Nous nous proposons de donner, dans les pages suivantes, comme appendice à notre démonstration de la divinité du christianisme, une collection chronologique des témoignages les plus considérables que les incrédules ont rendus au caractère de Jésus. Nous les accompagnerons de quelques notes explicatives.
Le Dr Nathanaël Lardner, né en 1684 et mort en 1768, quoique socinien ou unitaire dans ses vues sur la personne du Christ, a bien servi la cause de la religion révélée contre le déisme de son temps, dans son grand et précieux ouvrage sur la crédibilité de l’histoire évangélique, qui parut en dix-sept livres, de 1727 à 1759, et où il a recueilli, avec un soin infatigable et un jugement vraiment critique, les anciens témoignages des païens, des juifs et des chrétiens en faveur de la vérité historique des écrits des apôtres. On pourrait rendre à la vraie doctrine de la personne du Christ un semblable service par une habile réunion des témoignages qui concernent sa divinité, tels que nous les trouvons exprimés dans les confessions de foi, dans les cultes, dans les institutions de toutes les époques et de toutes les Eglises chrétiennes, et tels qu’ils se produisent tous les jours, par les fruits pratiques de la foi en Christ, parmi toutes les classes de la société et toutes les relations humaines.
Le présent travail se borne aux témoignages des adversaires de l’antique foi de l’Eglise au Dieu-homme, son chef et son Sauveur. Dans une discussion, l’aveu d’un ennemi a souvent plus de poids que l’affirmation d’un ami. « On peut tirer du miel même d’un lion mort » (Juges 14.14).
Les déclarations que nous allons réunir sont importantes et intéressantes à divers égards. Elles prouvent, — et surtout celles de nos jours, — qu’il y a, dans le fond le plus intime du cœur humain, une vénération instinctive et une admiration croissante pour la pureté sans tache et la perfection morale du Christ, le plus saint parmi les saints, dans l’histoire de notre race. Les incrédules peuvent nier ses miracles ; mais ils ne peuvent mettre en doute sa puissance ni attaquer son caractère, sans faire violence aux plus nobles sentiments et aux plus belles tendances de leur propre nature, et sans renoncer à l’estime morale de leurs semblables. L’on semble sentir de plus en plus qu’il a été, sans contredit, l’homme le meilleur qui ait jamais foulé du pied cette terre. Attaquer son caractère est une offense à l’honneur et à la dignité du genre humain. Ce sentiment et cette conviction gagnent en énergie et en profondeur, à mesure que l’histoire avance. L’impression que le Christ fait sur le monde, bien loin de perdre du terrain, acquiert une nouvelle force à chaque nouveau pas de la civilisation, et domine jusqu’aux meilleurs penseurs parmi ses ennemis.
D’un autre côté, ces témoignages nous montrent dans toute sa nudité l’énorme inconséquence des incrédules. On convient, en effet, de la pureté et de la véracité absolues du Christ, et l’on refuse de croire aux déclarations qu’il nous fait sur lui-même ; on vante sa pure perfection comme homme, et l’on nie sa divinité, qui seule peut en donner une explication satisfaisante, puisqu’il vécut dans un monde universellement imparfait.
Cette contradiction, que nous avons signalée à diverses reprises dans la première partie de cet écrit, a été mise dans le plus grand jour, en ce qui touche particulièrement M. Renan, par un homme d’Etat et un éminent historien, M. Guizot, qui consacre à la défense de la religion révélée le soir de sa vie et sa retraite des affaires. Qu’il nous soit permis de terminer ces remarques par une frappante citation de son premier volume de Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, p. 324-327.
« Ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ, qui n’admettent pas le caractère surnaturel de sa personne, de sa vie et de son œuvre, sont affranchis de cette difficulté ; quand ils ont, dès le premier abord, supprimé Dieu et le miracle, l’histoire de Jésus-Christ n’est plus pour eux qu’une histoire ordinaire qu’ils racontent et expliquent comme celle de toute autre vie humaine. Mais ils tombent alors dans une bien autre difficulté, et viennent échouer sur un bien autre écueil. On peut contester la nature et la puissance surnaturelle de Jésus-Christ ; on ne peut pas contester la perfection, la sublimité de ses actions et de ses préceptes, de sa vie et de sa loi morale. Et, en effet, non seulement on ne les conteste pas, mais on les admire, on les célèbre avec affection et complaisance ; on semble vouloir restituer à Jésus-Christ, simple homme, la supériorité qu’on lui enlève en refusant de voir Dieu en Lui. Mais alors que d’incohérences, que de contradictions, quelle fausseté, quelle impossibilité morale dans son histoire telle qu’on la raconte ! Quelle série d’hypothèses inconciliables avec les faits qu’on admet ? Cet homme parfait et sublime est tour à tour un rêveur ou un charlatan, dupe lui-même et trompeur aux autres, dupe de son exaltation mystique, quand il croit à ses propres miracles, trompeur volontaire, quand il arrange les apparences pour y faire croire. L’histoire de Jésus-Christ n’est plus qu’un tissu de chimères et de mensonges. Et pourtant le héros de cette histoire reste parfait, sublime, incomparable, le plus grand génie et le plus grand cœur entre les hommes, le type de la vertu et de la beauté morale, le chef suprême et légitime de l’humanité. Et ses disciples, justement admirables à leur tour, ont tout bravé, tout souffert pour lui rester fidèles et accomplir son œuvre. Et l’œuvre, en effet, a été accomplie ; le monde païen est devenu chrétien, et le monde entier n’a rien de mieux à faire que d’en faire autant.
Quel problème contradictoire et insoluble on élève ainsi, à la place de Celui qu’on s’efforce de supprimer !
L’histoire repose sur deux bases : les documents positifs sur les faits et les personnes, les vraisemblances morales sur l’enchaînement des faits et l’action des personnes. Ces deux bases manquent également à l’histoire de Jésus-Christ telle qu’on la raconte, ou plutôt qu’on la construit aujourd’hui : elle est en contradiction évidente et choquante, d’une part avec les témoignages des hommes qui ont vu Jésus-Christ ou qui ont vécu près de ceux qui l’avaient vu, d’autre part avec les lois naturelles qui président aux actions des hommes et au cours des événements. Ce n’est pas là de la critique historique : c’est un système philosophique et un récit romanesque mis à la place des documents matériels et des vraisemblances morales ; c’est un Jésus-Christ faux et impossible, fait de main d’homme, qui prétend à détrôner le Jésus-Christ, réel et vivant, Fils de Dieu.
Il faut choisir entre le système et le mystère, entre le roman des hommes et le plan de Dieu. »