L’eschatologie, plus que tout autre article dogmatique, a traversé des phases diverses au cours de la pensée chrétienne, sans que toutefois elle soit jamais passée au rang de dogme principal, comme la christologie, la sotériologie ou l’anthropologie. Elle commença par être une des préoccupations dominantes de l’Eglise apostolique. Les deux premières épîtres de Paul, qui furent probablement aussi les premiers écrits en date du N. T., furent eschatologiques, et les éléments de cet ordre se rencontrent en abondance dans les épîtres aux Corinthiens et aux Romains. Ils tendent à se raréfier ensuite et de plus en plus jusque dans les Epîtres pastorales, pour reprendre une importance nouvelle après la ruine de Jérusalem, sous la plume de Jean. En tout cas, l’attente si vive chez les chrétiens de la première génération du retour imminent du Seigneur, attente qui, sous cette forme d’ailleurs, n’était pas entièrement justifiée par l’enseignement du Maître, devait faire place à d’autres perspectives : la persécution pour l’Eglise et la mort pour l’individu.
Cependant l’Eglise des premiers temps, excitée à cette attitude par les angoisses du présent, ne laissa pas de porter ses regards en avant en même temps qu’en haut, et contrainte par l’expérience à proroger le terme de son espoir, elle compensa le retard de l’événement par le réalisme de ses représentations.
C’est ainsi que Papias, dans les quelques fragments qui nous restent de lui, a décrit le Règne de mille ans sous l’image d’une époque où chaque vigne comptera dix mille ceps, chaque cep dix mille branches, chaque branche dix mille sarments, chaque sarment dix mille grappes, chaque grappe dix mille grains, et où chaque grain produira vingt-cinq mesures de vinr.
r – Pastrum apost. opera, rec. Gebhardt, etc., fasc. 1, 2.
Justin, Irénée et Tertullien, tout en se montrant plus sobres dans leurs peintures, entretinrent dans l’Eglise l’attente du règne futur de Christ. C’est à partir de l’époque où l’Eglise fut montée sur le trône et s’imagina que le Règne de mille ans venait de commencer, qu’elle cessa d’attendre et de désirer son Roi invisible, et ce sommeil dura des siècles.
Nous avons montré dans notre Histoire de la dogmatique qu’il ne fut pas même interrompu par les Luther, les Mélanchton et les Calvin. Il faut descendre jusqu’au XVIIIe siècle, jusqu’à l’époque du réveil provoqué par Spener et le piétisme d’une part, par Bengel de l’autre, pour renouer sur ce point la tradition des premiers siècles ; encore l’Eglise contemporaine serait-elle retombée peut-être dans son indifférence à l’égard de ses destinées futures, si elle n’avait été ramenée comme de force à ce genre de préoccupations par les nécessités de la polémique contre les exagérations apocalyptiques des darbystes d’un côté, des irvingiens de l’autres.
s – Voir sur l’histoire de l’eschatologie : Kliefoth, Christliche Eschatologie, pages 18-26.
Plus encore que tout autre article de la dogmatique, l’eschatologie affirme sa liaison à l’enseignement scripturaire et dément la méthode subjectiviste préconisée aujourd’hui. Les postulats de la conscience chrétienne (Schleiermacher), ou les données de l’expérience personnelle (Frank)t, peuvent fournir des analogies, autoriser des conjectures ou créer des présomptions concernant les choses finales, mais point établir un corps de doctrine sur des objets qui échappent à l’une et dépassent absolument l’autre.
t – « Le terme du devenir se montre à la foi participante du salut actuel, comme une nécessité absolue et comme une expérience ! (Gtaubenserfahrung) ensuite de laquelle le chrétien est à même de renoncer à toutes autres preuves d’une vie après la mort. » System der christl. Wahrheil, section XLVI.
Nous traitons dans une section préliminaire :
- De la détermination des derniers temps d’après l’Ecriture ;
- De l’importance de l’eschatologie ;
- De la division de l’eschatologie.