« Il y a d’abondantes joies devant ta face. »
Dans l’immensité calcinée du désert, le voyageur éprouvé par la soif sous un soleil de plomb écarquille les yeux et croit voir au loin une vaste étendue d’eau où se reflètent le ciel et de légers nuages. Reprenant courage dans un sursaut d’énergie, il avance, avance toujours. Le lac qui paraissait tout proche s’éloigne, s’éloigne encore puis se résorbe soudain. C’était un mirage. En pensant à ce phénomène caractéristique des déserts surchauffés, je ne voudrais pas, en évoquant l’extraordinaire de la présence du seigneur, vous pousser à poursuivre le néant, même s’il est alléchant. Votre déconvenue serait grande et votre énergie mal employée.
La présence du Seigneur n’a rien d’un mirage ; c’est une expérience réelle que je vous souhaite de faire. Ceux qui fréquentent le sanctuaire la décrivent avec émerveillement. Je préfère leur donner la parole, non sans hésitation toutefois, car je redoute de mettre en avant émotions et sentiments. Les uns parlent d’ineffable extase de sa présence. D’autres de gloire transcendante ou d’éblouissante révélation de sa face merveilleuse ; d’autres encore évoquent de fraîches eaux jaillissant de la vie divine ; d’autres usent abondamment des superlatifs ou des mots tels que : ravissement, splendeur, félicité, gloire.
Sans doute est-il bien difficile, pour ne pas dire impossible, de décrire ce que le chrétien peut ressentir dans Sa présence puisque l’apôtre mentionne que la paix qu’elle procure est « au-dessus de toute intelligence ». Pour la connaître, il faut l’expérimenter. Il est bien vrai que devant lui toutes choses apparaissent sous un jour nouveau, métamorphosées. Il est vrai aussi qu’il y a d’abondantes joies devant sa face. Une joie exquise, imprégnée de sereine quiétude qui épanouit l’être tout entier et procure un sentiment de détente et de liberté. Mais le danger nous guette de mettre l’emphase sur les effets plutôt que sur la cause, sur l’ombre et non la réalité. A poursuivre la joie ineffable on oublie l’auteur de la joie : le Christ. C’est pourquoi, si vous êtes friand de merveilleux – il faut être honnête –, cessez de rechercher l’expérience qui bouleverse. Disciplinez-vous, ne cédez pas à son attrait. Que Sa personne seule vous attire. Cherchez-le de tout votre cœur, sans vous lasser. Après tout, l’essentiel n’est pas le sublime de sa présence mais le fait que je me trouve devant le Seigneur, dans son intimité. Demeurer en lui afin qu’il demeure en moi, voilà l’essentiel. Qu’on me pardonne cette insistance.
Une chrétienne zélée m’entretint de son trouble :
— L’été dernier, me dit-elle, après avoir entendu la prédication de l’Évangile, une grande paix a inondé mon âme et cela durant des mois. J’étais littéralement au ciel. Or, depuis quelques semaines je ne ressens plus cette paix et m’accuse d’infidélité. J’ai beau m’’humilier, je ne retrouve plus mon assurance. J’en suis perturbée. Que dois-je faire… ?
— Rien ! Mais seulement réfléchir un peu. Au fond qu’est-ce qui vous jette dans un tel désarroi ? Qu’attendez-vous pour être apaisée ?
— Bien sûr, de retrouver cette paix !
— C’est justement là votre erreur. Certainement Dieu a jugé bon d’ôter ces sentiments merveilleux auxquels vous vous accrochiez, pour que vous ne regardiez plus à la paix mais à celui qui donne la paix, à Jésus votre paix. Vous devez estimer infiniment plus le Seigneur et son amour que le bien qu’il peut procurer à votre âme. Le Bien-Aimé doit être placé au-dessus de tout. Aimez-le pour lui-même et non pour les faveurs qu’il peut vous accorder et qu’il ne manquera pas d’ailleurs de vous donner en abondance. Dieu est sage. Il enlève vos points d’appui – ici la paix – pour produire en vous « la grande foi » qui n’a pour objet que le Christ.
Un croyant des temps reculés écrivait : « Le sentiment délicieux que tu éprouves parfois est certes un effet de la présence de Dieu et un avant-goût des douceurs du ciel. Mais Dieu l’accorde et le retire comme il lui plaît. Il ne faut surtout pas s’y appuyer dessus si l’on veut être ferme… Les progrès que l’on fait dans la vie spirituelle ne consistent pas à éprouver toujours une grâce sensible qui console et réjouisse mais singulièrement à accepter ses privations avec humilité, patience, renoncement, sans néanmoins perdre courage ni abandonner les exercices de piété. Au contraire. C’est alors qu’il faut redoubler d’efforts et faire tout ce qu’on peut pour ne pas se relâcher dans la sécheresse et les troubles de l’âme… C’est Dieu qui dispense ses dons et ses grâces quand il lui plaît, sans que personne en doive murmurer. »
Paul était de ceux qui plaçaient le Seigneur au-dessus des plus belles expériences. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le récit de la vision qui l’a transporté jusqu’au 3e ciel (2 Corinthiens 12.1-6). S’il a évoqué ce fait, c’est bien à son corps défendant, simplement pour répondre aux chrétiens de Corinthe qui l’accusaient d’avoir une parole méprisable (2 Corinthiens 10.10), eux qui faisaient étalage de leurs dons. Dieu avait accordé à son serviteur cette grande faveur alors qu’il se préparait à entreprendre son premier voyage missionnaire. Le Maître de la moisson voulait ainsi armer puissamment celui qui allait trouver épreuves et difficultés sans nombre sur sa route. Pour le vaillant apôtre la vision du Seigneur de gloire lui importait plus que celle du travail à accomplir.
Relisez 2 Corinthiens 12.1-6 et vous apprendrez de belles leçons ! Vous noterez en particulier :
a) Que Paul a attendu 14 ans avant de révéler à ses lecteurs la grâce insigne que Dieu lui avait accordée, une faveur qui aurait pu le valoriser auprès de ses frères fort critiques à son endroit. Sans doute sera-ce la seule fois qu’il osera en faire mention. Quelle maîtrise de soi ! Il sait tenir sa langue en bride, soucieux de ne pas se grandir devant les hommes (v. 6). C’est Jésus seul qui doit être admiré.
b) Notez encore la sobriété de cette évocation que nous souhaiterions plus développée. L’apôtre ne s’appesantit pas sur l’événement pourtant exceptionnel ; il ne juge pas utile d’expliquer ce qu’il faut entendre par 3e ciel. Pas davantage il ne décrit sa vision, ne fournissant aucune précision quant aux circonstances ou au moment de sa manifestation. « Je ne sais ! » répète-t-il avec un air détaché. Décidément, l’extraordinaire qu’il a vécu ne lui tourne pas la tête.
c) Et puis, comme il répugne à tirer gloire de cette grâce à laquelle il s’abstient d’associer son nom au point qu’on se demande si c’est bien lui qui en a été l’objet : « Je connais un homme… » (v. 2) ! Quelle humilité ! L’apôtre sait que cette vision du ciel n’a été qu’une grâce de plus, une faveur inouïe certes, mais imméritée. Je dis bien : une grâce, non une récompense. C’est l’auteur de la bénédiction et non le bénéficiaire qui doit être exalté. S’’attacher au don, avons-nous dit, c’est oublier le Donateur, et donc lui faire injure. Qui s’attache à l’expérience s’admire lui-même et se détourne du Bien-Aimé.
d) Il est peu probable que cette expérience se soit reproduite ou que Paul ait souhaité la revivre. Si Dieu accorde l’extase, Alléluia ! S’il nous en prive, Alléluia quand même. « L’Éternel a donné. L’Éternel a ôté. Que son nom soit béni ! » (Job. 1.21).
e) Le contexte de cette évocation (la mention des épreuves au chap. 11 – l’écharde au chap. 12) laisse entendre que la vie de tous les jours est plus prosaïque que merveilleuse. Le chrétien n’est-il pas appelé à souffrir (1 Pierre 2.20-21) ? Dieu n’éprouve-t-il pas son serviteur pour le garder de l’orgueil spirituel ? Cette épreuve portera ses fruits, puisque Paul se glorifiera de son infirmité et déclarera à deux reprises que « les preuves de son apostolat ont éclaté » non à cause de ses expériences « mais par une patience à toute épreuve » (2 Corinthiens 6.4 et 12.12).
A l’instar de Paul, ne nous éternisons pas sur nos expériences, si belles soient-elles ; refusons d’être inquiets ou désemparés si elles ne se reproduisent pas ou si nous traversons un temps de sécheresse. Le Seigneur ne meurt pas lorsque s’évanouit l’extase. Il y a les heures salutaires du désert.
Ici nous citerons de larges portions de l’« Imitation de Jésus-Christ ». Son auteur s’adresse à vous et vous conseille :
« Mon fils, le plus sûr et le plus avantageux pour toi est de cacher la grâce qui est en toi, de ne pas t’en glorifier, d’en parler peu, de te regarder toujours comme indigne de tous ses dons… Ne t’attache pas aux douceurs et aux suavités de la grâce car tu peux passer soudain dans un état opposé. Que cette grâce, lorsque tu la possèdes, te fasse réfléchir sur le misérable état et la sécheresse de ton âme quand tu t’en vois privé.
Beaucoup, ‘‘en voulant mettre leur nid dans le ciel’’ selon la parole du prophète (Abdias 1.4), sont tombés dans un abîme de misère. Heureux si, humiliés et dénués de tout secours, ils ne veulent pas se hasarder à voler d’eux-mêmes mais se tiennent en sûreté sous les ailes de leur Maître.
Ne te trouble pas si des pensées absurdes et de noires imaginations t’assiègent. Demeure ferme… Quoique tu te sentes quelquefois élevé et comme ravi jusqu’au ciel et que peu après tu te vois replongé dans les folles pensées qui t’attaquent souvent, tu ne dois pas croire pour cela que ton état n’est qu’illusion, car tu souffres ces choses plutôt que tu ne les fais. Pourvu qu’elles te déplaisent et que tu y résistes, bien loin de te perdre elles te seront une occasion de récompense.
Seigneur, fais-moi la grâce de m’élever au-dessus de toutes les joies célestes et des ravissements divins, c’est-à-dire au-dessus de tout ce qui n’est pas toi-même. Que ta volonté soit ma joie. Et s’il te plaît de me priver du sentiment de tes douceurs et de tes joies divines, je te prie, que ta volonté soit faite et que j’acquiesce de bon cœur au bon plaisir que tu auras de m’éprouver, car tes menaces ne sont pas pour durer toujours. »
« Courons, les yeux sur Jésus. » Que ce soit notre mot d’ordre (Hébreux 12.1-2).
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