Aberdeen, 9 février 1637
Très cher ami,
Je puis vous dire à cette heure où j’en suis avec Christ. Mon Seigneur me visite sept fois par jour, et ce sont des instants courts mais pleins de douceur. Je ne renoncerais pas à ces moments au prix de ma vie. De ridicules histoires ont cours. Le tentateur de ma chair parle mal de Christ, mais la charité ne croit pas le mal, ce sont des menteurs ceux qui doutent de la parfaite droiture de Christ.
Si pourtant et après tout je n’étais plus qu’un cep mort dans la vigne du Seigneur ! Oh ! que bénis sont les passereaux qui vont s’abattre sur la maison de Dieu à Anwoth, tandis que je suis exilé de ces beaux lieux ! Des tentations que je croyais endormies se sont réveillées et m’attaquent encore ; bien plus, elles ne périront point tant que ma vie durera. Le diable parle à haute voix de ses prétendus mérites, il secoue ses noires ailes sur mon ministère, et nul germe de froment ne vient à maturité. Et cependant je ne puis croire que Christ, après s’être donné tant de peine, me frappe ainsi et m’abandonne tout à fait. Depuis que je suis à Aberdeen, j’ai vu les nouveaux cieux et le palais de l’Agneau. Serait-ce un rêve, n’aurais-je entrevu les cieux que pour qu’ils me fussent fermés ? Christ m’aurait fait de fausses promesses qu’Il n’avait pas l’intention de réaliser ? Aujourd’hui je vois des choses que je n’avais point encore aperçues.
Aux beaux jours de la vie chrétienne, la nécessité de la foi n’est jamais assez reconnue, et cependant j’ai le plus pressant besoin qu’elle me soit augmentée. J’ai faim des promesses, puis, quand elles me sont accordées, je suis comme un affamé privé de dents, ou comme un estomac affaibli qui sent le besoin de manger et qui se contente de voir la table dressée. Je puis me livrer aux étreintes de Christ et je ne sais pas le retenir. J’aime me prosterner à ses pieds. Que ne puis je alors ne plus tenir à la terre, car, dès que je la touche, l’affliction se cramponne à ma foi. Tout ce que je puis faire alors, c’est de m’écrier : Seigneur Jésus, fais un miracle en ma faveur. Que n’ai-je des membres assez forts pour m’attacher à Christ et le posséder en réalité. Mais voici, j’ai beau être emporté à sa rencontre, il me manque des mains pour le saisir, en un mot, je manque plus de foi que de faim et d’amour pour les biens spirituels.
Nous ne tenons point assez compte de la mortification d’être crucifié au monde, devenir sourd à sa musique serait une céleste béatitude. Je ne puis m’empêcher de sourire à la vue de ces grands enfants qui épousent le monde et se prosternent devant lui comme les nobles devant les rois. Mais qu’espèrent-ils donc ? Tel que je suis à cette heure, je me croirais un être bien faible, bien méprisable, si j’ambitionnais la faveur de ce monde en fléchissant un seul genou devant lui. J’ignore ce qu’il pourrait m’offrir ; il ne peut plus rien me ravir et il n’a rien à me donner. Mortifions notre chair, mon frère, nous ne sommes que trop portés à chasser les plumes qui volent dans l’air, nous nous fatiguons à considérer la poussière d’une vie qui va disparaître, tandis que le spectacle que m’a fait apercevoir dernièrement le Seigneur vaut plus que la possession de mondes infinis.
J’avais cru que pour posséder l’amour de Christ rien n’était plus facile que de déployer son courage dans les temps de trouble, et qu’il suffisait d’avoir de la droiture pour être épargné. Insensé que j’étais ! C’est à grand’peine si, aujourd’hui, j’obtiens un sourire. Mais au ciel nous trouverons une joie permanente, c’est celle de Christ, Il l’a donne à qui il lui plaît.
Je ne puis dire que les consolations de Christ soient lentes à venir, car elles ont coulé sur moi comme le flot d’une rivière. Gloire, gloire lui soit donc rendue. Les prières du prisonnier et sa bénédiction sont sur vous. Que la grâce soit avec vous.