La résurrection de Jésus-Christ. Diversité des récits évangéliques. — Le sépulcre est scellé et ses gardiens sont gagnés. — Différence entre l’incrédulité des disciples et celle des ennemis. — Les apparitions de Jésus aux femmes. — Les disciples allant à Emmaüs. — Jésus apparaît à Pierre et aux autres apôtres. — Thomas. — L’apparition près du lac de Génézareth. — Les commandements donnés aux disciples sur une montagne en Galilée. — Dernières apparitions du Ressuscité. — Le corps glorifié du Seigneur. — Son ascension.
Jésus-Christ livré pour nos péchés et ressuscité pour notre justification ; Jésus-Christ obéissant jusqu’à la mort de la croix, et à cause de cela élevé par Dieu et glorifié par un nom qui est au-dessus de tout autre nom ; Jésus-Christ immolé par les mains des injustes, mais aussi ressuscité par Dieu, parce qu’il était impossible qu’il fût retenu par la mort ; Jésus-Christ crucifié, mais vraiment ressuscité et devenu les prémices de ceux qui dorment : voilà le grand fait dont la réalité nous est attestée, et qui nous est annoncé comme le fondement posé par Dieu de l’édifice de notre salut. Nous avons fait ressortir, dès la quatrième leçon, avec quelle force les témoignages des apôtres confirment la réalité de la résurrection de Jésus-Christ, et cela d’autant plus que le grand apôtre des gentils se joint aux évangélistes, pour affirmer dans toutes ses épîtres, et particulièrement dans la première aux Corinthiens (ch. 15), la résurrection du Seigneur, en même temps qu’il fait mention d’une série d’apparitions du Christ ressuscité. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit alors. Notre point de départ c’est la foi certaine que Christ est vraiment ressuscité, et nous retenons cette conviction fondamentale, alors même que nous éprouvons une certaine difficulté à agencer ensemble les rapports des différents témoins.
Nous voyons, en effet, que les narrateurs de l’évangile de Pâques diffèrent entre eux et semblent suivre chacun sa propre voie. Si, d’une part, nous pouvons déduire de là que leur témoignage n’est point concerté, et que cette diversité a droit à la confiance, tandis que l’uniformité ferait naître des soupçons, il reste vrai d’un autre côté que l’agencement en un seul tout de ces différents rapports n’est possible qu’à la condition de traiter avec une certaine liberté les traits isolés. Cette remarque s’applique surtout à la divergence la plus considérable que nous trouvons dans Matthieu. En parlant des apparitions du Sauveur ressuscité aux yeux des apôtres, il ne mentionne que celle qui eut lieu sur la montagne de Galilée, où Jésus leur avait ordonné d’aller, tandis que Luc, quand nous lisons son dernier chapitre sans interruption, a l’air d’exclure une pareille réunion en Galilée. En effet, d’après son récit, il semble que le Seigneur, après être apparu le soir du jour de Pâques, à ses disciples à Jérusalem, leur commande d’y rester jusqu’à ce qu’ils aient reçu le Saint-Esprit (v. 49).
On a essayé de concilier cette divergence de la manière suivante : On a dit que la montagne de Galilée serait celui des trois sommets de la montagne des Oliviers qui est situé au nord, et où les Galiléens auraient eu une hôtellerie. Mais cette interprétation, malgré la science déployée pour la soutenir, aura de la peine à prévaloir. Non seulement elle ne laisse pas de place à l’apparition de Jésus près du lac de Tibériade, mais elle ne s’appuie que sur des passages de l’évangile apocryphe de Nicodème, sur des mentions des Pères, dont aucune n’est décisive, et sur des traditions des voyageurs depuis le treizième siècle. Il reste évident que Matthieu, parle de l’apparition qui eut lieu en Galilée et qu’il passe sous silence celles de Jérusalem ; Luc, par contre, semble ne connaître que celles dont la capitale fut le théâtre, et ne point laisser de place pour les précédentes.
Mais nous voyons que Jean mentionne expressément aussi bien les apparitions de Jérusalem que celles de la Galilée. En nous rappelant le but et le plan de chaque évangéliste, et en général le caractère de l’évangile de la résurrection, nous arrivons à résoudre cette difficulté et à réunir cette double série de récits. Nous reconnaissons que Matthieu clôt son évangile par le récit de cette révélation majestueuse, dans laquelle le roi d’Israël, rejeté par son peuple, proclame le commencement de son règne. Tandis qu’à Jérusalem la publication de la résurrection est empêchée par les principaux du peuple juif inconverti, il établit, en vertu de son autorité divine, les apôtres comme chefs du peuple nouveau, qui commence à se rassembler autour de lui en Galilée. Voilà le grand contraste que relève Matthieu.
Par contre, Luc montre comment le Seigneur, en apparaissant d’abord à ses disciples à Jérusalem, planta en eux la foi en sa résurrection, pour les rendre capables de lui servir de témoins dans tout le monde, en commençant par Jérusalem ; car de même que le passage du Seigneur par la mort pour entrer dans sa gloire est annoncé d’avance par la parole prophétique, ainsi la prédication de son Evangile parmi toutes les nations est depuis longtemps promise par l’Ecriture, en vertu de cette libre grâce qui cherche les pécheurs. C’est aussi un effet de la grâce et de la miséricorde de Dieu, que cette Jérusalem qui avait rejeté le Seigneur ; doit être la première à entendre la prédication du salut. C’est pourquoi le Seigneur insiste sur la nécessité pour les disciples de demeurer dans Jérusalem ; toutefois cette recommandation ne leur est pas faite le premier soir après la résurrection, ainsi que cela peut paraître, et elle n’exclut point les apparitions en Galilée. Luc lui-même nous autorise à considérer cette recommandation (à partir du v. 49 et peut-être déjà du v. 44) comme faite après le soir du jour de Pâques, car dans les Actes des apôtres, écrits par le même Luc (Actes 1.3-4), le même commandement est reproduit avec l’indication de sa date. Ce passage nous montre que cette parole fut prononcée à la fin des quarante jours, pendant lesquels Jésus donna à ses disciples plusieurs preuves de sa résurrection en se faisant voir à eux. Dans l’Evangile, au contraire, aucune date n’est indiquée, et l’évangéliste se borne à résumer ce que le Sauveur ressuscité a dit à ses disciples.
Ce récit porte la merveilleuse empreinte du caractère de ces quarante jours, de ces jours admirables, où les disciples n’avaient plus conscience du temps et des heures, parce qu’ils étaient à demi transportés dans l’éternité. En apparaissant et en disparaissant tour à tour, le Seigneur les sevrait de sa présence visible, en même temps qu’il les habituait à un mode plus glorieux de cette présence. Chacune de ces apparitions semblait être la dernière, parce que dans chacune d’elles les adieux avaient leur place.
Voici le résultat auquel nous arrivons en réunissant les différents rapports : La manifestation principale à laquelle le Seigneur avait convié non seulement les onze, mais un grand nombre d’autres disciples, eut lieu en Galilée, où il avait surtout déployé son activité. C’est de cette seule apparition que parle Matthieu, peu préoccupé de la précision des traits extérieurs. C’est sans y penser qu’il nous fait entrevoir que cette apparition ne fut pas la seule, car il dit ( v. 16 ) : « Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne où Jésus leur avait ordonné d’aller ». Et cependant Matthieu n’a désigné nulle part cette montagne d’une manière plus précise. Par contre, les autres évangélistes nous montrent comment le Seigneur, dans sa sagesse et dans sa grâce, prit soin de ses disciples faibles et effrayés, sans attendre la grande manifestation qui devait avoir lieu en Galilée. Il leur a fait rappeler la promesse qu’il leur avait antérieurement faite qu’il les précéderait en Galilée ; c’est là qu’il veut rassembler son troupeau dispersé et donner à ses envoyés ses commandements royaux. Mais pour les rendre capables d’aller eux-mêmes en Galilée et de convoquer, avec la joyeuse assurance de la foi, les disciples galiléens, pour un jour et en un lieu fixés, il fallait qu’ils arrivassent d’abord à cette foi par les apparitions qui leur furent accordées à Jérusalem. La manifestation rapportée par Matthieu n’était possible qu’à la condition d’avoir été précédée par les apparitions mentionnées par les autres évangélistes. Les apôtres se rendirent donc en Galilée et ils y attendirent une indication plus précise touchant le temps et le lieu de la manifestation principale. C’est alors qu’eut lieu l’apparition près du lac de Tibériade, rapportée par Jean comme ayant été la troisième qui fut accordée aux disciples réunis (Jean 21.14) ; et ce n’est qu’après cette apparition que le Seigneur se montra sur la montagne, non seulement aux onze, mais probablement aussi à ces cinq cents frères, dont parle Paul (1 Corinthiens 15.6). Revenu de Galilée à Jérusalem, à la fin des quarante jours, le Seigneur commanda aux apôtres de ne pas quitter Jérusalem, et de ne pas commencer leur ministère qu’ils n’aient été revêtus de la vertu d’en haut au lieu même où le peuple avait rejeté son Christ.
Nous venons de comparer Matthieu et Luc. Marc aussi reste fidèle jusqu’au bout au caractère de son évangile. Il est vrai qu’ici se présente cette circonstance particulière que la fin de cet évangile, à partir du 9e verset, manque dans beaucoup de manuscrits anciens et importants. Mais si Irénée connaissait déjà ce passage au second siècle, nous pourrons d’autant mieux le considérer comme authentique, qu’on peut aisément découvrir le motif de sa suppression dans beaucoup de manuscrits, tandis qu’il est plus difficile de comprendre que l’évangile en question soit terminé par la mention de la fuite des femmes, et par ces paroles : « Elles étaient effrayées. » A cela s’ajoute l’originalité de ce passage, qui renferme le résumé des paroles du Christ ressuscité et qui pour la forme ressemble à ce que dit Luc, tandis que pour le fond il rappelle Matthieu, à cela près qu’il n’est pas dit que le commandement de baptiser fut donné en Galilée. Tout cela constitue un rapport bref et sommaire, pareil à celui par lequel le même évangéliste raconte le baptême et la tentation du Sauveur. A cela s’ajoute l’indépendance du narrateur, qui semble même offrir une divergence d’avec les autres évangiles. C’est ainsi que Marc raconte que les onze apôtres étaient à table quand le Seigneur leur apparut ; il dit qu’ils ne crurent ni à Marie de Magdala, ni aux deux disciples, auxquels le Seigneur se montra sous une autre forme, alors qu’ils allaient à la campagne. Il va jusqu’à dire que le Seigneur leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leurs cœurs, ce que tout autre narrateur que l’évangéliste se serait difficilement permis de mentionner. Ce sont là autant de traits caractéristiques dans lesquels on reconnaît Marc. Il met sous nos yeux, dans son chapitre final, d’abord la manière dont la nouvelle de la résurrection du Christ arriva à ses fidèles ; il montre ensuite comment les apparitions du Seigneur, rapportées aux apôtres, ne rencontrèrent d’abord que de l’incrédulité, jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur, en les faisant arriver à la foi, les rendit capables d’annoncer son Evangile. A ce résumé des paroles du Seigneur, Marc ajoute finalement la mention des signes par lesquels il confirma la prédication de ses témoins. Le témoignage par des actes de puissance clôt dignement cet évangile, qui, d’un bout à l’autre, accorde le plus d’attention aux œuvres du Seigneur.
Jean, par contre, quand il complète les autres récits par quelques traits particulièrement touchants et intimes, a pour but, ainsi qu’il le dit lui-même, de faire arriver les lecteurs à une ferme foi au Fils éternel et glorifié de Dieu, afin qu’ils aient la vie par cette foi (Jean 20.31).
En envisageant de plus près les détails de l’histoire de la résurrection nous sommes surtout frappés du contraste entre la conduite des ennemis du Seigneur et celle de ses disciples fidèles. Il se trouve de l’incrédulité chez les uns et chez les autres ; mais c’est une incrédulité d’espèce totalement différente ; les ennemis se souviennent mieux que les disciples des paroles par lesquelles le Seigneur avait annoncé sa résurrection. De même que la foi du malfaiteur crucifié précéda celle des disciples, et que Joseph d’Arimathée se déclara pour le Seigneur plus courageusement qu’eux, ainsi le pressentiment de sa résurrection se fait jour plus tôt dans l’esprit des sacrificateurs que dans celui des fidèles.
Matthieu seul parle des mesures que les chefs du peuple adoptèrent dans leur embarras. Il écrit pour les croyants en Israël, et il leur découvre la misérable origine du mensonge qui s’était répandu parmi les Juifs. En parlant du grand sabbat, que les sacrificateurs profanèrent tellement qu’il ne méritait plus le nom de sabbat, Matthieu l’appelle « le lendemain du jour de la préparation. » Ce jour-là les sacrificateurs, ces mêmes sacrificateurs qui la veille n’avaient pas voulu entrer dans le prétoire, vinrent chez Pilate pour lui demander de faire garder le sépulcre par des soldats. Ils l’avaient entendu eux-mêmes parler de la réédification du temple détruit et du signe de Jonas. Une prophétie plus claire de sa résurrection au troisième jour, était probablement venue à leurs oreilles du milieu des disciples. Ils n’y ont pas cru, mais un aiguillon est resté dans leurs âmes, qui ne leur laisse aucun repos le jour du repos. Tout en feignant un mépris insultant et d’odieux soupçons à l’égard des disciples, ils se sentent mal à leur aise, et ce n’est que la folie de l’incrédulité qui se donne le change par la tentative d’empêcher la résurrection en scellant la pierre et en la faisant garder.
Il n’en est pas moins étrange que ce qui émeut les sacrificateurs reste totalement éloigné des pensées des disciples. Ne semble-t-il pas que la résurrection leur ait été annoncée en vain ? Mais voilà bien le cœur humain. Bien qu’à plus d’une reprise le Seigneur eût clairement parlé de sa crucifixion et de sa résurrection, tout cela leur était resté obscur jusqu’au jour où ils en firent l’expérience. Ils ne concevaient pas que leur Maître pût mourir ; ils ne comprenaient pas non plus en quoi devait consister sa résurrection, et ils n’osaient pas le questionner à ce sujet (Marc 9.10, 32). Celui qui ressuscitait les autres étant mort, qui le ressuscitera ? Au surplus, il avait plus d’une fois parlé, dans un sens figuré, de la mort et de la vie, en sorte que les disciples ne savaient que penser. C’est dans cette incertitude que la réalité de la mort, réalité détruisant tout et brisant toutes leurs espérances, avait fondu sur eux, plus terrible que n’importe quelle attente ; elle pesait comme un cauchemar, tellement que même les traces de la résurrection, le sépulcre vide et ce qui s’y trouvait ne firent qu’augmenter leur trouble. Précisément parce qu’ils aimaient Jésus, mais en étant faibles dans la foi et dans la connaissance, ils ne pouvaient concevoir la vérité, tant leur stupéfaction était grande.
Quant aux ennemis sans entrailles, dans lesquels la conscience opprimée luttait contre le refus de croire, ils se souviennent des paroles de Jésus et ils les comprennent. C’est que l’épouvante ne les a pas troublés ; au contraire, leur conscience, chargée d’un meurtre, leur explique cette parole mystérieuse qui les avait occupés dans le débat judiciaire, et s’ils osent traiter Jésus de séducteur, dont les disciples pourraient bien se rendre coupables d’une fraude pire que la première, cette insulte n’est que l’arme défensive de leur incrédulité. Les voilà qui demandent à une sentinelle romaine de les garantir de ce Messie qu’ils haïssent ! Ne nous étonnons pas que Pilate se soit rendu à leur demande. « Allez, et faites comme bon vous semble, » leur dit cet homme, à qui il importe avant tout que cette fâcheuse affaire ne donne pas lieu à des troubles. Il paraît que ce ne fut que dans la soirée du samedi que les sacrificateurs pourvurent sans bruit à la garde du sépulcre. Tout au moins, ni les femmes ni les disciples n’en savent rien le lendemain matin, car ce petit groupe caché ignorait ce qui se passait au dehors. La pierre seule préoccupait les femmes, qui ne se doutaient nullement de l’obstacle bien autrement sérieux qui les menaçait de la part des hommes. L’obstacle qui les inquiète et celui qui les aurait inquiétées davantage, si elles l’avaient connu, se trouve enlevé sans leur concours.
La manière d’agir des sacrificateurs peut nous surprendre. S’ils ajoutèrent foi au rapport des gardiens du sépulcre, on comprend difficilement qu’ils aient osé étouffer cette affaire. Si au contraire ils n’y croyaient pas, on s’étonne qu’ils n’aient pas sévi contre les soldats. Mais rappelons que la seule chose qu’ils pussent raconter était celle qu’ils avaient vue : ils parlèrent du tremblement de terre et de l’ange, de la pierre ôtée et du sépulcre vide, et leur stupéfaction confirmait leur rapport. Mais ils n’avaient pas vu Jésus lui-même. Si les sadducéens, parmi les sacrificateurs, soutenaient que ce n’était là qu’une imposture, les pharisiens étaient effrayés, car ils comprenaient que quelque chose d’étrange avait dû se passer. Mais le fait raconté par les gardiens pouvait être traité d’apparition de spectres, par ces blasphémateurs qui n’avaient pas craint d’attribuer à Béelzébuth les miracles de Jésus. Pour éviter la division dans leur camp, ils eurent une séance à laquelle on n’invita certainement ni Joseph ni Nicodème, et l’on décida d’étouffer le mieux qu’on pourrait cette affaire étrange, et de la combattre par le moyen d’un mensonge propagé en secret.
Pour atteindre ce but il faut donner cet argent, qui a déjà fait commettre tant d’actions odieuses. Sans doute c’est une chose triste que les soldats, à peine épargnés et mortellement épouvantés, aient accepté avec tant de légèreté ce salaire de l’iniquité ; mais l’esprit mondain est ainsi fait. Ils durent se laisser d’autant plus facilement gagner par ces personnages haut placés, qu’à la promesse d’apaiser Pilate s’ajoutait sans doute la menace du contraire pour le cas où les soldats n’auraient pas voulu obéir aux sacrificateurs. Quant à Pilate, il était content pourvu qu’on ne le tourmentât pas davantage par une affaire qui, après tout, n’intéressait que le Sanhédrin. C’est ainsi, dit Matthieu, que prit naissance ce bruit, qui a été divulgué parmi les Juifs jusqu’à aujourd’hui. Justin Martyr oppose au juif Tryphona qu’après la résurrection du Christ ses compatriotes avaient envoyé dans le monde des hommes avec ce message : Une secte impie et opposée à la loi a été fondée par un imposteur galiléen du nom de Jésus qui, après avoir été crucifié, fut dérobé pendant la nuit de son sépulcre par ses disciples, qui maintenant séduisent les hommes en disant que leur maître est ressuscité et monté au ciel. Nous retrouvons ainsi, après plus de cent ans, le souvenir de cette odieuse calomnie.
a – Chapitre 108.
Combien la vérité ne s’était-elle pas approchée des sacrificateurs ! Il est vrai qu’elle ne contraint personne d’une manière irrésistible. Il devait arriver aux Juifs charnels que ceux qui n’écoutaient pas Moïse et les prophètes, et ceux surtout qui n’avaient pas reçu dans leurs cœurs les paroles de vie de la bouche de Jésus, ne croiraient pas non plus, quelque évidentes que fussent les traces de sa résurrection, et puissantes les preuves par lesquelles cet événement s’imposerait à leur âme. C’est que le système de l’incrédulité est d’une opiniâtreté sans pareille, et celui qui n’est pas de la vérité, peut sans cesse trouver des motifs de doute et de négation.
Il est vrai que les disciples aussi sont incrédules, et certes ce n’est point là une chose indifférente, et moins encore une gloire, mais plutôt un affront fait à leur maître, en même temps qu’un grand danger pour leurs propres âmes. Les yeux du Seigneur regardent si quelqu’un a la foi, car c’est là « l’œuvre de Dieu, que les hommes croient en Celui qu’il a envoyé (Jean 6.29). » Croire c’est recevoir ce que Dieu a opéré pour notre salut, mettre sa confiance dans la manifestation de la vie supérieure, s’attacher aux puissances du siècle à venir. L’incrédulité au contraire, alors que le témoignage de Dieu parle clairement, est une paresse, qui n’arrive pas à s’attacher à l’invisible, comme si on le voyait, en même temps qu’elle est une défiance par laquelle on s’assure moins sur le témoignage de Dieu que sur sa propre intelligence. C’est pourquoi le Seigneur dit : « L’Esprit convaincra le monde de péché, de justice et de jugement ; de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi (Jean 16.9) ; » ce qui montre clairement que l’incrédulité est la racine de tous les péchés. Voilà pourquoi le Sauveur ressuscité est obligé de reprendre ses disciples comme des « gens sans intelligence et d’un cœur tardif à croire tout ce que les prophètes ont dit, » et c’est ainsi qu’il balaye par des paroles sévères le levain de leur incrédulité et de leur dureté de cœur.
Mais en faisant cela pour les disciples et non pour le monde, il montre la différence qu’il fait entre l’incrédulité des disciples et l’incrédulité du monde. Les ennemis avaient peur en pensant à cette résurrection ; ils s’effrayaient de la simple possibilité de cet événement, parce qu’il menaçait d’anéantir leur pouvoir et leurs joies, leur orgueil et leur sagesse. Les disciples au contraire furent bien heureux de laisser leur incrédulité. Ils n’aimaient que Jésus ; leurs cœurs battaient pour lui seul ; c’était leur chagrin d’être séparés de lui ; c’est Jésus qui était le but de leurs recherches, et alors même qu’elles n’aboutirent d’abord qu’à leur persuader qu’on avait enlevé son corps (Jean 20.2, 8), elles étaient cependant, la condition en dehors de laquelle ils ne pouvaient pas trouver leur Sauveur. Car le Seigneur ne se montrait qu’à ceux qui l’avaient cherché de tout leur cœur. Sans doute ils firent l’expérience de leur impuissance à le trouver à force de recherches. C’est en les convainquant de leur propre néant, que le Seigneur les prépare à recevoir sa manifestation ; mais leurs recherches ne fusent pas perdues pour cela. Ils durent arrivera la conviction que, de même que nous ne nous donnons pas nous mêmes la vie du corps, de même aussi pour les choses qui s’étendent au delà de la tombe, nous ne vivons que de la grâce de Jésus-Christ.
Cette grâce s’occupa d’eux, parce que leur incrédulité ne ressemblait pas à celle du monde. Combien se désiraient-ils pas être assurés de la vie du Seigneur, et puiser leur vie dans la sienne ! Qu’ils étaient heureux de marcher sous son regard et dans sa discipline, et de rester auprès de Celui en qui ils avaient trouvé les paroles de la vie éternelle ! S’ils ne crurent pas tout de suite, c’est que pour leurs cœurs blessés, ce message était trop extraordinaire, en sorte qu’ils redoutaient une erreur, après laquelle le désillusionnement eût été d’autant plus navrant. Mais dans cet amour qui les rattachait au Crucifié, il y avait, à leur insu, une étincelle de foi. Le Seigneur, qui n’éteint aucun lumignon fumant, fit sortir une flamme de cette étincelle, et cette incrédulité, qu’ils avouent avec une si complète sincérité, le Sauveur en lit le témoignage le plus puissant, en faveur de la foi. En effet, quand même les hommes de nos jours ne voient de leurs yeux ni la pierre ôtée, ni les anges, ni le sépulcre vide, ils n’en ont pas moins un signe qui rend un témoignage encore plus puissant : ce signe, c’est l’incrédulité des disciples subitement changée en foi. Le troisième jour après cette mort, qui anéantissait toutes leurs espérances, quel merveilleux passage du plus profond abattement à une assurance désormais inébranlable ! Le matin du jour de Pâques, les disciples sont encore plongés dans l’incrédulité et dans la désolation ; à partir du soir de ce même jour, ils sont remplis de foi en ce Sauveur vivant, et ils affrontent courageusement la mort : Quelle puissance et quelle manifestation de Dieu a dû intervenir chez ces hommes qui ne croyaient pas à la légère ! Certainement Pierre et Jean pouvaient bien plutôt deviner qui avait ainsi mis de côté les linges dans lesquels Jésus avait été enseveli, qu’on ne peut expliquer avec une apparence de raison, de quelle manière les disciples incrédules arrivèrent à la foi le troisième jour, autrement que par l’apparition du Ressuscité.
Toutefois les premiers à qui cette joie fut accordée, ce ne furent pas les apôtres de Jésus-Christ, mais au contraire ces pieuses femmes, que leur amour fidèle poussa à se rendre à la tombe de grand matin. Après le sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à luire, elles se rendirent à cette œuvre de l’amour en deuil. Matthieu ne fait mention que des deux Maries ; Marc leur adjoint Salomé ; Luc parle aussi de Jeanne et d’autres femmes. En tenant aussi compte du récit de Jean, voici la manière probable dont les événements se passèrent : Les femmes s’étaient mises en chemin au point du jour, comme le dit Luc ; Marie de Magdala, qui avait été autrefois possédée (Marc 14.9), avait, dans sa ferveur, précédé ses compagnes. Ne voyant dans l’obscurité que le sépulcre ouvert et vide, elle eut la pensée que les ennemis étaient allés jusqu’à le profaner. Dans son effroi, elle court chez les disciples et leur dit : « On a enlevé du sépulcre le Seigneur et nous ne savons où on l’a mis » (Jean 20.1-2). En attendant, les autres femmes arrivent auprès du sépulcre (Matthieu omet de dire que Marie de Magdala avait pris les devants). Le soleil venait de se lever derrière la montagne des Oliviers (Marc 16.2). Les femmes aperçoivent les anges dans le sépulcre. C’est avant leur arrivée qu’il y avait eu un tremblement de terre et que la pierre avait été roulée. C’est Dieu qui a fait cela, que les femmes le sachent ou non, que les disciples y croient ou non, que le monde s’en soucie ou non ; tout comme le soleil se lève et brille dans un ciel pur ou bien voilé par les nuages, aux yeux des hommes qui voient, et malgré la cécité des aveugles.
Si Matthieu et Marc ne parlent que d’un seul ange vu par les femmes et non par les disciples, tandis que Luc et Jean en mentionnent deux, il n’y a là rien d’étonnant. « Seigneur, ouvre-lui les yeux afin qu’il voie : » voilà la prière d’Elisée pour son serviteur, auquel le prophète voulait que les armées célestes devinssent visibles (2 Rois 6.17). C’est ainsi que les femmes, dont les yeux étaient ouverts, pouvaient apercevoir, les unes un seul ange, les autres deux, et que le message de ces envoyés célestes réveille dans leurs cœurs un souvenir joyeux et plein d’espérance de la parole du Maître, et par là le commencement d’une grande joie mêlée de crainte, en sorte que Marc peut dire en toute vérité : « Elles étaient saisies de crainte et d’étonnement » (Marc 16.8). Quelle rude tentation vint assaillir leur faible foi, quand ce qu’elles disaient aux apôtres parut à ceux-ci une rêverie, et qu’ils ne les crurent point. Certainement ils ont dû dans la suite demander pardon aux femmes, d’avoir ainsi affligé et troublé leurs cœurs. Mais en ce moment ils restèrent dans leur incrédulité, bien que Pierre, après le récit des femmes, courût au sépulcre ainsi que le dit Luc 24.12. Jean par contre rapporte que Pierre et Jean s’y rendirent ensemble, après avoir entendu les paroles de Marie de Magdala, qui n’avait point vu d’ange, et les disciples d’Emmaüs parlent aussi de plusieurs disciples qui s’étaient rendus au sépulcre (Luc 24.24). N’étant pas encore fondés dans l’Ecriture, ils voient dans les vestiges de la résurrection des signes de ce qui pouvait arriver de pire, et ils se chagrinent inutilement. C’est là sans doute le sens du rapport de Jean 20.8-9. D’autres au contraire voient dans ces paroles une indication que ce fut là que ces deux disciples reçurent la première impression que Jésus devait être ressuscité. S’ils n’arrivèrent que si tard à cette foi, c’est qu’ils ne comprenaient pas encore l’Ecriture.
En attendant, Marie Magdeleine était de nouveau venue au sépulcre, plongée dans une affliction telle, qu’elle s’étonna à peine à la vue des anges, et ne fit point attention à leur réponse. Ses regards, troublés par les larmes, ne reconnurent pas le Seigneur ; et elle supposa qu’il était le jardinier, car quelle autre personne pouvait être là de si bonne heure ? « Seigneur, lui dit-elle, si tu l’as emporté, dis-moi-où tu l’as mis. » Jésus lui dit : « Marie ! » et elle se réveille comme d’un songe pénible, à l’ouïe de cette voix bien connue et bien-aimée. Voilà celle qui a été la plus affligée, arrachée à toute sa tristesse.
Mais le Seigneur arrête l’explosion de son sentiment, afin qu’un excès de tristesse ne se change pas en un excès de joie. Ne me touche pas ! dit-il à Marie inondée d’allégresse, qui voudrait le retenir de la même manière qu’autrefois. Ce n’est pas dans le Seigneur, mais bien en Marie qu’il faut chercher le motif de cette défense ; car il ne s’opposa pas à l’empressement dés autres femmes, qui remplies de joie et d’adoration lui embrassèrent les pieds (Matthieu 28.9), ni aux disciples, auxquels il dit au contraire : « Touchez-moi et regardez-moi ; car, un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai » (Luc 24.39). Mais à cette Marie, trop émue, il dit dès la première rencontre : « Ne me touche point ; » ne t’imagine pas que nos relations terrestres vont recommencer ; il faut qu’elles prennent fin, car j’ai un but plus élevé, il faut que j’aille vers mon Père, et alors seulement commencera, sans que vous me touchiez, une communion permanente entre mes frères et moi. Mais toi aussi tu as mieux à faire que de t’abandonner à une allégresse inactive. Répare ton erreur et sois la messagère des messagers. Dis-leur que maintenant s’accomplit ce que je leur ai prédit la veille de mon départ (Jean 14.2,28 ; 16.5,28). Mais ce retour n’est pas encore celui qui nous réunira pour jamais. Quand ce dernier aura eu lieu, notre communion aura, un autre caractère qu’aux jours de ma chair. C’est ainsi que le Seigneur réprime le sentiment excessif de Marie, et lui enseigne cette obéissance joyeuse et sobre, qui sert le Seigneur en se consacrant au service des frères.
Je suis ressuscité non pas pour rester ici, mais pour monter vers mon Père : voilà ce qu’il annonce à Marie Magdeleine, et voilà ce que les disciples doivent apprendre par le caractère de ces quarante jours. En les appelant ses frères, le Seigneur veut bien leur pardonner leur fuite. Il n’a pas honte de leur donner ce nom et de les déclarer par là cohéritiers des biens de son Père. Mon Père est devenu votre Père, et mon Dieu votre Dieu, avec lequel je vous ai réconciliés par ma médiation.
Lorsque Matthieu parle de l’apparition du Ressuscité aux femmes, il n’a fait mention que des deux Maries ; et comme il ne dit pas que Marie Magdeleine avait devancé sa compagne, il se peut qu’il ait attribué aux deux femmes, ce qui n’était arrivé qu’à Marie de Magdala. Mais il est tout aussi possible qu’après s’être montré à Marie Magdeleine, le Seigneur apparût aussi aux autres femmes et cela est d’autant plus admissible que certains manuscrits omettent ces mots : comme elles allaient pour l’annoncer aux disciples ; en sorte que l’époque de cette apparition reste indéterminée et que rien n’oblige d’admettre qu’elle ait déjà eu lieu au retour du sépulcre. Avec cela s’accorde ce que disent les disciples d’Emmaüs, qui ne savent encore rien, ni de l’apparition du Seigneur à Marie Magdeleine (d’après Marc et Jean), ni de son apparition à plusieurs femmes (d’après Matthieu), mais seulement de la vision des anges (Luc 24.23). Il semble dès lors que cette apparition n’ait pas eu lieu au moment où les femmes revinrent du sépulcre, mais seulement un peu plus tard.
Dans tous les cas, les femmes seules virent les anges, et c’est à elles que le Ressuscité se montra d’abord. Ce furent donc les femmes qui rapportèrent aux apôtres ces deux apparitions. Cette circonstance est bien faite pour nous faire comprendre le charme particulier des récits évangéliques du matin de la résurrection. Tous portent l’empreinte d’une disposition qui n’est pas en état de se rappeler les détails extérieurs avec une froide tranquillité. Tout est vrai dans la variété vivante des rapports, seulement il y a de légères différences dans la manière dont les traits sont réunis ; les limites des faits se confondent quelque peu. On sent l’excitation, le mélange de joie et d’étonnement, la chose extraordinaire qui les remplit. Il est impossible de coordonner ces rapports comme un protocole ; cette variété vivante porte le cachet d’une vérité supérieure. Une vapeur matinale l’enveloppe, expression fidèle de la précipitation mystérieuse et de l’immense joie de ces lueurs bénies. Quand les apôtres eurent cru à leur tour, et qu’ils rendirent témoignage par leur propre expérience de la vie du Ressuscité, quelle importance y avait-il pour eux à peser et à comparer froidement entre eux ces différents rapports ?
L’apôtre Paul ne dit rien des femmes, ni des disciples d’Emmaüs, qui n’étaient pas au nombre des apôtres, ni de Thomas, ni de l’apparition qui eut lieu près du lac. Il n’entend pas mentionner toutes les apparitions, mais seulement les plus importantes, ni citer tous les témoins, mais seulement les principaux d’entre eux. En passant les femmes sous silence, il reste fidèle à son principe : « Que vos femmes se taisent dans l’Eglise » (1 Corinthiens 14.34). Est-ce une injustice à leur égard que de leur interdire la parole en public ? N’est-ce pas, au contraire, pour leur réserver d’autant plus exclusivement leur propre sphère d’activité, dans laquelle l’homme ne saurait les remplacer ? Je parle de l’activité dans le sanctuaire caché du foyer domestique, des soins peu apparents et malgré cela indispensables dans le sein de la famille. Qui donc peut comme elles faire ce qu’il convient de faire, par le silence et par une parole dite à propos, par la requête en secret et par une observation attentive, par une action sans importunité exercée à l’heure propice ? En décrivant la femme vertueuse, les Proverbes de Salomon disent : « Elle a soin de sa maison, afin que son mari soit célèbre dans les portes » (Proverbes 31.23). De même, lors de la résurrection du Seigneur, les femmes eurent leur grande tâche à remplir dans le cercle de famille des disciples ; mais ceux-ci seuls se présentèrent comme témoins devant le peuple et les nations.
Après les femmes, les premiers personnages qui sont trouvés dignes d’une apparition du Seigneur, ce sont deux disciples, qui ne font pas partie des douze. Cléopas ou Cléopatros n’est probablement pas le même que Clopas ou Alphée. Quant à son compagnon on est réduit sur lui à des suppositions. Ces deux disciples vont à Emmaüs, à deux lieues et demie de Jérusalem, peut-être pour échapper dans ce lieu de paisible recueillement au tumulte de leurs pensées et de leurs sentiments. Leurs cœurs sont auprès du Seigneur, mais enfoncés dans une profonde tristesse. Leurs yeux sont retenus, en sorte qu’ils ne le reconnaissent pas lorsqu’il vient auprès d’eux, sous une autre forme, suivant le rapport de Marc. Il est plus près d’eux qu’eux ne sont près de lui, et il sait ouvrir leur » cœurs. Il leur fait du bien en leur permettant de répandre leur tristesse devant lui, en leur reprochant leur manque de foi et d’intelligence, et en embrasant leurs cœurs par la manière dont il leur explique les Ecritures. Arrivé à Emmaüs, il les éprouve en faisant semblant d’aller plus loin, et il se serait en effet séparé d’eux, s’ils ne l’avaient instamment prié de rester. Leur foi le retient, et quand le Seigneur rompt le pain, ils le reconnaissent. Est-ce un geste habituel, ou sa prière, ou ses mains percées qui le font reconnaître ? Le récit n’en dit rien. Sa disparition ne leur ôte pas leur joie, et ils deviennent les messagers zélés de sa résurrection. Mais déjà les onze peuvent de leur côté leur annoncer (Luc 24.34) que le Sauveur miséricordieux s’est montré à Pierre repentant. Nous ne savons si cette apparition, mentionnée par Paul, comme la première (1 Corinthiens 15.5), se place avant celle qui fut accordée aux disciples d’Emmaüs.
Si les disciples parlent ici comme des gens qui croient, Marc 16.13 peut néanmoins dire avec raison : « Ils ne les crurent pas non plus », car ou bien l’incrédulité l’emportait chez les uns et la foi chez les autres, ou bien tous les cœurs étaient agités comme une mer tumultueuse. Luc aussi nous dit que, lorsque le Seigneur se présenta à eux, ils furent tout troublés, tout épouvantés, et qu’ils ne croyaient pas, tant ils étaient transportés de joie et d’admiration (v. 27, 41). Voilà pourquoi le Seigneur les reprend, d’après le récit de Marc. Il les convainc, en se faisant toucher par eux et en mangeant en leur présence, comme le rapporte Luc. Mais c’est Jean qui nous décrit le mieux cette mémorable soirée.
Les disciples assemblés avaient fermé les portes, parce qu’ils craignaient, les Juifs. Ils pouvaient, en effet, appréhender que les principaux arrêteraient aussi les disciples, pour étouffer complètement cette affaire du Messie. Mais voilà que le signe de leur frayeur devient le signe de sa gloire. Cet obstacle n’en est plus un pour le Seigneur glorifié, et le verrou de la porte ne l’arrête pas plus que celui par lequel la crainte et l’incrédulité ont fermé les cœurs. « La paix soit avec vous ! » leur dit-il ; et après qu’il eut surmonté leurs doutes, ainsi que Luc le raconte, les disciples furent heureux en voyant leur Seigneur. A cette heure, cette parole commençait à s’accomplir : « Votre tristesse sera changée en joie, et quand je vous reverrai personne ne vous ravira votre joie » (Jean 16.20, 22).
Il venait de leur apporter la paix qui se fonde sur la vue de ses plaies. Elles étaient aux yeux des disciples un témoignage certain que c’était réellement le Seigneur lui-même. Ces plaies, qui ne compromettaient plus sa vie, étaient devenues des signes de sa victoire. Elles proclament à jamais que la paix que nous donne le Sauveur ressuscité ne s’appuie que sur l’expiation opérée par sa mort ; elles sont une louange éternelle de cette grâce, qui a établi la rédemption par la justice. C’est dans la force de cette paix que le Seigneur les envoie, comme son Père l’a envoyé ; il les arme, pour leur mission, en soufflant sur eux son Esprit. Cet Esprit commence à découler sur eux, de leur Maître glorifié ; mais ce n’est qu’à la Pentecôte que cette vie de l’Esprit se manifeste dans toute sa puissance. Jusqu’à ce moment, leur mission et la communication du Saint-Esprit sont en voie de formation, et il en est de même de l’ascension du Seigneur. A celui qui a l’Esprit, et qui demeure sous la discipline et dans l’illumination de cet Esprit, le Seigneur confie la charge de remettre et de retenir les péchés, non point suivant des caprices tyranniques, ni par faveur ou par ambition, mais d’après la mesure de l’Esprit. Cet Esprit n’est limité ni par le ministère, ni par l’imposition des mains, mais il souffle où il veut. Qu’un homme rempli de l’Esprit dise à Simon le Magicien : « Tu n’as point de part ni rien à prétendre dans cette affaire, » ou bien qu’il dise au geôlier : « Crois au Seigneur Jésus-Christ, et tu seras sauvé avec ta famille…, » ces déclarations sont ratifiées dans le ciel, quand même elles rencontreraient ici-bas des milliers de contradicteurs.
Thomas ne s’était pas trouvé ce premier soir parmi les onze, probablement parce que ce disciple sincère s’était séparé des autres dans l’obstination de sa tristesse. Quand les autres lui racontent leur glorieuse expérience, il refuse d’y croire, comme eux-mêmes n’ont pas voulu croire aux femmes. Nous trouvons donc dans le cercle des douze apôtres, à côté de Judas qui trahit et de Pierre qui renie son maître, Thomas, qui lui résiste par un doute obstiné. Il dispute avec véhémence : Serais-je moins que les autres ? Serait-ce là le Seigneur, qui me néglige, moi, qui lui suis attaché aussi fidèlement que n’importe qui ? Ils se sont trompés ! Thomas veut appuyer sa foi sur un fondement assuré, mais il se permet de faire des conditions. Le Seigneur est admirable de longanimité envers ce douteur sincère. Durant une semaine, il le laisse se fatiguer dans ses propres voies ; puis, quand Thomas s’est de nouveau rapproché des autres disciples, le Seigneur le comprend dans cette parole : « La paix soit avec vous, » et lui rend tous les droits d’un disciple. Il lui permet cet attouchement, que la parole téméraire de Thomas a posé comme condition de sa foi. Mais il n’en a plus besoin, car déjà son cœur a été ravi par les paroles du Seigneur. Thomas s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » et par cette confession, que Jésus agrée, celui qui était resté en arrière devance tous les autres par sa foi prompte, ferme et parfaite au Fils éternel du Père éternel. Ce que le Seigneur dit à Thomas est pour tous les disciples en général après ces quarante jours promptement écoulés : « Bienheureux sont ceux qui croient sans avoir vu. » Pierre nous dit la même chose dans sa première épître (1 Pierre 1.7-8) : « Quand Jésus-Christ sera manifesté, lui que vous aimez sans l’avoir vu, et en qui vous croyez, bien que vous ne le voyiez pas, vous vous réjouirez d’une foi ineffable et glorieuse. »
Après la soirée du jour de Pâques et l’apparition du Seigneur à Thomas, Jean nous raconte l’apparition près du lac de Tibériade comme étant la troisième qui fut accordée aux apôtres. Bien qu’à certains égards l’Evangile se trouve clos à la fin du 20e chapitre, c’est sans motif sérieux que quelques-uns ont attaqué le dernier chapitre de Jean. Il forme le vrai pendant du premier chapitre. De même que dans celui-ci, il est question de la Parole éternelle qui était au commencement avec Dieu et qui était Dieu, le dernier chapitre nous montre Jésus glorifié ne cessant d’avoir soin de ses disciples. Chaque évangile se termine ainsi par un regard sur l’avenir de l’Eglise de Jésus-Christ. Matthieu parle des commandements du Roi ; Marc rappelle les signes par lesquels le Seigneur, élevé à la droite du Père, confirmera la parole de ses témoins ; Luc montre dans un avenir prochain l’effusion du Saint-Esprit ; Jean enfin, dans une histoire touchante et pleine de pressentiments, nous découvre la manière dont le Seigneur conduira ses disciples.
Ceux-ci, n’ayant pas encore commencé leur nouveau ministère, s’occupent une dernière fois de leur ancien métier ; ce gagne-pain n’est pas moins à sa place que le travail manuel de Paul. Le Seigneur, qu’ils n’ont pas reconnu, leur accorde, après une nuit de travail infructueux, une autre pêche miraculeuse rappelant et dépassant la première. Jean reconnaît le Seigneur, et Pierre s’élance à sa rencontre en devançant les autres disciples ; tous les deux restent ainsi fidèles à leur caractère. Pierre, qui était nu, c’est-à-dire revêtu seulement d’un léger habit de dessous, s’habille plus complètement par respect pour le Seigneur et nage vers le rivage. Les autres disciples le suivent dans la barque ; ils comptent 153 gros poissons et n’ont pas oublié ce nombre, qui s’est gravé dans leur esprit lorsqu’ils exerçaient pour la dernière fois leur ancien métier. Arrivés au rivage après un rude travail, ils se restaurent par un repas mystérieusement préparé par le Seigneur. Ils sont bien heureux auprès de lui sans familiarité de mauvais aloi, et ils goûtent combien le Seigneur est bon. Par ce signe, il leur a promis qu’il ne les laissera ni ne les abandonnera en ce qui concerne l’entretien de leur vie terrestre. Il y a là en outre une similitude en action, impliquant la promesse de la bénédiction qui reposera sur la vocation céleste des disciples, non moins abondamment qu’elle vient d’être accordée à leur vocation terrestre, et ainsi ce miracle est une deuxième consécration sans parole de la charge de pécheurs d’hommes vivants.
Ensuite Pierre est réintégré expressément et publiquement dans son ministère. Il avait été auparavant reçu de nouveau en grâce par le Sauveur ressuscité, qui était apparu d’abord à Pierre seul. Trois fois la chute de ce Simon, né de la chair, lui est rappelée ; cela est indispensable pour lui faire vider jusqu’au fond la coupe de la repentance ; mais le Seigneur ne le confond point. Une seule fois il lui demande : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Et dès que Pierre, par son silence, a renoncé à sa précédente témérité, le Seigneur aussi ne répète plus ce reproche. Au surplus, la réintégration dans la charge de pasteur a lieu en même temps que cette humiliation, et le souvenir de sa faute est profitable à Pierre pour bien remplir ses fonctions. Mais comment cela se peut-il ? Ce souvenir ne paralysera-t-il pas l’énergie de l’apôtre ? ne produira-t-il pas une lâche condescendance, une prétendue charité qui est le contraire de la charité ? Il en est ainsi quand il n’y a eu ni véritable tristesse, ni vrai abandon à Celui qui connaît toutes choses, et par conséquent pas de véritable pardon. Mais là où tout cela existe, le véritable amour, loin d’être affaibli, est fortifié et rendu à la fois attentif aux moindres fautes et plus patient qu’autrefois. Finalement le Seigneur fait entrevoir à son disciple une épreuve et une consommation de son amour pour son Maître, épreuve réservée pour le moment qu’il plaira au Seigneur de choisir, et devant aller jusqu’au martyre. Mais tous ne sont pas conduits dans cette rude voie : « Si je veux que celui-ci demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » C’est par cette parole énigmatique concernant Jean que le Seigneur reprend l’indiscrète curiosité de Pierre. Et en effet Jean a survécu à tous les apôtres, et il a vu la venue du Juge détruisant Jérusalem, et la venue du Seigneur séparant son Eglise de la communauté juive, et la venue de Celui qui lui fit voir sa révélation, jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur vint le prendre à lui par une mort paisible.
Après cette manifestation près du lac, le jour du rendez-vous sur la montagne était venu, et outre les onze disciples placés à la tête de l’Eglise, les cinq cents frères dont parle Paul (1 Corinthiens 15.6) prirent part à cette réunion. Tout au moins comprend-on mieux que Matthieu ne parle que des onze sans mentionner les autres, qu’on ne peut admettre que la manifestation en présence des cinq cents soit distincte de l’autre et complètement passée sous silence par les évangélistes. D’ailleurs une montagne est bien appropriée à une assemblée nombreuse, qui probablement ne se serait pas réunie sans une convocation spéciale, et on comprend qu’en Galilée plus de cinq cents disciples aient pu se réunir, tandis qu’il ne s’en trouvait en tout que cent vingt à Jérusalem avant la Pentecôte (Actes 1.15). Cette hypothèse explique très simplement cette parole de Matthieu, qu’à cette apparition aussi quelques-uns doutèrent. Ces douteurs, nous pourrions difficilement les chercher parmi les onze, auxquels le Seigneur s’était montré plusieurs fois à Jérusalem. Par contre, malgré la foi dont les cinq cents avaient fait preuve en obéissant à l’invitation, il y en eut qui d’abord n’en crurent pas leurs yeux. (Il n’est guère admissible que ce doute n’ait trait qu’à la question, s’il est permis d’adorer Jésus ? Ils doutent plutôt que celui qu’ils voient soit réellement Jésus.) Mais le Seigneur s’approche d’eux, et il les amène à la foi par des paroles qui, semblables à une assise de granit, constituent le fondement de leur œuvre.
Toute puissance m’est donnée non seulement sur la terre, mais aussi dans le ciel, sur le monde entier et aussi sur la nature qui doit de nouveau servir l’humanité rachetée. C’est pourquoi je puis vous envoyer, et, parce que je serai avec vous, vous serez victorieux partout et toujours jusqu’à la fin du monde. Allez chercher les hommes ; n’attendez pas qu’ils viennent à vous. Vous devez non seulement apaiser, mais tout d’abord éveiller leur besoin, afin qu’ils s’étonnent de cette miséricorde qui pense à eux. Faites de toutes les nations des disciples en les baptisant et en leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Sans doute, la première chose est celle dont parle Marc : « Annoncez l’Evangile à toute créature » Les hommes qui sont l’oreille et le cœur de la création entendent cette prédication ; mais toutes les créatures profiteront de l’œuvre de la rédemption. Ce témoignage des œuvres de Dieu, qui forment la base du salut, est impliqué dans le commandement de baptiser les nations ; quant à l’enseignement détaillé, il ne vient qu’après le baptême.
Faites de toutes les nations des disciples, et non pas seulement un seul peuple élu, car la nouvelle alliance a commencé. Ce grand but fixé aux apôtres est encore bien loin d’être atteint. Mais ils doivent commencer par Jérusalem (Luc 24.47) ; c’est de Sion que sortira le salut, ainsi que les prophètes l’ont déclaré. Précisément là où l’on voulait étouffer leur œuvre, ils doivent tenir bon, en évitant une séparation prématurée et une activité fractionnée. Ils doivent, au contraire, remplir leur tâche avec persévérance, jusqu’à ce qu’ils aient posé le fondement en un endroit, et qu’ils en soient chassés. Le Seigneur ne leur dit plus : « N’allez point vers les gentils » (Matthieu 10.5). Ils n’en ont pas moins besoin d’une direction particulière accompagnée de signes, pour les initier effectivement à leur mission parmi les païens (Actes 8.10). Pour commencer leur œuvre, ils trouvaient une occupation suffisante parmi les millions d’Israël, et ils n’étaient pas encore au clair s’il fallait ou non imposer aux gentils le signe de l’alliance d’Israël. C’est que l’intelligence et la pratique de l’homme ne suivent que lentement le conseil de Dieu.
Le baptême doit être une immersion faite au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, c’est-à-dire dans son être révélé, car Dieu n’a pas un nom qui lui ait été donné par les hommes, et qui ne serait qu’un son et une fumée, mais il s’est fait lui-même un nom, et il est présent de sa personne là où on l’invoque dans la foi. C’est pourquoi Paul peut dire : « Nous sommes baptisés dans le Christ » (Romains 6.3), non seulement en son nom, mais dans sa personne. Dans le livre des Actes, il n’est d’ordinaire question que du baptême au nom de Christ. Il ne faut toutefois pas déduire de là que la formule du baptême, telle que la donne Matthieu, n’ait pas été usitée. Luc veut plutôt exprimer qu’il ne s’agit pas d’un baptême de Jean, mais d’un baptême au nom de Christ. Quand Paul demande aux disciples de Jean-Baptiste : « De quel baptême avez-vous donc été baptisés ? » vous qui ne savez rien du Saint-Esprit (Actes 19.2-3), il paraît supposer par là même que, dans le baptême chrétien, ils avaient dû entendre nommer l’Esprit-Saint. Puis il les baptise au nom de Jésus. Si nous demandons quelle formule Paul employa, nous n’avons à penser à nulle autre qu’aux paroles d’institution.
Faisons bien attention à l’importance des paroles qui assignent au Fils la même dignité en le nommant entre le Père et l’Esprit, sans que toutefois il y ait là trois noms, mais bien plutôt le triple nom du Dieu trois fois saint (tri-un), auteur de notre salut. Celui qui est baptisé en ce Dieu reçoit de lui la force de garder ce que le Seigneur a commandé, et de rester ferme dans la foi, ainsi qu’il convient à un baptisé. Ce qui décide en dernier ressort, c’est la foi ou l’incrédulité. Or, la foi véritable ne consiste pas à simplement tenir pour vraies des choses indifférentes, mais à s’assurer de tout cœur sur la grâce de Christ, tandis que l’incrédulité méprise et repousse cette grâce. En parlant de celui qui ne croit pas, le Seigneur n’ajoute pas : et qui ne sera pas baptisé ; car non seulement nul n’était baptisé à cette époque s’il ne croyait pas, mais encore l’incrédulité condamne même le baptisé ; et, d’un autre côté, celui qui n’est point baptisé n’est pas perdu pour n’avoir pas reçu l’eau du baptême, mais uniquement par son incrédulité.
C’est ainsi que les nations doivent être faites disciples. Sans doute, c’est une grande chose que la spontanéité de la foi ; toutefois, elle n’est ni la première chose ni la dernière, car la grâce de Christ précède notre liberté, et elle agit sur l’enfant, qui n’a pas encore conscience de lui-même, par l’esprit de la famille et celui de la nation. Quand ces mères apportèrent leurs petits enfants au Seigneur, Jésus dit aux disciples qui voulaient y mettre obstacle, ainsi que le font les baptistesb : « Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. » Ce n’est pas que ce royaume leur appartienne tout naturellement, car dans l’innocence enfantine est déjà caché un germe de corruption que le scandale donné par nous et nos actes irréfléchis développent rapidement, et qui même grandit sans influence extérieure. Ce n’est point par leur nature qu’ils sont bourgeois du royaume des cieux, mais ils doivent le devenir par Jésus, et c’est pour cela même qu’il faut les lui apporter. Placé au seuil de leur vie, ce Sauveur des enfants les reçoit. Mais par quel moyen pouvons-nous les lui amener, si ce n’est par le baptême ? C’est pourquoi, au milieu de chaque peuple qui s’est soumis à l’Evangile, la chrétienté a rattaché à bon droitc, depuis les temps les plus anciens, à la parole de bénédiction qui attribue le royaume des cieux aux petits enfants, cette autre parole : « Quelqu’un pourrait-il empêcher qu’on ne baptise ceux qui ont reçu le Saint-Esprit ? » (Actes 10.47)
b – A l’exemple de ces mères, les vrais baptistes apportent leurs enfants au Sauveur, afin qu’il les bénisse, en attendant que ces enfants, arrivés à la foi, puissent être introduits par le baptême dans les rangs des disciples, c’est-à dire dans l’Eglise, pour y apprendre à garder les commandements du Seigneur (Trad.).
c – La primitive Eglise ignorait le baptême des petits enfants, et la Bible l’ignore aussi. Ce bon droit de la chrétienté est donc contestable (Trad.).
C’est ainsi que sur cette montagne de Galilée le Seigneur a ordonné la mission de ses apôtres, institué le baptême, affirmé sa divinité, enseigné la trinité de l’essence de Dieu, et promis que son Eglise subsistera jusqu’à la fin.
Après avoir mentionné les cinq cents frères, Paul nomme Jacques comme ayant reçu une révélation particulière. Nous n’en pouvons rien dire de plus, car nous ne savons même pas d’une manière certaine de quel Jacques il est question. Il se peut que le Seigneur apparût à Jacques, pour faire revenir les disciples à Jérusalem.
En continuant dans ces termes : « Jésus se fit voir à tous les apôtres » (1 Corinthiens 15.7), Paul semble désigner l’apparition du Seigneur lors de son ascension. Luc dit dans son évangile que le Seigneur conduisit ses disciples vers Béthanie, et le même auteur rapporte dans le livre des Actes que Jésus monta au ciel, de la montagne des Oliviers. Or Béthanie est situé sur le versant oriental de la montagne des Oliviers. C’est quand ils furent arrivés à la limite du territoire de Béthanie que Jésus quitta, ses disciples bien-aimés en les bénissant. C’est de la montagne des Oliviers qu’il s’éleva pour s’asseoir sur son trône (Zacharie 14.4).
Quel fut le fruit de ces quarante jours ? Les disciples savaient désormais, d’une certitude inébranlable, que Jésus était vivant ; en leur apparaissant et en disparaissant de nouveau, le Seigneur les avait habitués à sa présence invisible. Nous ne savons où il séjournait dans les intervalles de ces apparitions, et les disciples n’osaient pas le questionner à ce sujet. Ils savaient que Jésus allait vers son Père, et il leur avait promis le don du Saint-Esprit. « C’est moi, leur dit-il, qui vous l’enverrai ; c’est moi qui accomplirai cette œuvre de Dieu. Vous serez revêtus de la vertu d’en haut comme d’un vêtement qui engloutit le vieil homme dans la victoire. » Sa croix était maintenant glorifiée à leurs yeux par la manifestation de sa gloire. Ce fut déjà un commencement de lumière pour les femmes, quand les anges leur rappelèrent que Jésus avait prédit sa mort et sa résurrection. Jusqu’alors, elles n’avaient vu l’accomplissement que de la première et terrible moitié de cette parole prophétique ; maintenant, cet accomplissement effrayant se transformait en une promesse, qui leur garantissait l’accomplissement de la seconde moitié. Le vendredi saint leur était devenu un gage, que le message de Pâques était digne de foi. Celui qui commence à devenir attentif à la parole de Jésus est conduit par lui de foi en foi, d’expérience en expérience, de lumière en lumière. Celui aux yeux duquel la croix n’est pas seulement un ornement ou une enseigne, mais un bois d’opprobre et de malédiction et un signe de supplice, lui faisant comprendre ce qu’a mérité le vieil homme, celui-là trouve sa vie en Christ crucifié, en même temps qu’il reconnaît que sa mort ne pourrait pas être une mort rédemptrice, si le Crucifié n’était aussi le Ressuscité, s’il n’était « Celui qui était mort et qui maintenant vit aux siècles des siècles. »
Le Seigneur affermit mieux encore la connaissance de ses disciples, en leur ouvrant, l’intelligence pour leur faire comprendre les Ecritures. Il leur montre partout, dans Moïse, les prophètes et les psaumes, cette voie unique de la rédemption, cette œuvre de Dieu depuis longtemps commencée et arrivant à sa consommation en Jésus. Cette voie va par les souffrances à la gloire, par la mort expiatoire du Juste à une vie de félicité.
Ce vainqueur de la mort se présente à eux dans un corps glorifié, sur lequel la mort n’a plus de puissance. « Car s’il est mort, il est mort une seule fois pour le péché ; mais maintenant qu’il est vivant, il est vivant pour Dieu » (Romains 6.10). Qui donc parlera dignement de ces choses ? Il est vrai qu’il est écrit que notre corps animal renferme aussi le germe d’un corps spirituel, dans lequel nous arrivons à la ressemblance du corps glorifié de Christ (1 Corinthiens 15.44 ; Philippiens 3.21). Aussi peu que notre corps actuel est purement animal, aussi peu le corps spirituel consistera uniquement en esprit. Ce corps sera plutôt complètement soumis à la volonté libre de l’esprit dans la mesure de sa sanctification. Mais, qui est à même de préciser les détails ? n’est-il pas inévitable que ce que les Evangiles nous font connaître de la corporéité glorifiée de Christ, nous paraisse forcément semé de contradictions, quand nous appliquons à leur révélation la mesure de notre propre corps non encore glorifié ? Un corps visible, se faisant connaître par sa voie accoutumée, formé de chair et d’os ; un corps qui se laisse toucher, qui porte encore les marques des plaies, qui même prend de la nourriture, non par besoin, mais à la manière d’une flamme consumant un sacrifice, et d’un autre côté, ce même corps ne se faisant connaître que quand il le veut, apparaissant et disparaissant malgré les portes fermées, et finalement montant au ciel ; qui donc peut concilier tous ces traits ?
Il est dans l’ordre qu’il en soit ainsi, car cela dépasse la mesure actuelle de notre connaissance. Nous goûtons ici quelque chose des puissances des siècles à venir ; c’est la nouvelle créature, qui se présente sous une forme terrestre.
Celui qui a dit : « Je monte vers mon Père et votre Père ; toute puissance m’est donnée dans le ciel et sur la terre ; » celui qui déjà précédemment avait renvoyé ses auditeurs au temps où ils verraient le Fils de l’homme monter là où il était auparavant (Jean 6.62) ; celui-là fut élevé au ciel et il est assis à la droite de Dieu. C’est en ces termes, empreints d’une grandeur pleine de simplicité, que Marc parle de l’ascension, tandis que Luc (Actes 1.9) dit que le Seigneur fut élevé pendant que ses disciples le regardaient, et une nuée l’emporta de devant leurs yeux. C’est dans cette nuée que ce qui eut lieu ensuite se voile à nos regards. Dirons-nous que l’ascension ne se comprend plus depuis Copernic ? Nous avons déjà protesté à la fin de notre sixième leçon contre de telles assertions aussi gratuites que dénuées de preuves. Pouvons-nous renfermer le corps glorifié dans les limites étroites de notre nature terrestre ? S’il devait nous paraître étrange de nous figurer que Christ soit remonté vers son Père d’une manière locale, rappelons-nous que la toute-présence de Dieu n’empêche nullement de considérer les espaces différents comme des scènes des diverses manifestations de Dieu, et que l’astronomie n’élève aucune objection contre elle. D’un autre côté, l’ascension forme la clôture indispensable de la résurrection. C’est maintenant que la terre est vraiment reliée à la création supra-terrestre, et que son histoire est rattachée comme le plus précieux joyau à l’histoire de tous les cieux.
Il est tout aussi vrai que Christ n’a dit adieu à la terre, que pour y rester spirituellement et y revenir un jour dans sa gloire visible. Nous devons « chercher les choses qui sont en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu » (Colossiens 3.1) ; car « il est monté par-dessus tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses » (Éphésiens 4.10). Christ est à la droite de Dieu, étant allé au ciel, et les anges, les principautés et les puissances lui sont assujettis (1 Pierre 3.22). Voilà ce qu’écrivent les apôtres en parfait accord avec les évangélistes. Il est devenu le co-régent du Père, et la volonté de l’Eternel prospère dans sa main (Ésaïe 53.10). C’est pourquoi les disciples sont dans la joie malgré cette séparation. Le ciel, où leur Maître est allé, est à la fois élevé au-dessus de la terre et d’un autre côté très près de nous. Si l’Ecclésiaste dit (Ecclésiaste 5.2) : « Ne te précipite point à parler, et que ton cœur ne se hâte point à prononcer aucune parole devant Dieu ; car Dieu est aux cieux et toi tu es sur la terre ; c’est pourquoi use peu de paroles… » il ne parle pas d’un ciel éloigné, car dans ce cas ses paroles n’auraient pas de puissance pour avertir ; mais il parle d’un ciel contre lequel nous ne pouvons pas nous élever, sur lequel nous n’avons d’action que par nos prières, et c’est de ce ciel que Dieu domine sur nous comme un Dieu rapproché, riche en puissance, en sagesse et en grâce.
C’est dans ce ciel que vit Christ ressuscité, quand même nous ne pouvons pas actuellement arriver au clair touchant la localité. Quant à nous, ce n’est qu’à la condition de posséder le Christ vivant, que nous mourrons à la vie du péché, et que nous ressusciterons de la mort spirituelle pour marcher avec lui dans une vie nouvelle. La rémission réelle des péchés réels ne peut pas s’accomplir en imagination. Dieu seul, qui était en Christ et qui réconcilia le monde avec soi, peut nous en donner l’assurance. S’il peut y avoir sans Christ une honnêteté respectable devant les hommes, et qui parfois fait honte aux confesseurs de Christ, il n’en est pas moins vrai que l’essence de la vie en Dieu, la vie dans l’humilité et dans la prière, la vie dans laquelle la connaissance approfondie de nos péchés s’unit à celle de notre réconciliation, la vie qui aspire en toutes choses à la sainteté et qui porte en elle les arrhes de l’éternité, cette vie n’existe que comme un fruit de la foi au Sauveur réel, crucifié et ressuscité. Quand même il resterait pour quelque temps caché à des cœurs droits, de quelle gloire le Fils de l’homme est venu et dans quelle gloire il est retourné, quand même c’est peut-être en vertu d’un jugement téméraire, que des hommes, montrant d’autres hommes, disent : Christ est ici, mais il n’est point là ; bien que le Juge se soit réservé pour la fin des jours de prendre l’un et de laisser l’autre… ; malgré tout cela, cette vérité demeure inébranlable « qu’aucun autre nom n’a été donné aux hommes pour être sauvés. » Maintenant déjà l’Esprit, qui conduit en toute vérité, ne nous est communiqué que par Christ, qui a dit en parlant de cet Esprit : « Il me glorifiera, car il prendra de ce qui est à moi, et il vous le donnera. »
Qu’il nous accorde un fruit de ces heures, qui subsiste dans l’éternité !