d’autres reliques, qu’à trouver ce Nouveau Testament si longtemps inconnu et dont on parlait tant en Allemagne… Aussi la procession étant arrivée sur la place du Bourg de Four, y trouva un grand échafaud, une espèce de maison ouverte du côté des spectateurs, et divisée en plusieurs étages. Le char de triomphe s’arrêta, et le peuple de Genève, qui devait donner plus tard au monde un tout autre spectacle, commença à jouer l’Invention de la sainte Croix.
La scène représente Jérusalem, et l’empereur Constantin et sa mère Hélène sont arrivés en la sainte cité pour faire la recherche de la précieuse relique.
Constantin
Aux Juifs,
Venez çà, Juifs !… Qu’est-ce qu’on fit
De la croix où fut Jésus-Christ,
Pendu par vous cruellement ?
Les Juifs
En tremblant,
Cher empereur, certainement,
Nous n’en savons rien…
Constantin
Vous mentez !…
Mais vous en serez tourmentés.
A ses gardes,
Prenez-les, boutez-les dedans !
Les Juifs sont mis en prison ; et ceci est une leçon qui doit apprendre ce qu’il faut faire à tous ceux qui ne font aucun cas du bois qu’Hélène venait adorer.
L’un des Juifs
Il dit par la fenêtre :
Judas suis, l’un des présidents ;
Que si vous me voulez lâcher,
Montrerai par signe évident,
Où mon père la vit cacher.
Constantin
Oui, sors ; allons la chercher.
Ceux-ci demeureront pendant.
La scène représente Golgotha. L’empereur, Hélène et leur cortège suivent le Juif.
Judas
Haut empereur, voici le lieu
Auquel cette croix fut mussée (cachée)
Avec d’autres.
Constantin
Bien. De par Dieu
Sus ! cette terre soit fossée,
Et que vitement on la treuve.
Un pionnier
Il creuse ; il sort de terre trois croix, puis il dit :
Voilà tout.
Constantin
Embarrassé de savoir quelle est la vraie.
Maintenant la preuve
Reste… Comment la ferons-nous ?
Hélène
Bien, mon cher enfant, taisez-vous !
Elle ordonne qu'on apporte un corps mort.
Prenez ce corps et le touchez
A ces trois croix, de belle suite…
Je veux que me le reprochiez
Si la croix ne le ressuscite.
On touche le corps avec les trois croix ; au moment où la troisième touche le mort, il ressuscite.
Hélène
Miracle !…
Hélène tient la vraie croix entre ses bras.
Constantin
A genoux, l'adore et dit :
O croix, de grande efficace !
Je vous adore en cette place.
Par vous soit mon âme sauvée !
Hélène
C’est elle qui fait avoir la grâce
De Dieu, qui tous péchés efface.
Cela est chose éprouvée…
Ainsi donc les Genevois croient aux miracles opérés par le bois de la croix. Comment, après des preuves si évidentes ne reconnaîtra-t-on pas que Genève est net d’hérésied ?
d – Voir ce mystère tout au long dans les Mémoires d’Archéologie de Genève, I, p. 196 à 203.
La procession et la princesse poursuivirent leur marche. On s’arrêta devant l’hôtel de ville ; là, les syndics offrirent à Béatrice le présent de la cité, et comme le duc lui avait fait la leçon, elle le reçut agréablement. Cependant elle n’en pouvait plus ; épuisée de fatigue, elle demandait en grâce son logis. Aussi se dirigea-t-on vers le couvent des Dominicains, situé hors la ville, sur les bords du Rhône, l’un des monastères les plus corrompus, mais aussi les plus riches du diocèse ; c’était là que les appartements du duc et de la duchesse avaient été préparés. Ils y arrivèrent enfin, Charles aussi joyeux que Béatrice était ennuyée. « Les mouches prennent au miel, disait le duc ; encore quelques fêtes, et ces fiers Genevois deviendront nos esclaves. »
Il ne perdit pas de temps, et plein de confiance dans le prestige du Portugal, l’éclat de sa cour et les grâces de la duchesse, il se mit « à faire grands banquets, danses et triomphes. » Béatrice ayant compris qu’il s’agissait de gagner les cœurs pour gagner Genève, se faisait aimable avec les dames, et leur donnait des festins « exquis en viandes, » suivis de ballets, de mascarades et de comédies. Le duc, de son côté, organisait des tournois avec grand concours de nobles chevaliers, venus de tous les châteaux de ces contrées, et où les enfants de Genève luttaient avec les seigneurs de la cour. « Depuis le temps du duc Philibert, disaient les jeunes Genevois, on ne s’est pas si bien diverti !… » Aux appas du plaisir la Savoie joignait ceux du gain. La cour, qui était grande et ample, » dépensait beaucoup d’argent dans la ville ; et portait ainsi à l’aimer tous ceux qui étaient adonnés à l’amour des richesses. Enfin on présentait à d’autres les attraits de l’ambition. Genève ne pouvait offrir aux âmes avides de gloire qu’une mesquine magistrature, tandis qu’en se donnant à la Savoie on pouvait aspirer à de grands honneurs ; aussi les notables et les syndics même se mettaient aux pieds du duc et de la duchesse. Ce prince, dit Bonivard, était mieux obéi à Genève qu’à Chambéry. » Tout faisait espérer aux politiques un succès complet. L’essor hardi vers l’indépendance et vers l’Évangile, qui déplaisait si fort au duc, au roi de France et à l’empereur, allait être arrêté, et ces libertés inquiétantes, qui avaient dormi pendant des siècles, mais qui paraissaient vouloir s’émanciper, seraient maintenues dans la contrainte et dans la sujétione.
e – Bonivard, Chroniq., II, p. 395. — Savyon, Annales, p. 113.— Manuscrit de Gautier.
Cependant les calculs des princes de Savoie n’étaient pas si exacts qu’ils l’imaginaient. Une circonstance presque inaperçue pouvait les déjouer. Tandis que le cabinet de Turin avait comploté la ruine de Genève, Dieu veillait sur ses destinées. Peu avant l’entrée de l’évêque et du duc, une autre puissance était arrivée dans Genève ; cette puissance c’était l’Évangile. A la fin de l’année précédente, en octobre et novembre 1522, Le Fèvre avait publié sa traduction française du Nouveau Testament. En même temps, les amis de la Parole de Dieu poursuivis à Paris, s’étaient réfugiés en diverses provinces. Le négociant Vaugris, le gentilhomme Du Blet, étaient à Lyon, et envoyaient de là des évangélistes et des Nouveaux Testaments dans la Bourgogne, dans le Dauphiné, à Grenoble et à Viennef. Au seizième siècle, comme cela était déjà arrivé au second, l’Évangile remonta le Rhône ; ce fut de Lyon et de Vienne, qu’en 1523 la Parole de Dieu, qui avait jadis aboli les superstitions païennes, et qui devait abolir maintenant les superfétations romaines, arriva sur les bords du lac Léman. « Des gens nommés évangéliques, vinrent de France, » dit un Mémoire au pape sur la rébellion de Genève, qui se trouve dans les Archives de Turin. Les noms de ces hommes pieux, qui les premiers apportèrent au peuple de Genève les saintes Écritures, n’ont pas été mieux conservés que ceux des missionnaires du second siècle ; c’est d’ordinaire dans la nuit que les grands feux s’allument. Quelques Genevois « s’abouchèrent avec eux et achetèrent leurs livres, » ajoute ce manuscrit. Ainsi tandis que les chanoines faisaient représenter de vieilles fables, et donnaient comme modèle la piété de ceux qui cherchaient la croix dans des ruines, il y avait à Genève des âmes plus élevées qui la cherchaient dans les Écritures. L’un des premiers à accueillir ces colporteurs bibliques fut un homme hardi, ardent même jusqu’à l’imprudence ; mais vrai, droit, généreux, Baudichon de la Maison-Neuve. Il fut ravi de trouver dans l’Évangile la force dont il avait besoin pour attaquer les superstitions du vieux temps, qui lui inspiraient un instinctif dégoût. Robert Vandel fit de même. Syndic en 1529, et employé dans toutes les affaires importantes de cette époque, il trouvait, dans ces livres venus de Lyon, un moyen de réaliser son idéal, qui était de faire de Genève une république indépendante pour la religion, comme pour la politique. Ces hommes généreux, et plusieurs autres, lisaient avec étonnement les Écritures. Ils avaient beau chercher, ils n’y trouvaient point la religion romaine ; point d’images, point de messe, point de pape ; mais ils y trouvaient une autorité, un pouvoir qui était au-dessus des prélats, des conciles, des pontifes, des princes même. Nouvelle autorité, nouvelle doctrine, nouvelle vie, nouvelle Église… et toutes ces choses nouvelles étaient les anciennes que les apôtres avaient eux-mêmes établies. C’était comme si le souffle vivifiant du printemps commençait à se faire sentir dans la vallée, après les rigueurs d’un long hiver. On se mettait en plein air ; on cherchait les rayons du nouveau soleil ; on exerçait ses membres dégourdis. Les prêtres, les laïques bigots regardaient avec étonnement ce nouveau spectacle. Quoi ! ils avaient espéré que l’entrée pompeuse de Charles et de Béatrice assurerait leur triomphe, et voilà qu’un livre inconnu, entré sans pompe, sans caparaçon, sans draps d’or, porté humblement sur le dos de quelques pauvres colporteurs, semble destiné à produire plus d’effet que la présence du beau-frère de Charles-Quint et de la fille des rois de Portugal… Au moment du succès, la victoire échapperait-elle de leurs mains ? Genève serait-elle destinée à être autre chose qu’une petite ville de la Savoie et une paroisse du pape ?… Inquiets de ce mouvement des esprits, quelques agents de la papauté s’empressèrent d’écrire à Rome : « Chose singulière ! un nouvel espoir saisit les factieux abattus… Et de ces livres, venus de France, et qu’ils achètent des évangéliques, les Genevois espèrent leur affranchissementg … »
f – Histoire de la Réformation du seizième siècle, au temps de Luther, 12.7 et 12.11, (tome 3).
g – Archives de Turin, paquet 14, 1re catégorie. Mémoire au pape sur la rébellion de Genève. M. Gaberel, qui a eu en main ce mémoire et qui le cite (Histoire de l’Eglise de Genève, I, p. 84), le place vers l’an 1520 ; il me semble plus probable qu’il soit de l’an 1523.
En effet, les succès du duc, de la duchesse et de leur cour, qui parvenaient à jeter certains Genevois dans la dissipation et dans l’asservissement, indignait les huguenots ; ils ne se rencontraient plus sans échanger, en se serrant la main, une parole de raillerie ou de tristesse. Parmi eux était Jean-Philippe, qui fut souvent élu capitaine général. Il n’était pas de ceux que les Écrits saints avaient convertis ; c’était un citoyen riche, généreux, plein de courage, grand amateur de la liberté ; mais aimant mieux abattre qu’édifier, et poussant la hardiesse jusqu’à la témérité. Il demandait qu’on donnât une leçon aux mamelouks et aux prêtres, « et se chargeait, disait-il, d’en faire tous les frais. » D’autres huguenots, plus modérés et surtout plus pieux, tenaient surtout à faire connaître les convictions qu’ils avaient trouvées dans les livres évangéliques. La Parole de Dieu ayant touché leurs cœurs, ils voulaient dire qu’elle était le remède aux blessures de l’humanité. Voyant que chacun s’empressait à fêter le duc et la duchesse, ils résolurent d’offrir aussi leur plat au festin, mais en y mettant quelques grains de sel. Au lieu de la découverte de la croix par Hélène, ils célébreront la découverte de la Bible par la Réformation. Le pendant n’était pas mal trouvé, et faisait ressortir le contraste entre les temps anciens et les temps nouveaux. Les huguenots annoncèrent donc au duc qu’ils voulaient jouer un mystère à son honneur, le dimanche après les Bordes, en plein air. Jean-Philippe ayant généreusement pourvu à toutes les dépenses, les jeunes hommes du parti apprirent les rôles, et tout se prépara pour la représentation.
Il y avait alors foire à Genève ; aussi une grande foule de Genevois et d’étrangers entoura-t-elle bientôt le théâtre : l’évêque de Maurienne arriva ; des seigneurs et des dames de haut parage prirent place ; mais en vain attendit-on le duc, il ne parut point. « Ni moi, ni la duchesse nous n’irons, dit-il, parce que ce sont des huguenots qui jouent ! » Charles connaissant bien ses hommes craignait qu’il n’y eût anguille sous roche. Le huguenot qui avait composé la pièce représentait l’état du monde sous l’image d’une maladie, et la Réformation sous celle du remède, par lequel Dieu voulait le guérir ; le sujet et le titre de son drame était le Monde malade, et tout devait y paraître, les prêtres, les messes, la Bible et ses adhérents. Le principal personnage, le Monde, avait entendu certains moines, effrayés des livres récemment arrivés de France, annoncer que les derniers temps étaient venus, et que le Monde allait bientôt périr. Il devait être à la fois consumé par le feu et noyé par l’eau… C’en était trop ; aussi il tremblait, il maigrissait, sa santé déclinait. On s’inquiétait autour de lui, et l’un des personnages s’écriait :
Le monde devient toujours pire,
Je ne sais que sa fin sera !…
Il avait pourtant quelques amis, et chacun d’eux lui apportait un remède ; mais tout était inutile, le Monde allait de mal en pis. Il se décida alors à recourir au remède souverain, universel, avec lequel on sauve même les morts : les messes ! C’est le culte romain, attaqué par les réformateurs, qui est ici mis en cause sur ces tréteaux.
le monde
Çà, prêtre, venez délier
Ici vos messes… que je voie
Comme elles sont…
le prêtre
Ravi de voir le Monde s'adresser à lui,
Dieu vous donne joie, Monde !
Comment les voulez-vous ?
le monde
Ainsi que les demandent tous.
le prêtre
Courtes !
le monde
Oui…
le prêtre
Lui présentant des messes,
Or tenez donc.
le monde
Les rejetant avec effroi,
Mais longues sont comme un sermon.
le prêtre
En présentant d'autres,
De celles-ci en voulez-vous ?
le monde
Les rejetant encore,
Non !
le prêtre
Voyant que le Monde ne veut de messes ni courtes ni longues,
Voilà !
Vous ne savez que vous voulez.
Alors un personnage, le Conseiller, homme sage et éclairé, prend la parole, et met en avant un nouveau remède ; remède innocent, efficace, qui commence à faire grand bruit.
le monde
Oui-là, quel est-il ?
le conseiller
Le texte de la Bible,
Qu’est chose Irrépréhensible…
Le Monde ne comprend pas ce que c’est que cette médecine ; en vain un autre personnage veut-il lui donner confiance :
Croyez, Monde, qu’il n’est si fou
Qui ne le connaisse…
Le Monde n’en veut à aucun prix. On savait déjà en 1523, à Genève, que le Monde fait un mauvais accueil à l’Évangile : « On vous dira des injures, et l’on vous persécutera. » Ne pouvant être guéri par le prêtre, ne voulant pas l’être par la Bible, le Monde fait appeler le médecin, et lui décrit soigneusement sa maladie :
…… Je suis tant lassé,
Tant troublé et tant tracasssé
De ces folies qu’on a dit…
Que j’en tombe tout plat au lit.
le médecin
Quelles folies ?
le monde
Qu’il viendrait
Un déluge, et que l’on verrait…
Le feu en l’air, par-ci, par-là…
Mais le médecin se trouve être aussi (ce qui fut souvent le cas au seizième siècle) de ceux qui croient que le texte de la Bible est infaillible ; il se met à faire la peinture la plus vive des désordres du clergé afin d’engager son patient à prendre le remède qui lui a été prescrit :
Quoi ! tu te troubles pour cela ?…
Monde !… et tu ne te troubles pas
De voir ces larrons, attrapards,
Vendre et acheter bénéfices…
Les enfants, aux bras des nourrices,
Être abbés, évêques, prieurs
………
Tuer les gens pour leur plaisir,
Jouer le leur, l’autrui saisir,
Donner aux flatteurs audience ;
Faire la guerre à toute outrance
Pour un rien, entre les chrétiensh.
h – Les éditeurs ont supprimé les traits que la délicatesse de notre siècle ne permet pas de reproduire. » Voir cette sottie dans les Mémoires d’Archéologie de Genève, I, p. 164 à 180.
Le Monde étonné de cette description peu catholique, devient soupçonneux, trouve ces discours hérétiques, et s’écrie :
Ce sont des propos du pays
De Luther, — réprouvés si faux !…
le médecin
Parlez maintenant des défauts…
Vous serez à Luther transmis !
Luther donc était déjà alors à Genève (et dans toute la catholicité) l’homme qui dévoilait les défauts. Le Médecin ne se laisse pas désorienter par cette accusation de luthéranisme :
Monde ! veux-tu être remis
En bonne santé ?
le monde
Fermement.
Oui !
le médecin
Alors pense aux abusions
Qui se font tous les jours chez toi ;
Et mets-y ordre, selon la loi !
C’était demander la Réformation. — Les huguenots (Eidguenots) applaudissaient ; les marchands étrangers s’étonnaient, les courtisans de Savoie, Maurienne lui-même souriaient. Toutefois Maison-Neuve, Vandel, Bernard, tous ceux qui s’étaient abouchés avec les évangéliques, et en particulier l’auteur du drame, savaient les difficultés que la Réformation rencontrerait dans Genève.
Le Monde irrité contre ces laïques qui se font prédicateurs, s’écrie :
Cet affronteur de médecin,
Aux bons propos ; il est bien sot
Que de m’avoir prêché, au lieu
De me médeciner…
Un autre personnage effrayé d’une chose si inouïe :
Mon Dieu !… est-il vrai ?
le monde
Oui, sûrement ;
Mais bien… pour son prêchement,
Je me gouvernerai plutôt
A l’appétit de quelque fol
Que d’un prêcheur !…
un des amis du monde
Vous ferez bien ;
Vivez selon vos appétits.
le monde
Aussi veux-je !…
Là-dessus le Monde se fait habiller en fou, et la sottie finit.
Il fut trop vrai que le monde, après la Réformation, s’est habillé en fou en divers lieux, en France en particulier. Que fut la maison de Valois, si ce n’est une maison de fous ? Pourtant une sagesse divine était dès lors entrée dans le monde et y est encore pour la guérison des peuples. Dès le commencement de 1523, le grand principe du protestantisme qui déclare l’Écriture source et règle unique de la vérité, en opposition à celui du catholicisme qui lui substitue l’autorité de l’Église, était reconnu dans Genève. Le texte de la Bible était proclamé publiquement chose irrépréhensible, et seul remède pour la guérison de l’humanité malade. Qu’était au fond cette sottie des huguenots, si ce n’est un sermon laïque sur ce texte : La loi de Dieu restaure l'âme ? Il est bon d’en remarquer la date, puisque l’on croit d’ordinaire que la Réformation ne commença que beaucoup plus tard dans la cité de Calvin. Ce mystère d’un genre nouveau ne resta pas sans effets ; les évangéliques avaient pris position ; le bélier, armé d’une tête d’airain qui devait battre et renverser les murailles de Rome, la Bible infaillible, avait paru. Jean Philippe trouva que la pièce ne lui avait pas coûté trop cher.
A peine les tréteaux du Monde malade étaient-ils enlevés, que les citoyens durent penser à autre chose qu’à des comédies. Les Savoyards, qui n’avaient point goûté le plat qu’on leur avait servi et qui avaient cru y découvrir le poison de l’hérésie, résolurent pour le combattre de faire sentir la pesanteur de leur joug. Deux mots résumaient toute la politique de ces soldats et de ces courtisans : despotisme du prince, servilisme du peuple ; ils entreprirent de former les Genevois à leur système. La mine fière et le ton arrogant, ils cherchaient sans cesse querelle aux citoyens ; ils trouvaient trop cher tout ce qu’on leur vendait, ils s’emportaient, ils frappaient les marchands, et ceux-ci, qui n’avaient pas d’armes, durent d’abord endurer ces batteries. Mais bientôt chacun s’arma, et les gens de boutique, relevant la tête, croisèrent l’épée avec ces seigneurs insolents. Il y eut beaucoup de bruit dans la ville. Indigné de ces résistances, le grand maître de la cour courut au conseil : « M. le duc et Madame la duchesse, dit-il, sont venus en ce lieu, pensant y être avec des amis. » Le conseil ordonna d’arrêter les bourgeois qui avaient frappé des gentilshommes, et le fourrier savoyard entreprit de les mettre aux arrêts ; aussitôt le fourrier genevois s’y opposa. Le duc en colère, menaça d’envoyer querir ses sujets pour « fourrager cette ville. » Il y avait, il faut le dire, quelque raison pour désirer un peu de tranquillité. « Madame la du chesse veut bien nous faire l’honneur d’accoucher en cette ville, dit le syndic Baud au peuple ; ne faites donc aucun bruit, et dès que vous entendrez les cloches et les trompettes, allez en pro cession, avec cierges et flambeaux, prier Dieu en sa faveuri. »
i – Registres du Conseil des 4 septembre, 24 octobre et 15 novembre 1523.
L’honneur que Madame la duchesse allait faire à Genève ne touchait pas les Genevois. Les citoyens les plus courageux, Aimé Lévrier, Jean Lullin et d’autres se montraient supérieurs à toutes les séductions. Lévrier, fidèle interprète de la loi, gardien calme mais intrépide des us et constitutions, rappelait sans cesse dans le conseil que Charles n’était pas souverain de Genève ; et tout en évitant une opposition bruyante, il montrait une inébranlable fermeté ; aussi le duc commençait-il à penser qu’il ne deviendrait prince qu’en passant sur le corps de cet homme-là. Lullin n’était point légiste comme Lévrier, mais actif, pratique, énergique ; il manifestait en toute occasion son amour de la liberté, et il le faisait même parfois avec une certaine rudesse. Prieur de la confrérie de Saint-Loup, il était en même temps maître de l’auberge de l’Ours, ce qui dans les mœurs du temps s’alliait très bien avec une haute position dans la cité. Un jour, que ses écuries étaient pleines de chevaux appartenant à un pauvre charretier suisse, des seigneurs de Savoie richement vêtus descendirent avec fracas devant l’Ours, et s’apprêtèrent à y mettre leurs élégants coursiers. « Pas de place ! Messieurs, dit rudement Lullin. — Ce sont les chevaux du duc, répliquèrent les courtisans. — N’importe, répondit l’énergique huguenot. Qui y est, qu’il y reste ! J’aime mieux loger des charretiers que des princes. » Charles levait alors six mille hommes, qui devaient assister dans Genève au baptême de son enfant, et les cavaliers appartenaient sans doute à ce corps. Mais les huguenots trouvaient que c’était trop que d’avoir six mille parrains armés de pied en cap, et c’est ce qui mettait Lullin de mauvaise humeur. Charles était faible, mais violent ; il frappa du pied en apprenant l’insulte qu’on venait de faire à ses gens, jeta sur la ville un regard furieux et s’écria avec un gros juron : « Je ferai cette cité de Genève plus petite que le plus petit village de la Savoiej ! » Plusieurs tremblèrent en entendant cette menace, et le conseil, pour apaiser le prince, mit Lullin en prison et l’y garda trois jours.
j – Minimum villagium suæ patriæ. (Reg. du Conseil, 18 décembre. — Bonivard, Chroniq., II, p. 392.)
Enfin arriva le grand événement sur lequel reposaient les espérances de la Savoie. Le 2 décembre, un officier du duc vint annoncer aux syndics que la duchesse était accouchée, à midi, d’un prince. Aussitôt les cloches sonnèrent, les trompettes retentirent ; l’évêque, les chanoines, les prêtres, les moines, les confréries, les jeunes garçons et les jeunes filles vêtues de blanc, un flambeau à la main formèrent une procession immense. Tandis que sur toutes les places on faisait des feux de joie, les canons braqués sur l’esplanade qui domine la Savoie (la Treille) annonçaient à ce pays fidèle que son duc avait un filsk. « Puisqu’il est né à Genève, se disaient les uns aux autres les courtisans, ceux de la ville n’oseront pas le refuser pour leur princel. » La duchesse elle-même avait cette affaire fort à cœur ; et bientôt, richement parée, assise dans son lit comme une accouchée, elle disait dans les conversations frivoles qu’elle avait avec les personnes admises à lui faire leur cour : « Cette ville est une très buena posada » (une très bonne hôtellerie). Le duc, ravi, lui répondait : Genève sera à vous !… » Ce qu’elle aimait fort à entendrem.
k – Debandata fuit artilleria in porta Baudet. (Registres du Conseil, du 2 décembre.)
l – Bonivard, Chroniq., II, p. 392.
m – Bonivard, Police de Genève (Mém. d’Archéologie, IV, p. 382).
Tout dans Genève et même tout en Europe semblait favoriser alors les desseins de la Savoie. Charles-Quint, beau-frère du duc, et François Ier, son neveu, se préparaient à la guerre de Pavie. La lutte entre Luther et le pape préoccupait tous les esprits. Les Suisses étaient « en grand souci et différend, ville contre ville, et dans une même ville, l’un contre l’autre. » L’évêque, Pierre de la Baume, était un esprit léger, mondain, aimant à jouer, banqueter, servir les dames, et recherchant autres menus plaisirs qui le détournaient des choses honnêtes. Il était timide, peureux même, tournant à tout vent comme une girouette, et craignait pardessus tout de perdre les bénéfices qu’il possédait sur les terres de Son Altesse. Tout cela permettait à Charles (il le pensait du moins) d’envahir tranquillement Genève et de le joindre à la Savoie, sans que l’Europe dît un mot. Pour avoir les mains plus libres encore, il persuada à de la Baume que sa présence était nécessaire en Italie pour le service de l’Empereurn. Cela fait, croyant le fruit mûr et prêt à tomber, le duc et la duchesse se mirent en devoir de donner le dernier coup. Ils voyaient bien les dispositions hostiles de plusieurs Genevois ; mais ils y trouvaient une raison de plus pour redoubler d’efforts. Si, maintenant qu’un prince de Savoie était né dans Genève, le duc échouait dans ses projets, tout était perdu pour longtemps. Il y eut donc un mot d’ordre donné à toute la noblesse savoyarde. La beauté des pièces d’or éblouissait les marchands ; les jeux, festins, bals, mascarades, spectacles, tournois, pompes, braveries, voluptés, délices, et tous allèchements qui séduisent, disent les écrivains du temps, captivaient les hommes terriens et surtout la jeunesse. Quelques huguenots parlaient hautement d’indépendance ; quelques vieux Genevois cherchaient encore à retenir leurs fils ; quelques mères vénérables, voyant leurs enfants parés de leurs plus riches habits, partir pour la cour, leur demandaient s’ils rougissaient des mœurs antiques de leurs pères, s’ils voulaient vendre leur âme libre et se faire valets de princes ?… Mais tout était inutile. « C’est comme si l’on jetait de l’eau sur une boule, disaient les parents affligés ; il n’en reste pas une goutte. — Que voulez-vous ? c’est plus fort que nous, répondait cette folle jeunesse ; dès que les appas du monde se présentent, nos appétits sont transportés, comme bêtes débridées. »
n – Bonivard, Chroniq., II, p. 395. — Savyon, Annales, p. 114.
Les moines ne restaient pas en arrière dans cette œuvre de corruption. Les dominicains célébraient le 20 mai la fête de Saint-Ives, et invitaient la jeunesse à ces fameuses veillées, où il se commettait des choses abominables. En vain les syndics se plaignaient-ils au vicaire général de la vie infâme, sceleratæ vitæ, de ces religieux. Allez au couvent et faites-leur remontrance, » répondait cet ecclésiastique. Et quand les syndics s’y rendaient, le prieur avouait bien que les moines menaient une vie débordée ; « mais, ajoutait-il, c’est en vain que je leur parle de correction, ils me répondent que si je ne me tais, ils me chasseront du couvento. » Le clergé, par ses vices, creusait sous ses pieds un abîme, où il devait tout entraîner, — son dogme, son culte, son Église. Tout semblait concourir à l’asservissement de Genève. Ni l’Empereur, ni le roi, ni le pape, ni l’évêque, ni les Suisses, ni les Genevois même ne veillaient à l’indépendance de la cité. Les eaux vives de l’Evangile pouvaient seules nettoyer ces étables d’Augias. Ne restait que Dieu, dit Bonivard ; mais tandis que Genève dormait, Dieu faisait le guet pour ellep. »
o – Registres du Conseil du 20 mai, 20, 23 juin 1522, et 22 juillet 1523.
p – Bonivard, Chroniq., II, p. 395. — Manuscrit de Gautier.
En effet, Genève allait se réveiller. Les songes amollissants de la jeunesse dorée commençaient à se dissiper. Ce n’étaient pas uniquement ceux auxquels des Nouveaux Testaments avaient été apportés, pas seulement les amis de l’indépendance, c’étaient aussi les hommes graves de l’ordre et de la loi qui allaient s’opposer au duc. Un nouveau martyr devait fertiliser de son sang un sol généreux, et préparer la victoire définitive du droit et de la liberté.