La grande œuvre de nos jours, la véritable apologétique du xixe siècle, serait celle qui, forçant la haute critique à déposer son bilan, faisant le départ de ses résultats soit positifs ; soit négatifs, constatant et ce qu’elle a ruiné et ce qu’elle a élevé ou laissé debout, réunirait l’ensemble des données internes et externes que n’a ni renversées ni ébranlées la tourmente actuelle. Cette œuvre, qui exigerait une connaissance approfondie de tout le mouvement théologique et philosophique de nos jours, cette œuvre dont l’heure n’est peut-être pas encore venue, il va sans dire que je ne l’ai pas même essayée. Ainsi, l’argument rationnel, moral, expérimental, auquel revient, par la nature des choses comme par l’esprit du temps, une haute et large place dans ce travail de restauration, je l’ai à peine touché sur quelques points, préoccupé surtout d’en conjurer les périls en en signalant les excès. C’est essentiellement à l’argument historique que je me suis attaché ; et encore s’en faut-il beaucoup que je l’aie présenté dans sa plénitude, et par conséquent dans son évidence et dans sa force réelles. Cependant, malgré ses défectuosités et ses lacunes, ma déduction porte bien au but. Dès que nos Livres sacrés sont des hommes auxquels les attribue l’Eglise, leur caractère historique étant assuré, leur contenu surnaturel l’est aussi ; et sur ce fond général ressortent comme d’eux-mêmes et le fait de révélation et le fait d’inspiration.
Il est tout simple que le rationalisme prétende jeter au rebut et réduire à néant cet ordre de preuves. Mais il est plus que singulier de voir le miraculeux relégué dans l’ombre et tenu à peu près comme non avenu par des écoles franchement supranaturalistes qui ne le mettent point en question. Est-ce là rester dans l’ordre et sur le fondement divin ? Reconnaître les miracles et les prophéties bibliques, c’est reconnaître les signes du Ciel constatant les révélations du Ciel. N’est-ce pas, dès lors, une faiblesse de les laisser de côté par concession ou par adhésion aux préventions du moment ? Il y a de l’inconséquence à confesser qu’ils sont, sans vouloir écouter ce qu’ils disent. Il faut ou les nier ou s’incliner devant eux.
Cependant, on persiste dans ces atténuations du surnaturel historique, qui finissent par compromettre sa réalité en lui enlevant sa raison d’être, et l’on pense assurer par là le Christianisme comme on se figurait le sauver au xviiie siècle en jetant pardessus le bord le surnaturel dogmatique.
M. de Pressensé, dans un long article, essentiellement dirigé contre la théorie extrême de l’inspiration plénière et du Canon providentiela, a cru devoir s’en prendre aussi à moi, parce que je vois dans la donnée scripturaire plus, ou pour mieux dire, autre chose que lui. Nous sommes d’accord sur le mode d’investigation et de démonstration qu’il convient de suivre en un tel sujet. Il fait profession de repousser l’a priori, quoi qu’il en mette ou qu’il en laisse beaucoup en réalité à la base et dans toute la série de son exposition. Mais il déclare le répudier et vouloir tout fonder sur les faits. Or, c’est là le principe même auquel je me tiens et qu’on pourrait me reprocher de suivre trop exclusivement.
a – Il y a consacré tout un no du « Supplément théologique » de la Revue chrétienne (novembre 1862).
M. de Pressensé m’accuse de faire rendre plus qu’ils ne contiennent aux trois ordres de faits sur lesquels je me suis appuyé (miraculeux historique — promesses du Seigneur — déclarations des Apôtres). Est-ce moi qui surcharge les faits ou lui qui les évide ?
Une discussion tant soit peu complète de cette grave questionb exigerait un article aussi étendu que le sien et qui serait ici hors de place. Je ne puis toucher qu’à quelques points.
b – La même, en substance, que j’avais eu à débattre avec M. Schérer.
Avec lui, il ne s’agit pas de l’existence des faits ; il s’agit uniquement de leur portée ou de leur signification véritable, de leur intention et de leur fin providentielle.
Eh bien ! qu’emporte le premier de ceux que j’ai invoqués, le miraculeux du Nouveau Testament ? J’ai dit qu’il atteste l’inspiration en signalant la Parole de Dieu dans la parole sur laquelle il appose le sceau du Ciel ; j’ai dit qu’il implique l’inspiration, puisque l’auteur apparent du miracle n’en est en fait que le prophète. Et ce qui ressort ainsi pour la réflexion ou pour le sentiment, du miracle proprement dit, se fait voir comme à l’œil dans la révélation, la prédiction, la direction céleste, qui sont l’inspiration elle-même, l’inspiration en exercice et en acte. Le miraculeux tout entier va se résoudre dans le prophétique, et par là, dans le théopneustique. C’est l’induction de la raison non prévenue en présence des faits franchement et pleinement admis tels que les donnent les Livres saints ; c’est l’attestation spontanée de là conscience religieuse. En se croyant devant le miracle, l’homme s’est toujours cru devant Dieu. Cela devrait surtout être incontesté lorsque l’autorité générale de l’Ecriture est posée en principe, comme elle l’est ici ; car s’il est quelque chose de certain, c’est que l’Ecriture donne d’un bout à l’autre le miracle pour signe et pour garant de la Parole révélée, c’est-à-dire de la Parole inspirée. Dirait-on qu’il n’imprime ce caractère qu’à la déclaration qu’il accompagne ? Mais son action n’est pas ainsi restreinte et transitoire ; l’impression qu’il laisse s’étend plus loin ; il revêt d’une auréole spéciale l’enseignement de l’homme qu’il a signalé comme organe de la révélation ; surtout si cet homme présente toute sa doctrine au même titre que le point divinement légalisé, et si les signes, les témoignages d’En haut viennent, de temps à autre, confirmer sa mission, et, en quelque sorte, renouveler son mandat : ce qui est justement le cas pour les promulgateurs du Christianisme.
Voilà ce que dit le miraculeux évangélique à qui veut le prendre et l’entendre, non tel qu’il se l’explique, mais tel que le donnent les Livres saints.
Non, me répond M. de Pressensé, « pour que le miracle pris en lui-même et séparé de son caractère moral qui, tombant sous l’appréciation et le contrôle de la conscience, se confond avec la preuve internec, pour que le miracle fût une attestation suffisante de la vérité d’une doctrine, il faudrait qu’il fût prouvé que la puissance du bien peut seule briser momentanément ou suspendre l’ordre naturel : ce qui n’est pas, d’après l’Ecriture elle-même, qui parle de prodiges accomplis par la puissance du mal (Apocalypse 13.13-16). S’il est certain, d’après l’Apocalypse, que les démons peuvent faire des prodiges, la théopneustie ne saurait reposer sur le miracle, et ainsi croule par la base la théorie que nous discutons. Je demande, en outre, comment, au point de vue de M. Jalaguier, il est possible de constituer une autorité spéciale au bénéfice des Apôtres, car, enfin, les dons miraculeux étaient largement répandus sur toute l’Eglise primitive ».
c – Un des arguments de M. Schérer.
Ces objections, qu’on donne pour péremptoires, sont-elles valides ? Le texte unique sur lequel se fonde la première peut-il infirmer le principe scripturaire qui fait des miracles comme des prophéties les signes formels des révélations divines ? Et puis, ce texte, pris de l’Apocalypse, porte l’empreinte manifeste du profond symbolisme qui caractérise ce livre mystérieux. Il suffit de le lire pour en être convaincu, et c’est peut-être un peu à cause de cela qu’on ne la pas cité. Il faut remarquer de plus que quand ce genre d’argument aurait quelque fondement en lui-même, il serait ici sans base et sans portée, puisqu’il est accordé que la nature du Christianisme écarte toute possibilité et par conséquent tout soupçon que l’esprit du mal en soit le promoteur.
On s’étonne souvent de voir avec quelle facilité cette direction relève les vieilles armes de l’incrédulité dès qu’elles paraissent lui assurer quelque avantage, sans examiner si ce ne sont pas des armes à deux tranchants qui finissent par la blesser elle-même.
Quant à la seconde objection, sur laquelle toute mon argumentation irait se briser, une simple explication m’en délivre et la retourne même en ma faveur. La notion de l’apostolat qu’on m’oppose se trouve, sinon au point de vue théopneustique, du moins au point de vue historique, être foncièrement celle que j’ai pris soin d’établir, y fondant en partie ma doctrine et ma preuve.
Le premier ordre de faits où je me suis appuyé (miraculeux) donne donc bien ce que j’en ai induit, et qu’en a constamment induit la conscience chrétienne. Il en serait de même des deux autres (promesses du Seigneur, déclarations des Apôtres), si nous pouvions en reprendre ici l’examen. Les textes, pris intégralement, dans le sens immédiat qu’ils présentent et que durent y attacher, d’après la langue du temps, les écrivains et les lecteurs, renferment, j’en ai la pleine conviction, plus qu’on ne veut y voir ; ils disent bien ce que nous leur avons fait dire.
En somme, je crois être plutôt resté en deçà qu’être allé au delà des données scripturaires dans ma déduction générale. Ce sont les tendances nouvelles qui craignent de les prendre dans leur pleine signification ; et cela peut-être parce qu’au lieu de se borner à la constatation du fait divin, elles en veulent la conception ou la théorie, se figurant le sauvegarder et le vivifier en le rendant en quelque manière intelligible. Pour moi, je ne regarde qu’au fait lui-même, m’efforçant de le prendre sans plus ni moins, tel qu’il ressort de l’ensemble des faits collatéraux qui l’attestent ou l’impliquent. De cette différence de vue dérive une différence de marche dont le résultat général des recherches doit plus ou moins se ressentir. Aussi ma position me place-t-elle à égale distance des extrêmes qui, selon les idées dominantes, systématisent ou autour de l’élément divin et font régner l’inspiration plénière, ou autour de l’élément humain et font évaporer, ou à peu près, l’inspiration réelle.
On se demande, en effet, ce qui reste de l’inspiration apostolique au sens propre, dans la théorie que nous avons devant nous. Le fait de révélation y est bien accusé ; mais celui d’inspiration, dont il s’agit spécialement, je l’y cherche et ne l’y trouve guère. On affirme « qu’il n’y a pas de différence essentielle entre l’inspiration et l’action de l’Esprit de Dieu chez les croyants. » On établit un développement progressif de la vérité chrétienne chez les Apôtres eux-mêmes, de sorte que leur enseignement final aurait été autre, sous beaucoup de rapports et des plus considérables, que leur enseignement primitif. Je ne veux pas discuter ces assertions et celles du même genre, qui ne se produisent du reste qu’à travers bien des réserves. Mais que de points par lesquels ou va toucher aces écoles où se volatilise en fin de compte le Christianisme surnaturel, c’est-à-dire le Christianisme réel ! L’espoir de les vaincre avec leurs propres armes, et sur le terrain où elles appellent, peut être attrayant ; mais il est périlleux. C’est leur principe fondamental, le principe subjectiviste, qu’on pose en première ligne et qui, suivi logiquement, renverse les restrictions dont on l’entoure. Tout porte, en définitive, sur la preuve de sentiment. C’est, pour citer quelques expressions bien, caractéristiques, « le témoignage de l’esprit divin dans l’homme à l’esprit divin dans l’Ecriture » ; c’est l’attestation de la conscience, reconnaissant « que l’Ecriture « répond au type gravé en elle. » Où cela mènerait-il ?
Terrible illusion que les dépositions de l’expérience elle-même ne parviennent pas à dissiper. Cet Evangile du dedans qui devient la pierre de touche de l’Evangile du dehors, en devient aussi la mesure ; et logiquement l’Evangile de Dieu va se perdre dans l’Evangile de l’homme. Certes ce n’est pas le cas ici, j’ai hâte de le dire, parce que, au fond et derrière le principe d’autonomie, souverain apparent, il existe le principe d’autorité, souverain réel, qui domine et contrôle tout : inconséquence secrète que j’ai signalée à diverses reprises dans la grande « Ecole de la conciliation » ou « de la science et de la foi » ou « du Christianisme évangélique libéral » comme aime à la nommer M. de Pressensé.
Je reviendrai maintenant à l’espèce de formule ou de trilogie que j’ai énoncée çà et là, et qui peut servir de résumé à cette longue discussion : authenticité, crédibilité, divinité. Un lien indissoluble unit ces trois termes. Le premier établi et reconnu, les deux autres s’imposent, ou l’on ne s’y dérobe qu’en se rejetant en arrière et en retirant ce qu’on avait accordé. L’authenticité des écrits fonde, en thèse générale, la crédibilité des récits ou leur vérité historique ; et, de la vérité historique la vérité dogmatique ; car du divin des faits le divin des enseignements. Le Seigneur lui-même rendait témoignage à la parole de sa grâce (Actes 14.3). L’origine des livres et leur contenu intégral étant assurés, la théopneustie apostolique l’est aussi.
Telle est la portée logique du fait d’authenticité franchement admis dans son contenu réel. Et ce fait, sur lequel tout se reconstruit, reparaît, comme on pouvait s’y attendre, derrière le courant philosophico-critique qui semblait l’emporter. Ainsi se vérifie, une fois de plus, le mot de Théodore de Bèze relativement aux Ecritures : « C’est une enclume qui a brisé bien des marteaux et qui en brisera bien d’autres ».
Et quand nous serions réduits aux seules Epîtres de saint Paul, à celles-là mêmes qui, gardées jusqu’à nous par les Eglises auxquelles elles furent adressées, se trouvent au-dessus du doute, et doivent, en bonne règle, être mises hors de contestation, c’en serait assez pour tout rétablir ou pour tout raffermir. Elles nous fournissent, sur les origines du Christianisme et sur son fond constitutif, ce témoignage immédiat qu’on nous demande, témoignage aussi exprès que certain où notre foi peut se reposer ; car l’Evangile de saint Paul est l’Evangile de la Réformation. La dogmatique est essentiellement paulinienne.
Tout se relève pour nous avec saint Paul, qu’on ne saurait nous enlever.
Là est un dernier retranchement d’où se reconquièrent peu à peu les positions qui semblaient, perdues. Là se découvre une certitude morale, une évidence historique qui plane ou devrait planer au-dessus des débats, parce qu’elle est hors des atteintes du négativisme et du scepticisme. Les écrits de saint Paul, attachent formellement à la prédication apostolique le double caractère de révélation et d’inspiration, assurant ainsi les assises fondamentales du supranaturalisme, par delà tous les ébranlements de nos jours.
Le courant d’idées, qui nous a si rapidement envahi, peut passer aussi vite qu’il est venu. L’opinion du jour, malgré l’auréole d’évidence dont elle se couronne de ses propres mains, n’est pas en grande sûreté. L’histoire de la dogmatique, comme celle de la philosophie, le dit à qui veut l’entendre. J’ai eu devant moi une direction absolument inverse de la direction actuelle, et tout aussi confiante en elle-même, si ce n’est plus. Je n’avais pas à établir ou à maintenir alors l’inspiration des Ecritures ; ce point fondamental, si disputé maintenant, était universellement admis, tant par ce qu’on nommait rationalisme que par ce qu’on nommait méthodisme. La vive et, à vrai dire, l’unique question était celle de l’inspiration plénière, à laquelle nous ne touchons guère que pour mémoire. On a passé d’un extrême à l’autre ; et l’en deçà d’aujourd’hui n’aura pas plus de durée que l’au-delà d’hier ? C’est un de ces entraînements toujours éphémères, parce qu’ils sont excessifs.
On m’opposait à la même époque bien, d’autres opinions, également tombées à cette heure, en particulier le dogme de la corruption totale dans le sens de Calvin et d’Augustin. Que de courants divers ont traversé notre Ecole, faisant de la vérité de la veille l’erreur du lendemain, et me forçant à diriger, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, un enseignement toujours le même quant à son fond essentiel ! Discite moniti, vous dirai-je. Mais l’expérience n’instruit pas plus en théologie qu’en politique. On ne doute jamais que le nouveau soit le vrai, et pourtant, la vérité, la vérité religieuse surtout, est nécessairement, ancienne. Le Christianisme a bien ses dix-huit cents ans révolus.
Et, si le Christianisme est vrai, il existe, soyez-en sûrs, un contenu réel dans les grandes et constantes croyances ecclésiastiques, ou dans les faits dont ces croyances sont le produit et l’expression. Ces faits, généralement complexes (Christ homme et Dieu — justification par la foi sans les œuvres, et jugement selon les œuvres, etc., etc., et ici l’individualité et la théopneustie), que fausse d’ordinaire la science en exagérant alternativement l’un de leurs éléments aux dépens de l’autre ; ces faits, qui, dans leur dualisme constitutif, forment le fond central et vital de l’Evangile, demeureront autant que l’Evangile lui-même. Et, parmi ces faits fondamentaux, se place manifestement la révélation, au sens supranaturaliste.
Dès que le Christianisme a dans le Ciel son origine, il y a aussi sa base. Dispensation divine, dont l’idée ne serait pas montée à l’esprit de l’homme, nous ne pouvons en avoir la connaissance et la certitude formelle que par la Parole de Dieu. Malgré ses merveilleuses affinités avec nos instincts et nos besoins religieux, l’appuyer uniquement sur l’intuition rationnelle ou l’expérimentation morale, c’est-à-dire sur une sorte d’aperception directe ou de témoignage immédiat, c’est lui donner un fondement qui ne peut l’assurer à lui seul, c’est l’exposer à se résoudre en pures idéalités, reflets passagers des philosophies successives, mobiles simulacres des réalités évangéliques…
Au terme de cette étude, jetons un regard d’ensemble sur la marche historique qui nous a conduits, de degrés en degrés, jusqu’au dogme de l’Inspiration, élément fondamental de notre principe théologique.
Notre argument peut se ramener à cette proposition : La question critique affirmativement résolue, la question théopneustique l’est aussi. L’une emporte l’autre, dès qu’on prend les données générales du Nouveau Testament avec tout ce qu’elles contiennent ou impliquent, dès qu’on leur laisse dire pleinement ce qu’elles disent.
Rappelons à grands traits cette déduction.
Tenant pour accordée l’authenticité des Livres saints, ou tout au moins des homologoumènes, il s’agissait de montrer que tout se relève sur cette base, qui, grâce à Dieu, se raffermit de jour en jour.
Le miraculeux évangélique et apostolique, mis décidément hors de cause par l’authenticité des Livres saints, le fait de révélation devient évident, car la révélation est l’intervention divine que le miracle rend, en quelque sorte, visible. Là se montre le doigt de Dieu ; il y a donc aussi l’Esprit de Dieu.
Et le miracle qui manifeste la révélation recèle aussi l’inspiration, il l’atteste et la contient.
La théopneustie se dégage d’elle-même, par la dialectique des choses, de la simple donnée historique. De l’authenticité du Nouveau Testament la certitude du miraculeux qui le remplit ; et du miraculeux la révélation et l’inspiration qu’il porte l’une et l’autre en lui. L’induction qui mène là, de faits en faits, est logiquement et pleinement fondée. Les faits ont bien la signification et la portée que nous leur attribuons, et que leur a attribuée de tout temps le sens chrétien.
La théopneustie est plus sensible encore dans les révélations, les prédictions, les directions célestes qui marquèrent la grande évangélisation. Il n’y a pas là seulement le signe ou le garant de la théopneustie ; c’est l’acte théopneustique lui-même, fini, il est vrai, mais positif.
A ce témoignage des faits historiques vient se joindre celui des faits dogmatiques, ou des données doctrinales, savoir les promesses du Seigneur et les déclarations des Apôtres. La promesse du Saint-Esprit, si on l’entend, comme on le doit, dans sa simple et pleine signification, si on regarde à l’ensemble des circonstances qui l’éclairent, en particulier à l’événement de la Pentecôte, implique visiblement le surnaturel théopneustique que la chrétienté y a toujours vu. Plusieurs des clauses qu’elle renferme (Jean ch. 14 à 16), l’ordre de ne rien entreprendre avant son accomplissement, le merveilleux de sa réalisation, la transformation des disciples, ne peuvent laisser de doute à qui la considère sans préventions.
Il resterait à indiquer que ce qu’annonce la promesse, se confirme par la parole apostolique, qui l’atteste ou la reflète en bien des sens. Mais notre exposé du témoignage de saint Paul nous dispense de toute observation à cet égard.
De là, pour conclusion générale, cette déclaration de saint Pierre, dont la signification supranaturaliste ne saurait être douteuse : l’Evangile a été prêché par le Saint-Esprit envoyé du Ciel (1 Pierre 1.11-12).
Cette marche historique est peu goûtée maintenant. Ceux-là même qui en admettent le résultat final veulent y arriver par une autre voie, et le saisir ou le présenter sous un autre jour. Ce que nous trouvons, en effet, au terme de notre investigation, ce n’est pas une de ces théories qui accaparent l’épithète de scientifique, et qui, pour cette raison, sont en si grand honneur ; c’est la simple constatation d’un fait sur lequel restent bien des ombres. Mais, quoi qu’il en soit de ses indéterminations, ce fait nous suffit, car il fonde notre principe théologique, et c’est là l’important.
Retour aux faits, trêve aux systèmes ! Ce cri s’élève déjà par bien des côtés du pêle-mêle où nous sommes ; et il faudra bien qu’on s’y rende. On a voulu, en théologie comme en philosophie, aller de l’idée au fait, au lieu d’aller du fait à l’idée ; on a cru créer en construisant et découvrir en imaginant, Hégel a été l’expression suprême de l’esprit du temps à cet égard. La preuve de fait, quand elle ne savait pas se parer de la métaphysique ou de la mystique accréditées, était sans autorité et presque sans valeur, même dans les questions de fait, comme l’est, en dernière analyse, la question chrétienne. Cette étrange disposition, inoculée à la théologie par la philosophie, s’est étendue de la dogmatique à la critique et à l’exégèse. Tout le monde convient plus ou moins que Strauss, Baur et bien d’autres ont opéré sous le prisme d’une idée préconçue qui, teignant tout de ses couleurs, ne leur a laissé voir à la fin qu’elle-même. Mais ce n’est pas seulement dans ces extrêmes que l’idée s’est arrangé les faits, au lieu de s’y ranger : c’est à peu près partout, quoiqu’en des sens et à des degrés divers. Ce qui constitue le Christianisme, c’est ce que l’Apôtre nomme le grand mystère : son fond dogmatique (christologie, sotériologie, eschatologie) est un surnaturel que ne peut pas plus atteindre l’esprit que l’œil de l’homme. Comment s’en assurer autrement que par le surnaturel théopneustique qui le révèle ; et le surnaturel théopneustique, comment le constater autrement que par le surnaturel historique qui le signale et le certifie ? Dès lors, quoi de plus régulier que la marche que nous avons suivie ? Elle se légitime et s’impose, à vrai dire, d’elle-même. Qu’elle soit hautement et dédaigneusement rejetée par les écoles qui font de nos Livres sacrés une légende apocryphe, parce qu’elles en tiennent a priori le contenu pour incroyable et impossible, c’est tout simple. Mais qu’elle soit écartée aussi comme ayant fait son temps, là même où ces livres et leur fond historique ne sont nullement mis en question, c’est au moins singulier. Il est plus logique de rayer le miraculeux du Nouveau Testament que de l’admettre ainsi à la condition qu’il soit comme non avenu. Ce qu’a dit le Seigneur d’un certain état moral : « Ils ne croiraient pas quand même quelqu’un dès morts ressusciterait », s’applique également à l’état intellectuel dont nous parlons. Ce sont deux états désordonnés ; et l’on ne sait vraiment lequel l’est le plus.
La révélation chrétienne est tout ensemble un fait et un enseignement, et c’est l’enseignement qui ouvre, en quelque manière, le fait. Comment discerner cette histoire divine enveloppée dans une histoire humaine, sans une parole divine qui la dévoile ? Et cette parole divine, comment la chercher et la trouver dans les écrits sacrés, s’ils ne sont pas théopneustiques ? Par cela même que l’Evangile s’impose au nom du Ciel, il suppose chez ses promulgateurs ce quelque chose du Ciel, sans quoi il ne serait pas ce qu’il veut être, la vérité qui est la vie.
Il nous porterait encore la pensée de Christ, dit-on. Oui, mais à travers des interprétations et des méprises qui l’auraient dénaturée. Les directions avec lesquelles nous discutons, ne l’accusent-elles pas d’avoir judaïsé sur mille points ? Aurait-il droit alors à la docile et pleine confiance qu’il exige ? L’inspiration apostolique est le prolongement complémentaire de la révélation évangélique, et tout annonce qu’elle ne lui a point manqué. Les grandes données historiques et dogmatiques du Nouveau Testament, l’esprit de ses enseignements, les déclarations et les promesses qu’il contient, les interventions célestes qu’il rapporte, légitiment et l’application que nous lui avons faite de l’assertion de saint Paul 2 Timothée 3.16, et la foi constante de l’Eglise. Il se donne pour la Parole de Dieu au même titre que l’Ancien ; et nous savons ce qu’emportait pour les premiers chrétiens comme pour les Juifs, pour le Seigneur comme pour les Apôtres, ce terme de Parole de Dieu appliqué à l’Ancien. Testament. Ce fait dirait tout à lui seul à qui le prend dans sa portée réelle. Si l’Ancien Testament est théopneustique (et l’on ne peut le nier ou le contester qu’en se refusant au témoignage de Jésus-Christ lui-même), le Nouveau Testament l’est aussi. Il est la Parole de Dieu, dans la haute acception faite à ce mot par la langue religieuse. C’est ce qu’il se dit, c’est ce que l’a toujours cru et le croit toujours la chrétienté : Grecs, Latins, Protestants se rencontrent là-dessus au sein de leurs dissidences. C’est une de ces assises du Christianisme qui ne peuvent crouler qu’autant que le Christianisme croulerait lui-même. Là sont les oracles divins (Romains 3.3) ; c’est là que nous devons puiser notre dogmatique.