La plupart de nos lecteurs savent ce que signifie ce terme en langue religieuse, et ont sans, cloute assisté plusieurs fois à une longue-veille. C’est un service religieux qui a lieu dans la dernière soirée de l’année, et qui, commencé généralement à dix heures, ne se termine qu’après que l’heure de minuit est venue marquer le passage d’une année à l’autre. Ces sortes de services, empruntés par Wesley aux Moraves, se pratiquent universellement dans les Églises méthodistes. D’autres Églises ont adopté aussi cette manière pieuse de terminer l’année. Bien des chrétiens, toutefois, n’ont jamais pris part à l’un de ces services ; il pourra donc leur être agréable d’en entendre parler par quelqu’un qui les connaît et qui les aime.
Que d’autres passent prosaïquement au lit les heures qui conduisent d’une année à la suivante ou les emploient à se divertir, je ne les admire ni ne les envie. On aura beau soutenir que ces heures ressemblent aux autres, que cette nuit-là ne diffère pas d’une autre nuit, et qu’il y a quelque superstition à lui donner une importance spéciale ; je soutiens que les choses prosaïques abondent assez dans la vie sans qu’on laisse encore envahir ces rares retraites, jusqu’ici réservées à la poésie des souvenirs et des espérances, aux saintes émotions de la piété. Non, pour moi comme pour beaucoup d’autres, la nuit du 31 décembre n’est pas comme les autres nuits, et ses heures comptent au nombre des heures sacrées où Dieu parle de plus près et avec plus de force que jamais à la conscience et au cœur.
Mes longues-veilles ! que j’aurais de choses à en dire si je pouvais ici laisser parler mon cœur et soulever le voile de mes expériences. Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, je ne me rappelle pas un temps où je n’aie pas fini l’année par une longue-veille. Quand nous étions enfants, nos parents nous conduisaient à ce service, et quelle fête c’était pour nous d’y assister ! Longtemps à l’avance on y pensait et on en rêvait ; longtemps après on en conservait un souvenir bienfaisant. On nous eût sévèrement puni en nous privant de la longue-veille, et je ne me souviens pas qu’on nous ait jamais infligé ce châtiment. Il n’y avait pourtant rien, dans ces longues-veilles, qui fût de nature à frapper vivement mon imagination d’enfant. Ces humbles Églises, où s’est exercé, non sans fruits, le ministère de mon bienheureux père, avaient comme lui plus de sérieux que de brillant, plus de fond que de formes. Ce n’était donc pas la beauté mystérieuse d’un temple à demi-éclairé, ou les accords, de l’orgue dans la nuit, ou l’éloquence vibrante du prédicateur qui m’émouvaient jusqu’au fond de l’âme. Non, c’était la poésie intime des choses, c’était la voix mourante de l’année qui allait pour jamais disparaître dans l’éternité ; c’était le vagissement confus de l’année qui naissait et au sujet de laquelle on se demandait : Que sera-ce de ce petit enfant ? Ou plutôt, c’était la voix de Dieu qui parlait à ma conscience pour lui reprocher les péchés du passé, et à mon cœur pour solliciter de lui ce don sans réserve sans lequel on n’est pas chrétien. Et c’était aussi la voix de mon âme qui s’élevait encore, timide et craintive, pour demander grâce et pour dire à Celui qui m’appelait, comme il appela autrefois Samuel dans la nuit : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! »
Depuis ces jours lointains de l’enfance, je n’ai jamais manqué de finir l’année à la longue-veille, non pas parce que la participation à ce service faisait partie de mes devoirs de pasteur, mais par goût et par besoin, et parce que j’y ai toujours vu une occasion unique de bénédictions spéciales. Quand je dis que je n’ai jamais manqué à une longue-veille, je fais erreur. Une fois, je n’y assistai pas, retenu que j’étais auprès d’une enfant gravement malade et qui paraissait ne pas devoir passer la nuit. Mais j’envoyai un message affectueux aux chrétiens réunis, et leur demandai de se souvenir de ma chère petite malade dans leurs prières. De la chambre où nous veillions auprès de l’enfant, nous entendions les chants, et nous unissions nos prières à celles du peuple de Dieu. Cette nuit du 31 décembre fut bien pour nous « une nuit dans les larmes ». Et toutefois, par la grande miséricorde de Dieu qui exauce les prières, nous pûmes appliquer à cette nuit-là la parole du psalmiste : « Le soir arrivent les pleurs et le matin l’allégresse ». Le lendemain, en effet, le docteur déclara que les progrès de la maladie s’étaient arrêtés pendant la nuit, et que la malade était hors de danger. Cette longue-veille-là, qui nous fit faire l’expérience d’un exaucement merveilleux de la prière, a une place à part dans mes souvenirs.
C’est un moment particulièrement solennel dans ce culte de la dernière nuit de l’année que celui qui précède immédiatement le coup de minuit. A la suite des exercices religieux, chants, lectures, exhortations, prières, qui ont occupé la plus grande partie de la réunion, le président invite l’assemblée à passer les cinq dernières minutes de l’année dans le recueillement et dans la prière silencieuse. Et là, à genoux, quand la voix de l’homme s’est tue, celle de Dieu parle à la conscience et au cœur de chacun, et avec quelle force pénétrante ! Dieu seul sait quelles résolutions salutaires ont été prises dans ces moments bénis, et quelle influence ont eu ces moments sur la direction des sentiments et de l’activité de l’année qui a suivi. De sérieuses conversions ont eu là leur origine. Enfin, l’horloge sonne les douze coups qui indiquent le passage d’une année à l’autre, et l’assemblée se lève et chante le beau cantique.
Levons-nous, frères, levons-nous,
Car voici notre Maître !
Il est minuit ! Voici l’Epoux !
Jésus-Christ va paraître !
Une prière d’action de grâce et de consécration à Dieu termine cette réunion, et l’on se sépare après avoir échangé des vœux pour l’année qui commence.
A Nîmes, comme à Paris, la longue-veille est le rendez-vous de pasteurs et de laïques des diverses dénominations, qui en font une vraie réunion d’alliance évangélique, digne préparation de la semaine de prières. C’est toujours un service très suivi et très populairea. Qu’il me soit permis, en terminant, de conseiller aux pasteurs qui ne l’ont pas encore essayé, de l’introduire dans leur Église. Ils ne tarderont pas à découvrir que c’est là un excellent moyen d’édification.
a – Ceci, rappelons-le, était écrit en 1892.