Or, si les magiciens font paraître des fantômes, s’ils évoquent les âmes des morts, s’ils font rendre des oracles à des enfants ; si, habiles charlatans, ils imitent les miracles, s’ils savent même envoyer des songes à la faveur des anges et des démons qu’ils ont invoqués et qui leur confient leurs pouvoirs, et par lesquels des chèvres, des tables devinent l’avenir, à plus forte raison ces puissances séductrices feront-elles par elles-mêmes et pour elles ce qu’elles opèrent pour des intérêts étrangers. Mais si vos dieux ne faisaient rien de plus que les anges et les démons, que deviendrait la prééminence, la supériorité qui caractérise essentiellement la nature divine ? Quand ils font des prodiges pour établir la croyance des dieux, n’est-il pas plus probable qu’ils aiment mieux se faire dieux que de se donner simplement pour anges ou démons ? Ou bien, toute la différence viendrait-elle des lieux ? Ceux que vous proclamez dieux dans vos temples, cesseraient-ils de l’être partout ailleurs ? Dites alors que ceux qui courent sur les tours des temples ne sont pas fous comme ceux qui courent sur les toits de leurs voisins ; ceux qui se mutilent, comme ceux qui se coupent la gorge. Des extravagances qui se ressemblent partent du même principe. Mais jusqu’ici ce ne sont que des paroles. Voici la démonstration par le fait, que les dieux et les démons sont absolument les mêmes.
Que l’on appelle devant vos tribunaux un homme connu pour être possédé du démon, un Chrétien, quel qu’il soit, n’importe, commandera à l’esprit impur de parler : aussitôt il confessera qu’il est véritablement démon, et qu’ailleurs il se dit faussement dieu. Amenez également quelqu’un de ceux qu’on croit agités par un dieu, qui, la bouche béante sur l’autel, hument la divinité avec la vapeur, parlent avec de violents efforts, et n’envoient de leur poitrine haletante que des mots entrecoupés. Si cette vierge Célestis, déesse de la pluie, si Esculape, inventeur de la Médecine, qui a rendu la vie à Socordius, Thanatius et Asclépiodote, destinés à la perdre une seconde fois ; si Célestis et Esculape, n’osant mentir à un Chrétien, ne confessent pas qu’ils sont des démons, répandez sur le lieu même le sang de ce téméraire Chrétien. Quoi de plus clair qu’un pareil témoignage et de plus sûr qu’une pareille preuve ? Voilà la vérité elle-même avec sa simplicité, avec son énergie. Que pourriez-vous soupçonner ? de la magie, ou de l’imposture ? Vos yeux et vos oreilles vous confondraient. Qu’avez-vous donc à opposer à l’évidence toute nue et sans art ?
Si vos dieux le sont véritablement, pourquoi s’accusent-ils faussement de n’être que des démons ? Est-ce par déférence pour nous ! Vos dieux sont donc soumis aux Chrétiens. Et quelle divinité qu’une divinité asservie à l’homme, et ce qu’il y a de plus humiliant encore, à son antagoniste ! D’une autre part, s’ils sont anges ou démons, pourquoi répondent-ils ailleurs qu’ils possèdent les attributs divins ? En effet, de même que ceux qui passent pour dieux, s’ils l’ étaient réellement, ne se diraient pas des démons, de peur de se dégrader par cet aveu, ainsi ceux que vous connaissez à coup sûr pour des démons, n’oseraient pas se dire dieux, s’il existait vraiment des dieux dont ils viendraient prendre le nom. Se hasarderaient-ils à profaner la redoutable majesté de leurs maîtres ? Tant il est vrai que la divinité que vous adorez n’existe point. Si elle existait, elle ne serait ni usurpée par les démons, ni désavouée par les dieux. Les uns et les autres s’accordant à vous prouver qu’ils ne sont pas dieux, reconnaissez donc qu’ils sont tous des démons. Cherchez ailleurs la divinité ! Les Chrétiens, après vous avoir convaincus de la fausseté de vos dieux par vos dieux mêmes, vous découvrent par la même voie quel est le vrai dieu, s’il est unique, s’il est celui que proclament les Chrétiens, s’il faut croire en lui et l’adorer, comme notre foi et nos rites le prescrivent.
Que vos dieux vous disent maintenant quel est ce Christ avec sa fabuleuse histoire ; s’il n’est qu’un homme ordinaire ; si ses disciples ont enlevé son corps furtivement du tombeau ; s’il est encore parmi les morts ; s’il n’est pas plutôt dans le ciel ; s’il ne doit pas en descendre sur les ruines du monde, au milieu des frémissements et des lamentations de toutes les créatures, les Chrétiens seuls exceptés ; s’il ne doit pas en descendre avec la majesté de celui qui est la puissance et l’esprit de Dieu, son Verbe, sa sagesse, sa raison, son Fils. Qu’ils insultent avec vous à nos mystères ! qu’ils nient que Jésus-Christ après la résurrection générale jugera tous les hommes ! qu’ils viennent encore avec Platon et les poètes nous placer sur son tribunal un Minos, un Rhadamante ! que du moins ils essaient d’effacer l’ignominie de leur condamnation ! qu’ils nous démontrent clairement qu’ils ne sont pas des esprits immondes, quand tout les en accuse, et le sang dont ils se repaissent, et les sacrifices dégoûtants qu’on leur offre, et toutes les infamies de leurs prêtres ! qu’ils s’inscrivent en faux contre la sentence déjà prononcée contre leur perversité, et qui au jour suprême s’étendra à leurs adorateurs et à leurs ministres.
L’empire que nous exerçons sur les démons nous vient du nom de Jésus-Christ et de la pensée des châtiments qu’ils savent que Dieu doit leur infliger par le Christ. Craignant le Christ en Dieu et Dieu dans le Christ, ils sont soumis aux serviteurs de Dieu et du Christ. Aussi, au moindre contact de nos mains, au moindre souffle de notre bouche, effrayés par la pensée et par l’image du feu éternel, vous les voyez pleins de terreur sortir à regret des corps, lorsque nous le commandons, et rougir d’une humiliation subie en votre présence. Vous les croyez quand ils mentent ; croyez-les donc aussi quand ils disent la vérité contre eux-mêmes. On ment bien par vanité, mais pour se déshonorer, jamais. Aussi inclinons-nous bien plus à croire ceux qui font des aveux à leur préjudice, que ceux qui nient pour leur propre intérêt. Les témoignages de vos divinités font beaucoup de Chrétiens, parce qu’on ne peut les croire sans croire au Christ. Oui, ils enflamment la foi à nos saints livres, ils s’élèvent et affermissent notre espérance. Vous leur offrez en sacrifice le sang des Chrétiens : voudraient-ils perdre de si zélés, de si utiles adorateurs ? S’il leur était permis de mentir quand l’un de nous les interroge en votre présence, pour leur arracher la vérité, s’exposeraient-ils, en vous rendant Chrétiens, à se voir chassés un jour par vous-mêmes ?