St. Paul nomme ensemble ces deux vertus comme formant l’ornement par excellence d’une femme chrétienne (1 Timothée 2.9). Σωφροσύνη ne reparaît que dans deux autres endroits (Actes 26.25 ; 1 Timothée 2.15). Si la distinction établie à l’article précédent est exacte, alors celle que Xénophon (Cyr. xiii, 1, 31) met dans la bouche de Cyrus ne peut pas subsister : διῄρει δὲ αἰδῶ καὶ σωφροσύνην τῇδε ὡς τοὺς μὲν αἰδουμένους. τὰ ἐν τῷ φανερῷ αἰσχρὰ φεύγοντας τοὺς δὲ σώφρονας καὶ τὰ ἐν τῷ ἀφανεῖ. Distinction doublement fautive ; d’une part, αἰδώς ne recule point simplement devant une bassesse ouverte et manifeste, quoique αἰσχύνη puisse le faire ; de l’autre, on met en avant un simple accident de σωφροσύνη comme constituant son essence. Les vieilles étymologies de σωφροσύνη, comme σώζουσα τὴν φρόνησιν (Aristot. Ethic. Nic. 6.5) ou σωτηρία τῆς φρονήσεως (Plato, Crat. 411 e ; cf. Philo, De Fort. 3), ont à peu près la même valeur que possèdent d’ordinaire les anciennes ; mais Chrysostome fait observer avec raison : σωφροσύνη λέγεται ἀπὸ τοῦ σώας τὰς φρένας ἔχειν. Opposée à ἀκολασία (Thucydid. 3.37 ; Philo, Mund. Opif., 16 d.) et à ἀκρασία (Xénophon, Mem. 4.5), terme moyen entre ἀσωτία et φειδωλία (Philon, De Prœm et Pœn. 918 b), σωφροσύνη exprime proprement l’état moral de celui qui tient d’une main ferme les rênes de ses passions et de ses désirs, en sorte qu’il ne leur donne pas plus de carrière que la loi et la juste raison n’en admettent (Tite 2.12). Platon la définit : (Symp 196 c) : εἶναι γὰρ ὀμολογεῖται σωφροσύνη τὸ κρατεῖν ἡδονὼν καὶ ἐπιθυμιῶν. Il consacre encore son Charmide tout entier à l’investigation de la force du mot. Aristote (Rhet. 1.9) : ἀρετὴ δι᾽ ἣν πρὸς τὰς ἡδονὰς τοῦ σώματος οὕτως ἔχουσιν ὡς ὁ νόμος κελεύει. Plutarque (De Curios. 14 ; De Virt. Mor. 2 ; et Gryll. 6) : βραχύτης τις ἐστὶν ἐπιθυμιῶν καὶ τάξις ἀναιροῦσα μὲν τὰς ἐπεισάκτους καὶ περιττὰς καιρῷ δὲ καὶ μετριότητι κοσμοῦσα τὰς ἀναγκαίας. Cf. Diogène de Laërte, iii, 57, 91 ; et Clément d’Alexandrie, Strom. 2.18. Voici les diverses définitions de σωφροσύνη d’après Jer. Taylor (The House of Feasting) : c’est « la ceinture de la raison, et le frein de la passion… la ῥώμη ψυχῆς, comme l’appelle Pythagore : la κρηπὶς ἀρετῆς, comme dit Socrate ; le κόσμος ἀγαθῶν πάντων, comme écrit Platon ; l’ἀσφάλεια τῶν καλλίστων ἕξεων selon Jamblique. » Σωφροσύνη se joint souvent à κοσμιότης (Aristophan. Plut. 563, 564) ; à εὐταξία (2 Maccabées 4.37) ; à καρτερία (Philo, De Agric. 22). En latin il n’y a point de terme qui à lui seul traduise exactement le mot ; Cicéron, comme il le reconnaît lui-même (Tusc., 3.5 ; cf. 5.14), le rend, tantôt par « temperantia », tantôt par « moderatio », tantôt encore par « modestia. » Σωφροσύνη était une vertu qui occupait un rang plus élevé dans l’éthique des païens que dans celle des chrétiens (δώρημα κάλλιστον θεῶν, comme l’appelle Euripide). Ce n’est point que le paganisme attachât plus d’importance à la σωφροσύνη que ne le fait le christianisme ; mais c’était une vertu tirée d’un groupe bien plus petit que celui que possèdent les chrétiens, et dont chaque vertu prise à part devait attirer plus d’attention. Ajoutons une autre raison : c’est que pour les croyants qui sont « conduits par l’Esprit », la σωφροσύνη, qui consiste à être maître de soi, se transforme en une condition encore plus élevée, dans laquelle un homme ne se commande point à lui-même seulement, ce qui est bien, mais, ce qui est mieux, reçoit ses ordres de Dieu.
Dans 1 Timothée 2.9, nous distinguerons mieux entre αἰδώς et σωφροσύνη, et notre distinction sera susceptible d’une plus grande application. Nous y affirmerons d’αἰδώς, qu’elle est cette pudeurg, qui refuse de dépasser les limites d’une réserve et d’une modestie féminine, et de s’exposer au déshonneur qui en serait la juste conséquence ; de σωφροσύνη nous dirons qu’elle est cette habitude intérieure de self-government, ayant toujours la main haute sur toutes les passions, tous les appétits, et qui empêche la tentation de déborder, ou, dans tous les cas, de s’élever avec une force telle qu’elle renverse les obstacles et les barrières que lui oppose l’αἰδώς.
g – Cette « vergogne » (verecundia). Calvin. Édition de 1556. Trad.